Essayiste
Pour qui se bat Israël?
Publication:
11/07/2014
Après avoir reçu des centaines de missiles sur son
territoire, après avoir subi des actes terroristes incessants, Israël a décidé
de frapper ceux qui
empêchent ses habitants de vivre. Des roquettes tombent plus au
Nord, sur le centre d'Israël menaçant le cœur du pays. Quel Etat supporterait
une situation pareille sans cesse renouvelée? Quel Etat pourrait accepter sans
coup férir que son sol reste sous la menace d'un feu ennemi discontinu? Quel
peuple pourrait accepter de supporter cette menace sans réagir?
De bons esprits indignés avaient déjà dénoncé en 2006 la
disproportion de la riposte israélienne dans une précédente offensive qui avait
déjà pour objet de riposter à une précédente agression terroriste. Ces indignés
minimisaient l'action du Hamas au prétexte que ses armes artisanales faisaient
face à l'hyper puissance de l'armée d'Israël. Ainsi le mensonge factuel vise à
transformer l'agresseur en victime comme si les fusées iraniennes fournies au
Hamas correspondaient à ces armes que les pauvres inventent par désespoir.
Cette stratégie, les Etats arabes puis les groupes palestiniens l'ont répétée
inlassablement depuis soixante ans. Elle a fait long feu.
Israël s'est totalement désengagé de la bande de Gaza en
2005. Depuis cette date ce territoire est libre et le blocus dont il est
l'objet aurait cessé du jour au lendemain si une volonté de paix s'était
affirmée et s'il ne s'était pas plutôt transformé en base terroriste. Ce
départ, non négocié par Ariel Sharon, du seul fait de la décision d'Israël s'avère
avoir été une erreur parce que il n'obligeait en aucune manière une
responsabilité palestinienne. De ce territoire libéré de toute présence juive,
qu'est ce qu'en ont fait les palestiniens ? Ont ils choisi de construire un
embryon d'Etat ? Après un coup d'Etat sanglant contre l'Autorité Palestinienne
de Mahmoud Abbas en juin 2007 le Hamas fait de la charia et de sa charte la
matrice de son projet. Cela n'interdira pas à Stéphane Hessel de lui trouver
bien des charmes, au cours d'une visite en 2010. Pour l'indigné au grand cœur
la cause était déjà entendue. Tout le monde peut prendre aujourd'hui la mesure
de cette fable.
Il fut un temps, jusqu'à la fin des années 80, où le
mouvement nationaliste palestinien disait combattre pour fonder une patrie.
Avec les accords d'Oslo l'illusion d'une paix de compromis avait irrigué les
espoirs de tous ceux pour qui la perspective de deux Etats pour deux peuples
apparaissait la solution possible de cette guerre de cent ans ou de mille ans
pour peu qu'on en lise l'histoire dans la politique ou bien dans la bible. Les
paroles de paix étaient prononcées en anglais tandis que la guerre sainte se
disait en arabe pour enflammer la rue arabe si friande d'exaltations furieuses.
En Occident pour tous les borgnes idéologiques les révolutions arabes
réactivaient le signal pavlovien qui fait se gaver d'illusions : l'avenir
radieux se profilait à nouveau de Tunis au Caire sans voir que sous les pavés
c'était la charia qui se profilait et non pas la plage. La fin de Kadhafi loin
de porter la démocratie a mis en évidence un concept que l'on croyait oublié :
c'étaient les tribus qui menaient la danse.
Pour avoir négligé de lire le monde arabe et celui né de
l'islam sans tenir compte de ce que l'ethnologie avait pu révéler de ses
constantes, la lecture progressiste a un réveil plutôt douloureux au constat de
ses erreurs et se ses illusions idéologiques. Tous les islamologues avertis
sont sensés connaître ce partage dans l'imaginaire politique de l'islam entre
la sphère musulmane où règnent la paix et l'harmonie de la charia, parce que
majoritairement peuplée de musulmans et la sphère de la guerre, celle qui est à
conquérir, celle qui est polluée par les mécréants, les Croisés et les Juifs,
c'est à dire l'Europe et la Palestine du Jourdain à la mer. Ne pas vouloir voir
que la haine des Juifs est matricielle dans la lecture que le Hamas fait de
l'islam est une considérable erreur d'appréciation de son idéologie. Elle est
au cœur de la pensée islamiste et de ses épigones organisationnels. Le nazisme
sans l'antisémitisme n'aurait été qu'un fascisme parmi d'autres. Tous les
divers attendus de la stratégie de cet islam ont déjà été pensés et exprimés :
la takia conseille d'avancer masqué pour dissimuler la réalité de son projet.
Arafat était un virtuose de cette pratique : les mots de la paix dits en
anglais et le jihad dit en arabe. Depuis douze ans le Hamas pratique une
alternance de trêves et d'agressions, la hudna, conseille cette tactique de
guerre qui permet de se réarmer en simulant la paix.
L'idéologie du Hamas, son programme, écrit en toutes
lettres dans sa charte n'a qu'un seul but : l'anéantissement d'Israël et
l'assassinat des juifs. Le Hamas n'est pas une organisation de résistance mais
le bras armé de l'offensive islamiste planétaire dont Israël constitue la ligne
de front. Il ne vise pas à l'établissement d'un Etat pour le peuple arabe de
Palestine, il vise à la reconquête par l'islam d'un espace dont il estime être
le légitime propriétaire de droit divin. Tant que les européens n'intègreront
pas ces catégories dans leur grille de lecture de ce que les Frères musulmans
ont irrigué dans l'espace musulman et celui du monde arabe ils n'en
comprendront pas les enjeux réels. Ils continueront à voir dans la Palestine la
cause d'un Tiers-Monde désespéré là où il faudrait voir le fer d'une lance
dirigée contre eux mêmes.
Le malheur arabe est réel, le malheur palestinien est
réel, mais qui en est responsable depuis plus de soixante ans? Une constante du
discours arabe motivant son désir de revanche trouve ses racines dans cette
humiliation tant invoquée dont les arabes seraient les victimes. Mais de qui et
de quoi sont-ils les victimes sinon prioritairement de ce que des arabes ont
fait aux arabes? Que s'est-il passé pour que des Saddam Hussein, Bachar Assad
ou Bouteflika aient pris le relais de l'émir Abdel Khader, de Nasser, de
Bourguiba ou de Mohamed V? Si il y a des raisons d'être humilié, n'est pas dans
ce que le monde arabe a fait de sa propre histoire et de son glorieux passé
qu'il faut les chercher ? Qui tue qui en Syrie aujourd'hui ? Qui tuait qui en
Algérie durant la décennie sanglante de la fin des années 80 ? Qui kidnappe qui
au Nord du Nigéria ? Qu'est ce que ces pays gorgés de pétrole ont fait de leur
fortune ? Ont-ils aidé au développement de leurs sociétés, à leur éducation ?
Qui a tué qui dans le conflit Iran - Irak, au Koweït, au Soudan, au Liban ? La
liste est trop longue des massacres arabo-arabes ou islamo-islamiques pour en
dresser l'inventaire. En projetant sur Israël l'unique raison de leur
enfermement psychique les arabes évitent tout travail critique sur leur propre
histoire et les musulmans font l'économie de toute réflexion sur ce que l'islam
est en train de devenir sous la férule islamiste.
A quelques exceptions admirables près, l'espace arabo
musulman jubile dans cet enfermement. On se prête à rêver devant ce film
(visible sur you tube) montrant le colonel Nasser se moquant des Frères
musulmans et leur projet de mise sous voile des femmes égyptiennes. La salle
rit et applaudit son raïs et on ne peut que rétrospectivement déplorer
aujourd'hui l'aveuglement d'Israël au cours des années 70, quand il avait
favorisé les islamistes pour lutter contre l'OLP. C'était au temps de la Guerre
Froide et Nasser et l'OLP étaient dans le mauvais camp. L'effondrement des
tentatives laïques, (islamo-progressistes aurait dit Le Monde) des divers Baas
a cédé la place devant la puissance de la révolution islamique en Iran de 1979.
L'effondrement du communisme n'a pas seulement définitivement sifflé la fin de
partie de l'affrontement Est-Ouest, celle du choc des blocs, elle a introduit
le choc de deux projets de civilisations annoncé par Huntington: celui des
islamistes, troisième grand totalitarisme du XXIe siècle et celui d'un monde
libéral. « Nous adorons la mort autant que les américains aiment la vie »
énonçaient les jihadistes du 11 septembre 2001.
Le pronostic erroné de fin de l'histoire de Francis
Fukuyama a fait long feu.
Peut-on négocier quoi que se soit avec un monde qui
a fait de la bombe humaine la figure héroïque de ses soldats ? Peut on négocier
avec celui qui a fait de l'éducation à la haine la vertébration de son système
éducatif ? Peut on négocier une paix avec celui qui a fait de la négation du
droit de l'autre à l'existence et de sa destruction l'âme de son projet ? Cette
pensée mortifère nous la voyons désormais à l'œuvre chez nous, en France et en
Europe. C'est la même idéologie qui inspirait Mohamed Merah et ses clones
promus héros douteux de certaines banlieues. C'est cet islam tueur autant que
suicidaire qui a frappé à Londres, Madrid, New York, Paris, Bruxelles. C'est
lui qui est en train de déplacer un front au nord du Mali, au Nord du Nigéria,
au Tchad, au Soudan. En Egypte ce sont les chrétiens Coptes qui sont rejettes,
au Liban, en Irak, ce sont les chrétiens qui sont grignotés et dans tous les
cas ce sont les femmes qui sont les victimes premières des nouveaux califes.
Faut-il être aveugle pour ne pas prendre conscience de cette menace globale?
Avec un courage inouï, certains intellectuels issus de ce
monde arabo musulman, s'insurgent contre cette fatalité. Comprenant que le pire
avenir et que le pire à venir résidait dans cette dérive ils ont pris le parti
de le dire et de le dénoncer. L'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, avec une
autre délégation de religieux musulmans, est allé en Israël, de briser ce
carcan. Il vient présenter le visage d'un autre islam, celui des Lumières. Il
n'est pas le seul. Déjà en mai 2011, Boualem Sansal s'était rendu en Israël à
l'invitation du salon international des écrivains. Fraternellement l'auteur du
village de l'allemand a lancé un appel pour la paix et le dialogue avec David
Grossman. Depuis longtemps déjà Fethi Benslama, Malek Chebel, Abdenour Bidar,
Abdelwahab Medeb ont dénoncé le ferment psychique de l'enfermement arabe qui
fait de la vengeance d'une humiliation fictive sa raison d'être. Ils proposent
une lecture éclairée de la spiritualité de l'islam. Loin de libérer les arabes
et les musulmans, l'islamisme du Hamas et autres Hezbollah les condamne à la
régression, à l'enfermement.
Ne pas prendre la mesure des enjeux du conflit actuel
consiste pour la énième fois à se voiler la face devant ce que cet affrontement
représente. Par intérêt à court terme l'Occident a fait du Qatar son allié privilégie
en feignant de ne pas voir que ses pétrodollars servent à acheter les banlieues
françaises autant que des armes pour les futurs martyrs d'Allah. La diplomatie
française gagnerait beaucoup en lucidité si elle comprenait que l'émir du Qatar
est aussi notre meilleur ennemi ou notre pire ami. Les américains ont fait et
font la même erreur avec l'Arabie des Saoud. Il n'est pas trop tard pour ouvrir
les yeux.
Ce conflit ne constitue pas qu'un affrontement lointain,
il n'est pas qu'une guerre de plus sur laquelle nous projetons en France ou en
Europe des éléments de nos propres imaginaires et de nos histoires enfouies. Il
est aussi un révélateur, un dévoilement. Ce sont d'autres comptes qui se
règlent sous couvert d'analyses géopolitiques savantes ou d'indignations
sélectives. Plus de cent cinquante mille morts en Syrie n'émeuvent guère, ils
n'intéressent personne dans la sphère de la bienpensance. Sous nos latitudes la
muflerie sous le vernis de la mode et le mensonge dans les habits de la vérité
constituent les paradigmes du quatrième pouvoir. C'est une constante de la
genèse de la pensée totalitaire que dissimuler sous des masques émancipateurs
une réalité qui l'est moins. Cette mécanique est connue, elle est une constante
dans le regard porté sur le conflit israélo palestinien désormais devenu
israélo-islamiste. Seuls les gestes d'Israël excitent les attentions et seuls
les monstrueux supposés crimes qui lui sont attribués viennent interpeller les
consciences. Depuis les années 2000 la nazification d'Israël est le plus sûr
moyen pour tous les « indignés » d'éponger le passé de l'Europe et pour les
arabes de faire passer le goulag islamiste pour le paradis pour tous.
Dans l'affrontement présent Israël est dans son droit le
plus légitime. Il combat son agresseur. Il lutte pour défendre son territoire
et sa population. Il ne fait pas que cela. En affrontant la figure avancée de
l'islamisme, qui utilise la population de Gaza comme bouclier humain, Israël la
libère en même temps d'une secte terroriste qui l'a prise en otage. Le malheur
qui lui est imposé n'est pas le fait d'Israël mais la conséquence de la
mainmise du Hamas sur cette population. Installer des rampes de missiles à côté
d'une école ou d'un hôpital ne constitue pas un camouflage héroïque mais obéit
à une effroyable stratégie de mort. Il ne faut pas être grand expert pour
comprendre cela et comprendre qu'au delà de ce qui se joue au Proche Orient
c'est probablement notre avenir, ici même, qui se joue. Pour qui se bat Israël
? Il se bat pour lui, il se bat aussi pour nous. Ce qui menace Israël NOUS
menace.
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