mercredi 23 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà dans Le Calame . 22 Décembre 2009



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26 Décembre 1979   &    24 Décembre 1991


Le Maroc évacue Bir Oum Ghrein
&
Clôture du délai pour les dépôts de candidatures à la première élection présidentielle pluraliste

 






Deux longues histoires, dont les rebonds ne sont pas encore - aujourd’hui – terminés : elles commencent en fait avec le premier coup militaire, celui du 10 Juillet 1978, à l’origine morale et juridique de tous les suivants. Les tensions périodiques avec le Maroc du fait du Sahara et la nécessité d’un très long et incertain parcours pour ceux qui souhaitent arriver au pouvoir autrement que par les armes, datent du renversement de Moktar Ould Daddah. S’il y a eu un changement dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie, il fut là. Le pays n’en finit pas depuis de chercher les axes de sa présence internationale et les formes de sa démocratie.

 



Le 26 Décembre 1979,  le Maroc évacue Bir Oum Ghrein. Ce ne fut pas sans des retards et des réticences tels que la Mauritanie redouta une annexion de fait et dut faire appel aux Nations Unies.

Pour soutenir la guerre saharienne qui lui était imposée par le colonel Boumedienne – malgré l’accord que ce dernier avait donné à l’entente Nouakchott-Rabat devant les chefs d’Etat membres de la Ligue arabe – la Mauritanie avait fait appel à des troupes étrangères (traité de défense signé le 13 Mai 1977). Celles-ci – jusqu’à quinze mille hommes environ – ne  furent que marocaines et elles tenaient plus les arrières jusqu’à Akjoujt que les lignes de front. Signé le 5 Aout précédent, l’accord d’Alger dit de « paix définitive » entre la Mauritanie et le Polisario signé à Alger était complexe : la Mauritanie n’abandonnait qu’à terme et conditionnellement le Tiris El Gharbia, elle en conservait l’administration provisoire jusqu’à ce que le statut juridique de la région soit défini. Elle ne reconnaissait pas la République arabe sahraouie démocratique, mais une clause secrète prévoyait l’évacuation du Tiris El Gharbia dans les sept mois (donc au 5 Mars 1980). Le 9 Août, le Maroc décide de retirer ses troupes stationnées dans la région de Zouerate (4000 hommes). Le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdallah est alors l’ « homme fort » avec le titre de Premier ministre. La fonction civile paraît modeste, introduite en Mauritanie pour placer Ahmed Ould Bouceïf sans écarter d’apparence Mustapaha Ould Mohamed Saleck  (cf. Le Calame 8 Avril 2008 . chronique anniversaire du 6 Avril 1979, le pouvoir confié à Ould Bouceiif) : elle ne l’est pas à l’époque. Il se rend le lendemain à Rabat : « le Maroc et la Mauritanie s’engagent à ne rien faire qui puisse porter atteinte à la sécurité réciproque de leurs deux pays ». C’est donc la paix ?

Mais le Polisario qui avait déjà intimidé la Mauritanie, à la veille du sommet de Monrovia, le 12 Juillet 1979, en rompant unilatérament le cessez-le-feu  (attaque contre Tichla faisant soixante-et-un prisonniers mauritaniens), récidive le 11 Août : une colonne Polisario de « 3000 hommes » marche contre Bir Anzaran, près de la frontière mauritanienne. N’attendant que cela ? « principe de précaution » dirait-on aujourd’hui, le Maroc prend le contrôle de la zone mauritanienne du Sahara occidental, occupe par la force Dakhla et rebaptise le Tiris-el-Gharbia en Oued Ed-Dabat (traduction littérale de Rio de Oro) dont les chefs de tribu font aussitôt serment d’allégeance. Naturellement, la Mauritanie demande au Maroc de retirer ses troupes de Mauritanie : le Premier ministre Haïdalla s’en entretient avec le roi Hassan II. Vainement, tandis que le lieutenant colonel Abdel Kader, ancien membre du CMSN, annonce la création d’un comité d’ « officiers libres » opposés à l’accord d’Alger.

Sans doute, à la demande du comité ad hoc de l’OUA, le Polisario libère les Mauritaniens capturés à Tichla, le mois précédent. Sans doute aussi, le 14 Août, sont rétablies les relations diplomatiques avec l’Algérie. Mais le Maroc a pris possession de la totalité de l’ancienne possession espagnole et il reste encore neuf mille de ses soldats en territoire mauritanien, limites de 1960… Beau résultat aussi bien pour les Mauritaniens que pour les Sahraouis. A Nouakchott, on ne sait comment traiter le fait accompli : le 15 Août,   la Mauritanie se retire formellement du Tiris El Gharbia à la suite de « l’agression » du Maroc contre son administration provisoire à Dakhla. Comme suite au coup de force marocain, le Premier ministre Ould Haidallah proteste et déclare qu’il «  ne lui est plus possible de mettre en œuvre les engagements souscrits concernant ce territoire ». Aussitôt, le Polisario critique la passivité mauritanienne devant l’occupation par le Maroc de la partie du Sahara qu’elle administrait : «  la Mauritanie par l’empressement qu’elle montre, est en train d’effectuer une opération qui relève de la confusion ». Pour y ajouter, le 17 Août, Ahmed Boucetta, le ministre marocain des Affaires étrangères, vient à Nouakchott, ans y convaincre personne, tandis que le 18, son homologue espagnol Marcelino Oreja est plus lucide : le territoire abandonné par la Mauritanie reste un « territoire international ». Habilement, le 19, à Fès, le roi Hassan II réagit avec violence à l’accord d’Alger et stigmatise «  la débandade politique des responsables de Nouakchott », alors qu’évidemment cet accord le sert. Plus grave, le Maroc avertit les Nations Unies qu’il ne se considère pas lié par 16ème sommet africain de Monrovia : « conférence tam-tam ». L’annexion de fait du Sahara anciennement sous administration espagnole va désormais dominer l’ensemble des problèmes maghrébins et empêcher tout processus d’unification. La Mauritanie demande, au contraire, aux Nations unies de prendre acte de l’accord d’Alger du 5 Août ; elle va devoir déployer bien plus d’efforts diplomatiques que Moktar Ould Daddah pour faire accepter l’accord de Madrid réunissant ce territoire à la mère-patrie. Le 21 Août, Ahmedou Ould Abdallah, le ministre des Affaires étrangères du Comité militaire de salut nationale (C.M.S.N.) commence à Dakar une tournée d’explications de la position mauritanienne sur le Sahara et la terminera à Ryad : la Mauritanie n’est « pas un Etat girouette ». On ne l’entend qu’au débutr de Septembre, à Cuba, pendant la 6ème conférence des Non-Alignés : « l’extension de l’occupation par le Maroc du Sahara occidental précédemment administré par la Mauritanie » y est déplorée.  A Nouakchott, des manifestations sont organisées contre le roi du Maroc et « ses appétits expansionnistes ». Très tardivement, Paris communique que « prenant acte des déclarations des dirigeants mauritaniens affirmant leur neutralité dans l’affaire du Sahara, (la France) souligne l’amitié et la solidarité qui l’unissent à ce pays » et se décare prête à l’aider à sa reconstruction.

Le Maroc, dans cette ambiance, va-t-il évacuer la Mauritanie ? Du 10 au 12 Septembre,  les troupes marocaines se retirent de Mauritanie, sauf de Bir Oum Ghrein où demeurent plus de 1000 hommes. Annexion en cours ? puisque le poste est évidemment stratégique. En désespoir de cause, le Premier ministre se rend alors en France et que Moktar Ould Daddah est « évacué » vers Paris, pour raison de santé. Il est possible que Valéry Giscard d’Estaing ait accepté de protéger les frontières septentrionales de la Mauritanie à condition que le président-fondateur soit libéré. Seul tenu au courant dans le Comité militaire, Ahmedou Ould Abdallah. Le 23 Septembre, la Mauritanie déclare non gratae trois diplomates marocains.

Le suspense continue : le 16 Novembre, le Maroc annonce son prochain retrait de Bir Oum Ghrein tandis que la Mauritanie accepte de participer à la réunion à Monrovia du Comité des sages de l’OUA sur le Sahara occidental, à l’invitation de William Tolbert. Ayant fait montre de bonne volonté et ses arrières couverts, Nouakchott peut ainsi saisir le Conseil de sécurité, les instances de l’OUA et de la Ligue arabe, celles du Mouvement des non alignés pour traiter du maintien des troupes marocaines à Bir Oum Ghrein : le retrait marocain ne peut être lié au retrait mauritanien de La Guera. Deux imbroglios alors. La saisine mauritanienne ne parvient pas matériellement aux Nations unies, et l’une des meilleures têtes des putschistes, le commandant Jiddou Ould Saleck est tué dans un accident d’auto, à trois cent kilomètres de Nouakchott, sur la route de l’Espoir. Aucun des successifs chefs de la première des juntes militaires n’admettra qu’il a été assassiné.

Nouvelle preuve de bonne volonté : le 3 Décembre, la Mauritanie accepte de se retirer de La Guera et de le rétrocéder à qui de droit lorsque la paix sera revenue au Sahara : en attendant, sa présence se justifie pleinement (proximité immédiate du centre économique du pays) « l’une des garanties fondamentales de notre neutrralité ». A Tunis, il est publié que la Mauritanie a accepté de retirer sa plainte déposée auprès de la Ligue arabe pour le refus marocain d’évacuer Bir Moghrein, en vue d’obtenir l’évacuation des troupes marocaines du territoire mauritanien. Démenti à Nouakchott : le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Ould Abdallah, retour de Monrovia, où se tenait le comité des sages de l’OUA, demande au Maroc d’évacuer la partie du Sahara occidental évacué par la Mauritanie. « La Mauritanie n’est plus partie prenante dans le conflit du Sahara. Elle a proclamé sa stricte neutralité. Elle reste cependant préoccupée par le sort de la paix dans la région ».

Tandis que se rouvre l’ambassade d’Algérie, qu’une coppération reprend avec elle pour faire enfin démarrer la raffirnerie de Nouadhibou, le 23 décembre, la Mauritanie demande au Maroc le départ de certains ressortissants marocains jugés indésirables. C’est finalement – comme en Septembre 1969 pour « normaliser » la relation avec la Mauritanie – le roi Hassan II qui conclut sagement : il nomme Ahmed Amjad ; ambassadeur en Mauritanie, et assure que «  les nuages qui polluent actuellement le climat entre le Maroc et la Mauritanie sont totalement étrangers à la nature des relations entre les deux pays ». Bir Oum Ghrein est enfin évacuée, mais dans les mois et années à venir, le conflit prendra une autre forme : le Maroc accusera périodiquement la Mauritanie de servir de base au Polisario contre l’annexion du Sdahara occidental… et le manifestera par la force  (cf. Le Calame 21 Octobre 2008 . chronique anniversaire des bombardements marocains le 22 Octobre 1981 en territoire mauritanien).
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Le 24 Décembre 1991, se clôt le délai pour le dépôt candidatures à la présidence de la République. Un processus de six mois a conduit le président du Comité militaire de l’époque, le colonel Maaouiya Ould Sid’A   hmed Taya, putschiste de la première heure : le 10 Juillet 1978, accordé une Constitution, qu’il a fait ratifier par referendum et dont les travaux préparatoires, à huis clos, n’ont jamais été publiés. Il a également autorisé l’existence de partis politiques. Il est naturellement candidat. La chute de son homologue malien, le général Moussa Traoré, y a été pour beaucoup plus, dans son esprit que le discours prononcé l’année précédente par le président de la République française, François Mitterrand, devant ses pairs africains, ou que la coalition, au printemps, de toutes les oppositions en un Front démocratique uni des forces du changement (F.D.U.C.). Sont également candidats de dernière minute : le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck, qui a présidé la junte initiale ; Ethmane Ould Ebi-Elmaali, chef de la Qadriya et consul mauritanien à Djeddah. Mais ne sont admis à la compétition que quatre personnalités : le colonel-président, Bemba Ould Sidi Badi, homme d’affaires, Mohamed Mahmoud Ould Mah, ancien maire de Nouakchott, opposant à tous les régimes précédents et à l’ajustement structurel, et Ahmed Ould Daddah. De ce dernier, les observateurs étrangers remarquent que “ son crédit semble croître de jour en jour ”.

Le premier gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie, introducteur de l’ouguyia, négociateur de la révision des accords de coopération avec la France, a de nombreux titres historiques. Il y ajoute son expérience internationale de représentant de la Banque mondiale. Enfin, il est le demi-frère du président fondateur. Sa candidature bouleverse l’échiquier politique mauritanien à trois points de vue. Elle s’impose d’abord à l’opposition, et notamment à Messaoud Ould Boulkheir, le fondateur d’El Hor, qui avait décidé le boycott de ce premier scrutin faute de garanties de véritable transparence. L’union des Forces Démocratiques (U.F.D.) a réclamé vainement un gouvernement de transition pour une concertation politique préalable entre partis, la révision des textes électoraux et des listes et que soit fixé un échéancier de l’ensemble des scrutins. Elle a exigé tout aussi vainement la dissolution des conseils municipaux en place dont elle a toujours discuté la légitimité élective. Elle souhaite l’ouverture des médias publics aux partis sur une base égalitaire, et ne l’obtient pas. Les opposants constatent donc le refus du Comité militaire de « baliser ensemble le chemin susceptible de garantir une transition démocratique sereine et transparente ». Paradoxe qui a eu ses répliques pendant l’année pustchiste 2008-2009, la « communauté internationale » que peut représenter  Henry Saby, président de la commission du développement du Parlement européen, donne son aval à la façon de faire du pouvoir en place : en conférence de presse le 23 Novembre 1991 – à l’issue d’un entretien avec Ould Taya et d’une semaine d’enquête, l’élu européen se dit « globalement satisfait » et avoir conscience des problèmes « inhérents à la mutation qui s’opère ». Il conclut donc que « personne n’a intérêt à ce qu’il y ait une rupture de l’exécutif » alors que la coordination de l’opposition rejette le calendrier électoral publié entretemps pour « absence de concertation », et réitère son exigence d’un gouvernement préalable de transition.

Ahmed Ould Daddah, pour officialiser sa candidature a attendu qu’un autre des anciens ministres du père-fondateur se soit récusé : Hamdi Ould Mouknass, qui a, lui aussi, beaucoup de titres pour une candidature. L’ancien ministre des Affaires étrangères d’Avril 1970 à Juillet 1978, déclare [1] qu’il ne sera pas candidat à la présidence de la République ni à un poste de Premier ministre d’ouverture. Il rend surtout hommage à Moktar Ould Daddah. Déclarée la candidature d’Ahmed Ould Daddah (second candidat avalisé par la Cour suprême) est aussitôt crédible : « certains estiment même qu’il pourrait battre le président sortant ». Il ne se réclame d’aucun parti, mais il est soutenu par la majorité des militants de l’U.F.D. ; les pro-nassériens, le Parti du centre démocratique mauritanien et même le Parti islamiste interdit pourraient le soutenir. Le système des militaires peut donc être battu par les urnes, la démocratie s’imposer par l’élection et non selon des processus internes dans la hiérarchie des forces armées…

Enfin, le candidat a un programme très élaboré. Il se défend légitimement d’être seulement un faire-valoir ou de profiter d’une aura qui ne serait pas encore la sienne propre : « ce nom, Ould Daddah, je n’ai pas l’intention de le changer, encore moins de l’utiliser comme arme électorale … ni le président Ould Daddah ni moi-même ne souhaitons mêler les liens de famille avec les problèmes politiques ». Il déclare : « si je suis élu, j’autoriserai la formation d’un parti islamiste » et à ce premier contre-pied vis-à-vis d’Ould Taya, il en ajoute deux autres. « Il fallait condamner de façon beaucoup plus explicite l’invasion du Kolweit » et il convient de renégocier avec les bailleurs de fonds une politique économique d’ajustement structurel « mieux adaptée au pays ». «  Je suis proche de tout ce qui est modéré. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai ni principe ni sensibilité ». Son slogan « Ere nouvelle » va se surajouter à la dénomination de l’U.F.D., machine militante et électorale qu’il conquerra après le scrutin et dont il n’a jamais, depuis perdu le contrôle. 

Cette capacité et cette maîtrise intellectuelles vont désormais donner à la vie politique mauritanienne un niveau de débat qu’elle n’avait pas eu auparavant. Mais Ahmed Ould Daddah introduit aussi – avec de fortes raisons, qu’il n’est pas le seul à rassembler – la suspicion sur les proccessus électoraux. Il rend publique sa demande d’observateurs étrangers à cause des « graves irrégularités déjà constatées » dans le processus électoral et par le « risque réel de manipulation de cette consultation électorale ». Et de préciser, au début de Janvier 1992 qu’il s’est déjà adressé à l’ancien président Jimmy Carter, l’ancien président nigérian général en retraite Olusegun Obasanjo, le journaliste égyptien Hussein Hassanein Heykal, le secrétaire général de l’Organisation arabe des droits de l’homme Mohamed Fayek. Il a demandé à Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale française, de désigner une commission parlementaire d’observation.

Selon les publications du ministère de l’Intérieur – tenu par un militaire – il est battu dès le premier tour  (cf. Le Calame 29 Janvier 2008 . chronique anniversaire du 24 Janvier 1992) et le conteste. La « démocratie de façade » commence, bien malgré lui et ses électeurs.


[1] - Jeune Afrique daté du 17 Décembre 1991

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