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3.5 Mai 1979 & 4 Mai 1989
Le colonel Ahmed Ould Bouceif n’envisage
pas de cession pure et simple du Sahara
La
Mauritanie
saisit les Nations Unies du conflit ethnique au Sénégal et de ses conséquences
à Nouakchott et Nouadhibou
A dix ans d’intervalle, deux ruptures
qui déterminent encore l’actualité et le devenir mauritaniens.
Le 5
Mai 1979, se termine une navette du sous-comité de l’Organisation de l’Unité
Africaine sur le Sahara : elle a été décidée, le 13 Mars précédent à
Nouakchott en réunion au niveau des ministres. Les présidents Obasanjo et
Traoré du Nigéria et du Mali, en compagnie de Edem Kodjo, secrétaire général de
l’Organisation ont commencé leurs consultations à Nouakchott le 1er,
puis se sont rendus à Alger les 3 et 4, et à Fès les 4 et 5 Mai.
La Mauritanie est en réalité le
centre du jeu. Elle le doit au Premier ministre, le colonel Ahmed Ould Bouceif,
désigné à ce poste nouvellement créé par le Comité militaire, lui-même
réorganisé le 6 Avril (Le Calame, 8 Avril 2008 – chronique anniversaire du 6 Avril 1979). La Charte du 11 dispose
que c’est lui qui « conduit la politique intérieure et extérieure du pays,
conformément aux orientations et aux options du C.M.S.N. ». Dès le 13
Avril, le nouvel « homme fort » a exposé la position
mauritanienne dans des termes qui auraient pu être ceux du président
Moktar Ould Daddah, ou presque : soutien des résolutions des Nations unies,
autodétermination, pas de remise en cause de l’alliance avec le Maroc. Il est
prêt à recevoir une délégation algérienne. Réponse dès le lendemain du
Polisario : celui-ci fait du retrait des « troupes
d’occupation » un préalable à la négociation ». On biaise alors à
Nouakchott : le 16, la
Mauritanie se déclare prête « en accord avec le Maroc à
entamer des pourparlers officiels avec l’Algérie et le Front Polisario pour
parvenir à un règlement négocié du conflit du Sahara occidental ».
En fait,
au sein du Comité militaire l’accord se fait, le 18, sur un document interne, qui va rester secret :
les lieutenant-colonels Ahmed Ould Bouceif et Abdel Kader le signent seuls :
la paix au Sahara ne peut être que « globale », pas de cession
unilatérale du territoire mauritanien. C’est aussi la position du président du
Comité militaire, Mustapaha Ould Mohamed Saleck, qui, avant d’être dépossédé
d’une partie du pouvoir qui lui avait été attribué au début du régime
militaire, avait, le 21 Mars, écarté trois
ministres favorables à la négociation avec le Polisario : le commandant
Jiddou Ould Saleck, ministre de l’Intérieur – Sid’Ahmed Ould Bneijara, ministre
des Finances – et Mohamed Yehdih Ould Bredeleill ministre de la Fonction publique. Ce
sont maintenant eux qui orientent leurs collègues et le pays. Ils préconisent
une politique de bon voisinage avec les deux « frères ennemis » que
sont l’Algérie et le Maroc. D’ailleurs, pour eux, comme pour la plupart des
responsables mauritaniens dans les années 1970, avant ou après le putsch auquel
ces deux officiers – significativement – n’ont pas participé,
l’autodétermination ne peut que confirmer l’option des Sahraouis pour leurs
frères maures. Origine de Kiffa comme Mustapha Ould Mohamed Saleck, Ahmed Ould
Bouceif connaît cependant très bien le grand nord : préfet un temps à Bir
Moghrein, il a été gouverneur adjoint à Nouadhibou, puis à F’Derick avant
d’être quelque temps chef d’état-major. Il revient à Zouerate pour commander en
1997 la 2ème région militaire, la plus malmenée par le Polisarion,
mais au moment du putsch, renversant le président Moktar Ould Daddah, il
commandait la 5ème à Nema.
Homme complet, il est
assurément capable de traiter aussi les questions intérieures, mais il préfère
les laisser mûrir : ni les institutions ni les interrogations soulevées
par l’arabisation de l’enseignement ni le fonctionnement de l’administration ne
sont à l’ordre du jour. La politique extérieure, le Sahara, l’accapare. Tandis
que le 24 Avril, le Polisario détruit la
station n° 2 du tapis convoyeur de phosphates de Bou Craa, à Nouakchott, le
Premier ministre Ahmed Ould Bouceif ouvre le 2ème Conseil des
ministres de « l’accord de non agression et d’assistance en matière de
défense » (l’A.N.A.D. créé en 1977 à Abidjan) ; l’instance est suivie
du conseil des ministres de la C.E.A.O.
C’est la politique d’intimité égale entre les voisinages et les problèmes du
nord, et ceux du sud. Dès qu’il a reçu, le 1er Mai, les présidents
nigerian et malien, Ahmed Ould Boucei, se rend en visite de travail au Maroc,
et de là à Paris (2 et 3 Mai) ; il est accompagné du ministre des Affaires
étrangères Ahmedou Ould Abdallah. Le 5 Mai, il rentre de Paris via l’Espagne,
puis à nouveau Fès : pas de cession pure et simple de la partie
mauritanienne du Sahara occidental, au préalable l’auto-détermination.
Manifestement, il a le soutien du président Giscard d’Estaing. Et le 7 Mai, un éditorial
de Chaab sur le referendum au Sahara fixe la position mauritanienne. Pas
pour longtemps, puisque, le 28, après avoir tenté d’atterrir à Dakar-Yoff par
tempête de sable, l’avion du Premier ministre – un Buffalo avec quatorze personnes à bord – s’abîme en mer :
Ahmed Ould Bouceif venait participer au sommet de la Communauté économique
des Etats de l’Afrique de l’Ouest : Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal,
et Abdoul Diouf, alors son Premier ministre, l’attendant officiellement, voient
passer en rase-motte l’appareil dont le contact est aussitôt perdu. L’ouverture
de la conférence est reportée.
C’est un tournant dans l’histoire de la Mauritanie. La
rupture du 10 Juillet 1978 pouvait peut-être se réparer en partie. Cette mort
accidentelle change tout jusqu’à aujourd’hui. Les premiers à s’en rendre compte
sont paradoxalement les militaires, désormais livrés à eux-mêmes sans plus
aucune personnalité d’exception. En dépit des apparences, le grand disparu
n’avait pas la majorité au Comité militaire de salut national, mais il en
imposait, personnellement . Le 5 Août 1979, sera signé à Alger, un accord
disposant du Sahara et qui était inimaginable trois mois auparavant.
Le 4
Mai 1989, la
République Islamique saisit les Nations Unies. La démarche
mauritanienne tend à connaître le sort des quelques 450.000 Mauritaniens vivant
au Sénégal. Le 27 Avril, Abdou Diouf les estimés à 500.000. Le conflit né des
incidents de (Le Calame, 8
Avril 2008 – chronique anniversaire du très grave incident du 9 Avril 1989, à
Diawara (Bakel) sur le Fleuve & 22
Avril 2008 & Le Calame, 22 Avril
2008 – chronique anniversaire des massacres à Nouakchott et à Nouadhibou, les 24 . 25 Avril 1989 à la suite de ceux perpétrés
au Sénégal ) a dégénéré dramatiquement. Pour les
autorités dont l’ambassade à Dakar a été assiégée, l’intervention à la
télévision du président sénégalais, Abdou Diouf , le 27 Avril, a été une
« regrettable déclaration qui a mis le feu aux poudres ». C’est ce
qui a provoqué « un début de manifestations et d’actes de violence limités
à Nouakchott et à Nouadhibou qui ont été rapidement maîtrisés suite à
l’intervention vigoureuse des forces armées et de sécurité, et à l’instauration
d’un couvre-feu respecté ». Pour la partie sénégalaise, la responsabilité de la Mauritanie dans les
événements ne fait pas de doute. Il est demandé aux chefs religieux de prier
pour les morts sénégalais, que le Financial Times évalue à au
moins vingt-deux. Son éditorialiste, Ray Medlock, confirme : “ la bombe à
retardement économique et raciale explose », AFP Dakar donne un papier
sur « l’irremplaçable ‘Maure du coin’ », en France, L’Humanité titre
sur « l’alibi ethnique » (Claude Kroës).
Le 28 Avril, tandis qu’est proclamé l’état d’urgence pour Dakar et sa région – il sera
prolongé jusqu’au 19 Mai –, le principal opposant à Abdou Diouf, M° Abdoulaye
Wade se dit prêt à se mettre « à la tête d’un comité national de
crise » pour régler le problème des Mauritaniens au Sénégal. Selon lui, ce
« règlement entrainera automatiquement la détente en Mauritanie » ;
il faut « une solution politique au lieu de l’escalade qui s’annonce
dangereusement ». On en est à la rupture de fait des relations
aériennes : le 29 après-midi, selon
AFP Nouakchott – Air-Sénégal
se voit refuser atterrissage à Nouakchott en représaille des agressions
sénégalaises contre des passagers d’un vol Air-Mauritanie
sommé de quitter Dakar alors que l’ensemble des réfugiés n’a pas encore
embarqué. Surtout, une foule énorme se masse aux alentours du périmètre de la Foire internationale où se sont
réfugiés 20.000 mauritaniens. C’est alors que par téléphone, à la demande d’Abdou Diouf, le président du Comité
militaire à Nouakchott, le colonel Maaouyia Ould Sidi Ahmed Taya convient d’un
rapatriement des ressortissants respectifs. Le pont aérien ne se met en place
qu’avec le concours de l’Espagne, de la France, du Maroc et de l’Algérie : en trois
jours, 54.000 rapatriements s’effectuent ainsi, mais dans le plus grand
désordre. AFP Nouakchott rapporte que les propos de Mustapha Ould
Abeïderrahmane, alors ministre de l’Information : « Il n’y a pas eu
de Mauritaniens qui ont été envoyés au Sénégal. Je n’exclus pas que certains
rapatriés arrivés à Dakar aient été en possession de papiers mauritaniens, mais
je n’en reconnais pas qui aient des papiers en règle. Dans la formation de
notre jeune Etat, un certain nombre de papiers ont pu être faits
frauduleusement ». Les expulsions sont justifiées en raison de l’attitude
des responsables sénégalais. Il est soutenu que des Sénégalais d’origine
mauritanienne quittent le Sénégal par peur, tandis que les Mauritaniens
d’origine sénégalaise partent sur ordre des autorités de Nouakchott…
Le Monde du mercredi 3 Mai titre – « sauve qui peut au
Sahel » : « il apparaît que la riposte des Mauritaniens au
pillage des magasins de leurs comaptriotes à Dakar a pris les proportions d’un
massacre organisé, avec des atrocités dont le récit ne pouvait que mettre le
feu aux poudres au Sénégal ». Au Sénégal, c’est la catastrophe
économique : subitement les détaillants mauritaniens ont disparu, ils
tenaient 80% du commerce de proximité. En même temps qu’un problème
d’approvisionnement quotidien se pose celui d’une organisation parallèle du
crédit. Les Libanais non payés se sont servis et sont désormais les seuls
débiteurs des industriels. Une journée de deuil est décrétée par Abdou Diouf.
Le même jour, AFP Dakar tente une comptabilité macabre : cent
cinquante à deux cent morts en Mauritanie et cinquante cinq au Sénégal. Les
estimations iront jusqu’à trois cent morts. AFP
Dakar finira par admettre (19 Octobre 1995) que le nombre des victimes n’a
jamais été précisé, ni de part ni d’autre.
Dans le moment, la confusion est extrême.
Le 4, arrive une centaine de Mauritaniens en uniforme de policiers dans la
cour du ministère de la
Justice sénégalais… précédemment détenus de droit commun en
Mauritanie et expulsés. AFP Dakar cite le cas de 2
à 3000 sénégalais d’origine mauritaninne, qui ne peuvent aller en Mauritanie
qui n’est pas leur pays, ni retourner dans les rues de Dakar où leur
« apparence mauritanienne » les mettrait en danger. AFP Nouakchott commente le « désarroi des
pêcheurs noirs au port fantôme de Nouakchott » et surtout l’incertitude sur le sort des Mauritaniens
d’origine sénégalaise : rumeur d’une décision d’expulser les naturalisés
depuis 1966. AFP
Abidjan indique que l’Association
des juristes africains demande au Sénégal et à la Mauritanie l’arrêt
immédiat « des procédures de refoulement systématique prises à l’encontre
de leurs propres nationaux du seul fait qu’ils sont originaires de l’autre
pays ». Enfin, commencent les premiers procès à Dakar pour actes de
vandalisme. Les fêtes religieuses contribuent cependant à l’apaisement. Celle
de l’Ascension, pour les chrétiens à Dakar, et surtout dans la nuit du vendredi
au samedi 6 Mai, la fin du Ramadan. Le 9, le président du Comité militaire
s’adresse aux Mauritaniens : la classe politique sénégalaise interprète le
discours « ferme sur le fond, mais assez subtil dans la forme »
(selon Libération),comme une ‘tentative de division’. Maaouyia Ould
Sid’Ahmed Taya accable en effet les autorités de Dakar mais remercie les chefs
religieux… AFP Dakar commentant l’agence nationale sénégalaise APS présente ce discours comme une
« sortie malheureuse et déplorable… une tentative délibérée de destruction
de l’honneur du Sénégal… cette charge de très faible portée n’atteindra
personne ». Pourquoi ? parce que la Mauritanie « a
toujours bafoué les droits les plus élémentaires de l’homme et de la dignité
humaine » tandis que le Sénégal est « un pays démocratique…la presse
y exerce librement, sans entraves, son métiers. Ce qui est impensable en
Mauritanie ». Le lendemain s’interrompt le pont aérien. Les expulsions se
poursuivent mais par la route.
Une fracture
décisive entre les deux pays est intervenue. Le 21 Août, les relations
diplomatiques seront durablement rompues. Elles ne seront rétablies qu’en 1992.
La Mauritanie
publiera le 4 Novembre un « livre blanc ». La situation intérieure
n’en sera pas améliorée et l’amalgame – tentant pour un régime autoritaire – se
fera entre les complots supposés des militaires originaires de la Vallée du Fleuve, et les
« chasses aux Maures » sur la rive gauche et à Dakar, où est regardé
avec bienveillance les Forces de libération africaine de la Mauritanie :
F.L.A.M.
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