vendredi 4 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 2 Septembre 2008



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4 . 5 Septembre 1986 & 2 . 3 Septembre 1987

Premières arrestations d’originaires de la vallée du Fleuve
& Fausse symétrie des procès de sympathisants « baassistes »



Depuis Avril 1986, circule clandestinement un Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé (37 pages), sous-titré Février 1966 – Avril 1986 . De la guerre civile à la lutte de libération nationale, dont un exemplaire a été remis anonymement au représentant de l’A.F.P. à Dakar. Le papier arrive sur le bureau du président du Comité militaire – le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahemd Taya, aussitôt perplexe. L’énième « homme fort » de la première période militaire [1] jouit d’un préjugé favorable – assez général : il a rallié, presque au premier anniversaire de sa prise du pouvoir – le 29 Décembre 1985 – deux des principaux ministres de Moktar Ould Daddah : celui des grandes décisions économiques, Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui a accepté le portefeuille de l’Energie et de l’Hydraulique, et le négociateur de l’intégration syndicale au Parti, Abdoulaye Baro qui est devenu son secrétaire général. Le régime militaire envisage des « communes démocratiquement élues » : il se sent assuré. L’obsession des complots avérés ou possibles que vivait le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla, que son successeur maintient en prison depuis le 13 Décembre 1984, n’est pas la sienne, jusqu’à que ce manifeste devienne – pour le pouvoir, soudainement – la clé de toute agitation. Plus de vingt années d’arbitraires, d’arrestations et de procès, s’appelant les uns les autres vont commencer. Alors même que se fonde la Ligue mauritanienne des droits de l’homme !

Les 4 et 5 Septembre 1986, plusieurs dizaines de personnes parmi lesquelles Hamdi Ould Boukreiss, homme d’affaires, et Def Ould Babana, diplomate,  sont arrêtées. Mais il y a surtout une trentaine de cadres « négro-africains » – l’expression inconnue pendant la période de fondation par Moktar Ould Daddah devient alors courante. L’historien et linguiste Oumar Ba ; deux anciens ministres Tafsirou Djigo et Mamadou Ly des gouvernements militaires ; Abdoul Aziz Ba, premier président d’Air Mauritanie et député avant 1978  ; Tène Youssouf Guèye, écrivain ; Ibrahima Sarr, journaliste ; Abdoulaye Sarr, professeur ; Seydou Kane, chercheur ; Ibrahima Fall, professeur ; Ba Mbare, directeur de société ; Sy Mamadou Youssouf, cadre de banque. Tous sont poursuivs pour « réunion publique non autorisée et distribution de tracts portant atteinte à l’unité nationale ». Leurs proches considèrent ces voies de fait comme « une mesure punitive à l’encontre des négro-africains qui ne veulent plus être considérés en Mauritanie comme des citoyens de seconde zone ». Sous-jacente, la querelle à fort poids économique sur l’accaparement prétendu par de riches Maures, des terres viabilisées par le barrage-réservoir anti-sel de Diama, sur la partie du Fleuve mitoyenne du Sénégal. L’ouvrage combiné avec le barrage hydro-électrique, à Manantali en mitoyenneté avec le Mali, donne aux cultures 400.000 hectares : une révolution économique et sociale, qui est aussi une des conséquences – non voulues, mais il y a procès rétrospectif d’intentions – d’une ordonnance 83-127 du 5 Juin 1983 abolissant la propriété collective des terres au profit de l’individualisation, à la suite de la suppression légale de l’esclavage [2]. L’ensemble est mal coordonné tant au point de vue législatif que de la politique de retour à la terre des populations qui – avec la sécheresse sévissant depuis 1972-1974 – ont afflué à Nouakchott.

Le 31 Août précédent, le colonel Anne Amadou Babali, ministre de l’Intérieur, a été limogé « pour avoir en partie couvert l’agitation noire » ; c’est le lieutenant-colonel Djibril Ould Abdallahi (alias Gabriel Cimper, un des exécutants décisifs du premier des putschs, celui du 10 Juillet 1978) qui lui succède (il avait déjà eu le portefeuille à la prise de pouvoir du 12 Décembre 1984). Dès le 15 Septembre, le nouveau ministre de l’Intérieur traite le groupe des opposants en « personnes égarées ». Il les accuse « d’avoir pris des contacts extérieurs en vue de porter atteinte à l’unité nationale, appelé le peuple mauritanien au désordre et avoir en juin dernier produit et distribué à l’extérieur un document appelant au désordre dans le but de diviser notre peuple » c’est le manifeste publié à Dakar – et de « créer, depuis quelques mois, dans l’ombre, un climat d’intoxication et d’atteinte aux valeurs et aux fondements de notre société, c’est-à-dire de notre unité nationale, en répandant la haine et la confusion autant qu’il le pouvait ». Le document est sommairement analysé : « racolage de contre-vérités allant à contre-courant par rapport aux aspirations de notre peuple et aux intérêts supérieurs de notre pays ». L’épilogue judiciaire est rondement mené : le 27, la chambre mixte du tribunal correctionnel de Nouakchott prononce 23 peines de prison (9 à 5 ans, 8 à 4 ans et 3 à six mois) à l’encontre d’ « opposants négo-africains ». Le 15 Mars 1987, nouvelle instance, la Cour criminelle jugeant l’ensemble des événements d’Août .Septembre . Octobre 1986, sous le chef d’ « agitation négro-africaine », condamne treize personnes à 4 à 5 ans de prison, et ne prononce que cinq acquittements.

Beaucoup de ces détenus – pour la plupart à Oualata, prison inaugurée par Moktar Ould Daddah de Juillet 1978 à Octobre 1979 – vont être torturés, quelques-uns mourront dans des conditions suspectes ; des commissions et des journalistes étrangers s’en inquièteront. Quant au colonel Anne Mamadou Babali, il sera soupçonné d’être à la tête du projet de putsch de l’automne de 1987 (cf. Le Calame des 31 Octobre 2007 et 28 Novembre 2007 –  chronique anniversaire du 28 Octobre 1987 et du 28 Novembre 1990), lequel conduira à un massacre d’officiers et de soldats, principalement Toucouleurs – sans procès et à l’insu du conseil des ministres.

Dans l’immédiat, l’agitation redouble et prend des formes violentes : série de déprédations les 10 et 11 Octobre à Nouakchott et à Nouadhibou (mise à sac à Nouakchott d’une station d’essence et d’une pharmacie et saccage d’une usine de pêche à Nouadhibou). Le 13 Octobre, le directeur général de la Sûreté nationale, le capitaine Ely Ould Mohamed Vall révèle les dégâts (« actes terroristes », « organisation clandestine » « totalement neutralisée ») : « nous n’admettrons pas qu’avec des visées intérieures ou extérieures à la Mauritanie, le terrorisme puisse s’installer chez nous ». Le président du Comité militaire assure (Jeune Afrique – 14 Novembre 1986) « des éléments subversifs ont cherché à susciter la guerre civile dans le pays … ont tenté de mettre le pays à feu et à sang mettant ainsi l’unité nationale en danger ». Il s’agit d’un « un phénomène importé, s’inspirant du terrorisme international (car) il n’y a pas de problème racial en Mauritanie. Le peuple est indivisible et ne sera jamais divisé ». Il réitère à l’anniversaire de l’indépendance. Les « négro-africains » ont tenté de « ternir l’image de marque de la Mauritanie (en se mettant) au travers de l’histoire et de l’avenir », de « porter atteinte à la sécurité des citoyens et des biens » et de « voiler les réalités du peuple et les réalisations accomplies ». « Face à ces comportements, la position de l’Etat sera une et seule : assumer ses responsabilités dans l’intérêt du peuple ».

Une politique d’équilibre entre les soupçons et les répressions caractérisera dès lors le régime – et l’handicapera évidemment lors du conflit dramatique avec le Sénégal au printemps de 1989. Tout juste un an après cette première vague, les 2 & 3 Septembre 1987, seconde vague : arrestation de personnalités censées menées « une action d’endoctrinement de jeunes mauritaniens » dont Mohamed Yeddih Ould Breidelleil, ancien ministre de l’Information, Memed Ould Ahmed professeur et Mohamedy Ould Babah avocat. Epilogue judiciaire aussi prompt qu’en 1986. Le 21 s’ouvre à Nouakchott le procès de huit personnes, dont un ancien ministre, deux professeurs, un avocat, pour « appartenance à une organisation non autorisée et de détournement de mineurs » : mouvement bassasiste pro-irakien. Ils sont défendus par une dizaine d’avocats en présence desquels s’est déroulée toute l’instruction. Les F.L.A.M. ne manqueront pas désormais de stigmatiser deux poids deux mesures. Le 23 en effet, le verdict est de clémence : six condamnation à six mois de prison avec sursis et deux acquittements. L’Irak est un partenaire important : il est ménagé. Depuis Février 1986, Nouakchott le soutient officiellement pour « défendre son intégrité territoriale et préserver sa souveraineté internationale » dans le conflit l’opposant à l’Iran. Les relations diplomatiques avec Téhéran sont rompues, le 28 Juin 1987 : l’Iran accusé de refuser de négocier avec l’Irak et d’élargir « la sphère de confrontation ».

Cette nouvelle affaire couvre en réalité un durcissement du régime et le début de son isolement. Le même 21 Septembre, trois ministres, dont Sidi Ould Cheikh Abdallahi, sont démis de leurs fonctions, et un ministère de l’Information indépendant du ministère de l’Intérieur est créé, confié à Mohamed Haibetna Ould Sidi Haiba, jusques-là recteur de l’université de Nouakchott. Sur dénonciation prétendue d’Isselmou Ould Mohamed Salah et Mohameden Ould Isselmou, passant pour indicateurs de police, avait circulé la rumeur de l’arrestation, le 9 Août, du colonel Moulaye Ould Boukhreiss, ancien ministre et ancien membre du Comité militaire. Il est supposé préparer un coup d’Etat et on le dit favorable au Polisario : psychose d’avant le « douze-douze ». Les militaires ne gouvernent plus collégialement : le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, en démettant l’un d’eux de son poste ministériel, l’exclut, par le fait, du Comité. Or, le gouvernement – entre le 12 Décembre 1984 et le 21 Septembre 1987 – est remanié neuf fois… Aux résurgences des clivages ethniques correspondent les débuts d’une dictature personnelle. Même Djibril Ould Abdallahi, assurance décisive des putschistes du 10 Juillet 1978 (cf. Le Calame 15 Juillet 2008 - entretien avec le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck, président de l’ex C.M.R.N.), sera finalement limogé au printemps de 1991 pour faciliter l’apaisement avec le Sénégal, alors qu’il avait « présidé » les élections locales, façade démocratique du régime.



[1] - président du Comité militaire de salut national – C.M.S.N. – il cumule les fonctions de chef de l’Etat, de Premier ministre et de ministre de la Défense
[2] - pour le 5ème anniversaire du putsch, le 10 Juillet 1983, le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla l’avait présentée comme un accompagnement de l’abolition de l’esclavage  permettant à « ceux qui ont jadis travaillé la terre au profit d’autres d’accéder à la propriété et partant d’acquérir leur indépendance économique, base de toute émancipation réelle » - Le manifeste du négro-mauritanien oppimé l’argumente longuement.

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