52 .
29 Mai 1968 &
4 Juin 2005
A Zouerate, menacée d’être débordée, la
troupe tire
&
L’affaire du poste de
Lemgheity
Le 29
Mai 1968, à Zouerate, menacée
d’être débordée par la foule, la troupe ouvre le feu : sept morts et
vingt-deux blessés [1].
Elle avait été chargée de sécuriser le « quartier européen » de la
cité minière.
Miferma … Le choc n’est pas inattendu. Ni au moment où il éclate, ni – en fait – depuis longtemps. Alors que le 23 Mai précédent, le Président de la République, Moktar Ould Daddah avait inauguré la mine de cuivre d’Akjoujt, enfin entrée en exploitation, à Zouerate, les délégués du personnel n’ayant pu être reçus par la direction de la société, avaient démissionné de leurs fonctions. Le 27, c’était la grève générale : la troupe avait été requise pour maintenir l’ordre, des renforts dépêchés. Un protocole d’accord avait été signé entre la société et les représentants syndicaux, mais le travail n’avait pas repris. Le 28, est une journée de manifestation et d’extrême tension.
Il y avait eu des précédents.
En Août-Septembre 1961, ce sont des rixes
entre travailleurs mauritaniens et sénégalais à Port-Etienne, future
Nouadhibou : grèves et manifestations à « Point central » où arrivent
les trains minéraliers, et au port. Le travail ne reprend que le 15 Septembre. En
Novembre 1963, les événements sont beaucoup plus graves : un défilé le 17
Novembre à Cansado, un dimanche, annonce la grève générale le 18 : la
ligne électrique est sabotée, certains aiguillages faussés et les lieux de
travail occcupés. Les cars transportant le personnel européen (non gréviste,
notamment parce qu’il ne bénéficie d’aucuns droits syndicaux, alors que
l’U.T.M., la centrale unique mauritanienne est toute disposée à accueillir son
adhésion) sont lapidés. Licenciements. L’armée doit intervenir mais sans heurts
et le 25, à Nouakchott, une réunion des responsables de la société et de la
centrale syndicale unique, l’U.T.M., autour des ministres du Travail, Bocar
Alpha Ba, et de l’Intérieur, Ahmed Ould Mohamed Salah, permet de régler le
conflit. On est d’ailleurs en pleine crise politique intérieure du fait de la
division du Bureau politique national à propos de l’exécution des décisions du
1er congrès ordinaire du Parti.
A Zouérate, les grèves sont d’abord de
type classique, la première – du 13 au 24 Janvier 1964 – fait suite au passage
d’une mission de la C.G.T.
française. Les revendications furent nettement formulées :
l’africanisation des responsables de la gestion du personnel subalterne, la
création d’une commission de classement des salariés bi-annuelle, le
licenciement de deux Européens, l’octroi d’une prise de salissure et de risque,
le financement d’une mosquée. Commission et mosquée furent obtenues, la prime
tarda trois ans et les travailleuyrs posèrent la question de l’application
pratique de l’article 36 de la convention collective (à travail égal, salaire
égal). Du 8 au 13 Février 1965, c’est à Zouerate, que dégénèrent des rixes
entre personnels mauritaniens et européens de Miferma : neuf blessés parmi
ces derniers [2]. Les 8
et 9, pour des raisons de personnes, des Mauritaniens attaquent des Européens à
Tazadit, et sans l’intervention personnelle du secrétaire général de la section
locale de l’U.T.M., l’ingénieur responsable du chantier eût été mis à mal. Une
grève s’ensuit. La société ne licencie que les agents mauritaniens condamnés par
le tribunal de Port-Etienne, quant aux Européens, certains prennent peur, ne
reprennent pas le travail et sont donc rapatriés. La présence très rapide de la
troupe a empêché l’effervescence de s’étendre ; les esprits se calment et
le travail reprend le 13.
Le contexte national, et
particulièrement syndical, est tendu depuis cette date. Tandis que le potentiel
minier du pays s’accroît : le 18 Juillet 1967, sont publiées la loi
agréant Somima au bénéfice du régime fiscal de longue durée, ainsi que sa
convention d’établissement –, une scission au Syndicat national des enseignants
mauritaniens se produit, le 24 Juillet, les enseignants arabes se désaffilient.
C’est le début d’une « crise syndicale » qui durera six ans et dans
laquelle se combinent pour la rendre inextricable des conflits de personnes –
le secrétaire général de la centrale unique, Malick Fall, et le ministre de
l’Intérieur Ahmed Ould Mohamed Salah seront chacun vivement contestés – et des
questions de principe, notamment celle d’une intégration au Parti unique de
l’Etat. Les conflits sociaux n’en sont
que plus malaisés à régler et la représentativité syndicale est moins apparente,
aussi bien pour le patronat que pour les salariés.
Le contexte international est celui de ce
qu’on a vite appelé « les événements de Mai ». Le 30, à Dakar,
étudiants et forces de l’ordre se heurtent violemment à l’université de
Fann : un mort et soixante-neuf blessés ; les étudiants mauritaniens
regagnent Nouakchott le même jour. En France, le général de Gaulle ressaisit
l’opinion tandis que d’importantes manifestations ont lieu en sa faveur ;
l’ordre se rétablit dans tous les domaines pendant les jours suivants, mais la
veille encore, il avait disparu et un gouvernement de transition avait commencé
d’être formé par Pierre Mendès France sous l’égide de François Mitterrand
anticipant l’échec d’un referendum projeté pour avoir lieu le 16 Juin. Le
lendemain, s’établissait, à titre temporaire, un contrôle des changes par
l’ensemble des pays de la zone franc. La rumeur avait été que les familles des
agents français ou européens de Miferma allaient être évacuées ; elle est
démentie.
Le pouvoir est lent à réagir, quoiqu’à
Nouakchott, le Comité permanent du Bureau politique national (B.P.N.) se soit
réuni dès le choc. Mais celui-ci ne décide décide l’envoi d’une mission à
Zouerate que le 2 Juin, et le Conseil des ministres n’est informé des évènements
de Zouerate que le 6.
Le 3 Juin, au cours d’un rassemblement
populaire à la Permanence
du Parti, Moktar Ould Daddah explique les évènements de Zouerate et évoque
l’anniversaire du déclenchement de la guerre israëlo-arabe. Le discours est
retransmis intégralement à la radio. Il est évident que le Parti et le Gouvernement n’avaient aucune
envie de faire couler le sang mauritanien, mais il est évident aussi qu’ils ne
pouvaient pas laisser s’installer l’anarchie et manquer à leur devoir et à
leurs responsabilités qui consistent à assurer la sécurité des biens et des
vies de tous ceux qui vivent en Mauritanie, étrangers ou nationaux.
Suit le récit des événements. Lundi 27 Mai, à la suite de difficultés
entre les travailleurs de la
Miferma et les représentants locaux de l’Union des
Travailleurs Mauritaniens, une grève a été déclenchée par l’ensemble des
ouvriers de la Miferma.
Les autorités locales sont intervenues immédiatement.
Malheureusement, les problèmes ont pris des proportions nouvelles et le gouvernement
a été obligé d’envoyer sur place des forces de l’ordre pour le rétablir.
Pendant presque trois jours, les représentants du Parti et de l’U.T.M. ont
essayé de ramener le calme dans les esprits. Malheureusement, ils n’y ont pas
réussi et l’atmosphère s’est de plus en plus tenue pour aboutir aux événements
que nous déplorons. Les
forces de sécurité ont été amenées à tirer en état de légitime défense, après
avoir fait les sommations d’usage, et en visant les jambes de la foule. Mais
plusieurs manifestants étaient à ce moment-là en train de ramasser des pierres,
ce qui explique les morts et leur nombre.
Pendant le discours du Président de la République, secrétaire
général du Parti, s’étaient assemblés quelques centaines de lycéens de tous
âges. Une banderole est agitée : « non au massacre de Zouerate, les
tueurs aux potences » et au passage du président Moktar Ould Daddah, des
cris se mutliplient « A bas la Miferma », et un
jeune parvient à hurler devant lui : « la Miferma est une base
militaire, nous demandons donc que la question de la Miferma soit
définitivement réglée, nous dénonçons les traîtres et les lâches qui tirent sur
des civils innocents. » A quoi le Président avait répondu par
prétérition : « Il
y a certains de nos compatriotes, peu nombreux il est vrai, qui veulent
exploiter ces événements pour troubler l’ordre public et inciter lesd jeunes
lycéens à l’agitation ».
De fait, les manifestants le suivent jusques devant la présidence de la République et s’y
installent, malgré l’intervention des forces de l’ordre et l’usage de grenades
lacrymogènes. L’apaisement ne se produit qu’à la tombée du jour. Entretemps, le
travail avait repris dans toutes les installations et sur tous les chantiers de
Miferma.
Dans un livre sobre, Jean Audibert, alors
directeur général de Miferma, donne une version concordante [3]
mais plus détaillée sur l’enchaînement des incidents menant au drame : « le report unilatéral et sans explication
de la réunion hebdmadaire avec les délégués par un membre du service du
personnel. Cette mesure, me dit-on, a été prise en raison d’un travail urgent
concernant l’informatique ! … peu après, une menace de sanction es
transmise à un délégué par le service du personnel, puis vient un meeting où
les onze délégués se font réprimander et démissionnent… C’est vraisemblablement
le délégué mécontent qui, lundi a déclenché, la grève des chauffeurs chargés de
conduire le personnel au travail, sans doute dans l’idée de paralyser toute
activité. Mais pourquoi, le mercredi, le bondnville qii côtoie la cité s’est-il
mis en mouvement ? On n’avait jamais vu çà. Dans ce bidonville vivent
maintenant sept mille personnes venues de partout, la plupart oisives. Malgré
nos demandes, l’administration ne s’y est pas implantée et a laissé la
situation se dégrader. Mercredi, les femmes et les enfants sont sortis de leur
ghetto et en rangs serrés, ont proféré des menaces à l’encontre des agents
européens. Ceux-ci s’étaient enfermés dans leurs maisons : ils ont eu très
peur. Jeudi, après sommation, la troupe tirait dans la foule. Résultat :
huit tués – dont six travaillaient pour Miferma – et vingt-deux blessés, qui
sont soignés dans notre clinique. Vendredi, un vote était organisé et samedi,
le travail reprenait. »
Les choses en restent là, apparemment.
Miferma se paye les services d’un sociologue, qui travaille deux ans, assisté
d’un compagnon mauritanien [4].
Du côté mauritanien, on déplace le résident, le maire, l’inspecteur du travail
et le commissaire de police mais l’on réclame le départ du directeur délégué Richardson,
et l’on redit le souhait que le directeur général s’établisse en Mauritanie.
Mais, en profondeur, les « événements de Mai », à Zouérate, ont
changé le cours de la politique mauritanienne. Les forces armées ne tireront
pas une nouvelle fois pour protéger les travailleurs étrangers contre leurs
compatriotes mauritaniens : c’est ce qui se sent et c’est ce qui se dit.
Pour Moktar Ould Daddah, un compte à rebours commence qui aboutira le 28
Novembre 1974 à la nationalisation de Miferma, qu’auront préparées presque
toutes les décisions de rupture économique à intervenir à partir de 1972 [5].
Moktar Ould Daddah tranchera donc,
donnant, après avoir avancé d’habiles tranchées, l’assaut final à “ la citadelle Miferma ” qui paraissait
inexpugnable. Pas d’indépendance sans monnaie, pas de Mauritanie indépendante
tant tant soit peu avec la
Miferma de l’époque. La société ne dépend alors de personne,
pas plus de la France
que de la Mauritanie :
elle se conduisait hors de toute référence nationale. Sa nationalisation a
effectivement suscité un mouvement populaire bien plus fort que la révision des
accords avec l’ancien colonisateur ou que notre sortie de la zone franc. Les
Mauritaniens savaient ce que représentait Miferma.
“Etat
dans l’Etat”, Miferma était non seulement le symbole vivant, mais l’exemple
concret d’une société capitaliste occidentale exploitant, avec un esprit
impérialiste, les richesses d’un pays du Tiers-Monde. Aussi, pour parachever,
ne serait-ce que partiellement, notre indépendance, pour donner une assise la
plus solide possible à notre monnaie nationale naissante, pour restituer au
peuple mauritanien l’une de ses principales richesses spoliée, il nous fallait
nationaliser Miferma. Nationalisation qui, du reste, constituait la dernière
phase de notre plan secret et de lutte de libération économique - donc
politique - les deux premières ayant été notre sortie de la zone franc et la
création de notre monnaie nationale. [6]
Mais, en 1968, Miferma est le cœur
économique et fiscal de la
Mauritanie, elle est aussi son creuset salarial.
Les exportations de minerai de fer valent
en 1963 2.600 millions de francs CFA sur les 2.850 du commerce extérieur total
de la Mauritanie ;
en 1964, 8.900 sur 9.300 ; en 1965, 12.200 sur 12.600 et en 1966, 14.000
sur 14.800. En masse salariale, les mines et carrières qui représentaient en
1962 32% du total face au bâtiment et travaux publics (la construction de
Nouakchott) : 52%, valent en 1966 68% contre 13% au B.T.P. En revanche,
les recettes fiscales, provenant des activités engendrées par celles de
Miferma, sont moindres qu’attendues : un total cumulé au 31 Décembre 1967
de 572 millions de francs CFA. L’apport décisif est direct, selon la convention
de régime fiscal de longue durée combinant acquis définitifs et avances :
à la fin de Décembre 1966, l’apport de Miferma (5.160 millions de francs CFA,
dont 1.989 définitivement acquis, et 3.171 constituant des avances à imputer
sur l’impôt sur les bénéfices) équivaut à 28,6% des concours extérieurs reçus
par l’Etat mauritanien, et constitue 22,22% du financement fondé sur ces
concours et recettes. Tout s’est passé depuis l’autonomie interne jusqu’à la
fin de 1966 comme si les recettes provenant de Miferma avaient relayé la
subvention d’équilibre budgétaire de l’ancienne métropole. En 1959, le budget
de fonctionnement est de 2.245 millions de francs CFA dont la France règle 1.198
millions. En 1962, avant que le 1er congrès ordinaire du Parti ne
décide de renoncer cette subvention, le budget de fonctionnement est de 4.752
milllions, le concours français de 1.852 millions et les recettes venant de
Miferma de 1.318 millions. En 1966, le budget reste de 4.770 millions, la
subvention est inexistante (5 millions) et la Mauritanie reçoit en
recette de Miferma 1.161 millions.
Le 4 Juin 2005, le poste de Lemgheity est attaqué. Le
nombre de morts dépasse la vingtaine. Pas plus que le guet-apens récent dans
lequel tombe dramatiquement une patrouille près de Tourine, dans la région de
Zouérate : le 14 Septembre 2008, cette attaque puis les mesures de
poursuite et d’enquête n’ont encore été éclaircies – à ma connaissance.
Salafistes ? contrebandiers ? mise en scène pour justifier l’entente
logistique avec les Etats-Unis ? dérivation par un pouvoir que le procès
de Wad Naga avait affaibli sinon ridiculisé ? mobilisation prudente,
ailleurs qu’autour de Nouakchott, des forces armées qui doutent désormais du
président régnant mais que celui-ci expédie vers l’inconnu ? En tout cas,
l’événement semble avoir conduit au changement du 3 Août suivant.
[1] - le président Moktar Ould Daddah compte un mort et un
blessé de plus que l’A F P
[2] - Les troupes envoyée de Nouakchott ont rétabli
l’ordre, mais la situation reste dangereuse : un bidonville s’est
constitué autour de la cité, le commissaire de police y loge dans une misérable
cahute et ne dispose que de cinq gendarmes, il n’y a pas d’inspection du
travail. Nous réclamons la construction d’un centre administratif digne de ce
nom mais, chose curieuse, nous avons beau proposer d’en financer discrètement
une partie, nous n’obtenons rien de substantiel. C’est à se demander si
Nouakchott tient vraiment à exercer son autorité sur cette lointaine cité
peuplée de R’guibats indomptables. Ces incidents ont tout de même un
mérite : peu à peu, nos réactions se rodent ; les Mauritaniens comme
nous-mêmes, apprenons à répondre comme il convient aux attitudes racistes qui
sont trop souvent à l’origine des conflits ; les sanctions prises vont
jusqu’au renvoi. – Jean Audibert . Miferma :
une aventure humaine et industrielle en Mauritanie (L’Harmattan . Octobre 1991 . 216 pages) pp. 162-163
[3] - ibid. op. cit. pp. 168-169
[4] - son travail n’a pas été publié, à ma connaissance, mais
Jean Audibert en donne les conclusions, op. cit. pp. 211 à 216 – il se trouve
qu’à ma demande, j’ai effectué chez Miferma, le stage d’entreprise que l’Ecole
nationale d’administration française, dont je suis l’élève, depuis mon retour
de service national déjà effectué en Mauritanie (Février 1965.Avril 1966). J’ai
donc séjournée dans les différents sites de la société en Novembre.Décembre
1967 puis me suis rendu à Nouakchott pour saisir l’image que l’autorité
mauritanienne a de Miferma. Au président Moktar Ould Daddah, dans le
moment-même, j’ai naturellement fait part de cette image que se sont faite ses
compatriotes, ainsi que des projets envisagés par la société : les
guelbs… Mon propre rapport, copieux mais
rédigé immédiatement (237 pages) : L’insertion
récroque des Mauritaniens au sein de Miferma et de Miferma en Mauritanie,
est encore inédit – J’y avais notamment relevé un cas unique à l’époque de
cumul des fonctions : le même N… après avoir été délégué du personnel
jusqu’en 1965, est secrétaire général de la section de l’U.T.M.e en même temps
que secrétaire de la section du Parti. Il est, en sus, employé par la société
pour diriger l’économat B de Zouérate, et, est à ce titre le Mauritanien le
plus élevé de toute l’entreprise, tant à Zouérate qu’à Port-Etienne, dans la hiérarchie
professionnelle. Enfin, il est responsable du club subalterne. Je
concluais : On peut se demander si
sa représentativité et son emprise sont aussi grandes qu’on l’admet, et si la
faveur que la société lui accorde beaucoup plus ouvertement qu’elle ne le fait
envers son homologue de Port-Etienne, est aussi opportune qu’il peut le
paraître. Les élections syndicales
de 1996, annulées pour un premier, puis reportées, avec un nouveau délai entre les deux tours,
montraient que l’U.T.M. n’avait pas la majorité absolue
[5] - me recevant en tête-à-tête à l’ambassade de Paris, le 24
Septembre 1968, le président Moktar Ould Daddah me dit avoir lu mon rapport de
stage chez Miferma et l’avoir enfermé à la résidence. Je lui rappelle mon enquête
à Zouérate, la tendance des dirigeants sur place à ne rien craindre. Et aussi
le problème de l’U ?.T.M. et des querelles de personnes, et le peu
d’emprise du syndicat sur les travailleurs. Alors qu’à Port-Etienne, les
questions de fractions sont réglées. J’avais insisté pour un changement complet
de mentalité de Miferma, et surtout écrit que le temps pressait. Je
l’écoute : Miferma n’a toujours pas acquis la mentalité
souhaitable. Ce qui devait arriver est donc arrivé. Influence des événements de
France également. Comme vous le savez, le transistor est très répandu en
Mauritanie. Les travailleurs et les sans-travail entendaient qu’en France les
usines étaient occupées, que les dirigeants de certaines étaient enfermés. Avec
le contexte que vous savez, ce qui s’est passé à Zouérate n’a pas eu de
répercussion, de prolongement à Port-Etienne. N… et l’U.T.M. n’avaient plus
d’emprise à Zouérate. Ce contexte que vous décrivez, et les événements de
France expliquent la crise.
Ce qui a été la
goutte d’eau faisant déborder le vase, c’est que les délégués du personnel ont
demandé à être reçus par les responsables du personnel. Ceux-ci, trois, étaient
concernés : MM. Gilbert, iton, Laurent, ont refusé, disant qu’ils
n’avaient pas le temps, occupés qu’ils étaient par la mise en place de l’ordinateur.
Les délégués qui se plaignaient déjà de ne pas être considérés, ont du coup
démissionné. Du coup, plus d’autorité syndicale, avec la disparition des
délégués qui avaient tant soit peu la confiance des travailleurs. Jusqu’alors,
le pire avait toujours été évité par le dialogue.
Je fais allusion à Doudou Fall et à ses qualités.
Oui, mais lui
aussi a été débordé, et les travailleurs l’ont accusé d’être compromis avec
Miferma. Sans qu’il ait nullement démérité, j’ai dû le changer de
commandement ; il a une subdivision maintenant en Assaba.
A la suite de ces
événements qui laissent des traces et des plaies, j’ai dit moi-même, pas à
n’importe quel niveau, moi-même à M. Audibert que ces trois Européens ne
pouvaient plus revenir en Mauritanie. Au début de Juin. Audibert a insisté pour
que M. Gilbert reste. J’ai accepté pour Gilbert, à condition qu’il soit muté à
Port-Etienne. Il ne pouvait revenir à Zouérate. Quelle n’a pas été ma
sutrprise, quand j’ai appris, alors que j’étais en tournée dans l’Adrar, à Choum,
avec Kane Tidjane, faisant l’intérim pour Fort-Gouraud, d’apprendre par les
deux chefs de subdivision qu’ils savaient, de source sûre, que ces trois
Européens allaient revenir. Je leur ai dit de ne pas se laisser intoxiquer,
mais que s’ils revenaient, ils devaient demander à la société leur départ et,
si cela échouait, les expulser. Miton, qui revenait à Port-Etienne, a été
expulsé.
Comme vous le
voyez, les choses ont changé, et ne sont plus ce qu’elles étaient l’an dernier.
Miferma maintenant doit être considérée comme une entreprise à laquelle
s’applique la loi mauritanienne. Nous lui avions laissé la bride sur le cou
pendant la période d’installation : il le fallait. En Septembre 1967,
j’avais reçu MM. Leroy-Beaulieu et Audibert (alors
respectivement président et directeur général de la société, le second succède
au premier pour la présidence en 1972 : il est ingénieur des mines et
polytechnicien tandis que le premier était inspecteur des finances, et guère
homme de terrain ni d’industrie), et leur
avait expliqué que la société a maintenant dix ans. Et dix ans, c’est beaucoup
en Afrique. La convention que nous sommes toujours décidés à appliquer, a été
signée avant l’indépendance. Nous en demandons l’application intégrale. Et je
suggérai pour terminer que la société fasse un geste à notre égard, montrant
qu’elle s’intéresse réellement au pays.
Rien n’a changé
dans le comportement de la société, d’où les événements dont nous parlons. Nous
sommes maintenant, froidement, décidés à faire respecter les lois et
règlements. Miferma n’est plus une société qui pourrait faire ce qu’elle veut.
Elle doit tenir compte des divers règlements. La manière douce et souple n’a
pas été brillante. Il ne s’agit pas maintenant de la manière forte, mais que
Miferma ne soit plus considérée comme pouvant faire ce qu’elle veut.
La table ronde
prévue pour Avril 1968 a
été renvoyée à la demande des deux partis. Elle devait avoir lieu en Octobre.
Mais Leroy-Beaulieu m’a demandé le report à Novembre. Je lui ai répété ce que
je viens de vous dire. Depuis dix ans,des événements économiques importants ont
eu lieu en Afrique : l’Union minière du Katanga, les pétroles algériens
ont été nationalisés.
Je cite l’exemple du canal de Suez que les Egyptiens, à la
surprise générale, ont pu faire re-marcher quelques mois après Novembre 1956.
Mon impression
personnelle est qu’Audibert que je croyais apte à comprendre tout cela, ou bien
n’est que l’exécutant d’une politique absolue à laquelle il ne peut rien
changer, ou bien lui-même en est partisan. En tout cas, il ne fait rien en ce
sens.
Je dis que finalement le vrai danger pour le pays, n’est
pas du tout la question culturelle et ethnique, mais bien Miferma qui peut être
un abcès de fixation et un engrenage de compromission et de provocation.
Oui. Les
événements récents ont accentué le sentiment de frustration des Mauritaniens
vis-à-vis de Miferma. Nous sommes décidés à changer de méthodes avec elle, tout
en ayant bien conscience que nous avons affaire à un monstre du capitalisme
international, dont l’importance physique et morale est considérable.
Vous avez tenu comme en Février 1996, un meeting
d’explication. Discours ronéotypé ? je ne l’ai pas eu. Donc ce meeting, et
le problème de la jeunesse.
Au meeting qui
s’est tenu à la permanence du Parti, j’ai expliqué les choses très
objectivement. Discours improvisé. Enregistré et diffusé en direct. Les gens
disaient qu’il y avait eu des grèves, puis que les troupes avaient tiré dans le
tas pour le plaisir d’en tuer. Ce n’est pas cela qui est arrivé. Effectivement,
il y a eu des manifestations, qui ont tourné à l’émeute. Les forces du maintien
de l’ordre ont usé de touss les moyens en leur pouvoir pour éviter
l’affrontement, mais ne pouvaient pas se laisser déborder. La troupe encadrait
la cité des cadres où le personnel européen était consigné. Au début, les
émeutes n’avaient aucun caractère racial. Puis, elles ont dégénéré. Le
raisonnement des manifestants était que les forces de l’ordre ne tireraient pas
sur eux pour protéger des Européens. Mais un Etat qui ne peut pas garantir la
sécurité des biens et des personnes, n’est pas un Etat. Les forces de l’ordre
ont donc fait usage de leurs armes.
J’ai parlé aussi,
pendant la même intervention, de la question scolaire, bien que nous n’étions
pas touchés par cela. Au Sénégal, l’Université et même le secondaire et le
primaire étaient touchés, alors qu’en Février 1966, au plus fort de la crise,
seul le secondaire avait été touché. Le primaire n’avait pas bougé. J’ai donc
rappelé notre pauvreté en cadres, et que nous avions déjà perdu une année en
1966. Mon appel a ét entendu. Il y a bien spur eu une manifestation fomentée
par les étudiants revenus de Dakar, mais elle n’a pris aucune proportion
inquiétante. Les examens du bac. et du brevet ont eu lieu. Et les seuls examens
qui ont pu avoir lieu concernant des Sénégalais, il s’agissait de l’Ecole des
enfants de troupe de Saint-Louis, se sont déroulés au lycée de Nouakchott.
Il continue, sans que je lui ai posé la question, sur ce
qu’il s’est passé ensuite à l’Ambassade.
Il y a eu ensuite
des manifestations à l’Ambassade. Elles ont été mal rapportées. Il s’est agi de
quelques étudiants et stagiaires mauritaniens. Les travailleurs étaient venus
de bonne foi, se croyant convoqués par l’Ambassadeur pour une réunion d’explications
sur les événements de Zouérate. Ils sont d’ailleurs venus s’excuser le
lendemain. En fait, la majorité de ceux qui sont venus ici, n’étaient pas
Mauritaniens ; Il semble bien qu’il s’agisse de la FEANFE, des Sénégalais
surtout, et aussi des Dahoméens. Les étudiants se prêtant un concours mutuel
pour aller dans les diverses ambassades… D’après
l’Ambassadeur, sur les soixante-dix personnes qui étaient là, entre les
stagiaires et les étudiants, il n’y avait pas vingt Mauritaniens.
[6] - Moktar Ould Daddah,
La Mauritanie,
contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages)
disponible en arabe et en français – p. 558
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