dimanche 6 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par le Calame . 18 Novembre 2008



38 .






10 . 14 Novembre 1975 & 25 Novembre 1995

Réunification partielle malgré la mise en demeure algérienne
&
Annonce de la reconnaissance d’Israël





Garder ou changer le cap ?

Le 10 Novembre 1975, le président Moktar Ould Daddah est à Béchar pour cinq heures de tête-à-tête avec le président Boumedienne. Il s’agit pratiquement d’une « convocation ». L’avant-veille, Ahmed Draia, membre du Conseil de la révolution et directeur de la Sûreté nationale en Algérie, a passé la journée, voyant longuement Abdoulz Aziz Salla, président de l’Assemblée nationale, qui s’inquiète aussitôt, puis le chef de l’Etat. L’invitation à conférer de toute urgence est assortie de la msie à disposition de l’avion personnel de l’Algérien. La veille, à Alger, la rumeur circule de cette rencontre. Ahmed Laraki, ministre marocain des Affaires étrangères, se précipite à Nouakchott. On est en réalité au plus vif d’une négociation tripartite sur la décolonisation du Sahara sous administration espagnole ; elle se déroule à Madrid, la Mauritanie a failli ne pas y participer pleinement, le processus dont rien n’a été caché aux Algériens, a été – en principe – accepté par eux [1].
Le 6, en Conseil des ministres, le Président de la République avait réaffirmé « la résolution redoublée de la Mauritanie d’assumer pleinement les bresponsabilités particulières qui sont les siennes en vue de la décolonisation loyale et urgente de ce territoire qui, comme l’ont clairement confirmé les réponses de la Cour internationale de justice aux questions posées par l’Assemblée générale des Nations unies, forme avec elle un tout indivisble, et la disposition entière de la République islamique de Mauritanie à coopérer à tout effort susceptible d’aider à ce règlement », tandis qu’une résolution 380 du Conseil de sécurité, avait invité, le même jour, les parties au règlement de la question du Sahara occidental à la retenue. En effet, près de 350.000 Marocains  commençaient une « marche verte » vers le Sahara sous administration espagnole et pouvaient tenter le passage de la frontière.
Au Monde, Moktar Ould Daddah se déclare choqué par le départ précipité des Espagnols de La Guera, il vient d’être mise au courant par Abd Essalam Zneynati, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre marocain de l’ « évolution de la situation dans la région et de la « marche verte », et il refuse que la Mauritanie en fasse autant : elle est sûre de son droit, et pacifique. Elle n’est pas non plus isolée, notamment de l’ancienne métropole – malgré la politique d’indépendance qu’a manifestée un an plus tôt la nationalisation de Miferma et qui est réitérée sur le sujet le plus sensible : la monnaie [2]. Des contentieux mineurs [3] ont été aplanis les 7 et 8 Novembre par la visite de Pierre Abelin, ministre français de la Coopération et Moktar Ould Daddah vient d’accepter l’invitation du président Giscard d’estaing à se rendre en visite d’Etat en France.
Tandis qu’Hassan II stoppe la « marche verte » qui faisait pression sur l’Espagne : «  nous avons décidé de faire revenir les volontaires à Tarfaya »,  Moktar Ould Daddah  s’envole vers Béchar, le 10 :  « Nous allons parler de problèmes bilatéraux et de questions concernant la région, le monde arabe et l’Afrique ». Le colonel  Boumedienne lui a fait dire : «  Vous n’ignorez pas la situation qui existe dans la région. Nous devons donc nous consulter afin de trouver la véritable solution à ce problème qui intéresse tout le monde, le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et tous les voisins, les amis et les alliés de ces trois pays ». Portant,  dès son arrivée, le Président – qui n’est accompagné que de Mohamed Ali Cherif et se’entretient seul à seul avec son homologue algérien - est mis en demeure de résilier le plan de partage du Sahara avec le Maroc.
La conversation est secrète, elle est aux antipodes de ce que croit savoir (édition datée du 11 Novembre 1975, donc paraissant le 10) Le Monde qui titre « Nouakchott prend ses distances à l’égard de Rabat ». Le quotidien français relève que à La Haye, le représentant marocain ne parle que des droits de son pays, alors que celui-ci a partie liée avec la République islamique de Mauritanie pour un partage, qu’avec l’Espagne, Rabat multiplie les concessionsn et donc que la Mauritanie est inquiète : son attitude avec Rabat l’isole de « deux deux alliés naturels l’Algérie qui l’a beaucoup aidée dans le passé et la Libye qui a de nombreuses affinités avec elle ». Moktar Ould Daddah s’est abstenu d’assister au départ de la « marche verte » et n’en a pas fait faire de son côté.

En fin de matinée du 11, retour du président Moktar Ould Daddah. L’ambiance était si tendue qu’il a pu croire à une possible séquestration. L’après-midi, réunion du Bureau politique national : compte-rendu, qui fut ensuite donné publiquement le 29 Janvier 1976, en Conseil national du Parti du Peuple, mais que le Président détaille dans ses Mémoires [4].
citation « D’entrée de jeu, mon interlocuteur, visiblement tendu, me déclare  : “ Depuis quelques mois, nos rapports bilatéraux mauritano-algériens ont cessé d’être un modèle à cause du travail de sape de Hassan II qui fait tout pour les détériorer ” - suit un long développement au sujet de “l’expansionnisme marocain dans la région...”.          Puis, continuant à parler, il me dit : “ il paraît que la Mauritanie va signer à Madrid, un accord de partage du Sahara entre vous et les Marocains. Ainsi, la Mauritanie change-t-elle totalement de position. Après avoir milité pour l’autodétermination du peuple sahraoui, elle accepte maintenant de le partager avec le Maroc, comme on partage un troupeau de moutons ou de chameaux. Cela, l’Algérie ne l’acceptera jamais ! »
Je l’interromps pour lui rappeler que l’accord en discussion à Madrid n’est que la concrétisation et l’officialisation de celui qu’il a lui même béni et cautionné à deux reprises à Rabat, en Juin 1972 et plus récemment en Octobre 1974 devant tous les Chefs d’Etat membres de la Ligue Arabe.        “ Quant au principe d’autodétermination, poursuivè-je, nous l’avons toujours soutenu, étant entendu que son application ne doit concerner que les Sahraouis authentiques. Or nous savons maintenant combien il est difficile d’organiser un référendum qui serait limité aux seuls Sahraouis originaires du territoire. D’autre part, à maintes reprises, les habitants authentiques de ce territoire ont proclamé leur détermination à lutter pour l’intégration au Maroc (population du nord) et à la République Islamique de Mauritanie (habitants de la partie sud dudit territoire). Ces derniers, dans leur écrasante majorité, viennent de créer “le Front de Libération et de Rattachement du Sahara à la Mauritanie”. (F.L.R.S.M.) dont la direction est on ne peut plus représentative de toutes les collectivités concernées. Enfin, l’accord tripartite en cours de négociation à Madrid, devra prévoir une forme appropriée de consultation finale de la population ”.
     Reprenant son intervention, mon hôte déclare : “Je te demande de retirer ton pays des discussions de Madrid et donc de ne pas signer l’accord en préparation. Sinon, les conséquences seraient graves et pour ton pays et pour toi-même. Du reste, ayant à choisir entre le Maroc féodal et expansionniste et l’Algérie révolutionnaire, tu ne peux choisir le premier”. Je l’interromps à nouveau pour lui dire que ses propos menaçants sont déplacés et qu’ils ne m’impressionnent pas. Il s’excuse et m’assure qu’il ne voulait pas me menacer, mais seulement me parler franchement pour attirer mon attention sur la gravité de la situation.
     Je poursuis : “ Quant au problème de choix entre les deux pays en question, il ne se pose pas pour la République Islamique de Mauritanie dans les termes dont tu parles. En effet, dans ses relations avec les autres Etats, la République Islamique de Mauritanie se détermine, avant tout, en fonction de ses intérêts nationaux et de ses principes propres. En l’occurrence, nos intérêts coïncident avec ceux des Marocains et non avec ceux des Algériens. Aussi, coordonnons-nous notre action diplomatique avec celle du Maroc. Mais nous ne choisissons pas pour autant le Maroc contre l’Algérie. Vos deux pays demeurent pour nous deux pays voisins, frères et amis avec lesquels nous désirons conserver simultanément les meilleures relations”.   
     “Méfie-toi, Moktar ! La Mauritanie est un pays fragile. Elle a des problèmes intérieurs graves. Elle a plusieurs milliers de kilomètres de frontières qu’elle ne peut défendre seule en cas de conflit armé. Son intérêt est donc de rester neutre et de continuer à jouer, au nord comme au sud du Sahara, le rôle diplomatique si important qu’elle joue, rôle sans commune mesure avec son poids spécifique. Et si à juste titre, elle craint toujours l’expansionnisme marocain, elle peut compter sur l’Algérie pour l’aider à se défendre. En tout état de cause, elle ne doit pas se laisser entraîner par le Maroc dans une aventure dont elle risque d’être la première victime, étant le maillon le plus faible dans la région. Quoiqu’il en soit, l’Algérie ne laissera jamais se réaliser le plan machiavélique que Hassan II prépare avec une certaine complicité de l’Espagne colonialiste et fasciste. L’Algérie n’acceptera jamais d’être mise devant le fait accompli au Sahara. Elle ne se désintéressera jamais du sort du peuple sahraoui qui lutte pour son indépendance. Au besoin, elle mettra à la disposition de ce peuple tous ses moyens matériels et humains. Et si ceux-ci ne suffisaient pas, elle ferait appel à la solidarité révolutionnaire internationale pour réunir 50, 60 ou même 100.000 combattants de la liberté afin d’empêcher le Maroc d’écraser impunément le peuple sahraoui et de coloniser sa patrie”.
     Je lui fais la même réponse que  celle que j’avais déjà  faite une fois au Roi du Maroc : “ La République Islamique de Mauritanie est consciente de sa faiblesse matérielle. Mais cette faiblesse ne la complexe nullement et n’ébranle en aucune manière sa détermination à défendre jusqu’au dernier Mauritanien, son honneur, sa dignité et ses intérêts. En l’occurrence, la République Islamique de Mauritanie signera l’accord de Madrid ”.
Se ressaisissant, mon interlocuteur m’affirme, à nouveau, qu’il « ne cherche pas à m’intimider, mais seulement à me parler franchement, dans mon propre intérêt et dans celui de l’avenir des relations algéro-mauritaniennes”.
Le lendemain, apparemment plus détendu, il me raccompagna à l’aéroport : la suite est connue .... »  fin de citation

La Mauritanie ne changera pas de cap. Mais pendant ce temps-là, les choses ont commencé, ce même 11 Novembre, à Madrid : les négociations sur le Sahara occidental, présentées non comme telles mais comme un « dialogue » : il est bilatéral. Le Maroc est représenté par Ahmed Ousman, Premier Ministre,  et l’Espagne par Carlos Arias Navarro, Premier Ministre, Pedro Cortino Mauri Affaires étrangères, Antonio Carrero Martinez présidence du gouvernement, José Luis Ceron Commerce, José Solis Ruiz Mouvement phalangiste.L’ambassadeur d’Espagne à Alger, Jose Ramon Sobreda, revient d’Alger à Madrid porteur d’un message très vif de Houari Boumedienne. C’est le 12 que la République islamique de Mauritanie vient à la table de la négociation, représentée par Hamdi Ould Mouknass, tandis que Moktar Ould Daddah va à Marrakech ; il s’entretient avec le roi Hassan II «  dans le cadre des consultations périodiques entre les deux Chefs d’Etat, au sujet du problème du Sahara occidental, des relations bilatérales et inter-maghrébines ».

Le 13, arrivent à Nouakchott, treize personnalités sahraouies de l’Oued-al-Dahab (Rio de Oro) dont huit du Parti d’Union Nationale sahraoui, qui demandent le  rattachement à la République islamique de Mauritanie (trois Oulad Delim, trois R’Gueibat et un Ahel Barikallah). Le président de la Jemaa Khattri Ould Saïd Ould Jamani, qui avait participé en Mai 1958 au congrès d’Aleg et qui représenten les R’gueibat du nord dit Lebbolhat a fait allégeance à Rabat, tandis que les trois venus à Nouakchott représentent les fractions El Jenha et Ould Cheikh du Tiris et de l’Adrar, et Lgouassem dans les confins algériens et à Tindouf.  De retour de Marrakech, le Président de la République déclare sa «satisfaction pour les entretiens fraternels que nous avons eus et qui contribueront effectivement, grâce à Dieu, à assurer le succès de nos efforts communs pour la libération de notre Sahara conformément aux droits de nos deux peuples et aux principes suprêmes pour lequels nous luttons », et que les négociations « sont sur le point de se terminer et d’après notre délégation dans la capitale espagnole, elles évoluent favorablement ». Il est temps pour Le Monde (édition datée du 14) de rectifier : la rencontre de Béchar a été un échec et n’altère en rien l’entente maroco-mauritanienne à propos du Sahara occidental.

Le 14 Novembre, est donc signé l’accord tripartite. L’Espagne se retire d’ici le 28 Février 1976. « L’opinion de la population du Sahara sera respectée telle qu’elle sera exprimée à travers la Jemaa ». Explicite garantie maroco-mauritanienne des intérêts économiques espagnols.
Le 15, conférence de presse à Alger du secrétaire général du Front Polisario, El Ouali, admettant que Dakhla, El Ayoun et Bu Craa échappent au Polisario. L’Algérie conteste officiellement les accords de Madrid.
Le 16, est créé un nouveau mouvement : le Front pour la libération et le rattachement du Sahara à la Mauritanie, que préside Mohamed Lamine Ould Houroumtallah, secrétaire général adjoint du PNUS et ancien membre des Cortès.
Le 20, faisant rapport sur l’état de la Nation, Moktar Ould Dadda assure que la Mauritanie n’entretient « aucun rêve annexionniste, aucune volonté de puissance, mais une volonté partagée de part et d’autre de la frontière artificielle érigée par la colonisation, en vue de la libération et de la réunification de la Patrie ».
Prudence, le retrait des billets « type 1973 » dont les planches d’impression sont en Algérie, a commencé.


Le 25 Novembre 1995, la Mauritanie, invitée à la conférence de Barcelone [5] où s’ébauche le partenariat euro-méditerranéen, annonce qu’elle établira des relations diplomatiques avec Israël. Avec Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, la Mauritanie change de cap. Son ministre des Affaires étrangères a assisté, au début du mois, aux obsèques d’Yitzhak Rabin.
La décision étonne, mais elle est expliquée en sous-main par la nécessité de donner des gages aux Américains pour que la Mauritanie soit rayée de certaine liste noire et accède à des crédits dont l’obtention dépend de Washington. Depuis lors, Israël soutient, en Mauritanie, les régimes d’autorité. Il fut même dit que ses services n’avaient pas été étrangers au retournement de situation en Juin 2005, quand la tentative de putsch des « cavaliers du changement » tourna court.
Mais quand l’échange d’ambassadeurs se conclut, en Mai 1996, la Mauritanie n’est pas seule : la Tunisie et le Maroc en font autant. Les réunions ministérielles, au titre du processus de Barcelone, font travailler ensemble Arabes et Israëliens. La Libye elle-même y est invitée. L’opposition, qui n’accepte pas cette reconnaissance, reproche surtout que le pouvoir d’alors n’ait pas pesé, « en échange », en faveur des Palestiniens et pour la paix.
Le contexte intérieur est particulièrement tendu et l’évolution politique intérieure a précédé le tournant diplomatique. Le 23 Octobre précédent, quarante cinq militants « baasistes pro-irakiens » sont arrêtés, l’ambassadeur d’Irak, Anouar Mawjoud Zébiane, est expulsé. Son prédécesseur, Anouar Molad Bayan avait été déclaré persona non grata quinze jours avant… Le 9 Novembre, ce sont sept militaires qui sont interpellés « pour activités politiques interdites », ils sont censément liés aux baasistes. Or, Maayouia Ould Sid’Ahmed Taya avait soutenu Bagdad, à grands risques politiques et diplomatiques, quand Sadam Hussein avait envahi le Koweit : changement de cap, rapprochement avec les Etats-Unis ? Le procès commence le 4 Décembre en correctionnelle à Nouakchott : la qualification de ce qui est reproché aux détenus, est passée de l’« espionnage en faveur du régime irakien » à la « création de parti politique contraire à la loi sur les partis et appartenance à une organisation secrète ». Depuis le coup du 12 Décembre 1984 et jusqu’alors, la mouvance baasiste avait soutenu le régime : les arrestations et procès de Juillet à Septembre 1988 n’avaient pas durablement entamé ce crédit.


[1] - un communiqué algéro-marocain, négocié pendant que le Président s’entretient avec le Roi à Rabat, est publié par Le Monde daté des 6-7 Juillet 1975. Moktar Ould Daddah consacre le chapitre XVII de ses mémoires :  La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français)  pp. 480 à 500 aux rapports mauritano-algériens, et détaille, p. 496 : Ce communiqué reconnaissait, implicitement, ce qui constituerait cinq mois plus tard l’accord de Madrid. L’Algérie renonçait explicitement à toute “ prétention sur le Sahara occidental ” ; aux côtés du Maroc, elle souhaitait “ renforcer les fondements de la sécurité et de la coopération qui sera à n’en pas douter bénéfique pour cette région vitale du Maghreb arabe ” et “ mettre fin le plus vite possible à l’occupation espagnole  ” ; enfin, sinon surtout, l’Algérie se félicitait de “ la compréhension mutuelle entre les deux pays frères, le Maroc et la Mauritanie, à propos de la région  ”.

[2] - dépêche de l’AMP démentant la rumeur d’un retour dans la zone franc : « Commentant les résultats de la visite effectuée récemment dans notre pays par M. Pierre Abelin, ministre français de la coopération, Radio France aurait annoncé hier matin que la Mauritanie pourrait réintégrer la zone franc. Tout en demeurant attachée au développement des relations de coopération avec tous les pays du monde, y compris la Frrance,

Aucun commentaire: