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13-14 Février 1965 &
17 Février 1989
Installation du secrétariat du Comité
inter-Etats des riverains du fleuve Sénégal
&
Fondation de l’Union du
Maghreb arabe
Les 13 et 14
Février 1965, les
présidents Léopold Sedar Senghor, Modibo Keita et Moktar Ould Daddah se
réunissent à Saint-Louis-du- Sénégal et y installent le secrétariat général du
Comité inter-Etats des riverains du fleuve Sénégal. Il s’agit de rechercher le
développement intégré de la sous-région et l’on convient d’une rencontre
annuelle « au sommet ». L’économie est le domaine choisi pour une
coopération entre des pays qui depuis l’indépendance n’ont pu s’entendre sur
une organisation politique commune, encore moins sur une iuntégration
terriroriale. On évoque l’harmonisation (sans suppression) des obstacles aux
échanges et l’on envisage de renégocier les accords de la Banque centrale des Etats
de l’Afrique de l’Ouest avec la
Guinée et le Mali. Sékou Touré est absent, il est entendu que Moktar
Ould Daddah lui rendra compte et le pressera de participer à la prochaine
rencontre. Pour le président mauritanien, la nouvelle institution n’est qu’un
premier pas ; il affirme à ses pairs « l’intérêt
qu’il y a également d’envisager la constitution d’un ensemble économique
régional qui grouperait francophones et anglophones de l’Ouest Africain ».
L’entente à quatre des Etats riverains du
fleuve Sénégal n’a jamais été facile du fait de la Guinée et des conflits de
personnes entre Sékou Touré et ses deux voisins frontaliers [1].
Moktar Ould Daddah fut sans cesse l’intermédiaire agréé autant par le Sénégal
que par l’ex-Soudan français relevant seul le grand nom du Mali.
La mise en place de 1965 a été laborieuse. Le
Comité inter-Etats a été projeté à partir de la première conférence ministérielle des quatre Etats riverains du Sénégal
qui s’était tenue les 10 et 11
Juillet 1962 à Conakry. On y avait reconnu l'unité du bassin du Fleuve
quant à son développement, et par l’"adoption de mesures concrètes pour
une action immédiate et concertée", on devait aller vite, et à quatre. De
fait, depuis le 12 Janvier précédent, la Mission d'aménagement du Sénégal (M.A.S.) se
réunissait sans que le Mali soit représenté : la Mauritanie et le
Sénégal sont en tête-à-tête et à nouveau le 8 Février 1963. Sans doute pas
fâchés, puisqu’il sera entendu, le 8 Mars 1965 que « la M.A.S. intégrée dans le comité
inter-Etats continuera de servir d’instrument de développement exclusif pour le
Sénégal et la Mauritanie »
Les obstacles ont été de trois sortes.
Les relations politiques bilatérales entre
les Etats étaient, pour presque toutes, à régler au lendemain des indépendances
décidées et développées dans des circonstances particulières à chacun, sinon
antagonistes. Entre la Guinée
et le Sénégal, la confrontation a toujours été chronique et l’institution d’une
commission permanente de coopération se décide à Labé, lors d’entretiens, du 26
au 28 Mai 1962, dans un contexte compliqué : le Sénégal est alors
bicéphale, la rivalité de plus en plus évidente entre Léopold Sedar Senghor et Mamadou
Dia qui discutent plus entre eux qu’ensemble avec Sekou Touré.
Entre la Mauritanie et le Mali,
le contentieux est grave tant que persistent un différend frontalier à
l’initiative malienne et une semi-revendication de populations dans l’esprit
mauritanien [2] et
surtout que Bamako reste à l’écoûte de Rabat : la menace terroriste à
partir du territoire malien, est dramatiquement effective. Le 29 Mars 1962, à Nema, attentat contre un mess d'officiers de l'armée
mauritanienne causant la mort de trois français et faisant treize
blessés. Aussi, dès l’été de 1962, les plaies doivent être débridées :
d’abord à Kiffa, les 2 et 3, où les ministres de confiance de Moktar Ould
Daddah, Ahmed Ould Mohamed Salah et Mohamed Ould Cheikh, règlent avec le
secrétaire d'Etat malien à la
Défense le "contentieux psychologique", puis par la
décision du Bureau politique national du Parti du Peuple prise, le 9, en
l'absence du secrétaire général, d’envoyer une délégation au congrès de l'Union
soudanaise–RDA [3]. Dans
cet esprit nouveau, les ministres de l'Intérieur du Mali et de la Mauritanie, se
rencontrant les 23 et 24 Novembre, à Bamako, constatent leur « complète
identité de vues sur les problèmes examinés » et particulièrement sur les
questions frontalières et de sécurité ainsi que sur les problèmes économiques.
On s’accorde sur la réinstitution de la commission des frontières, la
non-incursion des forces de sécurité mais la coopération pour la recherche des
éléments subversifs [4]
et enfin l’application des accords de Nouakchott du 25 Janvier 1960 et
d'Aioun-el-Atrouss du 13 Juin suivant pour la transhumance et le recensement
fiscal. Finalement, les entretiens
qu’ont Modibo Keita et Moktar Ould Daddah, du 15 au 17 Février 1963, à Kayes,
règlent le contentieux entre les deux Etats et un traité [5]
précise leur frontière : " des résultats que nous pourrons
donner en exemple à tous ceux que pourraient opposer des problèmes semblables à
ceux qui devaient être discutés entre nous, c'est à dire des contentieux
frontaliers … nous avons apporté à l'édifice de l'unité africaine une pierre de
taille ". Les 3 et 5 Mars suivant,
des négociations à Nouakchott aboutissent à des accords de commerce, de paiement et de transports
routiers et aériens. Puis, l’élan retombe,
il faut attendre le 1er Février 1965 pour convenir de la
matérialisation de la frontière, examiner l’application des accords routiers et
douaniers du 5 Avril 1963 et surtout un
voyage officiel de Moktar Ould Daddah au Mali du 3 au 9 Février 1966, accompagné
de Mamadou Samba Boly Ba, Président de l’Assemblée et des deux plus brillants
ministres de l’époque, celui du Développement : Elimane Mamadou Kane, et
celui des Affaires étrangères et de la Défense : Mohamed Ould Cheikh. Mais entre
les deux présidents, la confiance existe depuis leur entrevue, à Néma, du 19
Juin 1965.
Entre le Sénégal et le Mali, à peu près au
moment du traité de Kayes, un communiqué conjoint le 1er Février
1963, règle enfin le contentieux de 1960. Le 8 Juin suivant, sont signés à
Bamako, des accords sur le commerce, le paiement, les douanes, la reprise du
trafic ferroviaire et l'utilisation des ports sénégalais. Puis le 22 Juin, à
Kidira, au Mali, les deux chefs d’Etat s’entretiennent après trois ans de
brouille. Ils se revoient davantage, deux ans plus tard, du 29 au 31 Mai 1965, à
Kayes, selon la dialectique nouvelle que nourrit l’intégration régionale et,
enfin, du 4 au 10 Décembre 1965, Léopold Sédar Senghor visite officiellement le
Mali.
Entre la Mauritanie et le
Sénégal, les relations sont complexes plus sur le plan d’une susceptibilité
toujours vive de part et d’autre [6],
que sur les plans pratiques. Du 19 au
21 Novembre 1962, une visite
officielle de Mamadou Dia, président du Conseil sénégalais, à Nouakchott, apure
en principe tous les contentieux et en marge se tient une conférence
entre les ministres de la
Planification des deux pays, mais un mois après, du 14 au 19 Décembre, crise au Sénégal et fin du
dualisme gouvernemental. Censuré par l'Assemblée nationale le 14,
Mamadou Dia s'opose à cette dernière et est arrêté le 18 (il sera condamné le
11 Mai 1963 à la détention perpétuelle). Léopold Sedar Senghor, déjà chef de
l'Etat devient également le chef du gouvernement, pour assurer son homologue
mauritanien, dès le 5 Janvier 1963, de la poursuite des conversations et accords
entamés pendant le récent voyage officiel de l’ancien président du conseil. Le 28
Avril 1963, à Dakar, une conférence conclut à " la révision et à l'adaptation
des accords passés entre les deux Etats ".
Les 26 et 27 Juillet 1963, à Bamako, les quatre Etats riverains du fleuve
Sénégal signent une convention sur l’aménagement du bassin du Sénégal
instituant un Comité inter-Etats. Mais dès le 30…Sekou Touré considère
que l’adoption de la Charte
de l’Organisation de l’Unité africaine implique la dissolution de tous les
groupements régionaux, et son entretien avec Senghor, le 24 Octobre, à
Tambacounda, au Sénégal, n’arrange rien : les retrouvailles du 13 au 18
Mai précédents, quand le Guinéen avait visité officiellement le Sénégal, n’ont
pas eu de lendemain. Pourtant, réunis du
5 au 8 Février 1964, à Dakar, les experts des quatre Etats riverains du
fleuve Sénégal parviennent à régler l’organisation et le fonctionnement du
Comité inter-Etats et adoptent même une
convention précisant le nouveau statut du Fleuve [7]
et élaborée le 20 Décembre précédent à Nouakchott.
L’ambiance
politique générale, elle surtout, pèse en effet. Au départ, Sékou Touré admet
(14 Juin 1962) que " la réalisation de l'unité africaine peut être
atteinte sans qu'il soit tenu compte des régimes intérieurs " des Etats.
La tendance, il est vrai, va dans le sens des solutions guinéennes : en
voyage officiel dans les pays de l'Est, du 4 au 8 Juin 1962, Mamadou Dia avait
déclaré méditer sur le rôle dirigeant du Parti, et c’est surtout Moktar Ould
Daddah qui avait placé son voyage
officiel en Guinée, du 27
Octobre au 3 Novembre 1963, " sous le signe du Parti" : "
les deux chefs d’Etat sont tombés d’accord pour reconnaître que les formes
d’action du PDG et du Parti du peuple dans la recherche des solutions aux
problèmes posés par la construction de leurs nations étaient les mieux adaptées
aux réalités nationales de la
Guinée et de la
Mauritanie ». On était allé vite depuis la mission de
bonne volonté en Mauritanie de l'ambassadeur de Guinée à Dakar, le 11 Juillet
1962, et la remise des lettres de créance, le 15 Août 1963, du premier
ambassadeur de Guinée à Nouakchott. Après plusieurs reports de date depuis le
printemps, Sekou Touré voyage officiellement en Mauritanie du 16 au 21 Décembre
1964. L’accueillant, Moktar Ould Daddah déclare : « il faut avoir vu
le peuple guinéen, il faut l’avoir vu vivre et réagir pour mesurer son degré
d’engagement militaire … l’exemple du P.D.G.-R.D.A. nous a beaucoup aidés à
trouver les solutions adaptées à nos réalités ». Conclusion du 16 au 20
Avril 1965 : une mission mauritanienne en Guinée, conduite par Yahya Ould
Menkouss, signe des accords de coopération : commerciaux, culturels,
aériens, judiciaires, agricoles
Les relations économiques
étaient compliquées du fait de relations très différentes d’un pays à l’autre
avec la France. Le
12 Mai 1962,à Paris, avaient été signés le
traité instituant une union monétaire ouest-africaine U.M.O.A., entre le
Sénégal, la Mauritanie,
le Mali, la Côte
d'Ivoire, le Niger, le Dahomey et la Haute-Volta, ainsi qu’un accord de coopération
monétaire entre la France
et les Etats de l'Afrique de l'Ouest,
mais très peu après, le 30 Juin, le Mali décide de créer sa propre
monnaie et en conséquence de ne pas participer à l'Union monétaire Ouest-Africaine
; il demeure cependant membre de l'Union douanière des Etats de l'Afrique de
l'Ouest [8]
et le 5 Août, le ministre malien du Commerce "confirme"
l'appartenance du Mali à la zone franc, sans régler les problèmes techniques,
liés à la décote de la nouvelle devise. Deux ans plus tard, l’U.M.O.A. interdit
l’importation et de négociation de la monnaie malienne.
Une troisième
raison dans le retard de l’intégration des pays ayant en commun le bassin du
Fleuve a tenu au mouvement d’unification continentale que pouvait, selon
certains chefs d’Etat, contrarier la pérennité d’organisations régionales
antérieures, ainsi l’Union africaine et malgache U.A.M. vis-à-vis de
l’Organisation de l’Unité africaine O.U.A.. Du 6 au 10 Mars 1964, à Dakar, la
conférence des Chefs d’Etat de l’U.A.M. s’était tenu en l’absence du
Centrafricain et de l’Ivoirien. Il y avait été décidé la transformation de
l’U.A.M. en une Union africaine et malgache de coopération économique et Moktar
Ould Daddah, avait été élu président de la nouvelle organisation, mais le 29
Avril suivant, à Nouakchott, il était apparu que l’unanimité des Etats membres
de l’Union serait nécessaire. Or, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute-Volta et la République
centrafricaine non représentées, n’avaient pas paraphé la nouvelle Charte. La tâche de Moktar Ould Daddah est
quasi-impossible . sans doute, les Chefs d’Etat de l’U.A.M.C.E.décident, sous
sa présidence à Nouakchott, du 10 au 12 Février 1965, la constitution de
l’Organisation Commune Africaine et Malgache, l’O.C.A.M. « dans le cadre de l’O.U.A.
pour renforcer la coopération et la solidarité entre les Etats africains et
malgache », mais tout est reporté à un an, pour adopter le projet des
structures de l’organisation et de sa charte. En attendant, Moktar Ould Daddah
doit faire fonctionner une institution discutée et sans statut que l’adhésion
congolaise sous la signature de Moïse Tshombé, le sécessionniste du Katanga et
le tombeur de Dag Hammarsjoeld, secrétaire général des Nations Unies, videra de
tout consensus politique. La
Mauritanie, quoique présidente, s’en retirera par le fait
mais, dès la fondation de l’O.C.A.M., elle a marqué sa préférence pour
d’autrres constructions, dont celle des riverains du Fleuve, aux chefs d’Etat
moins « faits au moule » que ceux de l’organisation à laquelle tient
encore la France
Ce qui facilitera plutôt la réunion des
quatre Chefs d’Etat riverains du fleuve Sénégal, à Nouakchott, du 3 au 5
Novembte 1965. Seul, le Sénégal reste dans le système multilatéral hérité de la
période colonial. Accueillant ses pairs, Moktar Ould Daddah proclame que
« l’indépendance politique est vaine sans une véritable indépendance
économique » : « nous devons faire face à un néo-colonialisme
fort et organisé et l’Afrique pourrait être un exemple ». Il
est chargé de toutes démarches pour un ensemble ouest-africain où s’inscrira un
sous-groupe régional des Etats riverains
Mais l’essentiel du domaine économique
reste traité d’Etat à Etat, l’organisation ne règle pas les questions
bilatérales. Ainsi du 30 Mars au 1er Avril 1966, les ministres sénégalais
et mauritaniens des Finances et du Développement peinent à convenir des relations
entre les deux trésors et s’opposent sur le taux des ristournes douanières.
Ainsi, les 25 et 26 Avril suivant, les ministres du Développement malien et
mauritanien ne traitent que partiellement les problèmes de paiements entre les
deux pays, et celui du ravitaillement de l’Est mauritanien – que seul résoudra
la construction de la route de l’Espoir,
inversant même les relations de dépendance.
La mise en commun – économique et
multilatérale – a cependant été longue à
instituer et à approfondir ; des ouvrages d’art décisifs pour l’irrigation
de la vallée et l’alimentation en énergie électrique la manifestent aujourd’hui
[9],
mais l’intégration ne se fait toujours pas. Deux pas furent cependant décisifs,
toujours au temps de Moktar Ould Daddah. La transformation du Comité
inter-Etats en une organisation des Etats riverains du fleuvve : O.E.R.S.
se fit d’accord à quatre, traité signé le 2 Mars 1968 à Labé. La résignation
aux absentéismes et aux humeurs querelleuses de la Guinée fut acquise par la
signature, sans celle-ci, le 11 Mars
1972, de la convention créant l’Organisation pour la mise valeur du fleuve
Sénégal : O.M.V.S. Les objectifs, plus modestes de champ territorial,
étaient plus pratiques ; ce sont ceux-là qui ont été à peu près atteints.
La structure est très légère : la conférence des chefs d’Etat et de
gouvernement, le conseil des ministres et surtout un haut-commissaire.
Le 17 Février
1989, le roi Hassan II et ses pairs d’Algérie, de Tunisie, de Libye et de
Mauritanie signent à Marrakech le traitant instituant une Union du Maghreb
arabe. Celle-ci est la seule œuvre institutionnelle, de droti international, à
laquelle soient parvenus les régimes autoritaires qui avaient succédé à celui
de la fondation, en 1978. Sans doute parce qu’elle correspond au vœu
fréquemment exprimé par Moktar Ould Daddah et qu’il fait la symétrie avec
toutes les intégrations dont il avait été le zélateur – avec succès – en
Afrique occidentale. Une raison impérieuse a forcé la pratique : la
relation de chacun des Etats avec l’Union européenne interdit dès cette époque
le cavalier seul à chacun. Les désarmements douaniers, les programmes d’aide structurel,
les mouvements migratoires font du Maghreb la frontière méridionale de l’Europe
et de celle-ci le marché, et aussi un essentiel bassin d’emploi, des Etats
d’Afrique du nord. A tel point d’ailleurs que, depuis Novembre 1995 et le début
du « processus de Barcelone » de partenariat euro-méditerranéen,
l’Egypte cherche à entrer dans l’Union du Maghreb arabe : elle
équilibrerait par là son contexte économique obsessivement dominé par le
conflit israëlo-palestinien.
Trois jours
après les cérémonies de Marrakech, le 20, c’est, à Nouakchott, une « marche de soutien ». Elle est
encadrée par les « structures d’éducation de masses » [10]
dont c’est l’un des derniers feux. Une motion de soutien est lue devant le
président du Comité militaire de salut national, chef de l’Etat :
« apport positif sur le plan politique, économique et social pour le
peuple mauritanien ». Le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya est qualifié
d’ « artisan actif de cette union auprès de ses pairs du Maghreb ».
Il répond que la manifestation constitue « une preuve éclatante de
l’adhésion des masses mauritaniennes à la création de l’Union du Maghreb
arabe ».
En réalité, le mouvement vers l’Union du
Maghreb arabe est alors plus ancien [11]
que l’exercice du pouvoir par le colonel Ould Taya. La première ébauche revient
à Habib Bourguiba dans la dernière année de son pouvoir et failli se faire par
simple extension d’un traité de fraternité et de concorde signé par le
Combattant suprême, le 19 Mars 1983 avec le président Chadli. L’entente particulière
entre l’Algérie et la Tunisie
était censée contribuer à l’édification d’un « grand Maghreb arabe »,
elle était assortie de deux engagements : ne pas héberger de mouvements
d’opposition à des régimes territorialement voisins, respecter l’intégrité territoriale
de chacun. La diplomatie mauritanienne – le colonel Ould Haïdalla est alors
l’homme fort – part aussitôt aux nouvelles : le colonel Ahmedou Ould
Abdallah, ministre de l’Intérieur va à
Alger et Ahmed Ould Minnih, ministre des Affaires étrangères, à Tunis :
« la Mauritanie
encourage et salue tout rapprochement qui s’opère dans le Maghreb ». Des
messages s’échangent ensuite : le 13 Mai, Mahmoud Mestiri, secrétaire
d’Etat tunisien est à Nouakchott, porteur d’un message personnel de Bourguiba ;
six jours après, le Premier ministre, le colonel Ould Taya… reçoit Abdel Atti
Al Obeidi, ministre des Affaires étrangères libyen, tandis qu’Abdel Aziz Ould
Ahmed, ministre de la Justice
va donner à Alger un message d’Ould Haïdalla. L’ancien collaborateur de
Moktar Ould Daddah est reçu par Bourguiba et affirme la disponibilité de la Mauritanie à se joindre
au traité de fraternité et de concorde entre Tunisie et Algérie. Malte avait
fait la même demande la semaine précédente… mais n’y reviendra pas. des séjours officiels s’échangent : du 30 Mai au 1er
Juin, le président du Comité militaire est à Alger. Les 22 et 23 Juillet, le colonel Khadafi est en
Mauritanie ; avec son sens habituel de l’à-propos, il diagnostique que la Mauritanie n’est pas
viable sans association avec un autre pays de la région et pour la énième fois
propose « une unité progressive par la concertation qui sera
institutionnalisée entre les dirigants des deux pays à différents
niveaux ». Mohamed Khouna Ould Haïdalla ne lui rend que tardivement la politesse ;
du 11 au 13 Octobre, il est à Tripoli.
Mais la visite décisive est celle qu’il accomplit de nouveau, le 12 Décembre, à
Alger : visite d’amitié et de travail au cours de laquelle se signe par
les deux chefs d’Etat une convention de bornage de la frontière commune, et le
lendemain, toujours à Alger mais en présence du Premier ministre tunisien
Mzali, le président du Comité militaire signe l’adhésion de la Mauritanie au
« traité de fraternité et de concorde », puis Ould Haïdalla se rend à
Tunis y recueillir la signature d’Habib Bourguiba à la participation
mauritanienne. C’est le 14 Décembre 1983, en présence Mohamed Ben Ahmed
Abdelghani, le Premier ministre algérien : symétrie protocolaire avec la
cérémonie d’Alger, l’avant-veille. On en reste là car le 19, la Tunisie doit annoncer que la Libye a demandé à adhérer au
traité tripartite, mais que l’Algérie s’y oppose. Quant au Maroc, il est loin
de songer à la même démarche, d’autant que, dans deux mois, la République Islamique
de Mauritanie va reconnaître – 27 Février 1984 – la République arabe
sahraouie démocratique « pour l’amener à respecter les frontières
mauritaniennes ».
Les temps de l’Union du Maghreb arabe
n’étaient pas encore arrivés, mais la Mauritanie d’Haïdalla avait d’emblée été un partenaire,
avant le Maroc et avant la
Libye.
Le 6 Mars 1989, le Comité militaire de
salut national ratifie le traité de Marrakech créant l’UMA et le 9 est nommé un
secrétaire d’Etat chargé des affaires du Maghreb : Ahmedou Ould Sidi
inaugure la fonction. Il était auparavant conseiller à la présidence du Comité
militaire et avait été ministre de l’Information, puis ambassadeur à Tripoli.
Le portefeuille est devenu pérenne, depuis.
Selon ses textes
fondateurs, la structure de l’Union présente tous les organes d’une
organisation intégrante : un conseil présidentiel, ayant seul le pouvoir
de décision, mais à l’unanimité, qui se réunit une fois par an article 6 – un conseil des
ministres des Affaires étrangères articles 8 et 9 – une assemblée
consultative, composée de dix représentants par Etat, élus par le parlement
national, qui donne des avis sur les résolutions du conseil présidentiel et
peut lui adresser des recommandations article 12 – des
commissions ministérielles par secteurs sans pouvoir décision – une cour de
justice, composée de deux juges par Etat membre, nommés pour six ans article 13 qui n’a été mise
en place que lors du conseil présidentiel tenu en Mars 1991 à Ras Lanout en
Libye : elle n’a compétence que selon le traité et donc pas pour résoudre
les conflits politiques entre les Etats. Lesquels ne manquent pas, à commencer
par la question du Sahara anciennement administré par l’Espagne : la République arabe
saharouie ne fait donc pas partie, en tant que telle, de l’Union même si le
territoire qu’elle revendique pour sien est couvert par le traité, mais au
titre du Maroc … ce qu’a dû concéder implicitement l’Algérie.
[1] - Moktar Ould Daddah caractérise
ces relations bilatérales dans ses mémoires (La
Mauritanie
contre vents et marées Karthala
. Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français), pp. 426 à 431
[2] - le 6 Juin 1962, aux Nations Unies, le
représentant permanent Souleymane Ould Cheikh Sidya souligne "la collusion
Maroc-Mali" et fait allusion aux populations maures et touareg vivant dans
le Nord du Mali dont le "désir de se joindre à la communauté nationale
mauritanienne continue à être passé sous silence" – le même jour, à
Nouakchott, le président de l'Assemblée nationale et le chef général des
Mechdoufs s'entretiennent ; ce dernier rend public son ralliement à la République Islamique
de Mauritanie le 9
[3] - la réconciliation malo-mauritanienne
est donc scellée par la participation de Youssouf Koita et Ahmed Baba Ould
Ahmed Miske au congrès de l'Union soudanaise, du 10 au 12 Septembre 1962. Leur
succède les 26 et 27 Septembre, Mohamed el Moktar Marouf, le ministre de la Planification, qui
évoque des "rapports de bon voisinage" et le renforcement des liens
traditionnels par des accords généraux :
douaniers, commerciaux, de transport. Il est reçu par Modibo Keita qui invite
Moktar Ould Daddah à venir en visite au Mali
[4] - le 17 Octobre 1962, l’ancien député de la Mauritanie au Parlement
français qui avait en 1956 rallié le Maroc et sa revendication, Horma Ould
Babana est prié par le gouvernement malien de transférer ses camps
d'entraînement hors du Mali ; ce transfert est effectif le 26
[5]
- ratifié par les deux parties les 19 et 20 Juin
suivants ; les 9 et 10 Septembre 1963, est inaugurée la liaison aérienne
Nouakchott-Bamako
[6]
- ainsi ce qu’écrit le 1er Février 1965, Senghor à Moktar Ould
Daddah très engagé aux Nations Unies à propos du Congo : « si nous
voulons renforcer la coopération mauritano-sénégalaise, il est essentiel que
nos politiques étrangères soient fondées sur les mêmes principes » pour finalement, le 5 Mars donner acte au
président de la
République Islamique de Mauritanie des « principes
d’égalité, de solidarité et de réciprocité » invoqués par ce dernier – en
revanche, le président sénégalais sera de marbre pendant les événements de
Janvier-Février 1966 en Mauritanie, refusant même en Avril, de recevoir une
délégation de Mauritaniens originaires de la vallée du Fleuve souhaitant
l’entretenir de la situation en Mauritanie – alors que le 4 Avril 1958, il
avait assuré à l’A.F.P. que “ les noirs
de la rive droite du fleuve Sénégal … n’ont été détachés du Sénégal que lors de
la constitution du territoire de la Mauritanie et il était entendu que ce détachement
ne devait être que provisoire ”
[7] - la même année, le 26 Octobre 1963, les Etats riverains
du fleuve Niger adoptent la charte de Niamey organisant la navigation sur le
fleuve et la coopération économique dans le bassin (l’acte de Berlin étant
abrogé) – de même, le 18 Février 1965, lors de l’indépendance de la Gambie, l’institution d’un
comité d’aménagement du fleuve Gambie entre le nouvel Etat et le Sénégal, est
contemporaine de la mise en place du comité à quatre pour le fleuve Sénégal
[8] - la décision de Modibo Keïta est peu
populaire : le 20 Juillet 1962, notamment à Bamako, manifestations de
commerçants après l'instauration du franc malien, alors que dix ans plus tard
l’opinion et les opérateurs en Mauritanie soutiendront une décision analogue de
Moktar Ould Daddah. Il est vrai que la dialectique est très différente puisque la
décision malienne suivait la signature, le 9 Mars 1962, à Bamako des accords de
coopération paraphés le 2 Février précédent, auxquels s'étaient ajoutés des
accords de coopération économique, monétaire et financière. La Mauritanie au contraire
avait d’abord pris ses distances avec l’ancienne métropole
[9] - l’ensemble des barrages irrigue
plus de 400.000 hectares du bassin du fleuve Sénégal; les deux principaux
ouvrages sont le barrage-réservoir anti-sel à Diama, réalisé en 1986 et ayant
été complété par 100
kilomètres de digue sur la rive droite, achevés en 1991
mais malheureusement sans travaux synchronisés ou préalable, en sorte que
faune et flore de l’estuaire ont été très mis à mal – et le barrage
hydro-électrique à Manantali achevé en
1990 : le réservoir de 11 milliards de mètres cubes et la puissance
installée de 800 mégawatts
[10] - lancées le 23 Avril 1983, sous Mohamed
Khouna Ould Haïdalla, elles devaient permettre la tenue d’instances régionales
et départementales en Janvier 1984 ; elles furent maintenues après le
12-12 qu’elles n’empêchèrent pas, elles avaient alors remplacé le
« Mouvement national du volontariat », dissous en Décembre 1982 – le
lecteur sait que les partis et mouvements politiques furent interdits pendant
toute la durée des régimes militaires jusqu’au printemps de 1991
[11]
- faudrait-il le dater de la première conférence du
Maghreb réunissant des représentants de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie, qui se tint du 11
au 14 Février 1963, à Rabat ? ou d’une réunion des trois chefs d’Etat en
marge du deuxième « sommet » de l’Organisation de l’Unité Africaine,
le 18 Juillet 1964 ? voire de la conférence, tenue le 29 Avril 1958, à Tanger, par l’Istiqlal, le Neo-Destour et
le F.L.N. qui envisagent ensemble un Maghreb uni à la suite de la
décolonisation française
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