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3-4 Février 1959 &
3-5 Février 1971
Première session du Conseil exécutif de la Comunauté
&
Visite officielle du
président français Georges Pompidou
La
Mauritanie
ou plus exactement son jeune chef sera le trouble-fête. Moktar Ould Daddah y
pose enfin la question algérienne. Préparant ses mémoires, il annote ainsi une
chronologie qui est son principal instrument de travail, faute qu’il puisse –
en exil – disposer d’archives nationale : « c'est à la fin
de cette session que j'ai posé le problème de la guerre d'Algérie : aucune
réponse du Général de Gaulle ; aucune réaction publiées du CEC africains ou
français. En aparté, trois membres français du Conseil m'ont adressé séparément
leurs félicitations : Boulloche, Buron et Michelet. » Le
développement [4]
est sévère, pour le général de Gaulle mais plus encore pour ses homologues
africains de l’époque. « C’est au cours de l’une des réunions de cette première session du
Conseil que je posai le problème de la guerre d’Algérie, en exprimant l’espoir
qu’il y fût mis fin le plus tôt possible, cela grâce à l’autorité et à l’action
du Général de Gaulle. Un silence total et glacial, autour de la table !
Personne ne dit mot, même pas le président de séance … qui, un instant après
mon intervention, passa à un autre point de l’ordre du jour, comme s’il n’avait
rien entendu. C’était ce qu’on appelle : ignorer l’intervention de
quelqu’un ou la traiter par le mépris. En l’occurrence, je n’étais pas vexé,
malgré l’attitude vexatoire du Général. Je jugeais de mon devoir de solidarité
envers mes frères algériens en lutte, de dire ce que je venais de dire, que
cela plût ou déplût à mon auditoire. En revanche, je dois à la vérité de
marquer que l’absence de soutien de mes collègues africains, me déçut
profondément. Bien entendu, je gardai ma déception pour moi et ne la montrai
guère à ceux-ci. Du reste, j’aurai la même déception, dans des circonstances
semblables, quelques mois plus tard. En effet, lors de la quatrième session du
Conseil exécutif de la
Communauté, tenue à Tananarive les 7 et 8 Juillet 1959, je
fis part de mes préoccupations concernant les expériences nucléaires françaises
au Sahara algérien. Là, le Général de Gaulle me répondit pour me rassurer, en
précisant que ces expériences ne comportaient aucun danger pour les populations
de la région. Quant à mes collègues africains, aucun n’a réagi, même pas Modibo
Keïta, qui n’avait pas participé à la première réunion du Conseil à Paris, et
dont j’escomptais logiquement le soutien spontané à ma position qu’e, par
devers lui, il partageait notamment. Décidément, j’étais sans le vouloir
« un trouble-réunions » du Conseil exécutif de la Communauté en y
soulevant des questions brûlantes d’actualité, mais qui n’étaient pas inscrites
à notre ordre du jour !
Du 3
au 5 Février 1971, a lieu – mais limitée à Nouakchott – la première
visite officielle d’un président de la République française [8].
C’est celle de Georges Pompidou. Les relations entre lui et Moktar Ould Daddah
sont fraîches depuis une dévaluation non concertée avec ses partenaires
africains, intervenue le 8 Août 1969, dès son avènement [9]
Le contexte-même de la visite est difficile [10].
Une manifestation interdite a eu lieu le 10 Janvier précédant à
l’initiative de la centrale syndicale, « l'U.T.M. dissidente » :
quinze responsables syndicalistes sont arrêtés. Du 15 au 23, une grève paralyse
la fonction publique et vingt-cinq agents de l’Etat sont suspendus. Une lettre
adressée au Président de la
République fait une critique globale du régime [11] :
« depuis
quelques années, notre pays connaît un malaise social profond, attesté par
d'épisodiques troubles scolaires et de fréquentes crises syndicales. La crise
actuelle constitue à la fois l'expression évidente de ce malaise et la
démonstration de l'inefficacité de la politique répressive suivie jusqu'ici par
le pouvoir ». Le quotidien du Parti communiste français,
alors encore très puissant, L’Humanité, fait état d’un communiqué de
l’Association internationale des juristes démocrates qui « proteste contre ces arrestations
arbitraires et contre l’absence de libertés démocratiques et notamment de
libertés syndicales en Mauritanie ».
Atterrissant donc le 3
Février, à l'aérodrome de la
Capitale, le président français, – qui commence ainsi son voyage africain par la République Islamique
de Mauritanie – « voit
là un symbole car cette terre est par vocation naturelle le trait d'union entre
les pays du nord et ceux qui s'étendent au sud » et souligne que la Mauritanie « a voulu donner une grande place à la
langue et à la culture française ». Selon une discussion protocolaire, restée alors non
publique mais qui fut âpre, Moktar Ould Daddah n’avait pas communiqué à l’avance son
texte. Il n’intervient, sur le fond, qu’en saluant
longuement son hôte, à l'issue du méchoui traditionnel. « Lorsqu'il
y a dix ans les territoires africains au sud su Sahara sous domination
française accédèrent à l'indépendance en accord avec la France, certains
observateurs doutèrent de l'authenticité de cette indépendance, qu'ils disaient
octroyée, et, en conséquence de l'avenir de la coopération franco-africaine
elle-même qui n'aurait été dans leur esprit d'une forme de colonialisme. Or,
l'expérience de notre coopération bilatérale durant toute cette décennie
apporte la preuve que de telles craintes ou réserves n'étaient en rien
justifiées ». Observant que « l'aide
française demeure privilégiée entre toutes » et rappelant – ce à quoi tient Georges Pompidou – que
« nous savons combien
vous avez été associé à cette grande oeuvre (de décolonisation opérée par le général de Gaulle) », le
Président de la République
riposte alors aux propos ayant inauguré le séjour de son homologue français.
« L'immense rayonnement
de cette culture et de cette langue arabes dans toute l'Afrique occidentale
malgré les vicissitudes qu'elles ont pu subir, rayonnement qui s'est largement
accompli et s'accomplit toujours à partir de notre pays ». Mais les deux poliiques
extérieures convergent sur un sujet essentiel : « le peuple mauritanien tout entier
apprécie la politique empreinte de justice et de courage que pratique le
gouvernement français »
au Proche-Orient.
Le président Pompidou répond
que « l'engagement
contracté par les Mauritaniens et les Français avant même que l'indépendance de
votre pays a été tenu : celui de donner au sentiment national dont vous étiez
le prophète et le héros la possibilité de s'exprimer et de s'épanouir dans un
cadre moderne sans lequel la souveraineté courait le risque d'être illusoire
(...) Le monde s'est maintenant incliné devant les réalités de la nation
mauritanienne et de l'état mauritanien » et plaide pour « un dialogue
entre partenaires égaux assumant pleinement leur indépendance. La coopération
qui se poursuit entre la France
et la Mauritanie
me paraît à cet égard hautement significative ». Puis s'entretenant avec la presse le 4, le Chef de
l'Etat français déclare que la coopération française se maintiendra au niveau
actuel pendant les quatre ans à venir, qu’il appuiera auprès de MIFERMA le
désir mauritanien en d'établir une sidérurgie à Nouadhibou. La Guinée, « uniquement à
propos de l'O.E.R.S. », est venue dans les conversations, Moktar Ould
Daddah jouant, selon son tempérament et surtout l’estime de ses deux pairs, le
rôle essentiel d’apaisement entre Conakry et Dakar sans pour autant parvenir à
ce que Sekou Touré réintègre l’organisation. Quant à une éventuelle menace de
l'aide chinoise à l'égard de l'indépendance mauritanienne, Georges Pompidou
assure : « je suis bien certain que la Mauritanie est très
capable de faire respecter sa personnalité ». Il a raison, mais ni
l’ambiance ni l’époque qui est plutôt à la conclusion d’un système qu’à
l’exploration de la possibilité d’un autre, ne se sont prêtées à ce que Moktar
Ould Daddah s’ouvre vraiment à l’hôte de la Mauritanie [12].
La visite de ce
dernier a d’ailleurs été soigneusement encadrée. Son condisciple à Normale, le
président sénégalais, Léopold Sedar Senghor, l’a juste précédé à
Nouakchott et a surtout visité l’intérieur du pays, près de trois mille
cinq cent kilomètres de tournée du 11 au 16 Janvier et Moktar Ould Daddah a
célébré publiquement une entente exceptionnelle entre les deux pays :
« « le maintien et
le renforcement volontaire de nos liens historiques d'amitié et de coopération,
le libre choix de nos destins qui, tout en demeurant étroitement liés, n'en
sont pas moins devenus distincts et originaux l'un par rapport à l'autre …
depuis des siècles tout concourt à lier les destins de nos deux peuples. Ni montagne,
ni désert qui dressent une frontière naturelle entre eux, mais un fleuve... ». Et c’est au général Yakubu Gowon,
séjournant du 20 au 23 Février, que Moktar Ould Daddah livre le fond de sa
pensée. Les deux sinistres « leçons de choses » qu’ont été les
sécessions au Congo belge en 1960 et jusqu’en 1965, puis au Nigeria à partir de
1967, lui font stigmatiser des comportements et en fait une guerre
idéologique aux conséquences économiques et militaires : « élevés et nourris dans les certitudes
unilatérales de l'ordre colonial, ces nostalgiques des temps révolus ne
pouvaient donc accueillir l'indépendance
africaine et l'émancipation du Tiers-Monde que comme une insulte et un
défi ». Déjà chantre
d’une indépendance mentale de l’Afrique, Moktar Ould Daddah va, sous peu, être
choisi pour présider l’Organisation de l’Unité Africaine : il en deviendra
le porte-parole pour qu’en soit reconnue la dignité (cf. Le Calame 20 Juin 2007 . chronique
anniversaire du sommet de l’OUA 21.23 Juin 1971).
[2] - elle sera suivie de six autres : à Paris les 2 et 3
Mars puis les 4 et 5 Mai, , à Tananarive
les 7 et 8 Juillet, à Paris les 10 et 11 Septembre, à Saint-Louis-du-Sénégal
les 11 et 12 Décembre, enfin une dernière fois et à Paris, le 21 Mars 1960
[4] - Moktar Ould Daddah le
donne dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages –
disponible en arabe et en français), pp. 185 à
187
[6] - « En
reprenant la direction de la
France, j’étais résolu à la dégager des astreintes, désormais
sans contrepartie, que lui imposait son Empire. On peut penser que je ne le
ferais pas, comme on dit : de gaieté de cœur. Pour un homme de mon âge et
de ma formation, il était proprement cruel de devenir, de son propre chef, le
maître d’œuvre d’un pareil changement. Notre pays avait fourni, naguère, un
immense et glorieux effort pour conquérir, organiser, mettre en valeur,
l’ensemble de ses dépendances. Par l’épopée coloniale, il avait cherché à se
consoler de la perte de ses possessions lointaines des XVIIème et XVIIIème
siècles, puis de ses défaites en Europe : 1815, 1870. Il appréciait les
succès de prestige que lui procuraient, à l’échelle universelle, des proconsuls
de la taille des Bugeaud, Faidherbe, Archinard, Brazza, Doumer, Gallieni,
Ponty, Sarraut, Lyautey.. Il mesurait les services rendus dans les rangs de notre armée depuis
plusieurs générations par de vaillants contingents africains, malgaches et
asiatiques, la part prise par eux à notre victoire lors de la Première Guerre
mondiale, le rôle joué au cours de l’épopée de la France combattante par nos territoires
d’oitre-mer, leurs troupes, leurs travailleurs, leurs ressources. Il était fier
de la réussite humaine que représentait le début du développement moderne… Quelle épreuve morale ce serait donc pour moi que d’y
transmettre notre pouvoir, d’y replier nos drapeaux, d’y fermer un grand livre
d’Histoire ! … Il me faut surmonter le déchirement qui m’étreint tandis que
je mets délibérément fin à une domination coloniale, jadis glorieuse, mais qui
serait désormais ruineuse. » – Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir *
(Plon .Août 1970 & Janvier 1985. 314 pages), pp. 41 & 87
[7] - ibidem, pp. 71 & 74
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