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24 au 26 Juin 1966 &
28 Juin 1981
A Aïoun-el-Atrouss, 2ème
congrès ordinaire du Parti du Peuple
&
Accord de Taef entre Ould
Haïdalla et le Maroc
Du 24
au 26 Juin 1966 se déroule – paisiblement – le second congrès ordinaire du
Parti du Peuple Mauritanien : c’est à Aïoun-el-Atrouss [1].
Un rite
se met en place dont le pays ne va plus se départir pendant les douze ans à
venir. Formes, rythmes et rituels démocratiques que la Mauritanie n’a plus
jamais connus ensuite. Tous les trois ou quatre ans, nonobstant les statuts du
Parti, retouchés périodiquement, la Mauritanie renouvelle à sa manière l’expression
de son consensus politique national et son équipe dirigeante. Un document
fondamental – le rapport moral du secrétaire général du Parti – est composé et
amendé en Bureau politique national, puis circulé et mis en débat dans toutes
les instances du Parti pendant plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Il
est discuté pendant le congrès en commission, à huis clos et sans
procès-verbal, puis adopté en forme de résolutios diverses [2].
Parallèlement, une « commission de désignation » établit une liste
pour la composition de l’équipe suivante. Les membres de droit deviendront
nombreux sans être jamais la majorité de cette instance d’abord élective. A
aucune de ces commissions ne participe le président de la République dont le
mandat constitutionnel est soumis à renouvellement à la suite du congrès (1966
et 1971) ou pas très longtemps ensuite (1976), selon présentation par le Parti,
en congrès aussi.
La réunion du début de l’été de 1966 est
décisive parce qu’elle fait entrer la Mauritanie dans ce rythme et dans ce rite. Les
Mauritaniens arrivent, alors, de loin… quatre mois auparavant, ils se débattaient
dans une question posant toutes les autres, et donc mettant en cause la
fondation-même de 1957-1960. Question au libellé mouvant : nature du pays,
multi-ethnicité, problème culture, garanties à accorder à la minorité… (chronique anniversaire du
« manifeste des 19 » – Le
Calame du 15 Janvier 2008). Présentant le rapport moral, le secrétaire
général du Parti Moktar Ould Daddah
examine les « données historiques et géographiques qui sont autant
de facteurs d’unité » et affirme qu’ « une nation mauritanienne
viable suppose, au niveau de tous les citoyens, noirs et blancs, une volonté
commune et inébranlable d’être mauritaniens, avec les droits et les devoirs attachés
a cette qualité ». La partition ou la fédération seraient des absurdités.
Il propose donc qu’une commission [3]
étudie le problème culturel et souligne que « le bilinguisme plaçant peu à
peu sur un pied d’égalité la langue arabe et la langue française, apparaît une
option fondamentale ». Il s’agira pratiquement d’étudier le problème avec
objectivité dans une optique nationale dépouillée de toute passion
particulariste et d’examiner les réformes de structure et le contenu de notre
enseignement. Long chemin qui n’aboutira, pour un temps, qu’en 1973.
Rapporté à ce problème
du moment encore si chaud, les réformes
de structure du Parti retiennent bien moins l’attention : « des
séminaires régionaux et nationaux axés sur des thèmes variés » alors que
Moktar Ould Daddah entend « attacher une importance toute particulière aux
mouvements parallèles » (jeunes et femmes) et observe que « les
rapports de l’U.T.M. avec le Parti doivent être précisés ». C’est pourtant
à Aïoun-el-Atrouss que s’esquisse un programme de dix ans. Une commission
économique va « dresser l’inventaire de l’ensemble de nos problèmes
économiques et étudier les conditions d’une régionalisation économique » :
« notre secteur rural a été sacrifié… les Mauritaniennes et les
Mauritaniens ne doivent pas tout attendre des autres, ils doivent se mettre au
travail » [4].
Pour
conclure, le congrès investit Moktar Ould Daddah comme candidat du Parti aux prochaines
élections présidentielles et renouvelle le Bureau Politique National [5].
Fait majeur, Mohamed Ould Cheikh qui, à la suite de son renvoi du gouvernement,
avait opté, à la demande dui Présdident, pour un commandement dans l’intérieur
du pays, n’en fait plus partie, tandis qu’Ahmed Ould Mohamed Salah, resté dans
la capitale et chargé de préparer le congrès, en est le « numéro
deux » et reçoit la « permanence du Parti », ce qui va devenir
un poste-clé pendant une dizaine d’années.
Le
Congrès est suivi sur place (les 27 et 28 Juin) d’une conférence des
Commandants de cercle. Y sont traités les élections présidentielle et
municipales, prévues pour se tenir le 7
Août 1966, le fonctionnement des communes, la question des serviteurs, le
problème scolaire et enfin les relations entre autorités civiles et militaires,
sans que cela donne lieu immédiatement à des textes d’application. L’ordre du
jour montre cependant que ce qui va structurer l’avenir du pays, jusqu’aujourd’hui
encore, est déjà présent aux instances dirigeantes.
Le 2 Juillet suivant, le Conseil des Ministres fixe au 7
Août 1966 la date des élections présidentielles et municipales pour les
communes urbaines sauf Atar, pour les communes pilotes et pour onze communes
rurales.
Le
28 Juin 1981, à Taef, le roi Khaled d’Arabie tente de réconcilier Mauritanie
et Maroc. Chef de l’Etat selon la charte du Comité militaire de salut national
et au pouvoir de fait depuis plus de deux ans, le lieutenant-colonel Mohamed
Khouna Ould Haïdalla s’entretient longuement, sous son égide, avec le roi
Hassan II. Principal bailleur de fonds pour chacun des deux pays, l’Arabie
saoudite avait la charge des intérêts marocains depuis la tentative du 16
Mars précédent (chronique anniversaire – Le Calame du 11 Mars 2008), celle de deux des principaux membres du
comité militaire initial, les lieutenants-colonels Ahmed Salem Ould Sidi et
Mohamed Ould Ba Abdel Kader. Un accord est signé par les ministres des Affaires
étrangères : M’Hamed Boucetta pour le Royaume chérifien et le lieutenant
de vaisseau Dahan Ould Ahmed Mahmoud pour la République islamique, en
présence des deux rois et du président du comité militaire.
On décide que chacun opposera son « refus à toute force hostile à l’une ou
l’autre partie de transiter par leur territoire ou d’y stationner » : entendons les Sahraouis
allant de Tindouf au Sahara, censément marocain, par le Tiris Zemmour, et tout
ressortissant mauritanien s’activant contre le régime militaire en Mauritanie.
On précise l’« interdiction
sur leur territoire de toute activité politique ou militaire hostile à l’un ou
l’autre pays et refus d’abriter ou d’aider les ressortissants de l’un ou
l’autre pays qui s’adonnent à de telles activités » et l’on se promet mutuellement la « fin des
campagnes d’information hostiles ». Les relations diplomatiques vont
reprendre, fondées « sur
la coexistence pacifique, le respect mutuel de la souveraineté, la
non-ingérence de chaque partie dans les affaires intérieures de l’autre et
l’instauration de la solidarité islamique ». Pour la suite, on aura « recours au dialogue ».
La
Mauritanie réaffirme
sa position de neutralité entre le Polisario et le Maroc, telle qu’elle l’avait
annoncée en s’accordant avec les Sahraouis à Alger en 1979. La coopération
culturelle entre les deux pays est maintenue : cent deux enseignants
marocains en Mauritanie et mille cinq cent boursiers mauritaniens au Maroc.
Enfin, les deux pays coopèreront dans « le renforcement de la sécurité et la préservation de la
stabilité, ainsi que dans l’affrontement en commun des défis lancés à la nation
arabe et islamique et des dangers qui la menacent ». Une commission tripartite au niveau des ministres
des Affaires étrangères (Mauritanie, Maroc et Arabie saoudite) va suivre
l’application de cet accord.
Le lendemain, Ould Haïdalla quitte
l’Arabie saoudite et le Maroc publie l’accord. L’Algérie assure aussitôt
qu’elle « ne peut que saluer cette normalisation entre deux pays
voisins ». Huit jours plus tard (le 9 Juillet), les vols de Royal Air Maroc reprennent vers la Mauritanie et retour.
L’ « homme fort » discourt, pour le troisième anniversaire du
putsch ayant renversé le président Moktar Ould Daddah : « une perspective nouvelle apparaît déjà
dans la région depuis que le roi du Maroc a donné son accord pour
l’organisation d’un referendum d’autodétermination du peuple sahraoui » et « l’Afrique doit être un continent neutre », mais il ne commente pas plus
précisément l’accord de Taef. Le 11 Juillet, Dahane Ould Ahmed Mahmoud donne le
détail avec un message personnel d’Haïdalla à Khadafi, tandis que le Koweit
est prié par la Mauritanie
d’appuyer l’accord.
Le conflit n’est qu’apparemment résorbé,
et la tentative des deux colonels n’en était pas l’épisode principal. Il s’agit
fondamentalement du problème saharien et de l’animosité traditionnelle entre le
Maroc et l’Algérie : la
Mauritanie se trouve entre marteau et enclume. Moktar Ould
Daddah plaidant pour l’indépendance algérienne dès l’autonomie interne de son
propre pays et déplorant la revendication marocaine en savait quelque chose.
Le 6 Mars 1981, Hassan II, pour le 20ème
anniversaire de son accession au trône, avait certes redit son souhait d’une
concertation avec l’Algérie « au sommet » mais assuré que « la récupération de notre Sahara est bel
et bien accomplie. Ce Sahara est le nôtre… », et en visite privée à Paris, accompagné du général Dlimi,
il s’était assuré à l’Elysée de l’appui français. Parallèlement, la Mauritanie du comité
militaire s’assurait le nouveau président sénégalais : Abdou Diouf, à
Nouakchott, avait affirmé que les deux pays sont « un seul peuple séparé
en deux Etats », ce qui marquait un revirement de la politique du Sénégal
telle que l’inspirait Senghor en soutenant le Maroc pour lutter contre l’influence
du Polisario, de l’Algérie et de la Libye. En échange, Ould Haïdalla avait cru
obtenir la « neutralisation » du mouvement d’opposition,
l’Association pour une Mauritanie démocratique, installé à Dakar. Riposte de L’Opinion (organe de l’Istiqlal dont le
secrétaire général M’Hamed Boucetta est le ministre des Affaires étrangères du
Maroc) : « toute
agression dont le point de départ serait le territoire mauritanien
constituerait une agression mauritanienne contre le Maroc ». Et cyniquement, l’éditorialiste
avait observé que « la Mauritanie ne saurait résister politiquement,
économiquement et militairement à une guerre qui durerait tant soit peu. Le
Polisario est peut-être en train de créer les conditions de son anéantissement,
mais le prix en serait payé essentiellement par la Mauritanie ». Exactement la conversation que
Boumedienne avait fait subir cinq ans et demi plus tôt à Moktar Ould
Daddah : « une
réaction marocaine ne saurait tarder dans le cadre du droit et de la défense de
l’intégrité territoriale ».
Se plaçant en flèche, Sid’Ahmed Ould
Bneijara, le Premier ministre civil, avait communiqué, en Conseil des ministres,
sur « l’intention
maintenant certaine du roi Hassan II de lancer une agression contre la Mauritanie. Le
gouvernement met en garde le Maroc contre toute aventure irraisonnée dont il
serait le seul responsable et qui n’aurait pour résultat qu’un embrasement
général de toute la région … tout en relevant la gravité de cette situation qui
voile à peine le sintentions malveillantes et connues du régime royal marocain
à l’égard de notre pays et de notre peuple, attire l’attention de tous ses amis
sur les risques graves que fait peser cette attitude contre la paix et la
stabilité dans la région ouest-africaine ». Ahmedou Ould Sidi Henena, ministre de l’Information, avait
démenti l’existence de bases Polisario en Mauritanie. A quoi avait répondu
M’Hamed Boucetta : « jamais nous n’avons eu l’idée de nous immiscer ou
d’intervenir d’une façon ou d’une autre dans les affaires intérieures de la Mauritanie. Mais,
en fin de compte, nous ne pourrons pas accepter que le territoire d’un pays
voisin et ami – quelle que soit notre volonté d’avoir les meilleures relations
avec lui – puisse servir de base pour lancer des attaques contre nous. Le Maroc
ne resterait pas les bras croisés si des ataques ou une agression étaient
lancées à partir du territoire mauritanien. Selon des informations recoupées,
il semble qu’il y ait des mouvements, voire une installation de bandes de
mercenaires en territoire mauritanien. Le Maroc a toujours souhaité et souhaite
toujours avoir de bonnes relations avec la Mauritanie. Il
souhaite aussi que cette neutralité, déclarée par la Mauritanie, soit une
neutralité réelle, plus particulièrement lorsqu’il s’agit de garder son
territoire loin de toute possibilité de servir de base à des agressions contre
un pays voisin. »
C’est donc dans une ambiance très tendue
d’Etat à Etat qu’avait eu lieu la tentative de renversement d’Ould Haïdalla par
ses anciens pairs. L’accord de Taef change en partie la donne en transportant
la confrontation sur la scène internationale et en faisant poser la question
d’un cessez-le-feu entre Marocains et Sahraouis. L’été se passe jusqu’à ce que
le Polisario, lassé d’attendre un signe de Rabat, se manifeste de nouveau et
spectaculairement : le 13 Octobre, il occupe Guelta-Zemmour à la suite
d’une bataille d’anéantissement du 4ème régiment des forces armées
royales (deux mille cent morts pour une troupe de deux mille six cent hommes.
Pour Mohamed Abdelaziz (président de la République arabe sahraoui, qui le télégraphie à
Daniel Arap Moi, président du Kenya et président en exercice de l’OUA), les
opérations militaires ne prendront fin que lorsque le Maroc « entamera des
négociations pour aboutir à un accord de cessez-le-feu … La
résistance sous toutes ses formes du peuple sahraoui, en légitime défense, est
un choix que l’agression marocaine lui impose ». La Mauritanie est de
nouveau accusée par le Maroc de servir de base arrière, et donc que s’exerce
contre elle le droit de suite, quoiqu’elle proteste. L’aviation marocaine
intervient alors, en fin de semaine, sans considération de la frontière
mauritanienne (chronique
anniversaire – Le Calame du 22
Octobre 2008).
[1] - à ce congrès et à son contexte, aux solutions retenues ,
Moktar Ould Daddah consacre un long développement dans ses mémoires : La
Mauritanie, contre
vents et marées (éd.
Karthala . Octobre 2003 . 669 pages) disponible en arabe et en français : pp.
353-354 puis 359-360, puis à leur suivi qui va, quant à la relation entre
l’U.T.M. et le Parti, et aussi quant à la régionalisation de l’administration
et des gestions territoriales, dominer la politique du pays jusqu’en 1975
[2] - Moktar Ould Daddah expose cette manière de faire dans
ses mémoires, op. cit. p. 575
[3] - en font partie les anciens « opposants » :
Sidi el Moktar N’Diaye, Souleymane Ould Cheikh Sidya et Bouyagui Ould Abidine
[4] - en font notamment partie : Hadrami
Ould Khattri, Elimane Kane, Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, Mohamed el Moktar Ould Bah, sous la présidence
du ministre de l’Education
[5] - élus : Moktar Ould Daddah, secrétaire
général - Ahmed Ould Mohamed Salah - Birane
Mamadou Wane - Sidi Mohamed Ould Abderrahmane - Mohamed el Haiba Ould Hamody -
Hamoud Ould Ahmedou - Bakar Ould Sidi Haiba - Samory Ould Biye - Mohamed Ba -
Mohamed Abdallahi Ould El Hassen - Yahya Kane - Hamdi Ould Mouknass - Mohamed
Moulaye, auxquels s’adjoignent en membres de droit : le président de la République (Moktar Ould
Daddah, membre déjà élu), le président de l’Assemblée : Cheikh Saad Bouh
Kane et le président du groupe parlementaire du Parti : Youssouf Koïta
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