mardi 29 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà dans Le Calame . 29 Mars 2010



62 .





26 Mars 1963    &  24 Mars 2006


tract exigeant des congressistes du Parti du Peuple l’officialisation de la langue arabe
et l’abandon de tout projet de garanties
&
le Conseil militaire pour la Justice et la Démocratie
adopte le projet de loi référendaire modifiant la Constitution

 

 



Le 26 Mars 1963, alors que vient de s’ouvrir ce qui est le premier congrès ordinaire du Parti du Peuple mauritanien résultant du congrès de fusion des partis existant au 25 Décembre 1961, commence de circuler à Nouakchott un tract. La commission d'orientation du Congrès a en effet décidé " de confier au prochain bureau  politique le soin d'étudier  l'officialisation de la langue arabe et des garanties ". Il émane de plusieurs associations : l'Union nationale des Etudiants mauritaniens, l'Association de la Jeunesse de Mauritanie, l’Association islamique de Mauritanie, et syndicats : le syndicat des enseignants arabes et celui des secrétaires arabes. Le texte demande aux congressistes de n'accorder aucune garantie et d’exiger l'officialisation de l'arabe. Le même jour, les « transfuges » qui avaient gagné, au début de 1958, le Maroc et fait allégeance au roi Mohamed V, atterrissent inopinément et sont immédiatement dirigés sur Tichitt pour y être internés [1] (cf. Le Calame du 2 Mars 2010 - chronique anniversaire du 3 Mars 1958). Cela fait beaucoup en même temps.

De quoi s’agit-il – à l’époque et peut-être la semaine dernière devant la faculté des Sciences ? D’une question de fond – identitaire pour tous les Mauritaniens, quelles que soient les manières diverses dont ils l’expriment, la situent idéalement et pratiquement. Et aussi d’un sujet, consubstantiel au pays, que l’administration française a contribué à mal poser, et que dès les débuts de l’autonomie interne, une série – inattendue mais souvent renouvelée – de contretemps, de coincidences, de diversions par des événements parfois très graves et sans relation avec lui, a empêché de complètement traiter, ou a dénaturé.

Ouvrant le congrès, le 25 Mars, Moktar Ould Daddah avait conclu son rapport moral en rappelant qu’il y avait à " étudier les questions soulevées lors du dernier congrès et concernant notamment l'officialisation de la langue arabe et l'octroi de garanties concrètes à chaque ethnie contre toute assimilation …nous n'admettrons jamais que cette diversité devienne facteur de division ". De fait, le Congrès dit de l’Unité – fusionnant le parti gouveremental avec les trois mouvements d’opposition qui s’étaient successivement constitués selon des thèmes exogènes à la suite du Parti du Regroupement mauritanien et dans des ambiances surtout électorales : Nahda nationaliste, Union nationale mauritanienne pro-malienne, Union socialiste ( !) des musulmans mauritaniens en Adrar – n’avait pas pu s’entendre sur certaines questions pudiquement  "laissées en suspens" pour que le B.P.N. propose une solution au prochain congrès. Clairement, la question de la langue et celle de la chefferie traditionnelle. L’idée de garanties pour les originaires de la vallée du Fleuve en « échange » de l’officialisation de la langue arabe avait circulé [2] alors que la Constitution, version 1961 comme celle de 1959, disposait que (article 3) « la langue nationale de la Mauritanie est l’arabe. La langue officielle est le français ». Il est vrai qu’au temps de la Communauté (de l’option pour le statut d’Etat membre au transfert des compétences produisant l’indépendance), la première session du Conseil exécutif de la Communauté, réunissant les chefs de gouvernement africain sous la présidence du général de Gaulle, les 3-4 Février 1959 à Paris, avait entre autres décidé que la langue officielle était le français – c’était aussi un constat – et que le drapeau, l’hymne, la devise et la nationalité dans la Communauté seraient ceux de la France.

Un état de fait et une lacune de procédure dont hérite le nouveau Bureau politique national, élu dans des ambiances et des circonstances qui le faisaient rien moins qu’homogène, et aussitôt divisé à propos du  caractère impératif ou pas des résolutions du Congrès pour les organes constitutionnels de l’Etat.



Sur le sujet – dont le libellé a souvent varié, ce qui est une partie de la difficulté pour le traiter – Moktar Ould Daddah n’a jamais varié. Il le prend d’ailleurs sous tous ses aspects avant même d’être investi à la tête du premier gouvernement moderne du pays. Au journaliste qui juge inhabituel qu’il prenne l’éducation, la jeunesse et les sports en même temps que la vice-présidence du Conseil (c’est le gouverneur colonial qui préside encore ce conseil) – les chefs de gouvernement prenant généralement l’Intérieur, les Finances ou les Affaires économiques – il répond qu’ « il s’agit en l’occurrence, je le crois, de questions vitales pour la Mauritanie.  Les problèmes d’éducation, de formation des jeunes élites dont notre Territoire a un urgent besoin me préoccupent au premier chef . Il faut se hâter de dépister les sujets capables, les instruire, les former pour que dès demain ils soient capables de fournir les cadres d’un pays moderne. J’entends aussi me pencher sur le problème de l’enseignement de l’arabe. Notrre position géographique et notre passé historique veulent que nous soyions un foyer de culturee islamique. C’est dans la mesure où notre raryonnement en ce domaine s’étendra que nous pourrons faire valoir à pleine notre vocation franco-africaine. Le fait que je prendrai moi-même ce ministère prouve l’intérêt que je porte à cette question. » [3]. Dans son discours du 20 Mai 1957, celui de son investiture, il indique entre autres priorités : « former notre jeunesse, créer l’enseignement de l’arabe, populariser l’enseignement du français » et cumule donc la vice-présidence avec le ministère de l’Enseignement, des Affaires culturelles et    de la Jeunesse (qu’il confie, le 14 janvier 1958, à Mohamed El Moktar Ould Bah, un des deux représentants de l’opposition quand celle-ci est accueillie dans le jeune gouvernement). Il est vraiment en phase avec celle-ci, telle que du 15 au 17 Juillet suivant, à Rosso, l’exprime le 2ème Congrès ordinaire de l’Association de la Jeunesse de Mauritanie : des     motions sont adoptées sur le statut mauritanien, l’égalité devant les charges fiscales et l’arabe dans toutes les écoles primaires. Tout de suite après se constitue, toujours à Rosso (le chef-lieu étant encore à Saint-Louis, au Sénégal), les 19 et 20 Juillet 1957, le S.U.E.M., syndicat unique des enseignants de la Mauritanie, qui se détache du S.U.E.L. (syndicat unique des enseignants laïques du Sénégal et de la Mauritanie).

C’est cette ambiance consensuelle et sereine qui est soudainement troublée, le 10 Août 1957, à Dakar, quand l’assemblée générale de l’Union des originaires de la Mauritanie du Sud demande que soit réalisée “l’unification de la vallée du Sénégal”. Réplique de Youssouf Koita, maire-adjoint de Kaédi : “ les populations noires de Mauritanie ne demandent point leur rattachement au Sénégal ” [4] . Surenchère, qui ne sera pas la dernière : le 4 Avril 1958, Léopold Sedar Senghor, député du Sénégal à l’Assemblée nationale métropolitaine (et qui avait représenté la Mauritanie en circonscription fusionnée aux premières élections parlementaires françaises, celles de 1945) affirme que  les noirs de la rive droite du fleuve Sénégal n’ont été détachés du Sénégal que lors de la constitution du territoire de la Mauritanie et il était entendu que ce détachement ne devait être que provisoire ”. De cette pétition annexionniste, les Mauritaniens n’ont sans doute cure mais la proposition d’une « fédération primaire » de l’Afrique occidentale, Etat membre de la Communauté, qui peut en être une version implicite, va avoir ses adeptes pendant plusieurs années, jusqu’à une scission du parti gouvernemental, le 28 Avril 1959) pour former l’Union nationale mauritanienne, section mauritanienne du Parti de la Fédération Africiane – constituée [5] pour les premières élections nationales mais n’y concourant finalement pas. La pétition fédérale – lien avec les Etats voisins de l’est et du sud mauritanien – est donc de portée très différente de celle qui sera articulée à partir des « événements » de Février 1966. De la première, la Mauritanie est délivrée les 19-20 Août 1960 quand Soudan et Sénégal divorcent. De la seconde version – partition ou réorganisation fondamentale de la République dont l’Etat ne serait plus national et unitaire – , Moktar Ould Daddah dira toujours son refus motivé [6].

Le problème et les voies de solution sont donc d’ordre éducatif, culturel, linguistique mais surtout ils sont placés dans la perspective dynamique et consensuelle d’abord de l’indépendance dans tous ses attributs (la dialectique de la période fondatrice du 28 Novembre 1960 au 28 Novembre 1974), puis de la « repersonnalisation de l’homme mauritanien » (régime socio-économique autant qu’identité culturelle, rapport intime de chacun avec l’ancien système colonial, unanimisme et authenticité de l’Islam en Mauritanie). Ce ton est donné dès le congrès d'Aleg de regroupement des partis politiques mauritaniens (cf. Le Calame du 6 Mai 2008 - chronique anniversaire des 2-5 Mai 1958). En même temps qu’est exprimée, avec un éclat qui surprend le représentant de la métropole, la vocation du pays à l’indépendance, il est décidé de donner à l'arabe la valeur des deux langues vivantes dans l'enseignement en même temps qu’est posée la question de la scolarisation des filles.

Ces discussions – non closes en fait – rebondissent pendant le congrès de l’Unité – tenu à Nouakchott du 25 au 30 Décembre 1961. Le cap se perd pendant plus de deux ans car le débat se porte sur la forme du régime politique. Débat en deux étapes. La première fait décider laborieusement l’option présidentielle mais naître aussi le « problème culturel », formulé en terme de troc : l’octroi de garanties à la minorité en échange de l’officialisation de la langue arabe, tous concepts et manières de penser inédits en Mauritanie [7] laborieuse ont un moment perdre ce cap, tout simplement parce que le secrétaire général du Parti laisse se développer tout le débat démocratique [8]qui accouchera davantage d’un bureau politique national hétérogène et divisé entre clientèles, à l’issue du très long congrès de 1963, que d’un accord sur les voies et moyens de l’identité culturelle mauritanienne. Ce n’est pas faute d’y travailler.

Le 15 Janvier 1962, le B.P.N. qui n’est que provisoire puisqu’un congrès thématique est prévu pour le premier semestre,  désigne une " commission chargée d'étudier certains problèmes difficiles qui se sont posés au Congrès " . Le communiqué précise : l’officialisation de la langue arabe et les garanties demandées en échange de la minorité. Composée de Youssouf Koita, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Touré Racine et Mohamed Ould Cheikh, la commission est, de fait, paritaire. Elle a le temps pour elle, puisque, le 12 Mai, Moktar Ould Daddah, ouvrant le premier séminaire des cadres du parti, annonce que le congrès est reporté : le B.P.N. n'a pas eu le temps matériel de résoudre les questions dont il était chargé par le Congrès de l'Unité et l'implantation du Parti reste insuffisante. En revanche au cours de son premier voyage officiel en France, le Président de la République précise publiquement au général de Gaulle la place du français : " une culture et une langue que nous avons adoptées sans rien renier de notre culture et de notre langue arabe originelles auxquelles nous sommes demeurés profondément attachés ". C’est au terme de longs débats – du 27 Juillet au 2 Août 1962 – que  le Bureau  politique national décide " l'institution d'une commission pour l'étude et la mise en forme des garanties accordées à chaque ethnie contre une quelconque assimilation ; à savoir l’officialisation de la langue arabe et son introduction dans la pratique quotidienne et culturelle des citoyens qui le souhaitent, la défense de l'intégrité territoriale par referendum à majorité qualifiée des 5/6èmes, l’institution d'une Vice-Présidence de la République dont le titulaire n'appartient pas à la même ethnie que le Chef de l'Etat, mais est élu dans les mêmes conditions que lui, des critères légaux pour l'équité de recrutement aux fonctions publiques, un organisme paritaire veillant au respect des garanties ". Tandis que le congrès, qui était finalement prévu pour se tenir au premier anniversaire de celui de l’Unité, est de nouveau reporté, le B.P.N. , en réunion des 13 et 14 Décembre 1962 désigne une commission " pour étudier les solutions arrêtées par le BPN à la suite d'une résolution du dernier congrès lui demandant d'étudier certains problèmes qui n'avaient pu être résolus ". Toujours les modalités pratiques et leur mise en forme pour présentation au Congrès de la question des garanties, mais cette fois la commission initiale : Youssouf Koita, Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Touré Racine s’élargit à Dah Ould Sidi Haiba, Kane Tidjane,  Elimane Mamadou Kane, Mohamed el Mamaoun (ces deux derniers étant respectivement à la tête des enseignants de langue française et en langue arabe). Cette voie est stérile car, le 17 Janvier 1963, la commission du B.P.N. pour l'étude des garanties, décide la création d'une sous-commission des techniciens de l'enseignement chargée de lui proposer des solutions techniques " étant donné le contexte politique de deux ethnies qui ne veulent pas être assimilées l'une par l'autre et étant donné le bilinguisme de fait en Mauritanie ".

La seconde étape du débat institutionnel – le choix de la prédominance du parti unique sur l’Etat, décidée en principe au 1er congrès ordinaire, mais contestée aussitôt par la majorité du Bureau politique élu le 2 Avril 1963, pour entrer en pleine vigueur à partir du congrès extraordinaire de Kaédi tenu du 23 au 31 Janvier 1964 – fait revenir au cap initial : il ne s’agira plus désormais que de la langue, en pratique et en statut. Le même jour – 12 Janvier 1965 – l’Assemblée nationale révise l’article 9 de la Constitution pour faire du Parti du Peuple mauritanien le parti unique de l’Etat et adopte un projet de loi organisant l’enseignement secondaire. Formellement votée le 30 Janvier, la loi dispose, dans son article 10 que « dans les établissements d’enseignement secondaire, il est donné un enseignement en langue française et un enseignement en langue arabe. Ces deux enseignements sont obligatoires ».

Le débat sur les institutions a donc occulté celui – récurrent depuis l’autonomie interne – à propos de la langue arabe. Il ressurgit à l’application de la loi de 1965, et il divise pendant plusieurs années. Le 6 Janvier 1966, 19 hauts-fonctionnaires originaires de la vallée du Fleuve déclarent appuyer les grèves des élèves noirs du secondaire, vouloir barrer la route à l’arabisation à outrance. Pour ce qui sera désormais appelé « le manifeste des Dix-Neuf » [9], « le bilinguisme n’est qu’une supercherie permettant d’écarter les citoyens noirs de toutes les affaires de l’Etat ». Le surlendemain, une motion de 31 fonctionnaires noirs appuyant la grève des élèves en sus des « 19 » « invitent les responsables à tous les échelons à s’atteler immédiatement à la solution de ces problèmes trop longtemps différés ». La discussion n’est plus formelle, une épreuve de force commence qui l’empêche. Elle va, le 11 Janvier, de la rue au Bureau Politique National, « élargi » au groupe parlementaire et aux membres du Gouvernement, et se divisant comme le précédent : on s’y affronte, selon des clivages ethniques, au sujet des sanctions à appliquer aux « 19 ». Le problème n’est plus « culturel » mais carrément intra-communautaire. Le Président de la République pose la question de confiance, et en fin de mois, le B.P.N. désigne une Commission nationale d’études chargée d’étudier tous les aspects des relations entre les deux communautés. Travaillant sous la présidence du Chef de l’Etat, elle se réunit le 2 Février, mais est tout de suite débordée, la nuit suivante, par la diffusion d’un « tract maure » formant riposte au manifeste des « 19 » : « la voix des élèves mauritaniens ou la voix du peuple ». Le décret du 13 Janvier 1966, instituant des délais pour l’application de la loi du 30 Janvier 1965, viole celle-ci. La « politique qui consiste à forger de toute pièce une ethnie noire pour noircir la Mauritanie » est une erreur et la « scission complète et définitive des deux ethnies, le seul remède pour assurer notre avenir ». Ce seront les heurts violents des 8 et 9 Février – six morts et soixante-dix blessés rien qu’à Nouakchott, tandis que Moktar Ould Daddah et Mohamed Ould Cheikh, ministre des Affaires étrangères et de la Défense, sont en visite officielle au Mali – qui rendent, dramatiquement, la main au Président mais font revenir au cap défini en 1957-1958 : pas de particularisme et encore moins de communautarisme ou de discrimination ethniques [10].

Réuni du 24 au 26 Juin 1966, à Aioun-el-Atrouss, le 2ème  Congrès ordinaire du Parti du Peuple Mauritanien fait siennes les constatations du secrétaire général du Parti : les « données historiques et géographiques sont autant de facteurs d’unité . . . une nation mauritanienne viable suppose, au niveau de tous les citoyens, noirs et blancs, une volonté commune et inébranlable d’être mauritaniens, avec les droits et les devoirs attachés a cette qualité ». La partition ou la fédération sont l’une et l’autre absurdes. « Le bilinguisme plaçant peu à peu sur un pied d’égalité la langue arabe et la langue française, apparaît une option fondamentale ». Une énième commission est instituée mais elle ne travaillera plus sous pression ni sans orientation : elle aboutira [11]. Ouvrant le 18 Juillet, les travaux de la Commission nationale des Affaires Culturelles, Moktar Ould Daddah justifie l’option du Congrès [12] : « une nouvelle étape sur le chemin de la recherche de la véritable indépendance », « nécessité d’une repersonnalisation dépouillée de tout chauvinisme et de toute xénophobie » pour conclure : « pouvons-nous espérer un harmonieux développement économique et social dans un contexte culturel imprécis, voire ambigu ? La réponse est négative, nous le savons ».

Le 18 Février 1967, le ministre de l’Education, alors Ely ould Allaf, remet au Chef de l’Etat, secrétaire général du Parti, le rapport de la Commission nationale des affaires culturelles : une  repersonnalisation » dépouillée de tout chauvinisme et de toute xénophobie, l’unité nationale sans couper les enfants de leur milieu, bilinguisme. Le surlendemain, le Président de la République reçoit une délégation d’enseignants du second degré avant de prendre connaissance du rapport – le 24 Février – et d’y apporter quelques modifications de présentation. Encore trois mois de maturation, et dans sa session du 16 au 18 Mai 1967, le Bureau Politique National adopte « avec des modifications » le rapport. Il décide que la réforme préconisée entrera en application dès Octobre 1967, l’institution d’une commission des programmes et des manuels, la création d’un département de la Culture, la publication dans les deux langues de tous les textes officiels. Il entend « suivre attentivement la question de l’officialisation de la langue arabe en vue d’un application concrète fondée sur les réalités objectives ».

Deux épilogues.

Très peu après ces décisions, les enseignants arabes se désaffilient, le 24 Juillet 1967, du syndicat national des enseignants mauritaniens : le S.N.E.M. C’est en germe la division syndicale dont les épisodes, puis les conséquences sur les relations entre le Parti et la centrale syndicale, alors unique, l’U.T.M., domineront la vie politique mauritanienne jusqu’en 1973 sinon 1975. Six mois après, le 3ème Congrès ordinaire du Parti du Peuple Mauritanien, réuni du 23 au 27 Janvier 1968 à Nouakchott, décide entre autres de « la langue arabe, langue officielle au même titre que le français ». Le 4 Mars 1968, l’Assemblée nationale vote l’officialisation de la langue arabe, déjà langue nationale depuis la Constitution du 22 Mars 1959 : « la langue nationale est l’arabe, les langues officielles sont le français et l’arabe ». Enfin, dans sa réunion du 30 Juillet au 3 Août 1973, le B.P.N. décide la réforme de l’enseignement : « cette réforme doit conduire à l’adéquation du système scolaire à nos réalités scientifiques et à une indépendance culturelle véritable, grâce à la réhabilitation de la langue arabe et de la culture islamique ». Tandis que, dès le 29 Septembre 1966, à la suite d’un entretien avec le Général de Gaulle, Moktar Ould Daddah laisse entendre que « la Mauritanie pourra éventuellement jouer un rôle de conciliation dans le problème de la francophonie », il refuse en fait d’y participer de manière institutionnelle. En revanche, le 27 Novembre 1973 il participe au sommet de la Ligue arabe, et le 4 Décembre suivant, à Alger, la République Islamique de Mauritanie est admise comme le 19ème membre de celle-ci.

La guerre du Sahara, puis le coup de 1978 rendront flous – à nouveau – les axes aperçus de façon si claires dès 1957 mais décidés et mis en œuvre si circonstantiellement : en fait, à la faveur des crises politiques de 1961, 1966 et 1973. Quoi qu’il en ait, Moktar Ould Daddah fera intégrer de facto à la Mauritanie les institutions de la francophonie, en participant les 22 et 23 Mai 1978, pour la première fois depuis l'époque de la Communauté, à uu sommet franco-africain (le 5ème  du nom) et les régimes militaires feront disposer par la Constitution du 20 Juillet 1991, que (article 6) : « Les langues nationales sont l’arabe, le poular, le soninké et le wolof ; la langue officielle est l’arabe. » Les journées de concertation tenues du 25 au 29 Octobre 2005 à la suite du coup renversant le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, avaient évoqué une rédaction plus prolixe : ériger les langues nationales en langues officielles (poular, soninké, wolof) tout en maintenant l’arabe comme langue officielle et langue de travail, et en instituant le français comme langue de travail. [13]





Réuni le 24 Mars 2006, le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, C.M.J.D. adopte à huis-clos « le projet de loi constitutionnelle soumis par le gouvernement de transition portant rétablissement de la Constitution du 20 Juillet 1991, Constitution de l’Etat et modifiant certaines de ses dispositions ». Le lendemain, publiquement,  « le Conseil se félicite des amendements proposés à la constitution de 1991 qui garantiront désormais l’alternance pacifique et démocratique au pouvoir, conformément aux conclusions des journéesnationales de concertation d’Octobre 2005 (et) engage le gouvernement de transition à soumettre ledit projet par voie référendaire au peuple mauritanien et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour la bonne organisation du referendum prévu le dimanche 25 Juin 2006 »

Le texte réduit d’un an la durée du mandat présidentiel, ce qui rétablit le quinquennat selon la Constitution du 20 Mai 1961. Autre rétablissement : le serment à l’entrée en fonctions du nouveau chef de l’Etat [14], mais surtout comme empêchement de conscience à la tentation de tout élu de se perétuer au pouvoir. C’est l’amalgame souvent fait pendant la « transition démocratique » présidée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall entre les deux exercices du pouvoir par Moktar Ould Daddah, puis par le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, le premier pendant vingt-et-un ans et presque deux mois, et le second pendant vingt ans et sept mois. Amalgame souligné par l’interdiction faite au Président de la République de diriger explicitement ou en sous-main un parti qui serait dominant ou unique dans l’Etat.

Cette vue partiale de la période fondatrice – dont les deux Constitutions ne sont pas visées par l’actuelle Constitution – a fait manquer une considération pratique des vices de la « démocratie de façade » à laquelle le coup du 3 Août 2005 a prétendu mettre fin. Il n’existe toujours pas de contrôle de la constitutionnalité des lois, toujours pas de statut des forces armées tel que leur hiérarchie, au complet ou selon quelques intimidants, ne puisse plus substituer son arbitrage en cas de crise politique nationale aux mécanismes constitutionnels, toujours pas de garanties des libertés publiques.





[1] - Mohamed Fall Ould Oumeir, Mohamed el Moktar Ould Bah, Cheikh Ahmedou Ould Sidi et Mohamed Ahmed Ould Taki

[2] - rappel pudique de Moktar Ould Daddah en ouverture du 2ème congrès ordinaire du Parti, à Aïoun-el-Atrouss, le 24 Juin 1966, qui régla la question : « Lors du Congrès de 1961, le problème de l’officialisation de la langue arabe fut posé par des enseignants de l’arabe, en majorité, de la Haute Mauritanie. Il suscita aussitôt une vive réaction de la part de certains Cadres francophones originaires de la Vallée du fleuve. Le climat du Congrès en fut troublé. Et l’on parla de garanties à la minorité. »

[3] - entretien publié par Paris-Dakar, le 16 Mai 1957

[4] -  14 Septembre 1957, paris-dakar

[5] - il s’agit initialement des déçus de la querelle des investitures du P.R.M. pour le renouvellement de l’Assemblée terrirtoriale devenue Assemblée nationale ; c’est seulement du 19 au 21 Juillet 1959, que se tient, à Aioun-el-Atrouss, son congrès constitutif. Il y est adopté une motion pour " une confédération multinationale dont la fédération du Mali est le premier maillon ". Le 21 Janvier 1960, à Kaédi, une motion de l'U.N.M. envisage même la cession de la Mauritanie du sud au Sénégal et du Hodh au Soudan … la conférence des sous-sections du Gorgol (en présence d'un membre du bureau exécutif) " se réserve le droit, conformément aux lois établies et en cas d'impérieuse nécessité, de recourir par l'intermédiaire du Comité directeur de l'U.N.M. à une demande de révision de l'acte administratif de 1910 élargissant les frontières de la Mauritanie en y comprenant les circonscriptions régionales de la rive droite du fleuve Sénégal, ainsi que la décision du Gouverneur général prise en 1945 et intégrant le Hohd soudanais au territoire de la Mauritanie ".

[6] - notamment en ouvrant le congrès d’Aïoun-El-Atrouss, op. cit.
« Première solution : la partition. Un Etat noir jouxtant un Etat maure. On aperçoit vite l’absurdité d’une telle solution.
Il y a, à cette partition, un premier obstacle, géographique et humain. L’impossibilité de séparer des populations qui cohabitent depuis des siècles et dont tous les intérêts sont intimement liés, les lougans mitoyens. Sauf à laisser renaître de petites minorités, ici et là se poseraient à leur tour de nouveaux problèmes, réclameraient une nouvelle partition.
Ne perdons pas de vue que le Maroc, n’ayant pu parvenir par la subversion à provoquer l’éclatement de notre pays, reste toujours à l’affût de copartageants qui recueilleraient le fruit de nos divergences internes : il est prêt, paraît-il, à donner l’Est de la Mali, le fleuve au Sénégal, conservant pour lui-même le Nord et la région minière. Ne donnons donc pas à ce rêve insensé le moindre espoir de se réaliser.
Deuxième solution :





[1] - et que reprendra en Avril 1986 le document-phare des F.L.A.M. sur « le négro-mauritanien opprimé »

[1] - ce que raisonne le rapport moral en ouverture du Congrès d’Aïoun-el-Atrouss :
« Troisième solution : l’exigence de garanties qui seraient attribuées à la minorité.
Peut-on être mauritanien sous condition ? peut-il exister deux catégories de mauritaniens, ceux qui ont des garanties constitutionnelles et ceux qui n’en ont pas ? L’exemple de Chypre est-il tentant ? non. Soyons réalistes. Garantissons non pas la « Mauritanité » de certains, mais l’avenir d’une Nation mauritanienne forte parce qu’unie, où tous les mauritaniens, quelle que soit leur race, leur région, leur tribu, fraternellement solidaires au sein du Parti du Peuple Mauritanien, sauront bâtir pour eux-mêmes et pour leurs descendants un avenir de bonheur et de prospérité.
Cela, nos populations du Sud comme du Nord l’ont fort bien compris, administrant la preuve de leur maturité politique alors que se déroulaient les récents évènements sanglants qui, heureusement, ne dépassèrent pas la ville de Nouakchott.
Rassemblées au sein du Parti du Peuple Mauritanien, fidèles à sa doctrine et confiantes en ses responsables, elles ont ainsi démontré, mieux que tous les discours, la viabilité de l’Etat mauritanien, tandis que l’armée, la gendarmerie, la garde nationale, la police, donnaient le plus bel exemple de discipline et de civisme.
Tous les prophètes de malheur qui, à l’intérieur comme à l’extérieur voyaient déjà la République Islamique de Mauritanie disparaître dès cette première crise de croissance se sont trompés. Bien au contraire, non seulement l’autorité du Parti et de l’Etat reste indemne, mais encore elle est renforcée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Si à la lumière des développements qui précèdent on tente de décrire objectivement la situation, on conclut aisément qu’il n’existe pas en Mauritanie un problème racial. »


[1] - il est vrai en se démultipliant. Elle désigne aussitôt une sous-commission de documentation composée de Seck Name N’Diack, Mohameden Babah, Baro Ali, Mohamed El Moktar Ould Bah, Ahmed Ben Amar, Abdallahi Ould Mouloud Ould Daddah et Abdoulaye Baro. Celle-ci, le 15 Septembre 1966, remet son rapport à la plénière qui décide d’en confier l’étude approfondie à une sous-commission technique presqu’entièrement composée d’autres personnalités  : Babacar Fall, Mohameden Babah, Elimane Kane, Ba Alassane, Mohamed El Moktar Ould Bah, Sidi Mohamed Deyine, Abdoulaye Baro et Saloum Fall

[1] - « On sait que pour les uns, cette option présente l’inconvénient majeur de donner une place trop importante à la langue arabe, pour les autres celui de lui accorder une place insuffisante, tous allant jusqu’à craindre une assimilation, les uns par la culture arabe, les autres par la culture française.
Je tenterai ici de convaincre les uns et les autres, en invitant ceux-ci et ceux-là à renoncer à une position qui ne peut que desservir l’intérêt général.
Je brosserai d’abord un tableau très général des données culturelles mauritaniennes au cours de l’histoire. A la lumière de ce rappel, le bilinguisme apparaîtra comme le seul instrument de la réalisation d’une culture nationale nouvelle.
Est-il besoin de souligner qu’avant la pénétration coloniale, au début de ce vingtième siècle, le pays qui devint plus tard l’Etat mauritanien, bénéficiait, depuis plusieurs siècles déjà, des apports irremplaçables de la culture arabo-islamique.
Dans le Nord du Pays, l’islamisation s’est doublée d’une arabisation des Berbères autochtones, tandis que dans le Sud, et même au-delà du fleuve Sénégal, la culture islamo-arabe pénétrait dans le monde noir.
Nous n’oublions pas que, en face des Emirats maures, la République théocratiqu du Fouta, sous l’égide de ses Almamy élus justement en fonction de leur érudition littéraire et théorique, nous a légué de nombreuses bibliothèques arabes grâce auxquelles les historiens modernes ont pu écrire l’histoire du Fouta et de toute l’Afrique de l’Ouest. Ainsi, dans cette République, foyer de culture islamique, la langue arabe était à la fois langue de travail et langue de communication avec l’extérieur.

Depuis plusieurs siècles donc, la langue et la culture arabes constituent un patrimoine commun à tous les habitants de notre pays.
Puis, vint la colonisation. La langue et la culture française firent leur apparition tandis qu’étaient ouvertes les premières écoles modernes.
Ainsi, le colonisateur français allait-il imposer sa langue comme langue dominante, tout en réservant à la langue arabe une place, secondaire, certes, mais non négligeables : reconnaissance de la langue arabe comme langue de travail en matière de justice musulmane, création de Medersas qui furent de véritables écoles bilingues de l’enseignement primaire où la langue arabe, obligatoire, était enseignée sur un pied d’égalité avec la langue française.
Progressivement, ces Medersas se transformèrent : s’effaçant peu à peu devant la langue française, la langue arabe reste cependant enseignée dans la plupart des établissements primaires de notre pays.
Plus tard, enfin, l’Institut de Boutilimit fut créé par l’Administration française, dans le but de dispenser l’enseignement de l’arabe à tous les Africains au Sud du Sahara.
L’accession à l’indépendance allait faire naître chez l’élite de culture arabe un immense espoir : le colonisateur partait, la langue et la culture arabes devaient retrouver leur place et, à la limite, se substituer totalement à la langue française.
Mais, cette grande espérance ignorait un fait désormais inscrit dans l’histoire : soixante années d’une colonisation culturelle de laquelle étaient déjà nés plusieurs générations utilisant cette langue française, langue universelle tant technique que littéraire dont le rayonnement a atteint tous les Continents et seule langue écrite moderne dans l’Afrique noire d’expression française.
Outre son universalité, la langue française, aux côtés de la langue anglaise, a participé activement à la reconnaissance culturelle du monde arabe, tout comme elle a joué un rôle déterminant dans la révélation du concept de négritude. » 

[1] - journées nationales de concertation – atelier n° 1 : réformes constitutionnelles et révision des textes . rapport préliminaire de l’atelier, p. 5

[1] - la formule du 20 Mai 1961 (article 16) était « Je jure devant Dieu l’Unique, de servir loyalement la République Islamique de Mauritanie, les intérêts du peuple mauritanien, de respecter la Constitution, de sauvegarder l’intégrité du territoire » - celle, acquise par le referendum du 25 Juin 2006, est plus complexe (article 29 nouveau) : « « Je jure par Allah l’Unique de bien et fidèlement remplir mes fonctions, dans le respect de la Constitution etr des lois, de veiller à l’intérêt du peuple mauritanien, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je jure par Allah l’Unique de ne point prendre ni soutenir, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire à la révision des dispositions constitutionnelles relatives aux conditions de la durée et du renouvellement du mandat du Président de

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