vendredi 25 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà par Le Calame . 19 Janvier 2010



58 .
                                                                

15 Janvier 1970    &    21 . 22 Janvier 1995

Etablissement pratique de la coopération avec le Maroc
&
Nouvelles et violentes manifestations
contre l’augmentation du prix du pain

 



Le 15 Janvier 1970, après deux jours de travail à Nouakchott d’une mission de bonne volonté marocaine en Mauritanie, les deux ministres de l’Intérieur : le général Oufkir et Abdoul Aziz Sall s’accordent sur l’offre marocaine de coopération et conviennent que les deux pays concluront dans les meilleurs délais des accords en matière de transports aériens et maritimes, de coopération culturelle et technique, et d’échanges commerciaux ; Une commission mixte se réunira deux fois par an, alternativement dans chacune des capitales. 

C’est la conclusion d’un processus initié à Rabat du 22 au 24 Septembre 1969 (cf. Le Calame 12 Septembre 2007 . chronique anniversaire de l’invitation du président Moktar Ould Daddah par le roi Hassan II, reçue le 10 Septembre 1969), à l’occasion d’un « sommet » islamique extraordinaire provoqué par l’attentat contre la mosquée Al Aqsa à Jérusalem. Moktar Ould Daddah s’était alors entretenu avec le roi du Maroc, d’abord en présence du colonel Boumedienne. Hassan II avait assurée n’avoir jamais adhéré intimement à la revendication sur la Mauritanie et que la page était sincèrement tournée. Le Maroc souhaitant des relations aussi intimes que possible, le président mauritanien avait suggéré des relations sur le strict modèle de celles entretenues avec l’Algérie et le Sénégal. Puis en dînant le 26 avec le Roi et son Premier ministre, le président Moktar Ould Daddah, qui considère le préalable de la reconnaissance comme dépassé, avait convenu d’un processus de normalisation entre la République Islamique de Mauritanie et le Maroc. Une mission mauritanienne au Maroc à la fin d’Octobre, puis une mission marocaine à Nouakchott après le Ramadan, enfin l’établissement des relations diplomatiques au début de 1970.

Le calendrier est à peu près tenu. Du 31 Octobre au 8 Novembre 1969, Ahmed Ould Mohamed Salah, Hamdi Ould Mouknass et Abdoulaye Baro se rendent au Maroc. Ils se recueillent sur la tombe de Mohamed V, s’entretiennent le 31 et le 1er avec le ministre marocain des Affaires Etrangères, Abdellatif Boutaleb, sont reçus le roi Hassan II le 4 Novembre. Dans son rapport au Président de la République et au Bureau politique du Parti, la mission conclut que  « le Maroc veut avoir des rapports nouveaux avec la Mauritanie. Cette attitude est fondée et sans arrière-pensée » et que le nouveau partenaire « mettra à la disposition de la Mauritanie, toutes ses possibilités, certes limitées, mais (qu’) il donnera le meilleur de ce qu’il a ». Elle note que « la puissance économique américaine s’est fortement implantée au Maroc » (les relations diplomatiques entre la Mauritanie et les Etats-Unis, rompues à la suite de la guerre des Six-Jours ne sont rétablies le 22 Décembre 1969).

Mais les « mesures de confiance » sont encore à prendre de part et d’autre. Le 6 Novembre, le Conseil des Ministre maintient l’interdiction des journaux marocains en Mauritanie, mais le lendemain, à Rabat, la liste officielle du Gouvernement marocain ne comprend plus de « ministre des Affaires de Mauritanie et du Sahara marocain ». Son titulaire Mufay Hassan Ben Driss prend rang de ministre d’Etat. Surtout, l’équilibre des relations avec les deux partenaires du nord reste le principe. C’est rappelé du 1er au 4 Décembre, quand le ministre algérien des Affaires Etrangères vient à Nouakchott et s’y félicite des relations nouvelles entre la Mauritanie et le Maroc : un comité mixte de coopération est d’ailleurs institué entre les deux pays.

Tout de suite après les entretiens du général Oufkir avec Abdoul Aziz Sall, une commission mixte maroco-mauritanienne – réunissant du  24 au 26 Janvier 1970 à Nouakchott, le directeur de la Compagnie marocaine de navigation et le directeur mauritanien des Finances Soumare Diaramouna – mettent au point un accord commercial. L’ouverture d’une liaison maritime est envisagée. Du 1er au 6 Mai suivant, se tient – toujours à Nouakchott – une  semaine commerciale marocaine.

Enfin, le 25 Février, arrive à Nouakchott le premier ambassadeur du Maroc. Le choix est heureux, il s’agit de Kacem Zhiri, ancien ambassadeur au Sénégal en 1960-1961 et qu’a rencontré le président Moktar Ould Daddah à cette époque, à Dakar, en présence de Mamadou Dia, alors président du Conseil sénégalais et de Jean Rouss, conseiller personnel du président Senghor. Il présente dès le surlendemain ses lettrres de créance au Chef de l’Etat. Le 20 Juillet, Ahmed Ould Jeddou en fait autant à Rabat.

La «  normalisation » se présente d’autant mieux que la Mauritanie a refusé d’emblée tout particularisme à cette nouvelle relation, et qu’aucune compensation au bénéfice du Maroc renonçant à sa revendication en échange d’un désintéressement mauritanien pour le Sahara sous administration espagnole, n’a été évoquée. Davantage, le Maroc et l’Algérie, entre lesquels Moktar Ould Daddah ne veut pas que son pays choisisse, règlent leurs différends frontaliers. Le 27 mai 1970,  à Tlemcen, le roi Hassan II et le président Boumedienne conviennent d’un traité.

Toutes les conditions – implicites ou explicites – que depuis l’autonomie interne se sont données la Mauritanie moderne et son fondateur, sont effectivement remplies et, le 8 Juin 1970, à Casablanca, le roi Hassan II et le président Moktar Ould Daddah peuvent signer un traité de solidarité, de coopération et de bon voisinage entre le Maroc et la Mauritanie. Il devra être suivi de la conclusion dans les meilleurs délais d’accords de coopération. Le mauritanien ne cache pas sa satisfaction des entretiens de Tlemcen et les deux Chefs d’Etat communiquent ensemble qu’ils « ont examiné la situation dans le Sahara sous domination espagnole et ont décidé de collaborer étroitement pour hâter la décolonisation-libération de ce territoire conformément aux résolutions pertinentes des Nations Unies ». De retour de Casablanca, le lendemain, le  Président de la République confirme que « dès que les conditions protocolaires seront réunies, la Mauritanie participera aux réunions économiques du Maghreb comme elle participe à des réunions régionales et sous-régionales africaines ».

Cette entente maroco-mauritanienne [1], approuvée par le commun partenaire algérien, était inespérée, surtout dans des conditions plaçant les deux pays sur un tel pied d’égalité– malgré d’évidentes différences de poids à beaucoup d’égards, sauf certainement au plan diplomatique. Elle résistera à la question saharienne tant que Moktar Ould Daddah sera au pouvoir. La confiance entre le Roi et ce dernier était latente dès le débat sur l’indépendance mauritanienne. Elle ne se démentira ni dans l’épreuve de la guerre ni dans l’exil de la victime du putsch de 1978, mais – contrairement aux thèses circulant lors de la tentative du 16 Mars 1981 contre le régime du colonel Ould Haïdalla (cf. Le Calame 11 Mars 2008 . chronique anniversaire de la tentative des lieutenants-colonels Ahmed Salem Ould Sidi et Mohamed Ould Ba Abdelkader) – Moktar Ould Daddah repoussera toutes les offres marocaines (et également celles de François Mitterrand, devenu président de la République française) que soit facilité par la force son retour au pouvoir à Nouakchott. Ce n’est pas non plus de gaîté de cœur que pour pallier la volte-face du colonel Boumedienne (cf. Le Calame 18 Novembre 2008 . chronique anniversaire de l’entretien de Béchar, le 10 Novembre 1975) et soutenir donc une guerre imprévue à partir de Décembre 1975, Moktar Ould Daddah acceptera le stationnement de troupes marocaines en territoire mauritanien et devra solliciter une couverture aérienne française, payée en quelque sorte de sa participation aux exercices de la francophonie.




Les 21 et 22 Janvier 1995, l’augmentation de 25% du prix du pain provoque de violentes manifestations à Nouakchott et à Nouadhibou : des centaines de jeunes gens des quartiers populaires sont dans les rues et saccagent des magasins. La répression est à la mesure de la colère populaire et de ses répercussions à l’étranger. Le précédent des 10 et 11 Octobre 1986 – sinistre – est répliqué à la lettre par les autorités, qui trouvent prétexte à arrêter les principaux dirigeants de l’opposition accusés d’en être les instigateurs, notamment Hamdi Ould Mouknass et Ahmed Ould Daddah. Ceux-ci ne sont relâchés – sans autre forme de procès que le 3 Février. Le régime du colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya admet aussi bien son incapacité à mener une politique économique et sociale proche des besoins quotidiens et un dialogue avec les opposants, au sens habituel du terme. Changements de Premier ministre et élections parlementaires ou présidentielles seront inopérants. Les dispositifs mis en place par Sidi Ould Boubakar, le 5 Octobre 1992, à la suite des manifestations consécutives à la dévaluation de l’ouguiya par rapport au dollar, n’ont pas fonctionné. Surtout, il s’avère que l’urbanisation non maîtrisée et les mutation des habitudes alimentaires nationales précarisent aussi bien l’ordre public que l’économie du pays. Ce qui fait beaucoup pour un régime autoritaire. A Nouakchott, au début de 1965… il n’existait (au Ksar) qu’une boulangerie pour une agglomération ne dépassant pas les vingt-mille habitants. Le pain n’était pas dans le panier de la ménagère, sauf épouse d’expatrié militaire ou coopérant.


                                              


[1] - Moktar Ould Daddah consacre le chapitre XVI de ses mémoires :  La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) à la relation avec le Maroc, et en commente ainsi la normalisatioon en forme de coopération – intime mais non particulière ni exclusive : ‘’ En touchant la terre marocaine, j’échange avec mon hôte une poignée de main sans chaleur particulière du Roi, sans réticence et, surtout, sans complexe de ma part. Il est vrai que mon hôte était dans une position moins confortable que la mienne. En effet, pour moi - et sans un triomphalisme qui n’a jamais été mon fort - c’était le couronnement d’une longue lutte, d’une résistance d’une douzaine d’années, non pas contre le colonialisme classique, mais contre l’impérialisme d’un pays voisin et frère, infiniment plus puissant que le mien. Un pays frère qui avait tout fait pour annexer ma patrie, qui avait réussi une dizaine d’années durant, à maintenir incomplète l’universalité de la reconnaissance de notre indépendance par le refus de certains Etats le soutenant, de reconnaître cette indépendance.
                Donc, les Mauritaniens étaient les gagnants diplomatiques. Mais, pas de triomphalisme ! Bien au contraire, il nous fallait désormais aider nos frères marocains à digérer leur défaite. Il nous fallait tout faire pour les aider à tourner une page aussi pénible pour nous que désagréable pour eux. Il nous fallait désormais, en partenaires loyaux envisager de bâtir, ensemble, des rapports fraternels et mutuellement avantageux pour nos deux peuples frères. ’

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