----- Original Message -----
Sent: Tuesday, June 24, 2014 10:41 PM
Subject: Mauritanie - vos deux papiers dans le numéro daté du samedi
21 juin 2014
Madame, je n'ai pas le plaisir de
vous connaître mais je viens de vous lire sur la Mauritanie, au moment où s'est
déroulé le scrutin du 21 juin...
Ce pays m'est cher, depuis que
j'y ai effectué mon service national comme "coopérant", enseignant à la future
ENA mauritanienne à Nouakchott : Février 1965-Avril 1966, et le journal m'est
cher. Je le lis et en conserve la collection depuis Septembre 1960... mon entrée
à Sciences-Po. rue Saint Guillaume.
Vos deux papiers m'ont étonné.
Ils ont cependant un grand intérêt car ils donnent exactement l'argumentaire du
soutien par la France et les Etats-Unis d'un régime immoral et fragile, qui est
le contraire de ce dont la Mauritanie a besoin et de ce dont les Européens
principalement ont besoin en Afrique sahélienne, occidentale et centrale, cette
Afrique quasiment voisine aujourd'hui en flux migratoire, et en contagion
intégriste.
Mohamed Ould Abdel Aziz n'est pas
né à Akjoujt mais à Louga au Sénégal, beaucoup en Mauritanie le considère comme
semi-étranger. Il a été recruté par un authentique militaire s'étant illustré
dans les batailles du Sahara en 1975-1978 : le colonel Ely Ould Mohamd Vall,
alors qu'il n'avait qu'un début de métier. Toute son aventure et tout son talent
ont consisté à inspiré confiance successivement à chacun des acteurs de la vie
publique mauritanienne depuis trente ans : son recruteur d'abord, puis Maaouyia
Ould Sid'Ahmed Taya, putschiste de 1978 renversant un autre putschiste de la même
cuvée : Mohamed Khouna Ould Haïdalla, qui lui a confié la mise sur pied d'une
garde prétorienne capable de tenir en échec le reste des forces de sécurité
mauritaniennes : le BASEP. Ecrire sur l'actualité mauritanienne sans indiquer
que le réélu du 21 Juin a abusé de ceux qui l'ont mis en selle, sans qu'il ait
la moindre expérience du feu ni de la chose proprement militaire, puis celui qui
l'a nommé général, le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, et enfin
Ahmed Ould Daddah qu'il sut compromettre avec son putsch de 2008, et sans
rappeler qu'il continue - aujourd'hui encore à garder le commandement personnel
de ce bataillon, vous fait courir le risque de décrire la Mauritanie comme un
pays justiciable d'une analyse qui se ferait sur un pays européen : les
élections permettant d'accéder au pouvoir ou le faisant
perdre.
En Afrique depuis
l'administration française, sauf le cas exemplaire du scrutin pluraliste et à
deux tours, ultra contrôlé et consensuellement, qui départagea Ahmed Ould Daddah
et Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi - qui avaient ensemble été ministres du
père fondateur Moktar Ould Daddah (1957-1978) et avaient eu la charge de
l'économie du pays dans les années 1970 quand le potentiel minier se décuplait
avec la mise en exploitation des guelbs, apparaissaient les possibilités
halieutiques et se révisaient les accords de coopération avec la France... les
élections sont une consécration d'un consensus ou d'un état existant des choses.
Elle ne sont un facteur de légitimation que selon les habitudes mentales des
Européens et des Etats-Unis. Le scrutin du 21 Juin n'a aucune valeur et même si
l'on prend le point de vue "occidental" il n'a pas de sens puiqu'il n'a pas été
ni préparé ni contrôlé. Les observateurs ont séjourné quelques jours, au lieu
d'une année en 2006-2007, les listes électorales et le recensement sont
contestés depuis trois ans, la commission électorale (classique en Afrique
subshasarienne) n'a pas été composée consensuellement ou au moins en
concertation avec les candidats.
Le sécuritaire... Mohamed Ould
Abdel Aziz a convaincu les services français dans les mois de sa nomination par
le président Sidi aux fonctions jamais cumulées (ce que fit remarquer avec
inquiétude une mission de notre Conseil d'Etat venue pour examiner une
réorganisation des institutions locales) de chef d'état-major particulier et de
"patron" du BASEP, qu'il était meilleur que le Président pour la sécurité. Il
est probable que l'attentat de Décembre 2007 et le climat d'Avril 2008 qui fit
déguerpir de peur l'émir du Qatar venu visiter Nouakchott ont été arrangés par
Mohamed Ould Abdel Aziz. Si ce n'est pas le cas, c'est lui qui est lacunaire
puisqu'il avait la haute main sur tout l'appareil sécuritaire. Divers
enlèvements ensuite ont montré ses lacunes, y compris après le putsch de 2008.
Les incursions au Mali ont été un désastre : elles ont initié l'engrenage qui a
mené au cou militaire du printemps de 2011 et on coûté la vie à Germaneau.
L'ambiguité actuelle de Nouakchott sur l'ensemble de la question de l'Azawad et
de certains mouvements touaregs n'est pas pacifiante.
La caution française au utsch de
2008 n'a pas été le premier mouvement ni du Quai ni de la Coopération ni des
cellules diplomatique et africain à l'Elysée. Sarkozy a été circonvenu par
Guéant, acheté pour un million d'euros (la moitié de cette somme était encore
dans son coffre aux premières perquisitions du pôle financier du parquet de
Paris, l'été dernier). Malgré l'interdiction de visas aux putschistes, décidée
par l'Union européenne au titre de l'article 96 du traité de Cotonou, Guéant a
reçu El Ghazouani, le numéro 2 de la junte à plusieurs reprises, à l'Elysée, une
première fois en présence de M° Bourgi, contact vénalement organisé par Karim
Wade en Septembre 2008, puis tête à tête. La France a donc une responsabilité
morale insigne dans ces pantomimes électorales et ces élections ou truquées,
comme celle de 2009, ou par défat comme celle du 21 Juin ou comme cela
propulsant le putschiste à la présidence de l'Union africaine.
Une enquête assez aisée à mener
montre que les marchés publics sont à la discrétion de "l'homme fort", que les
secteurs des mines et de l'énergie sont tenus par sa parenté, qu'enfin les
présomptions sont courantes qu'il est impliqué personnellement dans les trafics
de drogue, et qu'au contraire de ses prédécesseurs depuis la loi-cadre française
de Gaston Defferre, il s'est considérablement enrichi personnellement. Les
rapports de la Banque mondiale et du FMI indiquent combien l'appréciation de la
situation comptable et macro-économique du pays est hasardeuse car les gestions,
les bilans et les statistiques sont dans certains domaines truqués ou en partie
double.
L'esclavage... c'est le génie de
Mohamed Ould Abdel Aziz de donner de la Mauritanie une image "attrayante" :
celle d'un pays exotique et attardé, ce qui met de côté sa véritable plaie,
n'avoir connu la démocratie que quinze mois en trente six ans... , après qu'ait
été interrompue la période fondatrice prometteuse de toutes les évolutions et
faiseuse d'une nation qui a conservé ses ciments unitaires malgré tout. Cette
posture dont vous donnez la "vignette" dans votre second papier, place
paradoxalement Mohamed Ould Abdel Aziz en défenseur des Maures contre leurs
compatriotes soit haratine, soit originaires du Fleuve. Ce qui est belligène
alors que la courte présidence de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi,
authentique religieux par sa traditon et sa science familiale, et anti-raciste
comme son modèle Moktar Ould Daddah, avait été de réconciliation sur les sujets
difficiles : les années de braise pendant lesquelles l'armée avait été "épurée"
de ses éléments peuls, les pogroms de Mai 1989, la question servile. Sur ces
trois sujets, Mohamed Ould Abdel Aziz a fait aller le pays vers les pires
hypothèses, que symbolise assez bien le parcours puis les récupérations et
faire-valoir du régime caractérisant Biram Dah Ould Abeid.
La presse, les libertés
apparentes. Vous auriez pu rencontrer aussi le directeur du Calame, Ahmed Ould
Cheikh, que je juge meilleure plume et plus indépendant qu'Ould
Oumère.
Je suis déjà long. Pardonnez-le
moi. Ce pays ne peut s'écrire qu'en perspective, personne n'y trompe personne.
La France a perdu depuis longtemps son expertise africaine, elle a toléré la
corruption de ses partenaires et s'est laissé corrompre par eux. Ce n'est pas
nouveau. Elle a perdu son honneur en 2008, elle aurait pu le retrouver en
imposant à Mohamed Ould Abdel Aziz un contrôle de bout en bout du processus
électoral et un partage du pouvoir, deux nécessités pour des élections qui
soient probantes et pacifiantes. L'alternance n'est pas possible en Afrique, car
personne n'a la patience d'attendre le prochain tour et que le tour suivant est
truqué.
Les Mauritaniens ne voient donc
la suite que dans un nouveau coup militaire. Tout tient dans le couple
Aziz-Ghazouani (chef d'état-mahor national, décoré et cajolé par nous). C'est ce
qu'il faut scruter.
Bien
cordialement.
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