lundi 14 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà par Le Calame . 7 Avril 2009



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6 Avril 1979 & 15 Avril 1991

Le pouvoir confié au colonel Ahmed Ould Bouceïf
&
Annonce par le colonel Ould Taya d’un régime constitutionnel





Le 6 Avril 1979, un « Comité militaire de salut national » (C.M. S. N.) remplace la junte qui avait renversé l’été précédent le président-fondateur du pays, Moktar Ould Daddah.

Il est reproché au colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck son « indécision » et son « manque d’autorité ». Se substituant au « Comité militaire de redressement national » (chronique anniversaire Le Calame 8 Avril 2008), il nomme le lieutenant-colonel Ahmed Ould Bouceif, Premier ministre. Décisivement, son collègue, Mohamed Khouna Ould Haïdalla contribue à cette nomination, il devient ministre de la Défense. Ahmedou Ould Abdallah est nommé chef d’état-major, il aurait dû être la cheville ouvrière du coup de 1978, mais indisposé au dernier moment il n‘en a rien été. Le lieutenant-colonel Mohamed Ould Bah Ould Abdelkader est chargé de la permanence du C.M.S.N. A la tête des forces aériennes, il était – en fait – loyal au Président et n’a pas initialement fait partie du comité militaire (entretien avec Mustapha Ould Mohamed Saleck publié par Le Calame les 8 . 15 et 22 Juillet 2008). La suite montrera qu’il n’en a jamais été de cœur, et que le changement qui s’opère est tout proche d’un retour à la légitimité.

 C’est le retour à la collégialité. Le dualisme à la tête de l’Etat n’est qu’une apparence. Le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck reste « Chef de l’Etat ». Le 10, il pose la première pierre du port en eau profonde réalisé et financé par la Chine (100 millions de dollars, ouvrage en cinq ans : passerelle de 732 mètres, quai de 585 mètres, jetée protectrice de 810 mètres, trafic prévisible de 500.000 tonnes/an) : c’est l’œuvre des gouvernements de Moktar Ould Daddah et le fruit de l’amitié sino-mauritanienne qu’il a fondée depuis 1965, c’est l’exploitation pour le bénéfice de tout l’est mauritanien, mais aussi des régions de la boucle du Niger, de la spectaculaire « route de l’Espoir ». La veille, le président Léopold Sedar Senghor est accouru en visite de travail. On lui donne le change.

Une nouvelle Charte des militaires est publiée le 11 : celle du  C.M.S.N.. Il y est écrit que le président du Comité est Chef de l’Etat – titre qui n’était plus porté depuis le putsch de 1978 – et qu’il est le chef suprême des armées, mais aucune décision ni nomination ne peuvent plus se faire sans accord du C.M.S.N. C’est l’annulation des pouvoirs d’urgence que quinze jours auparavant Mustapha avait tenté de s’attribuer discrétionnairement. Le Premier ministre « conduit la politique intérieure et extérieure du pays, conformément aux orientations et aux options du C.M.S.N.. Le chef du gouvernement ne peut cumuler plus de sept jours ses fonctions avec celles du Chef de l’Etat ». Quant au Conseil consultatif et à la tentative de démocratisation, ils passent à la trappe…

Le 13 Avril, Ahmed Ould Bouceif expose la position mauritanienne sur le vif du sujet : le Sahara. Il soutient les résolutions des Nations unies, l’autodétermination mais ne remet pas en cause l’alliance avec le Maroc. Toutefois, il est prêt à recevoir une délégation algérienne. L’homme est fort, sa personnalité est incontestée. C’est un homme d’Etat, le premier sans doute parmi les militaires, et pour longtemps, s’il avait plu à Dieu… le lendemain, le Polisario tente de répondre et fait du retrait des « troupes d’occupation » un préalable à la négociation. La Mauritanie, dès le 16, se déclare prête « en accord avec le Maroc à entamer des pourparleres officiels avec l’Algérie et le Front Polisario pour parvenir à un règlement négocié du conflit du Sahara occidental », mais en comité militaire est adopté, le 18, un document secret – interne – sur la paix au Sahara. Il est signé de Bouceif et d’Abdel Kader : la paix au Sahara ne peut être que « globale ».

Dès lors, le nouvel homme fort, le Premier ministre Ahmed Ould Bouceif, déploie une intense activité diplomatique. Les 28 et 29 Avril, il préside le deuxième conseil des ministres de « l’accord de non agression et d’assistance en matière de défense » (l’ANAD créé en 1977 à Abidjan), qui est suivi du conseil des ministres de la C.E.A.O. Il inspire du 1er au 5 Mai, la navette du sous-comité de l’O.U.A. sur le Sahara : les présidents Obasanjo et Traoré du Nigéria et du Mali en compagnie de Edem Kodjo, secrétaire général de l’organisation continentale sont à Nouakchott le 1er, à Alger les 3 et 4, à Fès les 4 et 5 Mai. Le lieutenant-colonel Ould Bouceif excelle à ces tête-à-tête, avec les présidents nigerian et malien, puis avec le roi Hassan II. Enfin, les 3 et 4 Mai, il est à Paris, accompagné du ministre des Affaires étrangères Ahmedou Ould Abdallah (homonyme civil du chef d’état-major) ; à son retour, il fait escale à Madrid. La Mauritanie est décidée et crédible : pas de cession pure et simple de la partie mauritanienne du Sahara occidental, au préalable l’auto-détermination. Ses pairs militaires, au sein de la junte, en sont d’accord. Le 7 Mai, un éditorial de Chaab conclut : referendum au Sahara. Entretemps,       le Polisario détruit la station n° 2 du tapis convoyeur de phosphates de Bou Craa.

Paradoxe ? aucune entrevue entre le Premier ministre et Moktar Ould Daddah, qui n’a été visité que par Mohamed Khouna Ould Haïdalla. Il l’aurait sûrement libéré, l’aurait-il rétabli ? la chaîne des événements de 1978 à 2008 aurait été autre, si un avion, dans le vent de sable, ne s’était peu après écrasé.


Le lundi 15 Avril 1991, comme le pays s’en est donné la tradition sous les régimes autroritaires, mais pas selon Moktar Ould Daddah, l’homme fort du moment – Maayouia Ould Sid’Ahmed Taya – s’adresse au pays : c’est l’Aïd el Fitr. La fin du Ramadan à deux heures du matin. Le président du Comité militaire depuis six ans et demi, s’engage vers le multipartisme et une Constitution. Suprise générale. Il semble qu’il exécute des promesses faites à Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, et avocat de grand renom. Le conflit avec le Sénégal, le passif humanitaire ont rendu le régime peu fréquentable. « Conformément au désir d’un grand nombre de nos compatriotes, un referendum sera organisé pour l’adoption d’une Constitution et ce avant la fin de l’année en cours. Après l’adoption de cette Constitution, des élections libres seront organisées pour choisir une Assemblée nationale et un Sénat. L’autorisation de la création de partis politiques sans limitation de nombre constituera la toile de fond de toute cette action ». C’est l’annonce d’un prochain Conseil économique et social, l’évocation d’une assembléec constituante, la perspective d’une libération de tous les détenus qu’on appelle alors « négro-africains » [1] (censément soixante-quatorze personnes).

Il n'y a pas unanimité dans l'entourage présidentiel et les "baassistes" crient au "complot français". C'est le programme de la Baule - l'année précédente - le président français, réunissant ses pairs africains les a exhortés à un peu plus de démocratie. L'Histoire dit que l'Abbé Pierre, lui-même inspiré par l'opposition guinéenne, l'en a supplié et que Danielle Mitterrand n'y a pas été étrangère.



La réalité est que le colonel Ould Taya a été impressionné par la chute de son homologue malien, le général Moussa Traoré, et son immédiate traduction en justice, notamment pour corruption. Et dans le pays la pression est vive.

L’ouverture à Idini – le 9 Avril – devant un tribunal d’exception et à huis clos, du procès de soixante-quatre Mauritaniens originaires de la vallée du Fleuve (quatre-vingt-treize selon l’AFP à Dakar) a confirmé un profond malaise : quelques quinze cents originaires de la vallée du Fleuve, détenus depuis trois mois. Abdoulaye Baro, secrétaire général de la présidence, décisif émissaire mauritanien auprès du pouvoir sénégalais pendant les événements d‘Avril-Mai 1989, a démissionné : trop de morts et d’exécution à l’insu de tout le gouvernement, et a écrit – très explicitement – vers quoi va le régime et son chef. Le 1er Avril, a circulé un tract de El Hor : « notre conscience individuelle et collective est profondément choquée ». Le 4, lettre ouverte de l’UTM (45.000 adhérents alors) demandant la constitution d’une commission d’enquête et le procès public des responsables. Mahmoud Ould Mohamed Rhady, le secrétaire général de la centrale syndicale, demande l’ouverture d’une conférence nationale sur le sujet : les droits de l’homme et la démocratisation. C’est le schéma de La Baule que bon gré mal gré plusieurs régimes autoritaires de l’ancienne Afrique d’expression française ont commencé de mettre en œuvre depuis quelques mois. Les Etats-Unis ne sont pas en reste qui viennent d’affecter à Nouakchott, un « poids lourd » de leur diplomatie : Gordon Brown (rien à voir avec l’actuel Premier ministre britannique…), conseiller politique de l’US central command à Tampa, auprès du général Schwarzkopf dans la guerre du Golfe, qui vient juste de se terminer. 

Surtout, une cinquantaine de cadres, dont un ancien secrétaire général de la présidence de la République (Abdoulaye Baro), trois anciens ministres (dont Messaoud Ould Boulkheir), le président de la Ligue mauritanienne des droits de l'homme (Ghali Ould Abdelhamid) réclament en lettre ouverte " l'avènement d'un véritable Etat de droit, la liberté d'opinion, d'expression et d'association " et se réfèrent aux engagements du 12 Décembre 1984 : la restauration d'un Etat de droit. Ils écrivent au président du " Comité militaire de salut national " que « notre pays s’enfonce dans la dictature et le désordre. Votre régime a, en effet, imposé une politique de terreur sans précédent à l’ensemble de notre peuple et de discrimination raciste et chauvine à sa composante négro-africaine, tout particulièrement aux Hal-Pular’en… Aujourd’hui, les plus graves incertitudes pèsent sur l’existence même et la survie de notre patrie. La poursuite de la politique actuelle, en alimentant le cycle infernal répression-rébellion, ne peut que conduire à son éclatement au seul profit de puissances étrangères expansionnistes ». L'avant-veille, un remaniement ministériel " à caractère technique" a opéré deux permutations : Ahmed Khalifa Ould Jiddou, ancien ministre des Pêches est devenu ministre de l'Information, et Mohamed Lemine Ould Ahmed, le remplace, tandis que Mohamed Ould Heimeir, Fonction publique, Jeunesse et Sports devient ministre de la Santé, remplacé par Mohamed Abderrahmane Ould Meine.

En fait, la question de régime est posée. La démission, préalable à tout processus de démocratisation,  du chef de la junte est réclamée. Le directeur de son cabinet Louleïd Ould Waddad fait l’unanimité contre lui, omnipotent et solitaire. Très en flèche, les mouvements d’originaires de la vallée du Fleuve : FLAM, FRUIDEM et FURAM, mais aussi une coalition de mouvements « intercommunautaires » fédérés dans le Mouvement national démocratique. Une lettre ouverte des femmes de disparus réclame une commission d’enquête. C’est dans cette ambiance que Maaouyia Ould Sid Ahmed taya – non sans habileté – commence une seconde phase de sa carrière politique. Il a contre lui le Comité militaire et l’opinion publique, mais imagine le scenario et dans un quasi-secret va faire rédiger une Constitution et gagner, à l’arraché, inconditionnellement un referendum adoptant son texte. Prodromes : Deidar Ould Sidi Mohamed, précédemment professeur à l’Ecole normale de Nouakchott, est nommé président du Conseil économique et social, et Sow Abou Samba, est nommé secrétaire général du gouvernement mauritanien, en remplacement d’Abdoulaye Baro, « admis à la retraite ». La « démocratie de façade » monte les tréteaux de son spectacle qui donnera le change à l’étranger. Le régime autoritaire va obtenir quatorze ans de répit…





[1] - Moktar Ould Daddah n’aurait jamais employé ces termes, inconnus dans les années 1960-1970. Il disait : compatriotes du Fleuve.

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