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10 . 14 Novembre 1975 & 25 Novembre 1995
Réunification partielle
malgré la mise en demeure algérienne
&
Annonce de la
reconnaissance d’Israël
Garder ou changer le
cap ?
Le 10 Novembre 1975, le président Moktar Ould Daddah est à Béchar pour
cinq heures de tête-à-tête avec le président Boumedienne. Il s’agit
pratiquement d’une « convocation ». L’avant-veille, Ahmed Draia, membre du Conseil de la révolution
et directeur de la Sûreté
nationale en Algérie, a passé la journée, voyant longuement Abdoulz Aziz Salla,
président de l’Assemblée nationale, qui s’inquiète aussitôt, puis le chef de
l’Etat. L’invitation à conférer de toute urgence est assortie de la msie à
disposition de l’avion personnel de l’Algérien. La veille, à Alger, la rumeur
circule de cette rencontre. Ahmed Laraki, ministre marocain des Affaires
étrangères, se précipite à Nouakchott. On est en réalité au plus vif d’une
négociation tripartite sur la décolonisation du Sahara sous administration
espagnole ; elle se déroule à Madrid, la Mauritanie a failli ne
pas y participer pleinement, le processus dont rien n’a été caché aux
Algériens, a été – en principe – accepté par eux [1].
Le 6, en
Conseil des ministres, le Président de la République avait réaffirmé « la résolution
redoublée de la Mauritanie
d’assumer pleinement les bresponsabilités particulières qui sont les siennes en
vue de la décolonisation loyale et urgente de ce territoire qui, comme l’ont
clairement confirmé les réponses de la
Cour internationale de justice aux questions posées par
l’Assemblée générale des Nations unies, forme avec elle un tout indivisble, et
la disposition entière de la
République islamique de Mauritanie à coopérer à tout effort
susceptible d’aider à ce règlement », tandis qu’une résolution 380 du
Conseil de sécurité, avait invité, le même jour, les parties au règlement de la
question du Sahara occidental à la retenue. En effet, près de 350.000
Marocains commençaient une « marche
verte » vers le Sahara sous administration espagnole et pouvaient tenter
le passage de la frontière.
Au Monde, Moktar Ould Daddah se déclare choqué par
le départ précipité des Espagnols de La Guera, il vient d’être mise au courant par Abd
Essalam Zneynati, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre marocain de
l’ « évolution de la situation dans la région et de la « marche
verte », et il refuse que la
Mauritanie en fasse autant : elle est sûre de son droit,
et pacifique. Elle n’est
pas non plus isolée, notamment de l’ancienne métropole – malgré la politique
d’indépendance qu’a manifestée un an plus tôt la nationalisation de Miferma et
qui est réitérée sur le sujet le plus sensible : la monnaie [2].
Des contentieux mineurs [3]
ont été aplanis les 7 et 8 Novembre par la visite
de Pierre Abelin, ministre français de la Coopération et Moktar
Ould Daddah vient d’accepter l’invitation du président Giscard d’estaing à se
rendre en visite d’Etat en France.
Tandis qu’Hassan II stoppe
la « marche verte » qui faisait pression sur l’Espagne : «
nous avons décidé de faire revenir les volontaires à Tarfaya », Moktar Ould Daddah s’envole vers Béchar,
le 10 : « Nous allons parler de
problèmes bilatéraux et de questions concernant la région, le monde arabe et
l’Afrique ». Le colonel Boumedienne lui
a fait dire : « Vous n’ignorez pas la situation qui existe dans la
région. Nous devons donc nous consulter afin de trouver la véritable solution à
ce problème qui intéresse tout le monde, le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et tous les
voisins, les amis et les alliés de ces trois pays ». Portant, dès son arrivée, le Président – qui n’est
accompagné que de Mohamed Ali Cherif et se’entretient seul à seul avec son
homologue algérien - est mis en demeure
de résilier le plan de partage du Sahara avec le Maroc.
La
conversation est secrète, elle est aux antipodes de ce que croit savoir
(édition datée du 11 Novembre
1975, donc paraissant le 10) Le Monde qui titre « Nouakchott prend
ses distances à l’égard de Rabat ». Le quotidien français relève que à La Haye, le représentant
marocain ne parle que des droits de son pays, alors que celui-ci a partie liée
avec la République
islamique de Mauritanie pour un partage, qu’avec l’Espagne, Rabat multiplie les
concessionsn et donc que la
Mauritanie est inquiète : son attitude avec Rabat
l’isole de « deux deux alliés naturels l’Algérie qui l’a beaucoup aidée
dans le passé et la Libye
qui a de nombreuses affinités avec elle ». Moktar Ould Daddah s’est
abstenu d’assister au départ de la « marche verte » et n’en a pas
fait faire de son côté.
En fin de matinée du 11,
retour du président Moktar Ould Daddah. L’ambiance était si tendue qu’il a pu
croire à une possible séquestration. L’après-midi, réunion du Bureau politique
national : compte-rendu, qui fut ensuite donné publiquement le 29 Janvier
1976, en Conseil national du Parti du Peuple, mais que le Président détaille
dans ses Mémoires [4].
citation « D’entrée de jeu, mon interlocuteur,
visiblement tendu, me déclare : “ Depuis
quelques mois, nos rapports bilatéraux mauritano-algériens ont cessé d’être un
modèle à cause du travail de sape de Hassan II qui fait tout pour les
détériorer ” - suit un long développement au sujet de “l’expansionnisme
marocain dans la région...”. Puis,
continuant à parler, il me dit : “ il paraît que la Mauritanie va signer à
Madrid, un accord de partage du Sahara entre vous et les Marocains. Ainsi, la Mauritanie
change-t-elle totalement de position. Après avoir milité pour
l’autodétermination du peuple sahraoui, elle accepte maintenant de le partager
avec le Maroc, comme on partage un troupeau de moutons ou de chameaux. Cela,
l’Algérie ne l’acceptera jamais ! »
Je l’interromps pour lui
rappeler que l’accord en discussion à Madrid n’est que la concrétisation et
l’officialisation de celui qu’il a lui même béni et cautionné à deux reprises à
Rabat, en Juin 1972 et plus récemment en Octobre 1974 devant tous les Chefs
d’Etat membres de la
Ligue Arabe. “
Quant au principe d’autodétermination, poursuivè-je, nous l’avons toujours
soutenu, étant entendu que son application ne doit concerner que les Sahraouis
authentiques. Or nous savons maintenant combien il est difficile d’organiser un
référendum qui serait limité aux seuls Sahraouis originaires du territoire.
D’autre part, à maintes reprises, les habitants authentiques de ce territoire
ont proclamé leur détermination à lutter pour l’intégration au Maroc
(population du nord) et à la République Islamique de Mauritanie (habitants de
la partie sud dudit territoire). Ces derniers, dans leur écrasante majorité,
viennent de créer “le Front de Libération et de Rattachement du Sahara à la Mauritanie”.
(F.L.R.S.M.) dont la direction est on ne peut plus représentative de toutes les
collectivités concernées. Enfin, l’accord tripartite en cours de négociation à
Madrid, devra prévoir une forme appropriée de consultation finale de la
population ”.
Reprenant son intervention, mon hôte déclare : “Je te demande de
retirer ton pays des discussions de Madrid et donc de ne pas signer l’accord en
préparation. Sinon, les conséquences seraient graves et pour ton pays et pour
toi-même. Du reste, ayant à choisir entre le Maroc féodal et expansionniste et
l’Algérie révolutionnaire, tu ne peux choisir le premier”. Je l’interromps à
nouveau pour lui dire que ses propos menaçants sont déplacés et qu’ils ne
m’impressionnent pas. Il s’excuse et m’assure qu’il ne voulait pas me menacer,
mais seulement me parler franchement pour attirer mon attention sur la gravité
de la situation.
Je poursuis : “ Quant au problème de choix entre les deux pays en
question, il ne se pose pas pour la République Islamique
de Mauritanie dans les termes dont tu parles. En effet, dans ses relations avec
les autres Etats, la
République Islamique de Mauritanie se détermine, avant tout,
en fonction de ses intérêts nationaux et de ses principes propres. En
l’occurrence, nos intérêts coïncident avec ceux des Marocains et non avec ceux
des Algériens. Aussi, coordonnons-nous notre action diplomatique avec celle du
Maroc. Mais nous ne choisissons pas pour autant le Maroc contre l’Algérie. Vos
deux pays demeurent pour nous deux pays voisins, frères et amis avec lesquels
nous désirons conserver simultanément les meilleures relations”.
“Méfie-toi, Moktar ! La Mauritanie est un pays fragile. Elle a des
problèmes intérieurs graves. Elle a plusieurs milliers de kilomètres de
frontières qu’elle ne peut défendre seule en cas de conflit armé. Son intérêt
est donc de rester neutre et de continuer à jouer, au nord comme au sud du
Sahara, le rôle diplomatique si important qu’elle joue, rôle sans commune
mesure avec son poids spécifique. Et si à juste titre, elle craint toujours
l’expansionnisme marocain, elle peut compter sur l’Algérie pour l’aider à se
défendre. En tout état de cause, elle ne doit pas se laisser entraîner par le
Maroc dans une aventure dont elle risque d’être la première victime, étant le
maillon le plus faible dans la région. Quoiqu’il en soit, l’Algérie ne laissera
jamais se réaliser le plan machiavélique que Hassan II prépare avec une
certaine complicité de l’Espagne colonialiste et fasciste. L’Algérie
n’acceptera jamais d’être mise devant le fait accompli au Sahara. Elle ne se
désintéressera jamais du sort du peuple sahraoui qui lutte pour son
indépendance. Au besoin, elle mettra à la disposition de ce peuple tous ses moyens
matériels et humains. Et si ceux-ci ne suffisaient pas, elle ferait appel à la
solidarité révolutionnaire internationale pour réunir 50, 60 ou même 100.000
combattants de la liberté afin d’empêcher le Maroc d’écraser impunément le
peuple sahraoui et de coloniser sa patrie”.
Je lui fais la même réponse que celle que j’avais déjà faite une fois au Roi du Maroc : “ La République Islamique
de Mauritanie est consciente de sa faiblesse matérielle. Mais cette faiblesse
ne la complexe nullement et n’ébranle en aucune manière sa détermination à
défendre jusqu’au dernier Mauritanien, son honneur, sa dignité et ses intérêts.
En l’occurrence, la
République Islamique de Mauritanie signera l’accord de Madrid
”.
Se ressaisissant, mon
interlocuteur m’affirme, à nouveau, qu’il « ne cherche pas à m’intimider,
mais seulement à me parler franchement, dans mon propre intérêt et dans celui
de l’avenir des relations algéro-mauritaniennes”.
Le lendemain, apparemment
plus détendu, il me raccompagna à l’aéroport : la suite est connue .... » fin de citation
La Mauritanie ne changera pas de cap. Mais pendant ce
temps-là, les choses ont commencé, ce même 11 Novembre, à Madrid : les
négociations sur le Sahara occidental, présentées non comme telles mais comme
un « dialogue » : il est bilatéral. Le Maroc est représenté
par Ahmed Ousman, Premier Ministre, et
l’Espagne par Carlos Arias Navarro, Premier Ministre, Pedro Cortino Mauri
Affaires étrangères, Antonio Carrero Martinez présidence du gouvernement, José
Luis Ceron Commerce, José Solis Ruiz Mouvement phalangiste.L’ambassadeur
d’Espagne à Alger, Jose Ramon Sobreda, revient d’Alger à Madrid porteur d’un
message très vif de Houari Boumedienne. C’est le 12 que la République islamique de
Mauritanie vient à la table de la négociation, représentée par Hamdi Ould
Mouknass, tandis que Moktar Ould Daddah va à Marrakech ; il s’entretient
avec le roi Hassan II « dans le cadre des consultations périodiques entre
les deux Chefs d’Etat, au sujet du problème du Sahara occidental, des relations
bilatérales et inter-maghrébines ».
Le 13, arrivent à
Nouakchott, treize personnalités sahraouies de l’Oued-al-Dahab (Rio de
Oro) dont huit du Parti d’Union Nationale sahraoui, qui demandent le rattachement à la République islamique de
Mauritanie (trois Oulad Delim, trois R’Gueibat et un Ahel Barikallah). Le
président de la Jemaa
Khattri Ould Saïd Ould Jamani, qui avait participé en Mai
1958 au congrès d’Aleg et qui représenten les R’gueibat du nord dit Lebbolhat a
fait allégeance à Rabat, tandis que les trois venus à Nouakchott représentent
les fractions El Jenha et Ould Cheikh du Tiris et de l’Adrar, et Lgouassem dans
les confins algériens et à Tindouf. De retour de Marrakech, le Président
de la République déclare
sa «satisfaction pour les entretiens fraternels que nous avons eus et qui
contribueront effectivement, grâce à Dieu, à assurer le succès de nos efforts
communs pour la libération de notre Sahara conformément aux droits de nos deux
peuples et aux principes suprêmes pour lequels nous luttons », et que les
négociations « sont sur le point de se terminer et d’après notre
délégation dans la capitale espagnole, elles évoluent favorablement ». Il
est temps pour Le Monde (édition datée du 14) de rectifier : la
rencontre de Béchar a été un échec et n’altère en rien l’entente
maroco-mauritanienne à propos du Sahara occidental.
Le
14 Novembre, est donc signé l’accord tripartite. L’Espagne se retire d’ici le 28 Février
1976. « L’opinion de la population du Sahara sera respectée telle qu’elle
sera exprimée à travers la Jemaa ».
Explicite garantie maroco-mauritanienne des intérêts économiques espagnols.
Le 15, conférence de
presse à Alger du secrétaire général du Front Polisario, El Ouali, admettant
que Dakhla, El Ayoun et Bu Craa échappent au Polisario. L’Algérie conteste officiellement
les accords de Madrid.
Le 16, est
créé un nouveau mouvement : le Front pour la libération et le rattachement
du Sahara à la Mauritanie,
que préside Mohamed Lamine Ould Houroumtallah, secrétaire général adjoint du
PNUS et ancien membre des Cortès.
Le
20, faisant rapport sur l’état de la
Nation, Moktar Ould Dadda assure que la Mauritanie n’entretient « aucun rêve annexionniste, aucune
volonté de puissance, mais une volonté partagée de part et d’autre de la
frontière artificielle érigée par la colonisation, en vue de la libération et
de la réunification de la
Patrie ».
Prudence,
le retrait des billets « type 1973 » dont les planches d’impression
sont en Algérie, a commencé.
Le 25 Novembre 1995, la
Mauritanie, invitée à la conférence de Barcelone [5]
où s’ébauche le partenariat euro-méditerranéen, annonce qu’elle établira des
relations diplomatiques avec Israël. Avec Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, la Mauritanie change de
cap. Son ministre des Affaires étrangères a assisté, au début du mois, aux
obsèques d’Yitzhak Rabin.
La décision étonne, mais
elle est expliquée en sous-main par la nécessité de donner des gages aux
Américains pour que la
Mauritanie soit rayée de certaine liste noire et accède à des
crédits dont l’obtention dépend de Washington. Depuis lors, Israël soutient, en
Mauritanie, les régimes d’autorité. Il fut même dit que ses services n’avaient
pas été étrangers au retournement de situation en Juin 2005, quand la tentative
de putsch des « cavaliers du changement » tourna court.
Mais quand l’échange
d’ambassadeurs se conclut, en Mai 1996, la Mauritanie n’est pas
seule : la Tunisie
et le Maroc en font autant. Les réunions ministérielles, au titre du processus
de Barcelone, font travailler ensemble Arabes et Israëliens. La Libye elle-même y est
invitée. L’opposition, qui n’accepte pas cette reconnaissance, reproche surtout
que le pouvoir d’alors n’ait pas pesé, « en échange », en faveur des
Palestiniens et pour la paix.
[1] - un communiqué algéro-marocain, négocié pendant que le
Président s’entretient avec le Roi à Rabat, est publié par Le Monde
daté des 6-7 Juillet 1975. Moktar Ould Daddah consacre le chapitre XVII de
ses mémoires : La
Mauritanie
contre vents et marées (Karthala
. Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 480 à 500 aux
rapports mauritano-algériens, et détaille, p. 496 : Ce communiqué reconnaissait, implicitement, ce qui constituerait cinq
mois plus tard l’accord de Madrid. L’Algérie renonçait explicitement à toute “
prétention sur le Sahara occidental ” ; aux côtés du Maroc, elle
souhaitait “ renforcer les fondements de la sécurité et de la coopération qui
sera à n’en pas douter bénéfique pour cette région vitale du Maghreb arabe ” et
“ mettre fin le plus vite possible à l’occupation espagnole ” ; enfin,
sinon surtout, l’Algérie se félicitait de “ la compréhension mutuelle entre les
deux pays frères, le Maroc et la
Mauritanie, à propos de la région ”.
[2] - dépêche de l’AMP démentant la rumeur d’un retour dans la zone franc :
« Commentant les résultats de la visite effectuée récemment dans notre
pays par M. Pierre Abelin, ministre français de la coopération, Radio France
aurait annoncé hier matin que la
Mauritanie pourrait réintégrer la zone franc. Tout en
demeurant attachée au développement des relations de coopération avec tous les
pays du monde, y compris la
Frrance,
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