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8 . 9 Février 1966 & 12 Février 1989 . 4 Février
1994
Premières violences inter-ethniques à l’échelle
nationale
&
Elections municipales en
régime autoritaire
La période fondatrice de la Mauritanie moderne –
l’époque de Moktar Ould Daddah (du 20 Mai 1957 au 10 Juillet 1978) – a été
caractérisée par des institutions qui n’ont pas d’équivalent aujourd’hui et par
une personnalité exceptionnelle, institutions et personnalité consensuelles. Ce
qui rend inexacte une pétition aujourd’hui courante : la démocratie et les
l’élection qui vont avec, ne datent en Mauritanie que de 2006-2007 (on en voit
le résultat…). Assortie d’un amalgame entre le Parti du peuple, exercice
concret de la démocratie et instrument du consensus de 1961 à 1978, et le Parti
républicain démocratique et social (P.R.D.S.), machine électorale et parlementaire
de 1992 à 2005 – Ely Ould Mohamed Vall l’a systématiquement répété en 2005 et
2006 – et d’une telle ignorance de la personnalité de Moktar Ould Daddah que
Mohamed Ould Abdel Aziz n’a rien à dire en inaugurant, le 5 Novembre dernier,
l’avenue qui va porter son nom. Aux « états-généraux », il a été
affirmé que la « gabegie » qui règne en Mauritanie jusqu’au coup du 6
Août, dure depuis cinquante ans, donc date de l’exercice du pouvoir par le
premier président de la
République Islamique de Mauritanie !
Au contraire… trois anniversaires montrent
comment la question la plus difficile – l’entente
et l’unité inter-ethnique – a pu être traitée par Moktar Ould Daddah et ses
co-équipiers : les événements de 1966, tout à fait contenus, alors que
ceux de 1989, dramatiquement proliférants, laissent encore des plaies béantes
et que Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya ne fut pas capable de les prévenir,
contenir et expliquer pour en faire sortir un consensus sur le champ… et
comment les élections que le régime
militaire et la « démocratie de façade » par laquelle il se perpétua,
tentaient d’acclimater à l’essai pour le seul niveau municipal, furent d’emblée
ou paternalistes ou truquées. Il y a une différence fondamentale entre avant
1978 et depuis 1978 – que continue 2008.
Le 8
Février 1966, vers sept heures et
demi du soir, éclatent des bagarres au lycée de Nouakchott. Entre élèves Maures
et Noirs, il y a des blessés : les combattants sont séparés, le lycée est occupé
et isolé par la garde nationale.
Le lendemain matin, à partir de huit
heures et demi, dans la capitale : heurts violents entre ethnies. Six
morts et soixante-dix blessés. A midi et demi, le président de la République :
Moktar Ould Daddah, et le ministre des Affaires étrangères et de la Défense : Mohamed
Ould Cheikh, venant de Bamako, atterrissent à Nouakchott [1].
En vol, ils ont été mis au courant par Ahmed Ould Mohamed Salah, ministre de
l’Intérieur, cumulant les intérims de la présidence et du ministère de la Défense. La rumeur
d’un coup d’Etat, dont l’exécutant aurait été le lieutenant-colonel Moustapha
Ould Mohamed Saleck, courut [2],
circule au point que le doyen du corps diplomatique, l’ambassadeur de Franbce,
Jean-François Deniau, demande à ses collègues résidant à Nouakchott
d’accueillir avec lui et d’ « escorter » le Président de
l’aéroport à ses bureaux. A partir de treize heures, quadrillage et patrouilles
rétablissent l’ordre dans la capitale.
Dans l’après-midi, le Bureau Politique
national, le Gouvernement et les présidents de l’Assemblée et du Groupe parlementaire
sont réunis sous la présidence du Chef de l’Etat. Il est décidé de
« déclencher un ensemble de mesures propres à assurer le maintien de
l’ordre … fermer tous les établissements scolaires du second degré »
(à Nouakchott, les élèves sont renvoyés en brousse dans leur famille) et
d’« envoyer immédiatement des missions d’explication » dans les
principales localités du pays, composées d’un Maure et d’un originaire de la Vallée du Fleuve. Dans
l’ensemble du pays, la grève des enseignants d’arabe et les élèves maures est
observée. Envoi par avion de renforts à Aioun et Kaédi, garde des ambassades. Radio-Mauritanie fait état « d’un
certain nombre de blessés » et « d’une agitation dans les
établissements scolaires du second degré et des bagarres qui s’en sont
suivies ». Le couvre-feu est instauré de 18 heures 30 à 7 heures du matin
à Nouakchott. Le 10, le ministre de
l’Intérieur, Ahmed Ould Mohamed Salah, énumère par circulaire les groupements
et publications illicites, tandis que le président Moktar Ould Daddah
signe des décrets nommant Moustapha Ould Mohamed Saleck « jusqu’à nouvel
ordre, comme responsable du maintien de l’ordre à Nouakchott », fixant les
dispositions en vue d’assurer le maintien de l’ordre dans l’ensemble du pays,
fixant les mesures prises pour assurer le maintien de l’ordre à Kaédi (ce qui
nempêche pas le 12 que soient incendiés des hangars appartenant à des Maures).
Hamada Ould Zein, nouveau directeur de la Fonction publique, doit veiller à son loyalisme,
toutes origines ethniques confondues, et à Atar, Tidjane Kane, est chargé de
l’intérim du commandant de cercle de l’Adrar. Désormais, dans la capitale, les
forces de l’ordre ont la situation en mains ce qui n’empêche pas des règlements
de comptes individuels. Le reste du pays est calme et le 11, dans la soirée,
une quarantaine d’arrestations est opérée, touchant les deux communautés dont
les « 19 ».
C’est le 13 que le vent tourne tout à
fait, même si des bagarres éclatent à M’Bout. Les membres du bureau national de
l’U.T.M. (alors centrale syndicale unique et comprenant notamment les
enseignants et les autres fonctionnaires) « réaffirment le soutien
indéfectible de l’U.T.M. au président Moktar Ould Daddah symbole de l’unité
nationale et l’assurent ainsi que le Gouvernement de son appui sans réserve
pour trouver dans le cadre national une solution qui sauvegarde la coexistence
harmonieuse des deux ethnies ». A Paris, dix-neuf étudiants maures
répliquent aux tenants des deux extrêmismes en affirmant leur
« attachement aux institutions de la République une et indivisible » et leur
opposition « à toute forme de fédération » et à toute
« distinction entre les deux ethnies »
Que s’est-il donc passé ? [3].
A la suite de la
circulation du « manifeste des 19 » (cf. Le Calame 15
Janvier 2008 . chronique anniversaire du 10 Janvier 1966 – événements et
discours radiodiffusé de Moktar Ould Daddah), le Bureau Politique National, réuni
le 31 Janvier, « examine la
situation politique dans son ensemble ainsi que les mesures à prendre pour le
renforcement du Parti » et désigne une Commission nationale d’études
chargée d’étudier tous les aspects des relations entre les deux communautés [4].
Le 2 Février, la Commission
se met au travail sous la présidence du Chef de l’Etat, qui doit s’envoler le
lendemain pour sa première visite officielle au Mali. Dans la nuit du 2 au 3, est diffusion un tract maure formant riposte au
manifeste des « 19 » : « la voix des élèves
mauritaniens ou la voix du peuple ». Il y est affirmé que le décret d’application du 13 Janvier 1966 viole
la loi du 30 Janvier 1965 (celle rendant obligatoire la langue arabe dans
l’enseignement), que le gouvernement mène une « politique qui consiste à
forger de toute pièce une ethnie noire pour noircir la Mauritanie » et
considère la « scission complète et définitive des deux ethnies, seul
remède pour assurer notre avenir ».
Le 6, les services de renseignement – en l’absence du Président
de la République
– font prévoir une grève des élèves maures
et des bagarres simultanément au lycée et en ville de Nouakchott ; il est
décidé de fermer les classes terminales le 9 et de prendre des mesures de
sécurité pour la
Capitale. Annoncées, les violences ont donc eu lieu.
Les causes sont lointaines.
Elles remontent au Congrès de l’Unité (politique) et au report d’année en année
du débat sur les conditions de l’unité nationale. Initialement, ce débat
portait sur des garanties accordées par une majorité à une minorité ;
l’institution d’une vice-présidence de la République, revenant à un compatriote originaire
de la Vallée
du Fleuve, aurait été la plus apparente. Ainsi que pour toutes les questions
difficiles, vitales, Moktar Ould Daddah mûrissait lentement les solutions et
n’en disait rien à personne, tant que ce n’était pas net dans son esprit, et
que la synthèse ou le bout à bout de ce qu’il entendait, n’étaient pas encore
au point : on pouvait même croire que la question était oubliée ou
l’ancienne conviction émoussée... mais des jalons étaient posés, très peu ou
pas du tout remarqués. Ainsi les discussions en groupe parlementaire, en Bureau
politique, au gouvernement, formelles ou informelles, pendant ces mois de
Janvier et de Février 1966, lui permirent de se fixer le cap, et surtout de le
dire : la République
resterait unitaire, la discrimination raciale serait considérée comme une
atteinte au pays lui-même, la langue arabe – déjà langue religieuse pour
l’ensemble de tous les Mauritaniens – deviendrait obligatoire dans
l’enseignement et la vie pratique, le bilinguisme étant une richesse pour une
Mauritanie à la vocation de trait d’union. Fusion et respect. Le contraire
aurait mené à l’extension des violences de 1966 et mènera aux drames de 1989 et
aux divers massacres de militaires au prétexte de tentatives de renverser le
régime du colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya.
Moktar
Ould Daddah en tire publiquement la conclusion, au ksar de Nouakchott le 15
Février. Il stigmatise « la haine
raciale, chose que notre pays n’avait jamais connue auparavant », loue « la
loyauté inébranlable, la fermeté solide de notre jeune armée, de notre jeune
police » et proclame que « la Mauritanie est une et indivisible… quiconque se
livre ou se livrera à une activité subversive raciale, anti-Parti, sera
impitoyablement châtié, si haut placé qu’il soit ». A ses auditeurs, très
nombreux, attentifs, silencieux, il recommande : « quand bien même il n’existe pas de
parti d’opposition, votre militantisme doit être actif… Nous sommes tous
responsables » [5].
Le 19, un rapport sur les évènements [6] recommande sur le plan judiciaire, la
comparution devant des tribunaux d’exception, de ceux qui ont provoqué la
division par leurs écrits, et devant les tribunaux ordinaires, les auteurs
d’actes de violence. Sur le plan politique,
il réclame la « définition du rôle et du contenu du Parti pour le
renforcer par un retour à la démocratie interne… et une définition claire des
données de base sur lesquelles portent le débat ». Ce sera la tâche du
congrès d’Aïoun-el-Atrouss. En l’attendant, Moktar Ould Daddah renvoit dos à
dos ses deux plus proches collaborateurs : Mohamed Ould Cheikh et Ahmed
Ould Mohamed Salah, qui – malgré eux – étaient devenus respectivement les
porte-drapeaux, l’un des thèses de certains originaires de la Vallée du Fleuve et d’une
solution fédérale, l’autre de la réaction exacerbée et très exclusive de
certains des Maures. Et Mamadou Samboly Ba, président de l’Assemblée nationale,
et auquel songeait le Président comme éventuel successeur pour qu’alternent les
différentes ethnies à la tête du jeune Etat, se fait dater pour effet immédiat
la démission qu’il avait signée en blanc – comme tout élu, à la suite du
congrès de Kaédi (cf. Le Calame 20 Janvier 2009 . chronique
anniversaire du 23 Janvier 1964).
Le 3
Février 1989, le président du Comité militaire de salut national, chef de
l’Etat, déclare à « Arabies » que des élections et le
multipartisme sont encore prématurés : « les Mauritaniens doivent
recevoir une éducation civique avant de militer et c’est la raison pour
laquelle nous avons mis en place une structure d’éducation des masses ».
Le renversement de l’ordre constitutionnel a déjà plus de dix ans… et le
scrutin pour la mise en place de conseils dans les 164 communes rurales n’a pas
quinze jours. Il était annoncé comme le banc d’essai de la démocratie.
Installant, le 12, les nouveaux maires des communes rurales, le colonel
Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya explique que
« l’ouverture démocratique, grâce à la décentralisation
communale, vise essentiellement à préparer le peuple mauritanien à la
réalisation de ses grandes options nationales ». Mais les véritables
élections municipales qui ont lieu finalement lieu le 28 Janvier 1994, avec un
deuxième tour le 4 Février – après
plusieurs rumeurs de leur anticipation en 1993 –, inaugurent la pratique du
régime qui n’a que changé de nom avec l’élection présidentielle du 24 Janvier
1992 (cf. Le
Calame 29 Janvier 2008 . chronique anniversaire). Le parti gouvernemental (P.R.D.S.)
obtient au premier tour la mairie de 163 des 208 communes du pays, l’Union des
forces démocratiques, U.F.D. remporte 16 communes et les listes indépendantes
18. La participation est respectable : 70,05%. Le pays entre-t-il en démocratie,
au moins locale ? L’U.D.P. en ballotage à Aïoun, appelle à voter U.F.D.
ailleurs, soit à Nouakchott et à Nouadhibou (où l’avance du P.R.D.S. est inférieure
à cinq points : 44,28% contre 42% et 40,52% contre 35,63%). Des
indépendants afffrontent le P.R.D.S. à Néma, Kankossa, Foum Gleïta et Ould
Yence : ils sont soutenus par l’ensemble des oppositions. Au deuxième
tour, le P.R.D.S. conserve Aïoun, Nouakchott (20 conseillers contre 17 à
l’U.F.D.), Nema et Nouadhibou. Ahmed Ould Daddah se voit interdire « la
marche de protestation » prévue pour le 10 pour « dénoncer la fraude
massive et les blocages ». La campagne avait été marquée, le 20 Janvier,
par l’arrestation de Cheikh Saad Bouh Camara, responsable de l’Association
mauritanienne des droits de l’homme, non reconnue, et membre du secrétariat
exécutif de l’U.D.P. Motif : « incitation à l’agitation » pour
avoir affirmé que des enfants « haratine » avaient été vendus. La loi
selon laquelle toute référence à « un retour à l’esclavage »
constitue une « atteinte à l’unité nationale », a bon dos.
[1] - depuis le 3, ils y étaient en voyage
officiel, accompagnés de Mamadou Samba Boly Ba, Président de l’Assemblée
nationale et d’Elimane Mamadou Kane, ministre du Développement. Ils avaient
constaté l’ « esprit d’unité nationale qui règne au Mali », confronté
les expériences respectives en matière d’édification nationale et fait l’étude
comparative de l’évolution des deux Partis. Enfin, ils avaient préparé la
prochaine conférence des Chefs d’Etat riverains du fleuve Sénégal
[2] - formellement démentie par l’intéressé – entretien publié
par Le Calame les 8 . 15 et 22 Juillet 2008. Il reçoit
pleins pouvoirs du Président dès que celui-ci a atterri –d’autant qu’il fait
depuis la veille l’intérim du chef d’état-major national, le capitaine M’Bareck
Ould Bouna Moktar, partant en France
[3] - La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages –
disponible en arabe et en français), pp. 342 à
348 - Moktar Ould Daddah y donne un récit factuel, démentant notamment les
mémoires de Jean-François Deniau sur ce point fantaisistes, pour développer
davantage le remaniement du gouvernement d’alors
[4] - composée de Abdallahi Ould Daddah,
Abdoulaye Baro, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske, Bakar Ould Sidi Haiba, Bocar
Alpha Ba, Gaye Silly Soumare, Mohameden Babbah, Hamdi Ould Mouknass, Seck Mame
Diack, Ibrahima Kane
[5] - le Président termine
ainsi son improvisation – assis parmi ses compatriotes, je l’ai enregistrée… « Je vous demande,
mes chers camarades, de la capitale et de l’intérieur, chers militants du Parti
du Peuple Mauritanien, je vous demande de vous mobiliser, de vous unir, de vous
tenir au coude à coude pour faire échouer les tentatives des mauvais
compatriotes. Le Parti et le Gouvernement – je vous en donne l’assurance –
feront tout pour vous donner la justice, pour vous assurer la justice, en
attendant de pouvoir faire tout ce qu’ils peuvent pour vous. car votre Parti
est le Parti du Peuple ; il veut tout pour le peuple, et par le Peuple
tous les responsables du Parti ne sont autre chose que ce que vous savez et que
sommes-nous ? Sommes-nous des étrangers ? Je ne le crois pas nous
sommes donc les vôtres, nous sommes des fils de ce pays, nous avons prêté
devant vous, devant Dieu, le serment de tout faire pour assurer votre
bien-être, pour assurer et consolider l’unité nationale, pour assurer la
construction nationale et je vous assure que nous ne faillirons pas à notre
devoir faites donc confiance à votre Parti mobilisez-vous et sachez que notre
nonchalance habituelle peut se justifier dans des périodes normales, mais quand
l’existence de la Patrie est menacée, nous n’avons plus le droit d’être nonchalant, nous n’avons plus le droit de dire : « Bon ! puisqu’il
n’y a pas de parti d’opposition – moi j’appartiens au Parti, j’ai ma carte – mais ce
n’est pas la peine de militer ». non ! ce raisonnement, il faut le
bannir. Il faut que chacun d’entre
vous se sente aussi mobilisé que tous les autres et que vous vous considériez
aussi responsable à n’importe quel niveau que vous vous trouviez – que vous
soyez simple militant ou responsable de cellule, de section, de comité, du
Bureau Politique, etc… La responsabilité nous incombe à tous à partir du moment
où devant l’Histoire, où devant Dieu, nous avons prêté le serment de bien
servir fidèlement l’unité nationale et la cause de notre Patrie, - à partir de
ce moment, dis-je, nous sommes tous également responsables et n’importe lequel
d’entre nous, à n’importe quel niveau doit responsable et agir en responsable. » La
vibration de tous à l’unisson de cet homme simple, en boubou bleu ciel, était
sensible.
[6] - rédigé par Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, Kone Ali
Bere, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske et Ahmedou Ould Moichine, ce dernier étant
directeur de la Sûreté
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