jeudi 17 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà pubié par le Calame . 5 Mai 2009




21 Mai 1919 &  22 Mai 1980

l’administration française crée des conseils de notables
&
l’Alliance pour une Mauritanie démocratique annonce sa création : elle a pour programme le retour des militaires dans leurs casernes





Le 21 Mai 1919, est publié le décret instituant des « conseils de notables indigènes » dans tous les territoires qu’administre la France en Afrique. Ce système de gouvernement local, déjà pratiqué depuis quinze ans en Mauritanie, a valu jusqu’en 1958 et a constitué la matrice ou le repoussoir des réformes administratives auxquelles la République Islamique a ensuite procédé.

Le 12 Mai 1903, Coppolani avait fait prendre un arrêté par le gouverneur général de l’Afrique occidentale française portant organisation du Protectorat des pays maures du Bas-Sénégal, qui disposait que « le délégué du Gouverneur général en pays maures assure le fonctionnement du Protectorat par l’intermédiaire des chefs indigènes agréés par lui, assistés des Djemaas dont il règle la composition et le fonctionnement. Il désigne les Cadis et contrôle l’exercice de la justice ». Ce système d’administration déléguée ou contrôlée, s’appuyant sur des autorités dites « traditionnelles », faute de mieux les qualifier, a tendu à se perpétuer : l’administration française n’était pas directe, elle n’était pas non plus concertée avec les populations concernées, elle s’imposait par des intermédiaires désignés et rétribués. Il a valu de la prise du pouvoir des Français en Mauritanie, en 1903, jusqu’aux aménagements législatifs précurseurs de l’autonomie de gestion (loi du 6 Février 1952, instituant des assemblées territoriales, en reprenant pour l’essentiel le décret du 25 Octobre 1946 portant création d’assemblées représentatives territoriales dénommées « conseils généraux chargées de la question des intérêts propres à chaque territoire »). La mutation vint du corps des interprètes par qui se répandit une culture administrative « moderne » et des comportements d’Etat – les instituteurs, apparaissant plus tardivement, eurent un rôle analogue mais plus dans les modes de pensée que de gestion. En revanche, le système des conseils de notables maintenait les habitudes de débats et de consensus.

Les arrêtés du 8 Janvier 1904 en même temps qu’ils instituent une « djemaa secondaire » en pays Trarza pour chaque tribu guerrière, dressent la liste des notables agréés comme membres des deux djemaa supérieures : « chacune de ces assemblées se compose de six à douze membres agréés parmi les principauxnotables de la collectivité qu’elle représente. Elles sont consultées par le résident de la région duquel elles relèvent, toutes les fois qu’il s’agit des intérêts particuliers à leurs tribus respectives ». Suivront le 29 Mars 1904 l’organisation de la région Brakna, le 31 Mars 1904 celle de la région de Mal, puis le 15 Avril 1904 celle du Gorgol : chaque fois les djemaa sont instituées et la liste des notables publiée. Les djemaa sont également instituées pour les tribus maraboutiques (dites à l’époque « religieuses »). Dans le même temps, les émirs sont soit dépossédés de leurs attributions « régaliennes » pour n’être plus que des auxiliaires de l’administration française, soit déposés. Selon les personnes et l’histoire de leurs relations avec l’administration, chacun des émirs et des chefs généraux aura un statut propre et des compétence plus ou moins étendues. Quand l’assassinat de Coppolani fait réévaluer le dispositif, il est observé que «  l’organisation sociale des Maures nomades, divisés en tribus, ne comporte pas la nécessité d’établir des chefs qui seraient en quelque sorte l’équivalent des chefs de province dans les populations sédentaires. Les tribus forment généralement des groupements assez considérables, ayant à leur tête, une sorte de conseil des notables, appelé « djemaa », et reconnaît presque toujours l’un des membres comme chef. Nous devons nous efforcer de traiter toujours directement nos affaires, avec ces chefs naturels vraiment qualifiés pour prendre les intérêts de leurs commettants, sans leur imposer des intermédiaires dont les tribus maraboutiques et commerçantes cherchent précisément à s’affranchir ».



Le 22 Mai 1980, simultanément à Paris et dans plusieurs capitales africaines, est annoncée la création de l’Alliance pour une Mauritanie démocratique [1]
L’ambassadeur Mohamed Ould Jiddou est le coordinateur de cette Alliance : l’A.M.D. C’est un vétéran vénéré de la politique mauritanienne dès avant l’indépendance (membre de l’Assemblée territoriale de 1952 à 1957, il avait été la référence des jeunes mauritaniens lors de la fondation de l’Association de la Jeunesse de Mauritanie A.J.M., le 24 Novembre 1955 et soutenu par ceux-ci comme candidat indépendant à l’élection du 31 Mars 1957). Après avoir été consul général à Bamako de 1965 à 1969, il a couvert le Proche-Orient, résidant au Caire de 1969 à 1971 puis à Djeddah de 1971 à 1975. Co-fondateur : le lieutenant-colonel Mohamed Ould Bah Ould Abdel Kader résidant à Rabat qui a démissionné du Comité militaire, dont il avait assuré la « permanence » pendant la courte période d’Ould Bouceif, Premier ministre, et créé, le 11 Août 1979, à la suite de l’accord d’Alger avec le Polisario, un comité d’ « officiers libres » opposés à cet accord.

Le 27 Mai, la direction de l’Alliance donne une conférence de presse à Paris : aux côtés de Mohamed Ould Jiddou et d’Abdelkader, censé diriger un Front islamique et démocratique de Mauritanie (FIDEM), se présentent aussi Mustapha Ould Abeïderrahmane comme responsable du Mouvement progressiste des Kadihines et le lieutenant Moustapha Niang, membre du comité des officiers libres. L’A.M.D. se veut le « creuset de la grande unité du peuple mauritanien », elle lance un appel à l’opinion internationale pour l’aider à « se débarrasser du régime de Ould Haïdalla » et à renverser le « pouvoir illégitime des putschistes du 10 juillet 1978 » sans violence et avec le consensus populaire. Elle prône le retour à un régime civil, une stricte neutralité dans le conflit saharien, mais assure que « seule la restauration de la souveraineté, de l’unité, de la stabilité et de l’intégrité mauritanienne » permettra à la Mauritanie d’être crédible ». Elle réclame la restitution des 1.500 Mauritaniens retenus prisonniers par le Polisario, et regrette le départ des 200 militaires français de Nouadhibou [2]. « Si le régime actuel, issu du coup d’Etat anticonstitutionnel du 10 juillet 1978, ne cède pas la place à un gouvernement civil et démocratique, les populations mauritaniennes se révolteront. Car la seule voie de salut actuellement pour notre pays, c’est le retour des militaires dans leurs casernes ». Mohamed Ould Jiddou précise qu’il n’a pas eu de contact avec Moktar Ould Daddah, mais que « celui-ci continue à jouir du respect d’une grande partie de la population mauritanienne ».

A Nouakchott, on prétend aussitôt que Mohamed Ould Jiddou et Mustapha Ould Abeïderrahmane, après avoir fait mine de se rallier au nouveau régime, ont été impliqués le premier dans une affaire de trafic de devises et le second dans un trafic de logements. Un peu plus tard, (en conclusion d’une longue et difficile réunion, du 5 au 14 Juin), la junte appelle au civisme et à la vigilance contre les « complots de l’impérialisme et du néo-colonialisme », après que (le 30 Mai), le conseil des ministres ait décidé de limiter au maximum les sorties à l’étranger de personnalités officielles

Le lendemain de sa présentation à la presse, l’Alliance est en effet rejointe par le lieutenant-colonel Ahmed Salem Ould Sidi, précédemment vice-président du Comité militaire et surtout signataire de l’accord de paix avec le Polisario, le 5 Août 1979 : il a traversé le fleuve Sénégal à la nage pour quitter le pays. Mohamed Abdelrahmane Ould Amin, ambassadeur démissionnaire au Koweit, se rallie aussi pour protester « contre la politique suivie par le régime actuel ». Le 2 Juin, Moussa Fadiga, secrétaire général d’un Front fédéral du Sud-Mauritanien annonce lui aussi son ralliement à l’A.M.D. pour s’opposer à la création d’une Fédération islamique avec la Libye. Le 7, à Rabat, Ahmed Moilid annonce le ralliement du Mouvement de l’Unité nationale à l’Alliance.

Le moment choisi est en effet très caractéristique. Le président du Comité militaire de salut national C.M.S.N., le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla vient encore de réclamer le retour de Moktar Ould Daddah au pays et se fait dire le 14 Avril que « la France n’est pas une annexe des prisons mauritaniennes ». Il s’éloigne pour la première fois du territoire national, depuis sa prise de pouvoir : les 19 et 20 Mai, il est en Irak, puis du 21 au 23, au Koweit. Il avait auparavant renoncé à participer au sommet franco-africain puis à une tournée en Europe et dans les Etats du Golfe, en compagnie de Léopold Sedar Senghor et de Moussa Traore, pour y présenter l’Organisation de mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal. Peu après, le 28, déjà en instance de départ à l’aéroport de Nouakchott, l’ « homme fort » annule sa participation au premier sommet économique de l’OUA qui doit commencer le jour-même à Lagos ; arrestations de Mohameden Ould Babah, Abdoulaye Baro, Abdallahi Ould Ismaïl, Sidi Ould Cheikh Abdallahi et d’Ahmedou Ould Abdallah, ancien ministre des Affaires étrangères et cousin de l‘ancien chef d’état-major ; garde militaire des principaux axes de Nouakchott ; renforcement de la résidence surveillée d’Hamdi Ould Mouknass et d’Ahmed Ould Daddah. La tension est vive avec le Maroc qui viole l’espace aérien mauritanien, prétend que les Sahraouis l’attaquent depuis le territoire mauritanien. Surtout, depuis un mois circule la rumeur d’une cession de la Tiris El Gharbia au Front Polisario, qui serait ensuite invité à se fédérer avec la Mauritanie. Enfin la situation intérieure du pays est dominée par le scandale d’une vente aux esclaves, à Atar, qui va déterminer le Comité militaire – sous la pression nationale, celle d’El Hor [3] notamment, et internationale – à une spectaculaire et inattendue abolition. Le 18 Juin, à Paris, Bilal Ould Werzeg, conseiller à l’ambassade d’Abidjan, déclare démissionner pour ne plus « servir un régime dont je n’apprécie ni la politique extérieure ni la politique intérieure » : son chef « a légalisé l’obligation qu’ont les esclaves de rejoindre leur maître », puis il change d’avis, le 22 Juillet, au vu de la nouvelle législation mais se dit membre du mouvement des haratines El Hor.

Pour les dirigeants de l’Alliance, la situation – deux ans après le renversement de Moktar Ould Daddah par les militaires – « se caractérise par 1° une ionstabilité permanente et une anarchie généralisée… 2° une faillite économique et financière sans précédent… 3° une répression aveugle et continue ». Il faut donc « renverser le pouvoir illégitime des putschistes du 10 Juillet 1978 … instaurer en Mauritanie un régime politique respecté à l’extérieur et à l’intérieur… redresser l’économie du pays… réformer profondément l’appareil administratif… reconstituer les forces armées pour les remettre dans le chemin de l’honneur, du service du pays… réformer, conformément à nos réalités historiques et linguistiques, l’ensemble de notre système éducatif ». Pour « une solution pacifique au Sahara », l’Alliance « met en avant le mot d’ordre suivant : la Mauritanie d’abord ». Elle a, en somme, toutes les thèses du président déchu et «  à l’ensemble de nos forces armées, officiers, sous-officiers et soldats, patriotes et dignes, l’A.M.D. demande instamment de s’organiser activement en vue de débarrasser le pays des éléments putschistes usurpateurs ».

La suite sera d’abord dramatique, puis illusoire. Dramatique car les deux officiers supérieurs tenteront l’année suivante, le 16 Mars 1981, un coup très audacieux mais, probablement trahis, échoueront : martyrs de la légitimité  (Le Calame, 11 Mars 2008 – chronique anniversaire). Illusoire, car, « confiante dans le génie du peuple mauritanien et dans la sagesse de l’encadrement de son armée nationale », l’Alliance se ralliera au coup du lieutenant-colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, dès l’élimination d’Ould Haïdalla et le confirmera le 22 Décembre 1984. Certains de ses membres – en même temps que d’anciens ministres de Moktar Ould Daddah – participeront, après quelques délais, au gouvernement. 
                                            


[1] - « évacué sanitaire » de Mauritanie, par les putschistes, le 2 Octobre 1979, le président Moktar Ould Daddah qui me fait l’honneur de me recevoir régulièrement dans son exil parisien, évoque pour moi, le 26 Avril 1980, la constitution de ce Front – et m’engage à en rencontrer l’un de ses principaux animateurs : Mustapha Ould Abeiderrahmane (chef de file de ceux des Kadihines  qui avaient rallié le Parti du Peuple au congrès d’Août 1975, gouverneur à Akjoujt au moment du putsch du 10 Juillet 1978).
Je m’entretiens donc avec celui-ci, mais tardivement : le 27 Juillet 1981, au café des Deux Magots, dans le Quartier Latin à Paris. – (Voici mes notes de l’époque NB Bertrand Fessard de Foucault) – « J’entends le laisser parler pour connaître son cheminement, comparer ses analyses avec celles de Moktar Ould Daddah, et m’assurer de sa fidélité envers mon éminent ami. Mon interlocuteur est de Tdijikja, tribu fort aisée et beaucoup plus politisée que la moyenne mauritanienne. Il m’a vu une première fois à Nouakchott lors d’un examen d’aptitude à entrer à l’IHEOM, c’était donc en 1965. Il a été admis, a fait sa scolarité, a éprouvé combien en France les contacts des Africains avec les milieux officiels ou politiques sont contrôlés et combien aussi les gouvernements africains pèsent sur les jurys de sortie : ainsi, lui-même avec 11,5 n’a eu qu’une attestation de scolarité mais n’a pas été diplômé. Il avait auparavant fait d’autres études, également à Paris, et milité dans l’opposition étudiante à Moktar Ould Daddah. De retour à Nouakchott au début des années 1970, il organise le mouvement des jeunes opposants : les Kadihines, et refuse donc l’offre de 1970 ; il ne participe donc pas à la commission préparatoire du congrès de 1971 dont, avec le recul, il admet qu’il avait les mêmes ambitions et marques d’ouverture que celui de 1975. Mais Mustapha participe indirectement aux choses car il est dans l’entourage de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le futur ministre du Plan, lequel le nomme un peu plus tard directeur de la Planification, lui-même expliquant à son nouveau ministre qu’il reste opposant politiquement. Mais dans son mouvement, une analyse se fait. D’abord, de tous les mouvements d’opposition ou de libération, en Mauritanie depuis 1946 et dans l’ensemble de l’Afrique : RDA, UPC, MPLA, etc… il apparaît que ces mouvements introduisent en Afrique un impérialisme des plus dangereux, celui de l’Union soviétique, alors que l’exemple mauritanien entre autres montre que les puissances coloniales traditionnelles sont en voie d’épuisement matériellement et psychologiquement, que donc cet impérialisme-là est faiblissant et qu’on peut négocier progressivement avec lui, même si l’on n’est rien : cas de la Mauritaanie en 1957, ou très faible : cas de 1973. Fréquemment mis en prison mais chaque fois pour trois ou quatre mois, et dans des conditions assez amènes et fort peu comparables soit aux tracts de l’époque : mais il fallait jouer le jeu de l’opposition – soit aux conditions d’aujourd’hui (1980)… en 1973, mon interloucteur réfléchit : la révision des accords avec la France, la nationalisatioon de Miferma, au moins dans son principe, même si l’on discute les indemnisations (à son sens, trop généreuse) sont des éléments très positifs. Il faut donc se rallier au régime. Chez les Kadihines, la tendance marxiste, au demeurant minoritaire, est maoïste, ce qui facilite les choses, puisque le fond de l’analyse est antisoviétique. Mais se rallier sous forme d’un Front. Une négociation se noue qui n’aboutit pas sur ce point et notre homme fait l’ultime concession avec ses amis : ils entrent au Parti du Peuple Mauritanien, avec l’assurance d’une pleine liberté de discussion et d’expression au sein du Parti. Ce ralliement s’il donne lieu à inspirer le rapport moral de 1975, ne se traduit cependant pas – parce que pas encore fait formellement – par une participation aux organes dirigeants. L’autre raison du ralliement est l’affaire saharienne. La jeunesse kadihine participe en 1973 – décidément année tournante – à la constitution à Nouakchott du Front Polisario. Il apparaît très vite que ce Front n’existera qu’en fonction des aides extérieures. Mustapha est alors partisan d’encourager les Sahraouis à négocier – sur le modèle mauritanien et de la Loi-cadre – avec les Espagnols, quitte à laisser un temps à ces derniers des bases militaires. Mustapha tente d’approcher le président Moktar Ould Daddah, en est empêché, mais fera plus tard valoir cette analyse. A quoi répondra Moktar Ould Daddah : je suis conscient du péril pour la Mauritanie, mais il y là une opportunité pour le pays que la question se règle à notre bénéfice et je dois, devant Dieu qui décidera, prendre le risque.
La guerre développe une situation qui, au début de 1978, rend le régime très fragile. S’opposent à lui la bourgeoisie commerçante et conservatrice, type Cheikhna qui veut le retour au libéralisme et vomit la ‘Charte socialiste’, la haute administration, elle aussi nantie et devenue capitaliste, et enfin l’armée. Celle-ci s’est fait, peu avant le putsch, durement admonestée par le Président mettant en cause la mauvaise gestion du matériel et des aides étrangères, révélant qu’une demande d’aide à l’Arabie séoudite – la énième – n’a pas pour le moment abouti, qu’un émissaire est revenu les mains vides, et qu’il faut ne compter que sur soi. A cela s’ajoute un fait que Mustapha croit décisif. En Février, avec l’aval du Président, il se rend à Paris pour parler avec le Polisario : celui-ci en mauvaise posture militaire – ce ne sont plus les succès de 1976 et de 1977 – accepterait un cessez-le-feu d’un mois et une négociation, mais avant le sommet de l’O.U.A.. Compte-rendu est fait tardivement à Moktar Ould Daddah, qui laisse passer : ce sera après l’O.U.A. où il doit rencontrer de manière approfondie Boumedienne. Le Polisario aurait alors communiqué son offre aux officiers candidats au putsch, qui, sans cette certitude de cessez-le-feu, n’auraient pas bougé.
La situation actuelle ? D’abord, aux rares exceptions de Ahmed Ould Sidi Baba ou un temps de Mohamed Moulaye, les membres de l’équipe dirigeante déchue ont refusé de collaborer. On a pris contact avec eux. Sans doute, étaient-ils aveugles au début de 1978 : ils étaient l’Etat et ne pouvaient en voir la fragilité grandissante, mais celle-ci était frappante. Ensuite, l’équipe militaire est divisée : il y a trois tendances. Deux Polisario purement et simplement : Haidalla et Boukhreiss, qui ont vu refuser par le reste du Comité et la reconnaissance de la République Arabe Sahraouie, et la constitution d’Etats-Unis du Sahel, zélée une nouvelle fois par Khadafi en visite officielle. Sont hostiles les négro-africains qui ont les commandements du nord. Entre les deux, l’actuel Premier ministre militaire, Taya. Mais il n’y a personne de déterminé pour renverser le système. Celui-ci peut rendre la main soit par un nouveau putsch : celui de Mars dernier s’est fait par la branche militaire de l’A.M.D., qui agit dans le même esprit que la branche politique mais en toute indépendance et en secret, pour des raisons de sécurité. C’est ce qui fut d’emblée convenu avec le colonel Kader, tout dévoué au Président. Il est certain que ce putsch n’était pas soutenu par le Maroc : les armes étaient très légères, et si le Maroc avait avait voulu faire quelque chose, il l’aurait fait, et les choses auraient été autres. Tous ceux qui ont participé à l’opération de 1977, qui a vu la mort devant Nouakchott du premier secrétaire général du Polisario, Louly : Kader, Sidi, Viah Ould Mayouf, Bouceif ont été supprimés (inexact pour Viah, signataire en 2008 d’une lettre de soutien à la junte) les uns après les autres. Les derniers étant donc Kader et Sidi. Il est certain que Bouceif, l’éphémère Premier ministre au printemps de 1979, a été assassiné ; il était entendu qu’il allait libérer Moktar Ould Daddah et rétablir l’ancien régime.
Mustapha a quitté la Mauritanie en Janvier 1980, il a vu le Président et, respectueusement mais fermement, lui a fait valoir qu’il ne pouvait se dérober, que le pays était menacé d’éclatement, et qu’il fallait donc son retour, le rétablissement d’une légitimité, la mise en place d’une succession, car mon interlocuteur sait de la bouche de l’intéressés, comme de la rumeur dans les années 1970 que Moktar Ould Daddah ne tient pas au pouvoir et ne se représenterait sans doute pas en fin de mandat, donc en 1981. Quant au Parti, il a fait la preuve de sa carence dans l’épreuve de force, mais il faut un parti unique dont l’A.M.D. sera peut-être le noyau. »

Le 29 Juillet 1981, le Président, après avoir écouté mon compte-rendu, confirme le récit et les analyses de Mustapha Ould Abeïderrahmane, mais en précise ou en rectifie de nombreux éléments, notamment à propos de contacts avec le Polisario, des malversations et de la relation financière avec l’Arabie séoudite.   

Je reverrai Mustapha Ould Abeïderrahmane à Nouakchott les 15, 18 et 23 Avril 2006 et nous examinerons en conversations nocturnes l’histoire contemporaine de la Mauritanie. Il avait été entretemps ministre, et non des moindres, de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya (11 Décembre 1988 au 19 Avril 1992), un des principaux animateurs de sa première campagne présidentielle, et, comme chacun sait, il anime aujourd’hui la majorité parlementaire favorable à la junte et à la candidature du général Mohamed Ould Abdel Aziz.

[2] - le 22 Mai 1980, se termine la « mission Lamentin » : départ de l’unité militaire française (une compagnie du 2ème RIMA : 200 hommes) basée à Nouadhibou, sur demande de la Mauritanie. Elle s’était positionnée en Décembre 1979 à la demande d’Ould Haïdalla pour faire écran face au Maroc et  au Polisario . Cependant, 4 Jaguar et u n C-135 restent à Dakar pour tenir compte des inquiétudes sénégalaises sur de possibles répercussions du conflit saharien

[3] - Organisation de libération et d’émancipation des haratines, dit El Hor - cet important mouvement, fondé le 5 Mars 1978 par Messaoud Ould Boulkheir, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale après avoir été fera l’objet d’une chronique à sa date anniversaire

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