25 .
12 Mai 1905 &
2 . 5 Mai 1958
Assassinat de Xavier
Coppolani
&
Aleg, le congrès débattant
et ratifiant les options fondatrices
Le 12 Mai 1905, à Tidjikja, où il vient d’arriver depuis le
Fleuve, sans avoir eu à tirer un coup de fusil, Xavier Coppolani,
« délégué du gouverneur général de l’Afrique occidentale française en pays
maures », est assassiné. Appelé ainsi depuis trente mois, il étend
l’influence française uniquement en se déplaçant, en rencontrant, en
causant : aucune confrontation. Il sait qu’aussitôt, il serait désavoué à
Paris où l’heure n’est plus à des extensions territoriales trop visibles de
l’opinion internationale et surtout de l’Allemagne. Le protectorat des pays
maures du Bas-Sénégal (cf. Le
Calame 10 Octobre 2007 . chronique anniversaire du 15 Octobre 1902) est organisé selon un système d’administration
indirecte. Pour le Trarza, c’est l’agrément de l’émir Ahmed Saloum II
Ould Eli, comme représentant du gouvernement (15 Mai 1903), avec (8 Janvier
1904) une djemaa secondaire par chaque tribu guerrière et religieuse et (5
Février 1904) deux djemaa supérieures : le pays est organisé en deux
régions en pays Trarza. Sur le même modèle (29 Mars), Coppolani organise les
régions Brakna mais l’ancien émir Ahmedou Ould Sidi Eli hostile est
interdit de séjour et son institution supprimée. Puis la région de Mal (31
Mars), celle du Gorgol (15 Avril). Le 26 Mai, il a organisé le personnel
politique et administratif indigène des Pays Maures, en sorte que peut
apparaître le Territoire civil de la Mauritanie dans le décret du 15 Octobre 1904
réorganisant le Gouvernement général de l’A.O.F. : Xavier Coppolani
devient Commissaire du Gouvernement général et deux mois plus il existe des
bureaux de l’administration centrale du Territoire civil à Saint-Louis. C’est
de là que part le 24 Décembre 1904 la mission « Tagant-Adrar »,
projet qui avait été ajourné deux ans plus tôt, avec en première étape, via
Podor, Boutilimit, pour de nouveaux entretiens avec Cheikh Sidya, l’ami et
l’introducteur de ce pacificateur d’un nouveau genre.
Quittant Mal, le 15 Février
1905 et créant le poste d’El Haousssinia, Coppolani reçoit l’approbation de
Paris puisque c’est le 25 que paraît au Journal
officiel de la République
française, le décret portant
délimitation du Territoire civil de la Mauritanie et du Sénégal. Le 24 Mars,
Coppolani se dirige vers Tijikja, venant de Ksar El Barka, occupé sans
difficulté. Mais le contexte a changé soudainement : c’est le 31 Mars, le « coup
de Tanger », le Kaiser s’entretient avec le Sultan du Maroc, et surtout le
18 Avril, l’émir du Trarza, Ahmed Saloum II est assassiné près de Tamresguid.
Quand c’est le tour du Commissaire du gouvernement général de tomber, il semble
bien que les Français vont demeurer sur le qui-vive et, surtout, la philosophie
politique de la « pénétration » en Mauritanie change. Le
lieutenant-colonel Montané-Capdebosc est désigné pour lui succéder dans ses
fonctions administratives tout en gardant le commandement des troupes. Le 29
Mai, le Gouverneur général Roume tire la leçon de l’événement : maintenir
l’occupation définitive du Tagant, surseoir à l’occupation de l’Adrar, tandis
qu’Adam, l’adjoint au Commissaire du Gouvernement général prescrit aux
résidents de Biack et de Boutilimit : ne pas épouser les querelles de
succession à Ahmed Saloum. Le 1er Juillet, Montané-Capdebosc
organisant le Tagant en région administrative selon le modèle de Coppolani, la
fait dépendre de la résidence de Mal. Il consacre une manière de
« découper » la
Mauritanie en cercles [1]
qui va se perpétuer, après l’indépendance de la République islamique,
jusqu’à la réforme régionale décidée par le Bureau politique du Parti du peuple,
les 3-4 Mai 1968 [2].
Du 2 au 5 Mai 1958,
sous la tente, se réunit le premier congrès unitaire des partis politiques
mauritaniens : c’est à Aleg.
Depuis le 15 Janvier, un « comité de fusion paritaire » où l’U.P.M. –
parti du gouvernement – et l’Entente – l’ancien parti d’opposition d’Horma Ould
Babana – préparait ce congrès. Initialement prévu pour se tenir du 26 au 28
Février, il a été reporté d’abord sine die par le départ « en
dissidence », c’est-à-dire en allégeance aux revendications marocaines de
deux ministres, précisément ceux issus de l’Entente : Deye Ould Sidi Baba
et Mohamd’El Moktar Ould Bah, accompagnés de l’émir du Trarza, conseiller
territorial, Mohamed Fall Ould Oumeïr.
Le 16 Mars, c’est l’ambassade du Maroc au Caire qui confirme que les trois
personnalités mauritaniennes sont les hôtes du gouvernement égyptien, et le 21,
le conseil de gouvernement mauritanien doit l’admettre officiellement, sous la
pression de manifestants – des femmes – le questionnant sur leur disparition.
La « ligne unitaire » qu’avait eue tant de mal à imposer Moktar Ould
Daddah à ses co-lisitiers semble brisée [3] ;
le vice-président du conseil de gouvernement parvient cependant, le même 21
Mars, à « retourner » le Comité de fusion des partis mauritaniens qui
« réaffirme sa volonté ferme de faire l’union des partis mauritaniens,
lance un vibrant appel à tous les Mauritaniens sans distinction aucune pour la
défense de leur commune patrie et donne rendez-vous au congrès d’Aleg dont la
date est maintenue au 2 Mai 1958 » ; le surlendemain, les étudiants
mauritaniens en France lui apportent leur soutien, notamment pour réfuter comme
« fantaisistes et sans fondement les prétentions marocaines » et
déclarer « légitime la lutte pour l’intégrité territoriale ».
Toutes les difficultés se présentent en même temps : le
renforcement en arguments de la revendication marocaine [4]
alors que la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement – la Banque mondiale – doit
décider du financement des mines de fer ; le débat sur la
« fédération primaire », chef-lieu Dakar, comme objet de la
décentralisation et de l’autonomie des territoires français d’Afrique [5] ;
le développement de l’autonomie interne. La question émirale, au Trarza, est en
revanche facilement résolue, selon les lois coûtumières : le 27 Avril, à
Mederdra, la djemaa émirale du Trarza désigne Hbib Ould Ahmed Saloum pour
succéder à Mohamed Fall Ould Oumeir ; le Conseil de Gouvernement entérine
ce choix.
Le congrès d’Aleg est capital, dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie, car d’une
part il consacre le prestige – qui va devenir charismatique – de Moktar Ould
Daddah sur ses co-équipiers, sur l’ensemble des élus et des forces
traditionnelles, et d’autre part il entérine, après des débats très étendus la
logique et les thèses du discours d’investiture de celui-ci, le 21 Mai de
l’année précédente. Et d’abord l’unité, malgré la méfiance renforcée des
soutiens initiaux du gouvernement. Si Moktar Ould Daddah l’a emporté, encore
plus en coulisses que sur scène, c’est que la revendication marocaine fait
peser sur le pays une menace mortelle, l’unité d’action et d’expression est la
seule parade possible : Notre réunion d’aujourd’hui constitue donc
l’aboutissement logique de la politique menée depuis bientôt un an par le
Conseil de Gouvernement en complet accord avec l’Assemblée Territoriale,
elle-même interprète des aspirations populaires – Cependant, à toutes les
considérations qui précèdent et furent à l’origine de la convocation du présent
Congrès est venue s’ajouter récemment une raison infiniment plus importante. A
la suite des revendications marocaines sur notre Territoire, l’union est en
effet devenue une question de vie ou de mort pour la Mauritanie – C’est donc
avant tout en fonction des convoitises de notre voisin et en pleine conscience
du grand péril qui nous menace tous, que nous devons aujourd’hui prendre nos
décisions. Le discours d’ouverture est adopté comme
document du congrès. Il va en fonder la plupart des résolutions et motions,
mais moyennant plusieurs jours et surtout nuits de discussion par 40° à
l’ombre.
En effet, le congrès prenant l’appellation
de regroupement des partis mauritaniens, opère des choix nets en
recommandant au gourvenement d’ "affirmer notre indépendance vis-à-vis du
Maroc" et la "défense de l'intégrité territoriale", le
"maintien de la
Mauritanie au sein de la communauté franco-africaine" et
le choix de l’"autonomie interne". Il reconnaît qu’il est
"difficile de se laisser absorber par un ensemble africain dont la
structure politique serait modifiée dans le sens de la centralisation" etr
affirme qu’ "aucune solidarité économique des régions sahariennes ne
pourra se constituer valablement tant que n'aura pas été résolu le problème
algérien". Bref, c’est le "renforcement de la personnalité mauritanienne"
qu’illustrent des motions pour la promotion sociale (formation professionnelle,
imposition du revenu, unification devant l'impôt et le service militaire), pour
donner à l'arabe la valeur des deux langues vivantes dans l'enseignement et
pour la scolarisation des filles.
L’ensemble se traduit en motions de
politique générale : fusion des partis en un parti du Regroupement
mauritanien, maintien de la
Mauritanie dans la communauté franco-africaine, au lieu d’une
intégration politique ou administrative dans l'O.C.R.S. une convention
économique librement discutée, d’expresses réserves contre la création d'un
super- gouvernement et d'un parlement à Dakar. Tout en s’élevant contre un
"sabotage" de la
Loi-Cadre, le congrès – c’est la motion la plus
spectaculaire, surtout parce qu’elle est inattendue de l’administration
coloniale française – revendique l’" autonomie interne complète avec libre
vocation à l'indépendance nationale ". Enfin, cachet personnel de Moktar
Ould Daddah, des appels à la
France sont lancés pour qu'elle se réconcilie avec les Etats
arabes et mette fin à la guerre en Algérie. Le congrès marque en fait
l’émancipation mentale des mauritaniens, et d’abord de leurs élites, vis-à-vis
de l’administration coloniale [6].
Y participe même une délégation de la « Mauritanie espagnole »,
dirigée par Khattri Ould Saïd Ould Joumani, chef des Lebbeyhatt (Rgueibatt
Charg, aussi appelés Legouacem) [7].
[1] - 5 Septembre 1905 - de retour du Tagant, Montané-Capdebosc
organise la nouvelle colonie en cinq circonscriptions, dont quatre
cercles : le Trarza, chef lieu Khroufa ; le Brakna, Aleg ; le Gorgol,
Kaédi ; le Tagant, Tidjikja et une résidence du Guidimaka, chef-lieu
Sélibaby
[2] - un « découpage » en régions seulement
désignées par leur numéro :
1ère région (Hodh occidental) = Néma
2ème région (Hodh occidental) = Aioun-el-Atrouss
3ème région (Guidimaka, Assaba moins N’Bout, plus
Boumdeid = Kiffa
4ème région (Gorgol plus M’Bout) = Kaédi
5ème région (Brakna, tagant) = Aleg
6ème région (Inchiri, Trarza moins Nouakchott) = Rosso
7ème région (Adrar, Tiris-Zemmour, Baie du lévrier) =
Atar
régions, ainsi que le
district de Nouakchott, organisées par les lois des 30 Juillet 1968 et 21
Janvier 1969
[3] - Moktar Ould Daddah évoque, en termes pathétiques, son
découragement, puis donne l’enjeu du congrès et en raconte le déroulement dans
ses mémoires : La
Mauritanie
contre vents et marées (Karthala
. Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 162 & ss.
[4] - le 29 Avril 1958, à Tanger, la conférence maghrébine (Istiqlal marocain,
Neo-Destour tunisien et F.L.N. algérien) "apporte sa solidarité
agissante à la lutte menée par les populations mauritaniennes pour leur
libération de la domination coloniale et leur retour à la patrie
marocaine"
[5] - les deux thèses s’expriment le 24 Avril
1958, à Paris : d’un côté, le bureau de coordination du R.D.A. affirme la
primauté de la personnalité territoriale et revendique la liberté de la forme
d’association avec la métropole, de l’autre, Sekou Touré déclare que « si
un grand référendum était organisé en Afrique, une écrasante majorité imposerait
une politique d’unité fédérale contre toute dissociation des territoires »
[6] - Moktar Ould Daddah, op. cit. p. 164, décrit ainsi le
système, auquel il avait d’ailleurs participé en tant qu’interprète, quinze ans
plus tôt : " Concernant l’évolution du statut politique du pays, tout le monde
acceptait plus ou moins sincèrement, l’accession à l’autonomie interne. Mais,
dès qu’il a été question des mots : « vocation à
l’indépendance » la majorité des congressistes a vivement réagi –
négativement. Réaction à laquelle nous nous attendions. En effet, cette
majorité, constituée de chefs et de notables naturellement conservateurs,
était, en la circonstance, chargée par l’administration coloniale de rejeter ce
mot « diabolique » d’indépendance. Comment ? Il y a lieu de se
souvenir qu’à l’époque, un usage s’était établi selon lequel, avant chaque
rassemblement politique local, régional ou territorial, les représentants des
subdivisions et des cercles allaient voir le chef de subdivision ou leur
commandant de cercle pour leur poser la question rituelle : que
devons-nous dire dans les réunions du rassemblement auquel nous allons assister ? Ces demandes d’avis –
plus exactement d’instructions – étaient formulées, soit par les chefs de
tribus, de fractions, de cantons, de villages,
soit par les porte-paroles des mêmes entités, soit par les représentants des
groupes d’alliés, traditionnels ou circonstanciels. L’autorité sollicitée donnait alors ses directives,
lesquelles – suivant l’importance de la question – pouvaient émaner d’elle-même
ou des autorités supérieures. Normalement, ces directives étaient suivies à la
lettre. Mais, il pouvait arriver qu’elles fussent transgressées par certains
chefs ou notables subissant d’autres pressions, comme ce fut le cas à Aleg au
printemps de 1958. "
[7] - " devenu depuis l’un des principaux
leaders sahraouis marocains. Il reviendra me voir à Nouakchott, en Juillet 1962. Par la suite,
nous demeurâmes en contact par divers intermédiaires, cela jusqu’en 1975.
Jusqu’à cette date, il reconnaissait, nonobstant ses contacts avec les
Marocains et les Algériens, comme une donnée incontestable, la mauritanité du
Sahara ex-espagnol" – Moktar Ould Daddah, op. cit. p. 163
[8] - dans le huis-clos, dont cependant la
sténotypie est prise pour diffusion dans les cercles, tous commandés alors par
des administrateurs français, le vice-président du conseil déclare notamment, avec
beaucoup de nuances, mais fermement comme il le fera durant toute sa vie
politique : En ce qui
concerne le problème très délicat de l’autorité, les interprétations les plus
divergentes ont été données à la loi-cadre et le problème de l’autorité est mis
en jeu. Personnellement, je ne crois pas à un relâchement de cette autorité,
mais plutôt à un changement de structure et je vous redis une fois de plus ce
que j’ai déjà dit à certains d’entre vous, c’est que rien ne peut se faire dans
l’anarchie mais seulement dans la discipline et c’est à vous encore qu’incombe
de faire la preuve que cette discipline existe auprès d’administrés pas toujours
très compréhensifs. Là encore le Gouvernement compte entièrement sur vous comme
par le passé pour continuer à faire ce que vous avez toujours fait, et toujours
avec le meilleur de vous-même, et dans des conditions très satisfaisantes. En
ce moment le monde change et très peu comprennent le sens de ce changement. Il
ne veut pas dire que le moment est venu de se venger de querelles intestines.
J’ai eu
l’occasion de parler de l’évolution de la Mauritanie et j’ai demandé aux gens d’essayer de
concilier la nécessité du mouvement et ce qu’il y a de valable et d’important
dans la structure actuelle. Vous savez qu’en Mauritanie il y a deux
tendances : les jeunes qui parlent du spoutnik et de l’autre côté les
vieux qui ne connaissent jusqu’à présent que leurs chameaux. Je pense que nous
devons tous faire comprendre aux gens qu’il y a lieu de chercher un juste
milieu.
Je m’excuse de
toucher ici au problème politique, nous sommes entre nous et pouvons parler en
toute confiance. On ne peut pas faire ici de part distincte entre la politique
et l’administration. Par conséquent, sans aller jusqu’à dire qu’en Mauritanie
les deux problèmes se confondent, je prétends qu’ils sont solidement liés et
étant donné cette faveur que nous avons de pouvoir collaborer très amicalement
que nous soyons des hommes politiques ou administratifs, nous ne pouvons pas
déjà nous abstenir et nous laisser arrêter par aucun obstacle pour le bien-être
de ce pays. Les difficultés sont énormes et il nous faudra réaliser de grandes
choses avec de petits moyens. Je pense que nous ne perdons pas notre temps en
Mauritanie et que plus que partout ailleurs, nous avons un résultat positif.
C’est le résultat final qui compte et personnellement je crois qu’il sera bon.
[9] - Moktar Ould Daddah, op. cit. p. 169
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