62 .
26 Mars 1963 &
24 Mars 2006
tract exigeant des congressistes du Parti
du Peuple l’officialisation de la langue arabe
et l’abandon de tout projet de garanties
&
le Conseil
militaire pour la Justice
et la Démocratie
adopte le
projet de loi référendaire modifiant la Constitution
Le 26
Mars 1963, alors que vient de s’ouvrir ce qui est le premier congrès ordinaire du Parti du Peuple mauritanien
résultant du congrès de fusion des partis existant au 25 Décembre 1961,
commence de circuler à Nouakchott un tract. La commission d'orientation
du Congrès a en effet décidé " de
confier au prochain bureau politique le
soin d'étudier l'officialisation de la
langue arabe et des garanties ". Il émane de plusieurs associations :
l'Union nationale des Etudiants mauritaniens, l'Association de la Jeunesse de Mauritanie,
l’Association islamique de Mauritanie, et syndicats : le syndicat des
enseignants arabes et celui des secrétaires arabes. Le texte demande aux
congressistes de n'accorder aucune garantie et d’exiger l'officialisation de l'arabe.
Le même jour, les « transfuges » qui avaient gagné, au début de 1958,
le Maroc et fait allégeance au roi Mohamed V, atterrissent inopinément et sont
immédiatement dirigés sur Tichitt pour y être internés [1]
(cf. Le Calame du 2 Mars 2010 - chronique
anniversaire du 3 Mars 1958).
Cela fait beaucoup en même temps.
De quoi
s’agit-il – à l’époque et peut-être la semaine dernière devant la faculté des
Sciences ? D’une question de fond – identitaire pour tous les
Mauritaniens, quelles que soient les manières diverses dont ils l’expriment, la
situent idéalement et pratiquement. Et aussi d’un sujet, consubstantiel au
pays, que l’administration française a contribué à mal poser, et que dès les débuts
de l’autonomie interne, une série – inattendue mais souvent renouvelée – de
contretemps, de coincidences, de diversions par des événements parfois très
graves et sans relation avec lui, a empêché de complètement traiter, ou a
dénaturé.
Sur le sujet – dont le libellé a souvent
varié, ce qui est une partie de la difficulté pour le traiter – Moktar Ould Daddah n’a jamais
varié. Il le prend d’ailleurs sous tous ses aspects avant même d’être
investi à la tête du premier gouvernement moderne du pays. Au journaliste qui
juge inhabituel qu’il prenne l’éducation, la jeunesse et les sports en même
temps que la vice-présidence du Conseil (c’est le gouverneur colonial qui
préside encore ce conseil) – les chefs de gouvernement prenant généralement
l’Intérieur, les Finances ou les Affaires économiques – il répond qu’ « il s’agit en l’occurrence, je le crois, de
questions vitales pour la Mauritanie. Les problèmes d’éducation, de
formation des jeunes élites dont notre Territoire a un urgent besoin me
préoccupent au premier chef . Il faut se hâter de dépister les sujets
capables, les instruire, les former pour que dès demain ils soient capables de
fournir les cadres d’un pays moderne. J’entends aussi me pencher sur le
problème de l’enseignement de l’arabe. Notrre position géographique et notre
passé historique veulent que nous soyions un foyer de culturee islamique. C’est
dans la mesure où notre raryonnement en ce domaine s’étendra que nous pourrons
faire valoir à pleine notre vocation franco-africaine. Le fait que je prendrai
moi-même ce ministère prouve l’intérêt que je porte à cette question. » [3].
Dans son discours du 20 Mai 1957, celui de son investiture, il indique entre
autres priorités : « former
notre jeunesse, créer l’enseignement de l’arabe, populariser l’enseignement du
français » et cumule donc la vice-présidence avec le ministère de
l’Enseignement, des Affaires culturelles et de la Jeunesse (qu’il
confie, le 14 janvier 1958, à Mohamed El Moktar Ould Bah, un des deux représentants
de l’opposition quand celle-ci est accueillie dans le jeune gouvernement). Il
est vraiment en phase avec celle-ci, telle que du 15 au 17 Juillet suivant, à
Rosso, l’exprime le 2ème Congrès ordinaire de l’Association de la
Jeunesse de Mauritanie : des motions sont adoptées
sur le statut mauritanien, l’égalité devant les charges fiscales et l’arabe
dans toutes les écoles primaires. Tout de suite après se constitue, toujours à
Rosso (le chef-lieu étant encore à Saint-Louis, au Sénégal), les 19 et 20
Juillet 1957, le S.U.E.M., syndicat
unique des enseignants de la Mauritanie, qui se détache du S.U.E.L. (syndicat
unique des enseignants laïques du Sénégal et de la Mauritanie).
C’est cette
ambiance consensuelle et sereine qui est soudainement troublée, le 10 Août
1957, à Dakar, quand l’assemblée générale de l’Union des originaires de la Mauritanie du Sud
demande que soit réalisée “l’unification de la vallée du Sénégal”. Réplique de
Youssouf Koita, maire-adjoint de Kaédi : “ les populations noires de
Mauritanie ne demandent point leur rattachement au Sénégal ” [4] .
Surenchère, qui ne sera pas la dernière : le 4 Avril 1958, Léopold Sedar
Senghor, député du Sénégal à l’Assemblée nationale métropolitaine (et qui avait
représenté la Mauritanie
en circonscription fusionnée aux premières élections parlementaires françaises,
celles de 1945) affirme que “ les noirs de la rive droite du fleuve
Sénégal n’ont été détachés du Sénégal que lors de la constitution du territoire
de la Mauritanie
et il était entendu que ce détachement ne devait être que provisoire ”. De
cette pétition annexionniste, les Mauritaniens n’ont sans doute cure mais la
proposition d’une « fédération primaire » de l’Afrique occidentale,
Etat membre de la
Communauté, qui peut en être une version implicite, va avoir
ses adeptes pendant plusieurs années, jusqu’à une scission du parti
gouvernemental, le 28 Avril 1959) pour former l’Union nationale mauritanienne,
section mauritanienne du Parti de la Fédération Africiane
– constituée [5] pour les
premières élections nationales mais n’y concourant finalement pas. La pétition
fédérale – lien avec les Etats voisins de l’est et du sud mauritanien – est
donc de portée très différente de celle qui sera articulée à partir des
« événements » de Février 1966. De la première, la Mauritanie est délivrée
les 19-20 Août 1960 quand Soudan et Sénégal divorcent. De la seconde version –
partition ou réorganisation fondamentale de la République dont l’Etat
ne serait plus national et unitaire – , Moktar Ould Daddah dira toujours son
refus motivé [6].
Le problème
et les voies de solution sont donc d’ordre éducatif, culturel, linguistique
mais surtout ils sont placés dans la perspective dynamique et consensuelle d’abord
de l’indépendance dans tous ses attributs (la dialectique de la période
fondatrice du 28 Novembre 1960 au 28 Novembre 1974), puis de la
« repersonnalisation de l’homme mauritanien » (régime
socio-économique autant qu’identité culturelle, rapport intime de chacun avec
l’ancien système colonial, unanimisme et authenticité de l’Islam en Mauritanie).
Ce ton est donné dès le congrès d'Aleg
de regroupement des partis politiques mauritaniens (cf. Le Calame du 6 Mai 2008 - chronique anniversaire des 2-5 Mai 1958). En même temps
qu’est exprimée, avec un éclat qui surprend le représentant de la métropole, la
vocation du pays à l’indépendance, il est décidé de donner à l'arabe la valeur des deux
langues vivantes dans l'enseignement en même temps qu’est posée la question de
la scolarisation des filles.
Ces discussions – non closes en fait –
rebondissent pendant le congrès de l’Unité – tenu à Nouakchott du 25 au 30
Décembre 1961. Le cap se perd pendant plus de deux ans car le débat se porte
sur la forme du régime politique. Débat en deux étapes. La première fait
décider laborieusement l’option présidentielle mais naître aussi le
« problème culturel », formulé en terme de troc : l’octroi de
garanties à la minorité en échange de l’officialisation de la langue arabe,
tous concepts et manières de penser inédits en Mauritanie [7]
laborieuse ont un moment perdre ce cap, tout simplement parce que le secrétaire
général du Parti laisse se développer tout le débat démocratique [8]qui
accouchera davantage d’un bureau politique national hétérogène et divisé entre
clientèles, à l’issue du très long congrès de 1963, que d’un accord sur les
voies et moyens de l’identité culturelle mauritanienne. Ce n’est pas faute d’y
travailler.
Le 15 Janvier 1962, le B.P.N. qui
n’est que provisoire puisqu’un congrès thématique est prévu pour le premier
semestre, désigne une " commission
chargée d'étudier certains problèmes difficiles qui se sont posés au Congrès
" . Le communiqué précise : l’officialisation de la langue arabe
et les garanties demandées en échange de la minorité. Composée de Youssouf
Koita, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Touré Racine et Mohamed Ould Cheikh, la
commission est, de fait, paritaire. Elle a le temps pour elle, puisque, le 12 Mai, Moktar Ould Daddah, ouvrant le
premier séminaire des cadres du parti, annonce que le congrès est
reporté : le B.P.N. n'a pas eu le temps matériel de résoudre les
questions dont il était chargé par le Congrès de l'Unité et l'implantation du
Parti reste insuffisante. En revanche au cours de son premier voyage officiel
en France, le Président de la
République précise publiquement au général de Gaulle la place
du français : " une culture et
une langue que nous avons adoptées sans rien renier de notre culture et de
notre langue arabe originelles auxquelles nous sommes demeurés profondément
attachés ". C’est au terme de longs débats – du 27 Juillet au 2 Août 1962 – que
le Bureau politique national
décide " l'institution d'une commission pour l'étude
et la mise en forme des garanties accordées à chaque ethnie contre une
quelconque assimilation ; à savoir l’officialisation de la langue arabe
et son introduction dans la pratique quotidienne et culturelle des citoyens qui
le souhaitent, la défense de l'intégrité territoriale par referendum à majorité
qualifiée des 5/6èmes, l’institution d'une Vice-Présidence de la République dont le
titulaire n'appartient pas à la même ethnie que le Chef de l'Etat, mais est élu
dans les mêmes conditions que lui, des critères légaux pour l'équité de
recrutement aux fonctions publiques, un organisme paritaire veillant au respect
des garanties ". Tandis que le congrès, qui était finalement
prévu pour se tenir au premier anniversaire de celui de l’Unité, est de nouveau
reporté, le B.P.N. , en réunion des 13 et 14 Décembre 1962 désigne une
commission " pour étudier les
solutions arrêtées par le BPN à la suite d'une résolution du dernier congrès
lui demandant d'étudier certains problèmes qui n'avaient pu être résolus ".
Toujours les modalités pratiques et leur mise en forme pour présentation au
Congrès de la question des garanties, mais cette fois la commission
initiale : Youssouf Koita, Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Baba Ould Ahmed
Miske, Touré Racine s’élargit à Dah Ould Sidi Haiba, Kane Tidjane, Elimane Mamadou Kane, Mohamed el Mamaoun (ces
deux derniers étant respectivement à la tête des enseignants de langue
française et en langue arabe). Cette voie est stérile car, le 17 Janvier 1963,
la commission du B.P.N. pour l'étude des garanties, décide la création d'une
sous-commission des techniciens de l'enseignement chargée de lui proposer des
solutions techniques " étant donné
le contexte politique de deux ethnies qui ne veulent pas être assimilées l'une
par l'autre et étant donné le bilinguisme de fait en Mauritanie ".
La seconde étape du débat institutionnel –
le choix de la prédominance du parti unique sur l’Etat, décidée en principe au
1er congrès ordinaire, mais contestée aussitôt par la majorité du
Bureau politique élu le 2 Avril 1963, pour entrer en pleine vigueur à partir du
congrès extraordinaire de Kaédi tenu du 23 au 31 Janvier 1964 – fait revenir au
cap initial : il ne s’agira plus désormais que de la langue, en pratique
et en statut. Le même jour – 12 Janvier 1965 – l’Assemblée nationale révise
l’article 9 de la
Constitution pour faire du Parti du Peuple mauritanien le
parti unique de l’Etat et adopte un projet de loi organisant l’enseignement
secondaire. Formellement votée le 30 Janvier, la loi dispose, dans son article
10 que « dans les établissements
d’enseignement secondaire, il est donné un enseignement en langue française et
un enseignement en langue arabe. Ces deux enseignements sont obligatoires ».
Le
débat sur les institutions a donc occulté celui – récurrent depuis l’autonomie
interne – à propos de la langue arabe. Il ressurgit à l’application de la loi
de 1965, et il divise pendant plusieurs années. Le 6 Janvier 1966, 19
hauts-fonctionnaires originaires de la vallée du Fleuve déclarent appuyer
les grèves des élèves noirs du secondaire, vouloir barrer la route à
l’arabisation à outrance. Pour ce qui sera désormais appelé « le manifeste
des Dix-Neuf » [9],
« le bilinguisme n’est qu’une
supercherie permettant d’écarter les citoyens noirs de toutes les affaires de
l’Etat ». Le surlendemain, une motion de 31 fonctionnaires noirs
appuyant la grève des élèves en sus des « 19 » « invitent les responsables à tous les
échelons à s’atteler immédiatement à la solution de ces problèmes trop
longtemps différés ». La discussion n’est plus formelle, une épreuve
de force commence qui l’empêche. Elle va, le 11 Janvier, de la rue au Bureau
Politique National, « élargi » au groupe parlementaire et aux membres
du Gouvernement, et se divisant comme le précédent : on s’y affronte,
selon des clivages ethniques, au sujet des sanctions à appliquer aux
« 19 ». Le problème n’est plus « culturel » mais carrément
intra-communautaire. Le Président de la République pose la question de confiance, et en
fin de mois, le B.P.N. désigne une Commission nationale d’études chargée
d’étudier tous les aspects des relations entre les deux communautés.
Travaillant sous la présidence du Chef de l’Etat, elle se réunit le 2 Février, mais est tout de suite débordée,
la nuit suivante, par la diffusion d’un « tract maure » formant
riposte au manifeste des « 19 » : « la voix des
élèves mauritaniens ou la voix du peuple ». Le décret du 13 Janvier 1966, instituant des délais pour l’application de
la loi du 30 Janvier 1965, viole celle-ci. La « politique qui consiste à forger de toute pièce une ethnie noire pour
noircir la Mauritanie »
est une erreur et la « scission
complète et définitive des deux ethnies, le seul remède pour assurer notre
avenir ». Ce seront les heurts violents des 8 et 9 Février – six morts
et soixante-dix blessés rien qu’à Nouakchott, tandis que Moktar Ould Daddah et
Mohamed Ould Cheikh, ministre des Affaires étrangères et de la Défense, sont en visite
officielle au Mali – qui rendent, dramatiquement, la main au Président mais
font revenir au cap défini en 1957-1958 : pas de particularisme et encore
moins de communautarisme ou de discrimination ethniques [10].
Réuni du 24 au 26 Juin 1966, à Aioun-el-Atrouss, le 2ème Congrès ordinaire du Parti du Peuple
Mauritanien fait siennes les constatations du secrétaire général du
Parti : les « données
historiques et géographiques sont autant de facteurs d’unité . . . une
nation mauritanienne viable suppose, au niveau de tous les citoyens, noirs et
blancs, une volonté commune et inébranlable d’être mauritaniens, avec les
droits et les devoirs attachés a cette qualité ». La partition ou la fédération sont
l’une et l’autre absurdes. « Le
bilinguisme plaçant peu à peu sur un pied d’égalité la langue arabe et la
langue française, apparaît une option fondamentale ». Une énième
commission est instituée mais elle ne travaillera plus sous pression ni sans
orientation : elle aboutira [11].
Ouvrant le 18 Juillet, les travaux de la Commission nationale des Affaires Culturelles,
Moktar Ould Daddah justifie l’option du Congrès [12] :
« une nouvelle étape sur le chemin
de la recherche de la véritable indépendance », « nécessité d’une repersonnalisation
dépouillée de tout chauvinisme et de toute xénophobie » pour
conclure : « pouvons-nous
espérer un harmonieux développement économique et social dans un contexte
culturel imprécis, voire ambigu ? La réponse est négative, nous le savons ».
Le 18
Février 1967, le ministre de l’Education, alors Ely ould Allaf, remet au Chef
de l’Etat, secrétaire général du Parti, le rapport de la Commission nationale
des affaires culturelles : une repersonnalisation » dépouillée
de tout chauvinisme et de toute xénophobie, l’unité nationale sans couper
les enfants de leur milieu, bilinguisme. Le surlendemain, le Président de la République reçoit une
délégation d’enseignants du second degré avant de prendre connaissance du
rapport – le 24 Février – et d’y apporter quelques modifications de
présentation. Encore trois mois de maturation, et dans sa session du 16 au 18
Mai 1967, le Bureau Politique National adopte « avec des
modifications » le rapport. Il décide que la réforme préconisée entrera
en application dès Octobre 1967, l’institution d’une commission des programmes
et des manuels, la création d’un département de la Culture, la publication
dans les deux langues de tous les textes officiels. Il entend « suivre attentivement la question de
l’officialisation de la langue arabe en vue d’un application concrète fondée
sur les réalités objectives ».
Deux épilogues.
Très peu après ces décisions, les
enseignants arabes se désaffilient, le 24 Juillet 1967, du syndicat national
des enseignants mauritaniens : le S.N.E.M. C’est en germe la division
syndicale dont les épisodes, puis les conséquences sur les relations entre le
Parti et la centrale syndicale, alors unique, l’U.T.M., domineront la vie
politique mauritanienne jusqu’en 1973 sinon 1975. Six mois après, le 3ème
Congrès ordinaire du Parti du Peuple Mauritanien, réuni du 23 au 27 Janvier
1968 à Nouakchott, décide entre autres de « la langue arabe, langue
officielle au même titre que le français ». Le 4 Mars 1968, l’Assemblée
nationale vote l’officialisation de la langue arabe, déjà langue nationale
depuis la Constitution
du 22 Mars 1959 : « la langue nationale est l’arabe, les langues
officielles sont le français et l’arabe ». Enfin, dans sa réunion du 30
Juillet au 3 Août 1973, le B.P.N. décide la réforme de l’enseignement :
« cette réforme doit conduire à l’adéquation du système scolaire à nos
réalités scientifiques et à une indépendance culturelle véritable, grâce à la
réhabilitation de la langue arabe et de la culture islamique ». Tandis
que, dès le 29 Septembre 1966, à la suite d’un entretien avec le Général de
Gaulle, Moktar Ould Daddah laisse entendre que « la Mauritanie pourra
éventuellement jouer un rôle de conciliation dans le problème de la
francophonie », il refuse en fait d’y participer de manière
institutionnelle. En revanche, le 27
Novembre 1973 il participe au sommet de la Ligue arabe, et le 4 Décembre suivant, à Alger, la République Islamique
de Mauritanie est admise comme le 19ème membre de celle-ci.
La guerre
du Sahara, puis le coup de 1978 rendront flous – à nouveau – les axes aperçus
de façon si claires dès 1957 mais décidés et mis en œuvre si
circonstantiellement : en fait, à la faveur des crises politiques de 1961,
1966 et 1973. Quoi qu’il en ait, Moktar Ould Daddah fera intégrer de facto à la Mauritanie les
institutions de la francophonie, en participant les 22 et 23 Mai 1978, pour la première fois
depuis l'époque de la
Communauté, à uu sommet franco-africain (le 5ème du nom) et les régimes militaires
feront disposer par la
Constitution du 20 Juillet 1991, que (article 6) :
« Les langues nationales sont
l’arabe, le poular, le soninké et le wolof ; la langue officielle est
l’arabe. » Les journées de concertation tenues du 25 au 29 Octobre
2005 à la suite du coup renversant le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya,
avaient évoqué une rédaction plus prolixe : ériger
les langues nationales en langues officielles (poular, soninké, wolof) tout en maintenant l’arabe comme langue officielle et langue de travail,
et en instituant le français comme langue de travail. [13]
Réuni le 24 Mars 2006, le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, C.M.J.D. adopte
à huis-clos « le projet de loi
constitutionnelle soumis par le gouvernement de transition portant
rétablissement de la
Constitution du 20 Juillet 1991, Constitution de l’Etat et
modifiant certaines de ses dispositions ». Le lendemain,
publiquement, « le Conseil se félicite des amendements proposés à la constitution
de 1991 qui garantiront désormais l’alternance pacifique et démocratique au
pouvoir, conformément aux conclusions des journéesnationales de concertation
d’Octobre 2005 (et) engage le
gouvernement de transition à soumettre ledit projet par voie référendaire au
peuple mauritanien et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour la
bonne organisation du referendum prévu le dimanche 25 Juin 2006 »
Le texte réduit d’un an la durée du mandat
présidentiel, ce qui rétablit le quinquennat selon la Constitution du 20
Mai 1961. Autre rétablissement : le serment à l’entrée en fonctions du
nouveau chef de l’Etat [14],
mais surtout comme empêchement de conscience à la tentation de tout élu de se
perétuer au pouvoir. C’est l’amalgame souvent fait pendant la « transition
démocratique » présidée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall entre les
deux exercices du pouvoir par Moktar Ould Daddah, puis par le colonel Maaouyia
Ould Sid’Ahmed Taya, le premier pendant vingt-et-un ans et presque deux mois,
et le second pendant vingt ans et sept mois. Amalgame souligné par l’interdiction
faite au Président de la
République de diriger explicitement ou en sous-main un parti
qui serait dominant ou unique dans l’Etat.
Cette vue partiale de la période
fondatrice – dont les deux Constitutions ne sont pas visées par l’actuelle
Constitution – a fait manquer une considération pratique des vices de la
« démocratie de façade » à laquelle le coup du 3 Août 2005 a prétendu mettre fin.
Il n’existe toujours pas de contrôle de la constitutionnalité des lois,
toujours pas de statut des forces armées tel que leur hiérarchie, au complet ou
selon quelques intimidants, ne puisse plus substituer son arbitrage en cas de
crise politique nationale aux mécanismes constitutionnels, toujours pas de
garanties des libertés publiques.
[1] - Mohamed
Fall Ould Oumeir, Mohamed el Moktar Ould Bah, Cheikh Ahmedou Ould Sidi et
Mohamed Ahmed Ould Taki
[2] - rappel pudique de Moktar Ould Daddah en ouverture du 2ème
congrès ordinaire du Parti, à Aïoun-el-Atrouss, le 24 Juin 1966, qui régla la
question : « Lors du Congrès de
1961, le problème de l’officialisation de la langue arabe fut posé par des
enseignants de l’arabe, en majorité, de la Haute Mauritanie.
Il suscita aussitôt une vive réaction de la part de certains Cadres
francophones originaires de la
Vallée du fleuve. Le climat du Congrès en fut troublé. Et
l’on parla de garanties à la minorité. »
[3] - entretien publié par Paris-Dakar,
le 16 Mai 1957
[4] -
14 Septembre 1957, paris-dakar
[6] - notamment
en ouvrant le congrès d’Aïoun-El-Atrouss, op. cit.
« Première solution :
la partition. Un Etat noir jouxtant un Etat maure. On aperçoit vite l’absurdité
d’une telle solution.
Il
y a, à cette partition, un premier obstacle, géographique et humain.
L’impossibilité de séparer des populations qui cohabitent depuis des siècles et
dont tous les intérêts sont intimement liés, les lougans mitoyens. Sauf à
laisser renaître de petites minorités, ici et là se poseraient à leur tour de
nouveaux problèmes, réclameraient une nouvelle partition.
Ne
perdons pas de vue que le Maroc, n’ayant pu parvenir par la subversion à
provoquer l’éclatement de notre pays, reste toujours à l’affût de copartageants
qui recueilleraient le fruit de nos divergences internes : il est prêt,
paraît-il, à donner l’Est de la
Mali, le fleuve au Sénégal, conservant pour lui-même le Nord
et la région minière. Ne donnons donc pas à ce rêve insensé le moindre espoir
de se réaliser.
Deuxième
solution :
« Troisième
solution : l’exigence de garanties qui seraient attribuées à la minorité.
Peut-on
être mauritanien sous condition ? peut-il exister deux catégories de
mauritaniens, ceux qui ont des garanties constitutionnelles et ceux qui n’en
ont pas ? L’exemple de Chypre est-il tentant ? non. Soyons réalistes.
Garantissons non pas la « Mauritanité » de certains, mais l’avenir
d’une Nation mauritanienne forte parce qu’unie, où tous les mauritaniens,
quelle que soit leur race, leur région, leur tribu, fraternellement solidaires
au sein du Parti du Peuple Mauritanien, sauront bâtir pour eux-mêmes et pour
leurs descendants un avenir de bonheur et de prospérité.
Cela,
nos populations du Sud comme du Nord l’ont fort bien compris, administrant la
preuve de leur maturité politique alors que se déroulaient les récents
évènements sanglants qui, heureusement, ne dépassèrent pas la ville de
Nouakchott.
Rassemblées
au sein du Parti du Peuple Mauritanien, fidèles à sa doctrine et confiantes en
ses responsables, elles ont ainsi démontré, mieux que tous les discours, la
viabilité de l’Etat mauritanien, tandis que l’armée, la gendarmerie, la garde
nationale, la police, donnaient le plus bel exemple de discipline et de
civisme.
Tous
les prophètes de malheur qui, à l’intérieur comme à l’extérieur voyaient déjà la République Islamique
de Mauritanie disparaître dès cette première crise de croissance se sont
trompés. Bien au contraire, non seulement l’autorité du Parti et de l’Etat
reste indemne, mais encore elle est renforcée tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur.
Si
à la lumière des développements qui précèdent on tente de décrire objectivement
la situation, on conclut aisément qu’il n’existe pas en Mauritanie un problème
racial. »
Je
tenterai ici de convaincre les uns et les autres, en invitant ceux-ci et
ceux-là à renoncer à une position qui ne peut que desservir l’intérêt général.
Je
brosserai d’abord un tableau très général des données culturelles
mauritaniennes au cours de l’histoire. A la lumière de ce rappel, le
bilinguisme apparaîtra comme le seul instrument de la réalisation d’une culture
nationale nouvelle.
Est-il
besoin de souligner qu’avant la pénétration coloniale, au début de ce vingtième
siècle, le pays qui devint plus tard l’Etat mauritanien, bénéficiait, depuis
plusieurs siècles déjà, des apports irremplaçables de la culture
arabo-islamique.
Dans
le Nord du Pays, l’islamisation s’est doublée d’une arabisation des Berbères
autochtones, tandis que dans le Sud, et même au-delà du fleuve Sénégal, la
culture islamo-arabe pénétrait dans le monde noir.
Nous
n’oublions pas que, en face des Emirats maures, la République théocratiqu du Fouta,
sous l’égide de ses Almamy élus justement en fonction de leur érudition
littéraire et théorique, nous a légué de nombreuses bibliothèques arabes grâce
auxquelles les historiens modernes ont pu écrire l’histoire du Fouta et de
toute l’Afrique de l’Ouest. Ainsi, dans cette République, foyer de culture
islamique, la langue arabe était à la fois langue de travail et langue de
communication avec l’extérieur.
Depuis
plusieurs siècles donc, la langue et la culture arabes constituent un
patrimoine commun à tous les habitants de notre pays.
Puis,
vint la colonisation.
La langue et la culture française firent leur apparition
tandis qu’étaient ouvertes les premières écoles modernes.
Ainsi,
le colonisateur français allait-il imposer sa langue comme langue dominante,
tout en réservant à la langue arabe une place, secondaire, certes, mais non
négligeables : reconnaissance de la langue arabe comme langue de travail
en matière de justice musulmane, création de Medersas qui furent de véritables
écoles bilingues de l’enseignement primaire où la langue arabe, obligatoire,
était enseignée sur un pied d’égalité avec la langue française.
Progressivement,
ces Medersas se transformèrent : s’effaçant peu à peu devant la langue
française, la langue arabe reste cependant enseignée dans la plupart des
établissements primaires de notre pays.
Plus
tard, enfin, l’Institut de Boutilimit fut créé par l’Administration française,
dans le but de dispenser l’enseignement de l’arabe à tous les Africains au Sud
du Sahara.
L’accession
à l’indépendance allait faire naître chez l’élite de culture arabe un immense
espoir : le colonisateur partait, la langue et la culture arabes devaient
retrouver leur place et, à la limite, se substituer totalement à la langue
française.
Mais,
cette grande espérance ignorait un fait désormais inscrit dans
l’histoire : soixante années d’une colonisation culturelle de laquelle
étaient déjà nés plusieurs générations utilisant cette langue française, langue
universelle tant technique que littéraire dont le rayonnement a atteint tous
les Continents et seule langue écrite moderne dans l’Afrique noire d’expression
française.
Outre
son universalité, la langue française, aux côtés de la langue anglaise, a
participé activement à la reconnaissance culturelle du monde arabe, tout comme
elle a joué un rôle déterminant dans la révélation du concept de
négritude. »
[1] - journées nationales de concertation – atelier n°
1 : réformes constitutionnelles et révision des textes . rapport
préliminaire de l’atelier, p. 5
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