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22 Mars 1959
Adoption de la première Constitution
mauritanienne
La tournée à travers le pays est courte
(le président du Conseil doit repartir pour Paris le 28 Février où il conclura
la difficile négociation du régime fiscal de Miferma et la convention
d’établissement de celle-ci), mais du 11 au 23, les deux délégations, l’une
conduite par Moktar Ould Daddah, et l’autre par Sidi El Moktar N’Diaye,
l’ancien député à l’Assemblée nationale française et président de l’Assemblée
auto-proclamée constituante, animèrent continûment le débat. Le rôle de Moktar
Ould Hamidoun, notamment dans le jeu des questions et des réponses avec les
notables et chefs traditionnels, est déterminant : il rapporte le projet
en gestation, non pas à l’Assemblée, mais pendant toute la tournée dans
l’intérieur du pays. Tournée évaluée à 3.690 kilomètres
et desservant chaque chef-lieu de cercle par avion, sauf Sélibaby gagnée par la
route depuis Kaédi.
Moktar Ould Daddah, président du Conseil
de gouvernement, l’expose ainsi : « La méthode de travail, que nous avons appliquée, était
partout la même. En nous arrêtant dans chaque chef-lieu de Cercle, nous
trouvions, préalablement rassemblés par les autorités locales, les
représentants de toutes les collectivités du Cercle, ceux des fonctionnaires et
agents de l’Etat, des commerçants, des travailleursBref, la représentation la
plus large des habitants de la circonscription visitée.
Nous
tenions des réunions toujours très longues (plusieurs heures) et souvent fort
animées. Chacune de ces réunions commençait, invariablement, par l’exposé d’un
résumé du projet en français, traduit dans celle de nos langues (hassania,
toucouleur, sarakolé et wolof) parlée dans le Cercle où nous arrivions.
Ensuite, un débat, toujours très large et démocratique, s’instaurait. Tout
participant pouvait prendre la parole. Et nombreux étaient, ceux qui la
prenaient. Le projet était disséqué, souvent critiqué plus ou moins sévèrement.
Des questions, parfois embarrassantes, étaient posées. Le professeur Moktar
Ould Hamidoun et/ou d’autres membres de la délégation, y répondaient. Partout
nos auditeurs – et, souvent, nos contradicteurs – se divisaient en deux
tendances nettement distinctes. D’un côté : les traditionnalistes ou
conservateurs – pour ne pas dire obscurantistes – de très loin les plus
nombreux, qui trouvaient que le projet était trop « francisé » et que
certaines de ses dispositions n’étaient pas conformes aux prescriptions de notre
sainte religion. Ils en demandaient la modification dans un sens plus islamique
si nous ne pouvions les remplacer, purement et simplement, par l’application de
la «charia. De l’autre côté, les jeunes en général et les
jeunes cadres modernes en particulier, ainsi que les élèves, en particulier,
qui qualifiaient le projet de « réac. » [8]
et suggéraient de le modifier dans un sens plus moderniste.
Une
fois le débat épuisé, l’un de nous : « Sidiel » ou moi, tirait
la conclusion, toujours la même dans son fond, sinon dans sa forme. « La
délégation prend note des remarques, suggestions et réserves émises. Elle les
soumettra au C.C.C. en lui demandant d’en tenir le plus grand compte.
Cependant, il faut vous dire qu’une constitution, comme celle que nous discutons,
doit prendre en considération, non seulement les réalités et les préoccupations
nationales, mais aussi l’opinion et les réalités internationales. En effet,
désormais, nous aurons des rapports de plus en plus nombreux et varés, avec les
autres Etats ; non seulement, ceux de notre continent, mais ceux du monde
entier. Et quand notre pays sera membre de l’O.N.U., nous devrons
obligatoirement respecter sa Charte ». Et, suivant le niveau intellectuel
et aussi le degré de fatigue de l’auditoire, cette initiation sommaire aux
relations internationales était plus ou moins brève longue. »
[1] - Moktar Ould Daddah évoque, avec
émotion, dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages –
disponible en arabe et en français), non seulement le moment, mais l’emblème même, p. 188 :
« Et,
coïncidence heureuse, la météo. fêta cet événement historique. En effet, une
brise de mer de service soufflait assez fort, comme pour permettre à notre
drapeau de flotter noblement dans le ciel pur et serein de notre capitale en
chantier. En contemplant nos couleurs danser au vent, j’éprouvai un sentiment
inconnu de moi jusqu’à ce jour. Sentiment de joie intense, de fierté, de
liberté ! Et, en même temps, je ressentis intensément le poids de mon énorme
responsabilité. Responsabilité et ambition de bâtir, sur ce désert aride,
immense, brulé par le soleil ardent, balayé par des vents tantôt froids, tantôt
chauds, vents qui se transforment souvent en tempête de sable, de bâtir un
Etat-Nation moderne ! Etat-Nation qui devra impérativement conquérir sa place
dans le concert des nations modernes. Quel pari ! il fallait le gagner à tout
prix. Quel défi ! il fallait le relever à tout prix. Les obstacles étaient
innombrables, les difficultés gigantesques, pourtant il me faudra, avec l’aide
de Dieu, avec celle du peuple mauritanien tout entier et de ses dirigeants, les
dompter, les surmonter, les vaincre !
L’esquisse
de notre drapeau était, depuis plusieurs mois, enfermée dans un tiroir de mon
bureau. Elle avait été suggérée, dans ses grandes lignes, par un comité
informel, un soir, dans mon logement saint-louisien. Ce soir-là, j’étais avec
Ely Ould Allaf, Ahmed Bazaïd Ould Ahmed Miske et Mohamedhen Ould Babah, trois
étudiants. Nous discutions de l’avenir de notre pays et des perspectives de son
indépendance. Mes hôtes étaient, comme tous jeunes qui se respectent,
pessimistes. J’essayais de les convaincre, de leur donner confiance dans
l’avenir de notre Patrie mauritanienne. Au cours de notre discussion, je leur demandai
leur avis sur notre futur emblême national, tout en donnant mon point de vue
sur la question. Après un long échange de vues, nous en sommes arrivés au
drapeau que tout le monde connaît et qui a fait le tour de la planète :
vert avec étoile et croissant jaune d’or. »
[3] - Moktar Ould Daddah
op. cit. expose, avec détails, la genèse du texte : pp. 182 à 185
& p. 187
[5] - circulaire 389 PC/CAB signé par Moktar Ould Daddah, le
22 Décembre 1958
[6] - en réponse à cette circulaire qui demandait
l’établissement de listes, Maurice Larue, commandant français du cercle du
Tagant, suggère au président du Conseil, dont il deviendra le directeur de
cabinet que « l’assemblée
de notabilités qui se réunira à Tijikja pour examiner le projet de
Constitution, ne soit pas composée d’une liste restrictive de personnalités.
Afin d’éviter les querelles de préséances et pour concilier les susceptibilités
dans un e région où, l’émir du tagant mis à part, il n’existe pas de
personnalité dont le caractère représentatif soit unanimement accepté, il me
paraît préférable d’inviter tous les chefs de fraction à participer à
l’assemblée envisagée. Cette procédure permettrait d’associer l’ensemble de
l’élément traditionnel à l’élaboration du projet de Constitution. Ainsi
seraient réunies les conditions les plus favorables à une large approbation de la Constitution lors du
prochain referendum » qui – à la date de
cette correspondance : 5 Janvier 1959 – reste envisagé
[7] - dit dans les mémoires du Président, op. cit. p. 186 – l’incident est l’une des rares notations manuscrites
en marge de la chronologie soutenant la première écriture de Moktar Ould Daddah :
de tous les chefs de gouvernement africains d’expression française, à la suite
du referendum d’adoption de la
Communauté, et a fortiori avant celle-ci, il fut le seul à
affirmer que rien ne serait durable et viable sans la paix en Algérie
[8] - abréviation familière pour : réactionnaires
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