vendredi 18 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 2 Juin 2009



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29 Mai 1968   &    4 Juin 2005

A Zouerate, menacée d’être débordée, la troupe tire
&
L’affaire du poste de Lemgheity

 

 

 

Le 29 Mai 1968, à Zouerate, menacée d’être débordée par la foule, la troupe ouvre le feu : sept morts et vingt-deux blessés [1]. Elle avait été chargée de sécuriser le « quartier européen » de la cité minière.

Miferma … Le choc n’est pas inattendu. Ni au moment où il éclate, ni – en fait – depuis longtemps. Alors que le 23 Mai précédent, le Président de la République, Moktar Ould Daddah avait inauguré la mine de cuivre d’Akjoujt, enfin entrée en exploitation, à Zouerate, les délégués du personnel n’ayant pu être reçus par la direction de la société, avaient démissionné de leurs fonctions. Le 27, c’était la grève générale : la troupe avait été requise pour maintenir l’ordre, des renforts dépêchés. Un protocole d’accord avait été signé entre la société et les représentants syndicaux, mais le travail n’avait pas repris. Le 28, est une journée de manifestation et d’extrême tension.


Il y avait eu des précédents.

 

En Août-Septembre 1961, ce sont des rixes entre travailleurs mauritaniens et sénégalais à Port-Etienne, future Nouadhibou : grèves et manifestations à « Point central » où arrivent les trains minéraliers, et au port. Le travail ne reprend que le 15 Septembre. En Novembre 1963, les événements sont beaucoup plus graves : un défilé le 17 Novembre à Cansado, un dimanche, annonce la grève générale le 18 : la ligne électrique est sabotée, certains aiguillages faussés et les lieux de travail occcupés. Les cars transportant le personnel européen (non gréviste, notamment parce qu’il ne bénéficie d’aucuns droits syndicaux, alors que l’U.T.M., la centrale unique mauritanienne est toute disposée à accueillir son adhésion) sont lapidés. Licenciements. L’armée doit intervenir mais sans heurts et le 25, à Nouakchott, une réunion des responsables de la société et de la centrale syndicale unique, l’U.T.M., autour des ministres du Travail, Bocar Alpha Ba, et de l’Intérieur, Ahmed Ould Mohamed Salah, permet de régler le conflit. On est d’ailleurs en pleine crise politique intérieure du fait de la division du Bureau politique national à propos de l’exécution des décisions du 1er congrès ordinaire du Parti.

A Zouérate, les grèves sont d’abord de type classique, la première – du 13 au 24 Janvier 1964 – fait suite au passage d’une mission de la C.G.T. française. Les revendications furent nettement formulées : l’africanisation des responsables de la gestion du personnel subalterne, la création d’une commission de classement des salariés bi-annuelle, le licenciement de deux Européens, l’octroi d’une prise de salissure et de risque, le financement d’une mosquée. Commission et mosquée furent obtenues, la prime tarda trois ans et les travailleuyrs posèrent la question de l’application pratique de l’article 36 de la convention collective (à travail égal, salaire égal). Du 8 au 13 Février 1965, c’est à Zouerate, que dégénèrent des rixes entre personnels mauritaniens et européens de Miferma : neuf blessés parmi ces derniers [2]. Les 8 et 9, pour des raisons de personnes, des Mauritaniens attaquent des Européens à Tazadit, et sans l’intervention personnelle du secrétaire général de la section locale de l’U.T.M., l’ingénieur responsable du chantier eût été mis à mal. Une grève s’ensuit. La société ne licencie que les agents mauritaniens condamnés par le tribunal de Port-Etienne, quant aux Européens, certains prennent peur, ne reprennent pas le travail et sont donc rapatriés. La présence très rapide de la troupe a empêché l’effervescence de s’étendre ; les esprits se calment et le travail reprend le 13.

Le contexte national, et particulièrement syndical, est tendu depuis cette date. Tandis que le potentiel minier du pays s’accroît : le 18 Juillet 1967, sont publiées la loi agréant Somima au bénéfice du régime fiscal de longue durée, ainsi que sa convention d’établissement –, une scission au Syndicat national des enseignants mauritaniens se produit, le 24 Juillet, les enseignants arabes se désaffilient. C’est le début d’une « crise syndicale » qui durera six ans et dans laquelle se combinent pour la rendre inextricable des conflits de personnes – le secrétaire général de la centrale unique, Malick Fall, et le ministre de l’Intérieur Ahmed Ould Mohamed Salah seront chacun vivement contestés – et des questions de principe, notamment celle d’une intégration au Parti unique de l’Etat.  Les conflits sociaux n’en sont que plus malaisés à régler et la représentativité syndicale est moins apparente, aussi bien pour le patronat que pour les salariés.
Le contexte international est celui de ce qu’on a vite appelé « les événements de Mai ». Le 30, à Dakar, étudiants et forces de l’ordre se heurtent violemment à l’université de Fann : un mort et soixante-neuf blessés ; les étudiants mauritaniens regagnent Nouakchott le même jour. En France, le général de Gaulle ressaisit l’opinion tandis que d’importantes manifestations ont lieu en sa faveur ; l’ordre se rétablit dans tous les domaines pendant les jours suivants, mais la veille encore, il avait disparu et un gouvernement de transition avait commencé d’être formé par Pierre Mendès France sous l’égide de François Mitterrand anticipant l’échec d’un referendum projeté pour avoir lieu le 16 Juin. Le lendemain, s’établissait, à titre temporaire, un contrôle des changes par l’ensemble des pays de la zone franc. La rumeur avait été que les familles des agents français ou européens de Miferma allaient être évacuées ; elle est démentie.

Le pouvoir est lent à réagir, quoiqu’à Nouakchott, le Comité permanent du Bureau politique national (B.P.N.) se soit réuni dès le choc. Mais celui-ci ne décide décide l’envoi d’une mission à Zouerate que le 2 Juin, et le Conseil des ministres n’est informé des évènements de Zouerate que le 6.

Le 3 Juin, au cours d’un rassemblement populaire à la Permanence du Parti, Moktar Ould Daddah explique les évènements de Zouerate et évoque l’anniversaire du déclenchement de la guerre israëlo-arabe. Le discours est retransmis intégralement à la radio. Il est évident que le Parti et le Gouvernement n’avaient aucune envie de faire couler le sang mauritanien, mais il est évident aussi qu’ils ne pouvaient pas laisser s’installer l’anarchie et manquer à leur devoir et à leurs responsabilités qui consistent à assurer la sécurité des biens et des vies de tous ceux qui vivent en Mauritanie, étrangers ou nationaux.

Suit le récit des événements. Lundi 27 Mai, à la suite de difficultés entre les travailleurs de la Miferma et les représentants locaux de l’Union des Travailleurs Mauritaniens, une grève a été déclenchée par l’ensemble des ouvriers de la Miferma. Les autorités locales sont intervenues immédiatement. Malheureusement, les problèmes ont pris des proportions nouvelles et le gouvernement a été obligé d’envoyer sur place des forces de l’ordre pour le rétablir. Pendant presque trois jours, les représentants du Parti et de l’U.T.M. ont essayé de ramener le calme dans les esprits. Malheureusement, ils n’y ont pas réussi et l’atmosphère s’est de plus en plus tenue pour aboutir aux événements que nous déplorons. Les forces de sécurité ont été amenées à tirer en état de légitime défense, après avoir fait les sommations d’usage, et en visant les jambes de la foule. Mais plusieurs manifestants étaient à ce moment-là en train de ramasser des pierres, ce qui explique les morts et leur nombre.

Pendant le discours du Président de la République, secrétaire général du Parti, s’étaient assemblés quelques centaines de lycéens de tous âges. Une banderole est agitée : « non au massacre de Zouerate, les tueurs aux potences » et au passage du président Moktar Ould Daddah, des cris  se mutliplient « A bas la Miferma », et un jeune parvient à hurler devant lui : « la Miferma est une base militaire, nous demandons donc que la question de la Miferma soit définitivement réglée, nous dénonçons les traîtres et les lâches qui tirent sur des civils innocents. » A quoi le Président avait répondu par prétérition : « Il y a certains de nos compatriotes, peu nombreux il est vrai, qui veulent exploiter ces événements pour troubler l’ordre public et inciter lesd jeunes lycéens à l’agitation ». De fait, les manifestants le suivent jusques devant la présidence de la République et s’y installent, malgré l’intervention des forces de l’ordre et l’usage de grenades lacrymogènes. L’apaisement ne se produit qu’à la tombée du jour. Entretemps, le travail avait repris dans toutes les installations et sur tous les chantiers de Miferma.

Dans un livre sobre, Jean Audibert, alors directeur général de Miferma, donne une version concordante [3]  mais plus détaillée sur l’enchaînement des incidents menant au drame : «  le report unilatéral et sans explication de la réunion hebdmadaire avec les délégués par un membre du service du personnel. Cette mesure, me dit-on, a été prise en raison d’un travail urgent concernant l’informatique ! … peu après, une menace de sanction es transmise à un délégué par le service du personnel, puis vient un meeting où les onze délégués se font réprimander et démissionnent… C’est vraisemblablement le délégué mécontent qui, lundi a déclenché, la grève des chauffeurs chargés de conduire le personnel au travail, sans doute dans l’idée de paralyser toute activité. Mais pourquoi, le mercredi, le bondnville qii côtoie la cité s’est-il mis en mouvement  ? On n’avait jamais vu çà. Dans ce bidonville vivent maintenant sept mille personnes venues de partout, la plupart oisives. Malgré nos demandes, l’administration ne s’y est pas implantée et a laissé la situation se dégrader. Mercredi, les femmes et les enfants sont sortis de leur ghetto et en rangs serrés, ont proféré des menaces à l’encontre des agents européens. Ceux-ci s’étaient enfermés dans leurs maisons : ils ont eu très peur. Jeudi, après sommation, la troupe tirait dans la foule. Résultat : huit tués – dont six travaillaient pour Miferma – et vingt-deux blessés, qui sont soignés dans notre clinique. Vendredi, un vote était organisé et samedi, le travail reprenait. »

Les choses en restent là, apparemment. Miferma se paye les services d’un sociologue, qui travaille deux ans, assisté d’un compagnon mauritanien [4]. Du côté mauritanien, on déplace le résident, le maire, l’inspecteur du travail et le commissaire de police mais l’on réclame le départ du directeur délégué Richardson, et l’on redit le souhait que le directeur général s’établisse en Mauritanie. Mais, en profondeur, les « événements de Mai », à Zouérate, ont changé le cours de la politique mauritanienne. Les forces armées ne tireront pas une nouvelle fois pour protéger les travailleurs étrangers contre leurs compatriotes mauritaniens : c’est ce qui se sent et c’est ce qui se dit. Pour Moktar Ould Daddah, un compte à rebours commence qui aboutira le 28 Novembre 1974 à la nationalisation de Miferma, qu’auront préparées presque toutes les décisions de rupture économique à intervenir à partir de 1972 [5].
Moktar Ould Daddah tranchera donc, donnant, après avoir avancé d’habiles tranchées, l’assaut final à “ la citadelle Miferma ” qui paraissait inexpugnable. Pas d’indépendance sans monnaie, pas de Mauritanie indépendante tant tant soit peu avec la Miferma de l’époque. La société ne dépend alors de personne, pas plus de la France que de la Mauritanie : elle se conduisait hors de toute référence nationale. Sa nationalisation a effectivement suscité un mouvement populaire bien plus fort que la révision des accords avec l’ancien colonisateur ou que notre sortie de la zone franc. Les Mauritaniens savaient ce que représentait Miferma.

  “Etat dans l’Etat”, Miferma était non seulement le symbole vivant, mais l’exemple concret d’une société capitaliste occidentale exploitant, avec un esprit impérialiste, les richesses d’un pays du Tiers-Monde. Aussi, pour parachever, ne serait-ce que partiellement, notre indépendance, pour donner une assise la plus solide possible à notre monnaie nationale naissante, pour restituer au peuple mauritanien l’une de ses principales richesses spoliée, il nous fallait nationaliser Miferma. Nationalisation qui, du reste, constituait la dernière phase de notre plan secret et de lutte de libération économique - donc politique - les deux premières ayant été notre sortie de la zone franc et la création de notre monnaie nationale. [6]

Mais, en 1968, Miferma est le cœur économique et fiscal de la Mauritanie, elle est aussi son creuset salarial.

Les exportations de minerai de fer valent en 1963 2.600 millions de francs CFA sur les 2.850 du commerce extérieur total de la Mauritanie ; en 1964, 8.900 sur 9.300 ; en 1965, 12.200 sur 12.600 et en 1966, 14.000 sur 14.800. En masse salariale, les mines et carrières qui représentaient en 1962 32% du total face au bâtiment et travaux publics (la construction de Nouakchott) : 52%, valent en 1966 68% contre 13% au B.T.P. En revanche, les recettes fiscales, provenant des activités engendrées par celles de Miferma, sont moindres qu’attendues : un total cumulé au 31 Décembre 1967 de 572 millions de francs CFA. L’apport décisif est direct, selon la convention de régime fiscal de longue durée combinant acquis définitifs et avances : à la fin de Décembre 1966, l’apport de Miferma (5.160 millions de francs CFA, dont 1.989 définitivement acquis, et 3.171 constituant des avances à imputer sur l’impôt sur les bénéfices) équivaut à 28,6% des concours extérieurs reçus par l’Etat mauritanien, et constitue 22,22% du financement fondé sur ces concours et recettes. Tout s’est passé depuis l’autonomie interne jusqu’à la fin de 1966 comme si les recettes provenant de Miferma avaient relayé la subvention d’équilibre budgétaire de l’ancienne métropole. En 1959, le budget de fonctionnement est de 2.245 millions de francs CFA dont la France règle 1.198 millions. En 1962, avant que le 1er congrès ordinaire du Parti ne décide de renoncer cette subvention, le budget de fonctionnement est de 4.752 milllions, le concours français de 1.852 millions et les recettes venant de Miferma de 1.318 millions. En 1966, le budget reste de 4.770 millions, la subvention est inexistante (5 millions) et la Mauritanie reçoit en recette de Miferma 1.161 millions.


                              
Le 4 Juin 2005, le poste de Lemgheity est attaqué. Le nombre de morts dépasse la vingtaine. Pas plus que le guet-apens récent dans lequel tombe dramatiquement une patrouille près de Tourine, dans la région de Zouérate : le 14 Septembre 2008, cette attaque puis les mesures de poursuite et d’enquête n’ont encore été éclaircies – à ma connaissance. Salafistes ? contrebandiers ? mise en scène pour justifier l’entente logistique avec les Etats-Unis ? dérivation par un pouvoir que le procès de Wad Naga avait affaibli sinon ridiculisé ? mobilisation prudente, ailleurs qu’autour de Nouakchott, des forces armées qui doutent désormais du président régnant mais que celui-ci expédie vers l’inconnu ? En tout cas, l’événement semble avoir conduit au changement du 3 Août suivant.


[1] - le président Moktar Ould Daddah compte un mort et un blessé de plus que l’A F P

[2] -  Les troupes envoyée de Nouakchott ont rétabli l’ordre, mais la situation reste dangereuse : un bidonville s’est constitué autour de la cité, le commissaire de police y loge dans une misérable cahute et ne dispose que de cinq gendarmes, il n’y a pas d’inspection du travail. Nous réclamons la construction d’un centre administratif digne de ce nom mais, chose curieuse, nous avons beau proposer d’en financer discrètement une partie, nous n’obtenons rien de substantiel. C’est à se demander si Nouakchott tient vraiment à exercer son autorité sur cette lointaine cité peuplée de R’guibats indomptables. Ces incidents ont tout de même un mérite : peu à peu, nos réactions se rodent ; les Mauritaniens comme nous-mêmes, apprenons à répondre comme il convient aux attitudes racistes qui sont trop souvent à l’origine des conflits ; les sanctions prises vont jusqu’au renvoi. Jean Audibert . Miferma : une aventure humaine et industrielle en Mauritanie (L’Harmattan . Octobre 1991 . 216 pages)  pp. 162-163
[3] - ibid. op. cit. pp. 168-169

[4] - son travail n’a pas été publié, à ma connaissance, mais Jean Audibert en donne les conclusions, op. cit. pp. 211 à 216 – il se trouve qu’à ma demande, j’ai effectué chez Miferma, le stage d’entreprise que l’Ecole nationale d’administration française, dont je suis l’élève, depuis mon retour de service national déjà effectué en Mauritanie (Février 1965.Avril 1966). J’ai donc séjournée dans les différents sites de la société en Novembre.Décembre 1967 puis me suis rendu à Nouakchott pour saisir l’image que l’autorité mauritanienne a de Miferma. Au président Moktar Ould Daddah, dans le moment-même, j’ai naturellement fait part de cette image que se sont faite ses compatriotes, ainsi que des projets envisagés par la société : les guelbs…  Mon propre rapport, copieux mais rédigé immédiatement (237 pages) : L’insertion récroque des Mauritaniens au sein de Miferma et de Miferma en Mauritanie, est encore inédit – J’y avais notamment relevé un cas unique à l’époque de cumul des fonctions : le même N… après avoir été délégué du personnel jusqu’en 1965, est secrétaire général de la section de l’U.T.M.e en même temps que secrétaire de la section du Parti. Il est, en sus, employé par la société pour diriger l’économat B de Zouérate, et, est à ce titre le Mauritanien le plus élevé de toute l’entreprise, tant à Zouérate qu’à Port-Etienne, dans la hiérarchie professionnelle. Enfin, il est responsable du club subalterne. Je concluais : On peut se demander si sa représentativité et son emprise sont aussi grandes qu’on l’admet, et si la faveur que la société lui accorde beaucoup plus ouvertement qu’elle ne le fait envers son homologue de Port-Etienne, est aussi opportune qu’il peut le paraître. Les élections syndicales  de 1996, annulées pour un premier, puis reportées,  avec un nouveau délai entre les deux tours, montraient que l’U.T.M. n’avait pas la majorité absolue

[5] - me recevant en tête-à-tête à l’ambassade de Paris, le 24 Septembre 1968, le président Moktar Ould Daddah me dit avoir lu mon rapport de stage chez Miferma et l’avoir enfermé à la résidence. Je lui rappelle mon enquête à Zouérate, la tendance des dirigeants sur place à ne rien craindre. Et aussi le problème de l’U ?.T.M. et des querelles de personnes, et le peu d’emprise du syndicat sur les travailleurs. Alors qu’à Port-Etienne, les questions de fractions sont réglées. J’avais insisté pour un changement complet de mentalité de Miferma, et surtout écrit que le temps pressait. Je l’écoute :  Miferma n’a toujours pas acquis la mentalité souhaitable. Ce qui devait arriver est donc arrivé. Influence des événements de France également. Comme vous le savez, le transistor est très répandu en Mauritanie. Les travailleurs et les sans-travail entendaient qu’en France les usines étaient occupées, que les dirigeants de certaines étaient enfermés. Avec le contexte que vous savez, ce qui s’est passé à Zouérate n’a pas eu de répercussion, de prolongement à Port-Etienne. N… et l’U.T.M. n’avaient plus d’emprise à Zouérate. Ce contexte que vous décrivez, et les événements de France expliquent la crise.
Ce qui a été la goutte d’eau faisant déborder le vase, c’est que les délégués du personnel ont demandé à être reçus par les responsables du personnel. Ceux-ci, trois, étaient concernés : MM. Gilbert, iton, Laurent, ont refusé, disant qu’ils n’avaient pas le temps, occupés qu’ils étaient par la mise en place de l’ordinateur. Les délégués qui se plaignaient déjà de ne pas être considérés, ont du coup démissionné. Du coup, plus d’autorité syndicale, avec la disparition des délégués qui avaient tant soit peu la confiance des travailleurs. Jusqu’alors, le pire avait toujours été évité par le dialogue.
Je fais allusion à Doudou Fall et à ses qualités.
Oui, mais lui aussi a été débordé, et les travailleurs l’ont accusé d’être compromis avec Miferma. Sans qu’il ait nullement démérité, j’ai dû le changer de commandement ; il a une subdivision maintenant en Assaba.
A la suite de ces événements qui laissent des traces et des plaies, j’ai dit moi-même, pas à n’importe quel niveau, moi-même à M. Audibert que ces trois Européens ne pouvaient plus revenir en Mauritanie. Au début de Juin. Audibert a insisté pour que M. Gilbert reste. J’ai accepté pour Gilbert, à condition qu’il soit muté à Port-Etienne. Il ne pouvait revenir à Zouérate. Quelle n’a pas été ma sutrprise, quand j’ai appris, alors que j’étais en tournée dans l’Adrar, à Choum, avec Kane Tidjane, faisant l’intérim pour Fort-Gouraud, d’apprendre par les deux chefs de subdivision qu’ils savaient, de source sûre, que ces trois Européens allaient revenir. Je leur ai dit de ne pas se laisser intoxiquer, mais que s’ils revenaient, ils devaient demander à la société leur départ et, si cela échouait, les expulser. Miton, qui revenait à Port-Etienne, a été expulsé.
Comme vous le voyez, les choses ont changé, et ne sont plus ce qu’elles étaient l’an dernier. Miferma maintenant doit être considérée comme une entreprise à laquelle s’applique la loi mauritanienne. Nous lui avions laissé la bride sur le cou pendant la période d’installation : il le fallait. En Septembre 1967, j’avais reçu MM. Leroy-Beaulieu et Audibert (alors respectivement président et directeur général de la société, le second succède au premier pour la présidence en 1972 : il est ingénieur des mines et polytechnicien tandis que le premier était inspecteur des finances, et guère homme de terrain ni d’industrie), et leur avait expliqué que la société a maintenant dix ans. Et dix ans, c’est beaucoup en Afrique. La convention que nous sommes toujours décidés à appliquer, a été signée avant l’indépendance. Nous en demandons l’application intégrale. Et je suggérai pour terminer que la société fasse un geste à notre égard, montrant qu’elle s’intéresse réellement au pays.
Rien n’a changé dans le comportement de la société, d’où les événements dont nous parlons. Nous sommes maintenant, froidement, décidés à faire respecter les lois et règlements. Miferma n’est plus une société qui pourrait faire ce qu’elle veut. Elle doit tenir compte des divers règlements. La manière douce et souple n’a pas été brillante. Il ne s’agit pas maintenant de la manière forte, mais que Miferma ne soit plus considérée comme pouvant faire ce qu’elle veut.
La table ronde prévue pour Avril 1968 a été renvoyée à la demande des deux partis. Elle devait avoir lieu en Octobre. Mais Leroy-Beaulieu m’a demandé le report à Novembre. Je lui ai répété ce que je viens de vous dire. Depuis dix ans,des événements économiques importants ont eu lieu en Afrique : l’Union minière du Katanga, les pétroles algériens ont été nationalisés.
Je cite l’exemple du canal de Suez que les Egyptiens, à la surprise générale, ont pu faire re-marcher quelques mois après Novembre 1956.
Mon impression personnelle est qu’Audibert que je croyais apte à comprendre tout cela, ou bien n’est que l’exécutant d’une politique absolue à laquelle il ne peut rien changer, ou bien lui-même en est partisan. En tout cas, il ne fait rien en ce sens.
Je dis que finalement le vrai danger pour le pays, n’est pas du tout la question culturelle et ethnique, mais bien Miferma qui peut être un abcès de fixation et un engrenage de compromission et de provocation.
Oui. Les événements récents ont accentué le sentiment de frustration des Mauritaniens vis-à-vis de Miferma. Nous sommes décidés à changer de méthodes avec elle, tout en ayant bien conscience que nous avons affaire à un monstre du capitalisme international, dont l’importance physique et morale est considérable.
Vous avez tenu comme en Février 1996, un meeting d’explication. Discours ronéotypé ? je ne l’ai pas eu. Donc ce meeting, et le problème de la jeunesse.
Au meeting qui s’est tenu à la permanence du Parti, j’ai expliqué les choses très objectivement. Discours improvisé. Enregistré et diffusé en direct. Les gens disaient qu’il y avait eu des grèves, puis que les troupes avaient tiré dans le tas pour le plaisir d’en tuer. Ce n’est pas cela qui est arrivé. Effectivement, il y a eu des manifestations, qui ont tourné à l’émeute. Les forces du maintien de l’ordre ont usé de touss les moyens en leur pouvoir pour éviter l’affrontement, mais ne pouvaient pas se laisser déborder. La troupe encadrait la cité des cadres où le personnel européen était consigné. Au début, les émeutes n’avaient aucun caractère racial. Puis, elles ont dégénéré. Le raisonnement des manifestants était que les forces de l’ordre ne tireraient pas sur eux pour protéger des Européens. Mais un Etat qui ne peut pas garantir la sécurité des biens et des personnes, n’est pas un Etat. Les forces de l’ordre ont donc fait usage de leurs armes.
J’ai parlé aussi, pendant la même intervention, de la question scolaire, bien que nous n’étions pas touchés par cela. Au Sénégal, l’Université et même le secondaire et le primaire étaient touchés, alors qu’en Février 1966, au plus fort de la crise, seul le secondaire avait été touché. Le primaire n’avait pas bougé. J’ai donc rappelé notre pauvreté en cadres, et que nous avions déjà perdu une année en 1966. Mon appel a ét entendu. Il y a bien spur eu une manifestation fomentée par les étudiants revenus de Dakar, mais elle n’a pris aucune proportion inquiétante. Les examens du bac. et du brevet ont eu lieu. Et les seuls examens qui ont pu avoir lieu concernant des Sénégalais, il s’agissait de l’Ecole des enfants de troupe de Saint-Louis, se sont déroulés au lycée de Nouakchott.
Il continue, sans que je lui ai posé la question, sur ce qu’il s’est passé ensuite à l’Ambassade.
Il y a eu ensuite des manifestations à l’Ambassade. Elles ont été mal rapportées. Il s’est agi de quelques étudiants et stagiaires mauritaniens. Les travailleurs étaient venus de bonne foi, se croyant convoqués par l’Ambassadeur pour une réunion d’explications sur les événements de Zouérate. Ils sont d’ailleurs venus s’excuser le lendemain. En fait, la majorité de ceux qui sont venus ici, n’étaient pas Mauritaniens ; Il semble bien qu’il s’agisse de la FEANFE, des Sénégalais surtout, et aussi des Dahoméens. Les étudiants se prêtant un concours mutuel pour aller dans les diverses ambassades… D’après l’Ambassadeur, sur les soixante-dix personnes qui étaient là, entre les stagiaires et les étudiants, il n’y avait pas vingt Mauritaniens.

[6] - Moktar Ould Daddah, La Mauritanie, contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages) disponible en arabe et en français – p. 558

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