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6 Avril 1979 & 15 Avril 1991
Le pouvoir confié au colonel Ahmed Ould
Bouceïf
&
Annonce par le colonel Ould Taya d’un
régime constitutionnel
Le 6 Avril 1979, un « Comité militaire
de salut national » (C.M. S. N.) remplace la junte qui avait renversé l’été précédent le
président-fondateur du pays, Moktar Ould Daddah.
Il est reproché au colonel
Mustapha Ould Mohamed Saleck son « indécision » et son « manque
d’autorité ». Se substituant au « Comité militaire de redressement national » (chronique
anniversaire Le Calame 8 Avril 2008), il nomme le lieutenant-colonel Ahmed Ould Bouceif, Premier ministre. Décisivement, son collègue, Mohamed Khouna
Ould Haïdalla contribue à cette nomination, il devient ministre de la Défense. Ahmedou
Ould Abdallah est nommé chef d’état-major, il aurait dû être la cheville
ouvrière du coup de 1978, mais indisposé au dernier moment il n‘en a rien été. Le lieutenant-colonel Mohamed Ould Bah Ould
Abdelkader est chargé de la permanence du C.M.S.N. A la tête des forces
aériennes, il était – en fait – loyal au Président et n’a pas initialement fait
partie du comité militaire (entretien avec Mustapha Ould Mohamed Saleck publié par Le Calame les 8 . 15 et 22 Juillet 2008). La suite montrera
qu’il n’en a jamais été de cœur, et que le changement qui s’opère est tout
proche d’un retour à la légitimité.
C’est le
retour à la collégialité. Le dualisme à la tête de l’Etat n’est qu’une
apparence. Le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck reste « Chef de
l’Etat ». Le 10, il pose la première pierre du port en eau profonde
réalisé et financé par la Chine
(100 millions de dollars, ouvrage en cinq ans : passerelle de 732 mètres, quai de 585 mètres, jetée
protectrice de 810 mètres,
trafic prévisible de 500.000 tonnes/an) : c’est l’œuvre des gouvernements
de Moktar Ould Daddah et le fruit de l’amitié sino-mauritanienne qu’il a fondée
depuis 1965, c’est l’exploitation pour le bénéfice de tout l’est mauritanien,
mais aussi des régions de la boucle du Niger, de la spectaculaire « route
de l’Espoir ». La veille, le président Léopold Sedar Senghor est accouru
en visite de travail. On lui donne le change.
Une nouvelle Charte des militaires est publiée le 11 : celle du C.M.S.N.. Il y est écrit que le président du
Comité est Chef de l’Etat – titre qui n’était plus porté depuis le putsch de
1978 – et qu’il est le chef suprême des armées, mais aucune décision ni nomination
ne peuvent plus se faire sans accord du C.M.S.N. C’est l’annulation des
pouvoirs d’urgence que quinze jours auparavant Mustapha avait tenté de
s’attribuer discrétionnairement. Le Premier ministre « conduit la
politique intérieure et extérieure du pays, conformément aux orientations et
aux options du C.M.S.N.. Le chef du gouvernement ne peut cumuler plus de sept
jours ses fonctions avec celles du Chef de l’Etat ». Quant au Conseil
consultatif et à la tentative de démocratisation, ils passent à la trappe…
Le 13 Avril, Ahmed
Ould Bouceif expose la position mauritanienne sur le vif du sujet : le
Sahara. Il soutient les résolutions des Nations unies, l’autodétermination mais
ne remet pas en cause l’alliance avec le Maroc. Toutefois, il est prêt à
recevoir une délégation algérienne. L’homme est fort, sa personnalité est
incontestée. C’est un homme d’Etat, le premier sans doute parmi les militaires,
et pour longtemps, s’il avait plu à Dieu… le lendemain, le Polisario tente de
répondre et fait du retrait des « troupes d’occupation » un préalable
à la négociation. La
Mauritanie, dès le 16, se déclare prête « en accord avec
le Maroc à entamer des pourparleres officiels avec l’Algérie et le Front
Polisario pour parvenir à un règlement négocié du conflit du Sahara
occidental », mais en comité militaire est adopté, le 18, un document secret – interne – sur la paix au
Sahara. Il est signé de Bouceif et d’Abdel Kader : la paix au Sahara ne
peut être que « globale ».
Dès lors, le nouvel homme
fort, le Premier ministre Ahmed Ould Bouceif, déploie une intense activité
diplomatique. Les 28 et 29 Avril, il
préside le deuxième conseil des ministres de « l’accord de non agression
et d’assistance en matière de défense » (l’ANAD créé en 1977 à Abidjan),
qui est suivi du conseil des ministres de la C.E.A.O. Il inspire du 1er au 5 Mai,
la navette du sous-comité de l’O.U.A. sur le Sahara : les présidents Obasanjo
et Traoré du Nigéria et du Mali en compagnie de Edem Kodjo, secrétaire général
de l’organisation continentale sont à Nouakchott le 1er, à Alger les
3 et 4, à Fès les 4 et 5 Mai. Le lieutenant-colonel Ould Bouceif excelle à ces
tête-à-tête, avec les présidents nigerian et malien, puis avec le roi Hassan
II. Enfin, les 3 et 4 Mai, il est à Paris, accompagné du ministre des Affaires
étrangères Ahmedou Ould Abdallah (homonyme civil du chef d’état-major) ; à
son retour, il fait escale à Madrid. La Mauritanie est décidée et crédible : pas de
cession pure et simple de la partie mauritanienne du Sahara occidental, au
préalable l’auto-détermination. Ses pairs militaires, au sein de la junte, en
sont d’accord. Le 7 Mai, un éditorial de Chaab conclut : referendum
au Sahara. Entretemps, le Polisario
détruit la station n° 2 du tapis convoyeur de phosphates de Bou Craa.
Paradoxe ?
aucune entrevue entre le Premier ministre et Moktar Ould Daddah, qui n’a été
visité que par Mohamed Khouna Ould Haïdalla. Il l’aurait sûrement libéré,
l’aurait-il rétabli ? la chaîne des événements de 1978 à 2008 aurait été
autre, si un avion, dans le vent de sable, ne s’était peu après écrasé.
Le lundi 15 Avril 1991, comme le pays s’en est donné la tradition sous les
régimes autroritaires, mais pas selon Moktar Ould Daddah, l’homme fort du
moment – Maayouia Ould Sid’Ahmed Taya – s’adresse au pays : c’est l’Aïd el
Fitr. La fin du Ramadan à deux heures du matin. Le président du Comité
militaire depuis six ans et demi, s’engage vers le multipartisme et une
Constitution. Suprise générale. Il semble qu’il exécute des promesses faites à
Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, et
avocat de grand renom. Le conflit avec le Sénégal, le passif humanitaire ont
rendu le régime peu fréquentable. « Conformément au désir d’un grand nombre de nos compatriotes, un
referendum sera organisé pour l’adoption d’une Constitution et ce avant la fin
de l’année en cours. Après l’adoption de cette Constitution, des élections
libres seront organisées pour choisir une Assemblée nationale et un Sénat.
L’autorisation de la création de partis politiques sans limitation de nombre
constituera la toile de fond de toute cette action ». C’est l’annonce d’un prochain
Conseil économique et social, l’évocation d’une assembléec constituante, la
perspective d’une libération de tous les détenus qu’on appelle alors
« négro-africains » [1]
(censément soixante-quatorze personnes).
Il n'y a pas unanimité dans l'entourage présidentiel et les "baassistes" crient au "complot français". C'est le programme de la Baule - l'année précédente - le président français, réunissant ses pairs africains les a exhortés à un peu plus de démocratie. L'Histoire dit que l'Abbé Pierre, lui-même inspiré par l'opposition guinéenne, l'en a supplié et que Danielle Mitterrand n'y a pas été étrangère.
La réalité est que le colonel Ould Taya a
été impressionné par la chute de son homologue malien, le général Moussa Traoré,
et son immédiate traduction en justice, notamment pour corruption. Et dans le
pays la pression est vive.
L’ouverture à Idini – le 9 Avril – devant
un tribunal d’exception et à huis clos, du procès de soixante-quatre
Mauritaniens originaires de la vallée du Fleuve (quatre-vingt-treize selon
l’AFP à Dakar) a confirmé un profond malaise : quelques quinze cents
originaires de la vallée du Fleuve, détenus depuis trois mois. Abdoulaye Baro,
secrétaire général de la présidence, décisif émissaire mauritanien auprès du
pouvoir sénégalais pendant les événements d‘Avril-Mai 1989, a démissionné :
trop de morts et d’exécution à l’insu de tout le gouvernement, et a écrit –
très explicitement – vers quoi va le régime et son chef. Le 1er
Avril, a circulé un tract de El Hor : « notre conscience individuelle
et collective est profondément choquée ». Le 4, lettre ouverte de l’UTM
(45.000 adhérents alors) demandant la constitution d’une commission d’enquête
et le procès public des responsables. Mahmoud Ould Mohamed Rhady, le secrétaire
général de la centrale syndicale, demande l’ouverture d’une conférence
nationale sur le sujet : les droits de l’homme et la démocratisation.
C’est le schéma de La Baule
que bon gré mal gré plusieurs régimes autoritaires de l’ancienne Afrique
d’expression française ont commencé de mettre en œuvre depuis quelques mois.
Les Etats-Unis ne sont pas en reste qui viennent d’affecter à Nouakchott, un
« poids lourd » de leur diplomatie : Gordon Brown (rien à voir avec l’actuel Premier ministre
britannique…), conseiller politique de l’US central command à Tampa, auprès du
général Schwarzkopf dans la guerre du Golfe, qui vient juste de se terminer.
Surtout, une cinquantaine de cadres, dont un ancien secrétaire général de la présidence de la République (Abdoulaye Baro), trois anciens ministres (dont Messaoud Ould Boulkheir), le président de la Ligue mauritanienne des droits de l'homme (Ghali Ould Abdelhamid) réclament en lettre ouverte " l'avènement d'un véritable Etat de droit, la liberté d'opinion, d'expression et d'association " et se réfèrent aux engagements du 12 Décembre 1984 : la restauration d'un Etat de droit. Ils écrivent au président du " Comité militaire de salut national " que « notre pays s’enfonce dans la dictature et le
désordre. Votre régime a, en effet, imposé une politique de terreur sans précédent
à l’ensemble de notre peuple et de discrimination raciste et chauvine à sa
composante négro-africaine, tout particulièrement aux Hal-Pular’en…
Aujourd’hui, les plus graves incertitudes pèsent sur l’existence même et la
survie de notre patrie. La poursuite de la politique actuelle, en alimentant le
cycle infernal répression-rébellion, ne peut que conduire à son éclatement au
seul profit de puissances étrangères expansionnistes ».
L'avant-veille, un remaniement ministériel " à caractère technique" a opéré deux permutations : Ahmed Khalifa Ould Jiddou, ancien ministre des Pêches est devenu ministre de l'Information, et Mohamed Lemine Ould Ahmed, le remplace, tandis que Mohamed Ould Heimeir, Fonction publique, Jeunesse et Sports devient ministre de la Santé, remplacé par Mohamed Abderrahmane Ould Meine.
[1] - Moktar Ould Daddah n’aurait jamais employé ces termes,
inconnus dans les années 1960-1970. Il disait : compatriotes du
Fleuve.
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