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26 Décembre 1979 &
24 Décembre 1991
Le Maroc évacue Bir Oum Ghrein
&
Clôture du délai pour les
dépôts de candidatures à la première élection présidentielle pluraliste
Deux longues histoires, dont les rebonds ne sont pas encore - aujourd’hui – terminés : elles commencent en fait avec le premier coup militaire, celui du 10 Juillet 1978, à l’origine morale et juridique de tous les suivants. Les tensions périodiques avec le Maroc du fait du Sahara et la nécessité d’un très long et incertain parcours pour ceux qui souhaitent arriver au pouvoir autrement que par les armes, datent du renversement de Moktar Ould Daddah. S’il y a eu un changement dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie, il fut là. Le pays n’en finit pas depuis de chercher les axes de sa présence internationale et les formes de sa démocratie.
Le 26 Décembre 1979, le Maroc évacue Bir Oum Ghrein. Ce ne fut pas
sans des retards et des réticences tels que la Mauritanie redouta une
annexion de fait et dut faire appel aux Nations Unies.
Pour soutenir la
guerre saharienne qui lui était imposée par le colonel Boumedienne – malgré
l’accord que ce dernier avait donné à l’entente Nouakchott-Rabat devant les
chefs d’Etat membres de la Ligue
arabe – la Mauritanie
avait fait appel à des troupes étrangères (traité de défense signé le 13 Mai
1977). Celles-ci – jusqu’à quinze mille hommes environ – ne furent que marocaines et elles tenaient plus
les arrières jusqu’à Akjoujt que les lignes de front. Signé le 5 Aout
précédent, l’accord d’Alger dit de
« paix définitive » entre la Mauritanie et le Polisario signé à Alger était complexe : la Mauritanie
n’abandonnait qu’à terme et conditionnellement le Tiris El Gharbia, elle en conservait l’administration provisoire jusqu’à
ce que le statut juridique de la région soit défini. Elle ne reconnaissait pas la République arabe
sahraouie démocratique, mais une clause secrète prévoyait l’évacuation du
Tiris El Gharbia dans les sept mois (donc au 5 Mars 1980). Le 9 Août, le Maroc
décide de retirer ses troupes stationnées dans la région de Zouerate (4000
hommes). Le lieutenant-colonel Mohamed
Khouna Ould Haïdallah est alors l’ « homme fort » avec le titre
de Premier ministre. La fonction civile paraît modeste, introduite en
Mauritanie pour placer Ahmed Ould Bouceïf sans écarter d’apparence Mustapaha
Ould Mohamed Saleck (cf. Le Calame 8 Avril
2008 . chronique anniversaire du 6 Avril 1979, le pouvoir confié à Ould
Bouceiif) : elle ne l’est pas à l’époque. Il se rend le lendemain à Rabat :
« le Maroc et la Mauritanie
s’engagent à ne rien faire qui puisse porter atteinte à la sécurité réciproque
de leurs deux pays ». C’est donc la paix ?
Mais le Polisario
qui avait déjà intimidé la
Mauritanie, à la veille du sommet de Monrovia, le 12 Juillet 1979, en rompant unilatérament le
cessez-le-feu (attaque contre Tichla faisant soixante-et-un prisonniers
mauritaniens), récidive le 11 Août :
une colonne Polisario de « 3000 hommes » marche contre Bir
Anzaran, près de la frontière mauritanienne. N’attendant que cela ? « principe
de précaution » dirait-on aujourd’hui, le Maroc prend le contrôle de la zone mauritanienne du Sahara occidental,
occupe par la force Dakhla et rebaptise le Tiris-el-Gharbia en Oued Ed-Dabat (traduction
littérale de Rio de Oro) dont les chefs de tribu font aussitôt serment
d’allégeance. Naturellement, la
Mauritanie
demande au Maroc de retirer ses troupes de Mauritanie : le
Premier ministre Haïdalla s’en entretient avec le roi Hassan II. Vainement,
tandis que le lieutenant colonel Abdel Kader, ancien membre du CMSN, annonce la
création d’un comité d’ « officiers libres » opposés à l’accord
d’Alger.
Sans doute, à la demande du comité ad hoc
de l’OUA, le Polisario libère les Mauritaniens capturés à Tichla, le mois
précédent. Sans doute aussi, le 14 Août, sont rétablies les relations
diplomatiques avec l’Algérie. Mais le Maroc a pris possession de la totalité de
l’ancienne possession espagnole et il reste encore neuf mille de ses soldats en
territoire mauritanien, limites de 1960… Beau résultat aussi bien pour les
Mauritaniens que pour les Sahraouis. A Nouakchott, on ne sait comment traiter
le fait accompli : le 15 Août, la Mauritanie se retire formellement
du Tiris El Gharbia à la suite de « l’agression » du Maroc contre son
administration provisoire à Dakhla. Comme
suite au coup de force marocain, le Premier ministre Ould Haidallah proteste et
déclare qu’il « ne lui est plus possible de mettre en œuvre les
engagements souscrits concernant ce territoire ». Aussitôt, le Polisario
critique la passivité mauritanienne devant l’occupation par le Maroc de la
partie du Sahara qu’elle administrait : « la Mauritanie par
l’empressement qu’elle montre, est en train d’effectuer une opération qui
relève de la confusion ». Pour y ajouter, le 17 Août, Ahmed Boucetta, le ministre
marocain des Affaires étrangères, vient à Nouakchott, ans y convaincre
personne, tandis que le 18, son homologue espagnol Marcelino Oreja est
plus lucide : le territoire abandonné par la Mauritanie reste un
« territoire international ». Habilement, le 19, à Fès, le roi Hassan II réagit avec violence à l’accord
d’Alger et stigmatise « la débandade
politique des responsables de Nouakchott », alors qu’évidemment cet accord
le sert. Plus grave, le Maroc avertit les Nations Unies qu’il ne se considère
pas lié par 16ème sommet africain de Monrovia : « conférence
tam-tam ». L’annexion de fait du Sahara anciennement sous administration
espagnole va désormais dominer l’ensemble des problèmes maghrébins et empêcher
tout processus d’unification. La
Mauritanie demande, au contraire, aux Nations unies de
prendre acte de l’accord d’Alger du 5 Août ; elle va devoir déployer bien
plus d’efforts diplomatiques que Moktar Ould Daddah pour faire accepter
l’accord de Madrid réunissant ce territoire à la mère-patrie. Le 21 Août, Ahmedou
Ould Abdallah, le ministre des Affaires étrangères du Comité militaire de salut
nationale (C.M.S.N.) commence à Dakar une tournée d’explications de la position
mauritanienne sur le Sahara et la terminera à Ryad : la Mauritanie n’est
« pas un Etat girouette ». On ne l’entend qu’au débutr de Septembre,
à Cuba, pendant la 6ème conférence des Non-Alignés :
« l’extension de l’occupation par le Maroc du Sahara occidental
précédemment administré par la
Mauritanie » y est déplorée. A Nouakchott, des manifestations
sont organisées contre le roi du Maroc et « ses appétits
expansionnistes ». Très tardivement, Paris communique que
« prenant acte des déclarations des dirigeants mauritaniens affirmant leur
neutralité dans l’affaire du Sahara, (la France) souligne l’amitié et la solidarité qui
l’unissent à ce pays » et se décare prête à l’aider à sa reconstruction.
Le Maroc, dans cette ambiance, va-t-il
évacuer la Mauritanie ?
Du 10 au 12
Septembre, les troupes marocaines se retirent de Mauritanie, sauf de Bir
Oum Ghrein où demeurent plus de 1000 hommes. Annexion en cours ?
puisque le poste est évidemment stratégique. En désespoir de cause, le
Premier ministre se rend alors en France et que Moktar Ould Daddah est
« évacué » vers Paris, pour raison de santé. Il est possible que
Valéry Giscard d’Estaing ait accepté de protéger les frontières septentrionales
de la Mauritanie
à condition que le président-fondateur soit libéré. Seul tenu au courant dans
le Comité militaire, Ahmedou Ould Abdallah. Le 23 Septembre, la Mauritanie déclare non
gratae trois diplomates marocains.
Le
suspense continue : le 16 Novembre, le Maroc annonce son prochain retrait
de Bir Oum Ghrein tandis que la
Mauritanie accepte de participer à la réunion à Monrovia du
Comité des sages de l’OUA sur le Sahara occidental, à l’invitation de William
Tolbert. Ayant fait montre de bonne volonté et ses arrières couverts,
Nouakchott peut ainsi saisir le Conseil de sécurité, les instances de l’OUA et
de la Ligue
arabe, celles du Mouvement des non alignés pour traiter du maintien des troupes
marocaines à Bir Oum Ghrein : le retrait marocain ne peut être lié au
retrait mauritanien de La
Guera. Deux imbroglios alors. La saisine mauritanienne ne
parvient pas matériellement aux Nations unies, et l’une des meilleures têtes
des putschistes, le commandant Jiddou Ould Saleck est tué dans un accident
d’auto, à trois cent kilomètres de Nouakchott, sur la route de l’Espoir. Aucun
des successifs chefs de la première des juntes militaires n’admettra qu’il a
été assassiné.
Nouvelle
preuve de bonne volonté : le 3 Décembre, la Mauritanie accepte de
se retirer de La Guera
et de le rétrocéder à qui de droit lorsque la paix sera revenue au
Sahara : en attendant, sa présence se justifie pleinement (proximité
immédiate du centre économique du pays) « l’une des garanties
fondamentales de notre neutrralité ». A Tunis, il est publié que la Mauritanie a accepté de
retirer sa plainte déposée auprès de la Ligue arabe pour le refus marocain d’évacuer Bir
Moghrein, en vue d’obtenir l’évacuation des troupes marocaines du territoire
mauritanien. Démenti à Nouakchott : le ministre des Affaires étrangères,
Ahmed Ould Abdallah, retour de Monrovia, où se tenait le comité des sages de
l’OUA, demande au Maroc d’évacuer la partie du Sahara occidental évacué par la Mauritanie. « La Mauritanie n’est plus
partie prenante dans le conflit du Sahara. Elle a proclamé sa stricte
neutralité. Elle reste cependant préoccupée par le sort de la paix dans la
région ».
Tandis que se rouvre l’ambassade d’Algérie,
qu’une coppération reprend avec elle pour faire enfin démarrer la raffirnerie
de Nouadhibou, le 23 décembre, la
Mauritanie demande au Maroc le départ de certains
ressortissants marocains jugés indésirables. C’est finalement – comme en
Septembre 1969 pour « normaliser » la relation avec la Mauritanie – le roi
Hassan II qui conclut sagement : il nomme
Ahmed Amjad ; ambassadeur en Mauritanie, et assure que « les nuages
qui polluent actuellement le climat entre le Maroc et la Mauritanie sont
totalement étrangers à la nature des relations entre les deux pays ». Bir
Oum Ghrein est enfin évacuée, mais dans les mois et années à venir, le conflit
prendra une autre forme : le Maroc accusera périodiquement la Mauritanie de servir de
base au Polisario contre l’annexion du Sdahara occidental… et le manifestera
par la force (cf. Le
Calame 21 Octobre 2008 . chronique anniversaire des bombardements marocains
le 22 Octobre 1981 en territoire mauritanien).
.
Le 24
Décembre 1991, se clôt le délai pour le dépôt candidatures à la présidence
de la République. Un
processus de six mois a conduit le président du Comité militaire de l’époque,
le colonel Maaouiya Ould Sid’A hmed
Taya, putschiste de la première heure : le 10 Juillet 1978, accordé une
Constitution, qu’il a fait ratifier par referendum et dont les travaux
préparatoires, à huis clos, n’ont jamais été publiés. Il a également autorisé
l’existence de partis politiques. Il est naturellement candidat. La chute de
son homologue malien, le général Moussa Traoré, y a été pour beaucoup plus,
dans son esprit que le discours prononcé l’année précédente par le président de
la République
française, François Mitterrand, devant ses pairs africains, ou que la coalition,
au printemps, de toutes les oppositions en un Front démocratique uni des forces
du changement (F.D.U.C.). Sont également candidats de dernière minute : le
colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck, qui a présidé la junte initiale ; Ethmane
Ould Ebi-Elmaali, chef de la
Qadriya et consul mauritanien à Djeddah. Mais ne sont admis à
la compétition que quatre personnalités : le colonel-président, Bemba Ould
Sidi Badi, homme d’affaires, Mohamed Mahmoud Ould Mah, ancien maire de
Nouakchott, opposant à tous les régimes précédents et à l’ajustement
structurel, et Ahmed Ould Daddah. De ce dernier, les observateurs étrangers
remarquent que “ son crédit semble croître de jour en jour ”.
Le premier gouverneur de la Banque centrale de
Mauritanie, introducteur de l’ouguyia, négociateur de la révision des accords
de coopération avec la France,
a de nombreux titres historiques. Il y ajoute son expérience internationale de
représentant de la Banque
mondiale. Enfin, il est le demi-frère du président fondateur. Sa candidature
bouleverse l’échiquier politique mauritanien à trois points de vue. Elle
s’impose d’abord à l’opposition, et notamment à Messaoud Ould Boulkheir, le
fondateur d’El Hor, qui avait décidé
le boycott de ce premier scrutin faute de garanties de véritable transparence.
L’union des Forces Démocratiques (U.F.D.) a réclamé vainement un gouvernement
de transition pour une concertation politique préalable entre partis, la révision
des textes électoraux et des listes et que soit fixé un échéancier de
l’ensemble des scrutins. Elle a exigé tout aussi vainement la dissolution des conseils
municipaux en place dont elle a toujours discuté la légitimité élective. Elle
souhaite l’ouverture des médias publics aux partis sur une base égalitaire, et
ne l’obtient pas. Les opposants constatent donc le refus du Comité militaire de
« baliser ensemble le chemin susceptible de garantir une transition
démocratique sereine et transparente ». Paradoxe qui a eu ses répliques
pendant l’année pustchiste 2008-2009, la « communauté
internationale » que peut représenter
Henry Saby, président de la commission du développement du Parlement
européen, donne son aval à la façon de faire du pouvoir en place : en
conférence de presse le 23 Novembre 1991 – à l’issue d’un entretien avec Ould
Taya et d’une semaine d’enquête, l’élu européen se dit « globalement satisfait »
et avoir conscience des problèmes « inhérents à la mutation qui
s’opère ». Il conclut donc que « personne n’a intérêt à ce qu’il y
ait une rupture de l’exécutif » alors que la coordination de l’opposition
rejette le calendrier électoral publié entretemps pour « absence de
concertation », et réitère son exigence d’un gouvernement préalable de
transition.
Ahmed Ould Daddah, pour officialiser sa
candidature a attendu qu’un autre des anciens ministres du père-fondateur se
soit récusé : Hamdi Ould Mouknass, qui a, lui aussi, beaucoup de titres
pour une candidature. L’ancien ministre des Affaires étrangères d’Avril 1970 à
Juillet 1978, déclare [1]
qu’il ne sera pas candidat à la présidence de la République ni à un
poste de Premier ministre d’ouverture. Il rend surtout hommage à Moktar Ould
Daddah. Déclarée la candidature d’Ahmed
Ould Daddah (second candidat avalisé par la Cour suprême) est
aussitôt crédible : « certains estiment même qu’il pourrait battre le
président sortant ». Il ne se réclame d’aucun parti, mais il est soutenu
par la majorité des militants de l’U.F.D. ; les pro-nassériens, le Parti
du centre démocratique mauritanien et même le Parti islamiste interdit
pourraient le soutenir. Le système des militaires peut donc être battu par les
urnes, la démocratie s’imposer par l’élection et non selon des processus
internes dans la hiérarchie des forces armées…
Enfin, le candidat a un programme très
élaboré. Il se défend légitimement d’être seulement un faire-valoir ou de
profiter d’une aura qui ne serait pas encore la sienne propre : « ce
nom, Ould Daddah, je n’ai pas l’intention de le changer, encore moins de
l’utiliser comme arme électorale … ni le président Ould Daddah ni moi-même ne
souhaitons mêler les liens de famille avec les problèmes politiques ». Il
déclare : « si je suis élu, j’autoriserai la formation d’un parti
islamiste » et à ce premier contre-pied vis-à-vis d’Ould Taya, il en
ajoute deux autres. « Il fallait condamner de façon beaucoup plus
explicite l’invasion du Kolweit » et il convient de renégocier avec les
bailleurs de fonds une politique économique d’ajustement structurel
« mieux adaptée au pays ». « Je suis proche de tout ce qui est
modéré. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai ni principe ni sensibilité ».
Son slogan « Ere nouvelle » va se surajouter à la dénomination de
l’U.F.D., machine militante et électorale qu’il conquerra après le scrutin et
dont il n’a jamais, depuis perdu le contrôle.
Cette capacité et cette maîtrise
intellectuelles vont désormais donner à la vie politique mauritanienne un
niveau de débat qu’elle n’avait pas eu auparavant. Mais Ahmed Ould Daddah
introduit aussi – avec de fortes raisons, qu’il n’est pas le seul à rassembler
– la suspicion sur les proccessus électoraux. Il rend publique sa demande
d’observateurs étrangers à cause des « graves irrégularités déjà
constatées » dans le processus électoral et par le « risque réel de
manipulation de cette consultation électorale ». Et de préciser, au début
de Janvier 1992 qu’il s’est déjà adressé à l’ancien président Jimmy Carter,
l’ancien président nigérian général en retraite Olusegun Obasanjo, le
journaliste égyptien Hussein Hassanein Heykal, le secrétaire général de
l’Organisation arabe des droits de l’homme Mohamed Fayek. Il a demandé à
Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale française, de désigner une
commission parlementaire d’observation.
Selon les publications du ministère de
l’Intérieur – tenu par un militaire – il est battu dès le premier tour (cf. Le Calame 29
Janvier 2008 . chronique anniversaire du 24 Janvier 1992) et le conteste. La « démocratie de
façade » commence, bien malgré lui et ses électeurs.
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