13 .
14 Novembre 1964 & 20 Novembre 1980
Le fondateur en équipe
d’institutions adaptées
est condamné par les
institutions de circonstances
des premiers putschistes
Les 13
et 14 Novembre 1964, le Bureau politique national du Parti du Peuple
Mauritanien décide qu’à compter du 30, Mamoudou Si dit Sy Seck et Haïba Ould
Hamody sont chargés de la permanence du Parti. C’est le début de l’institutionnalisation du parti unique de
l’Etat.
Un mois auparavant, le 9 Octobre, une
circulaire du ministre de l’Intérieur constate que « le Parti tend à être
seul parti de l’Etat » et affirme que « l’administrateur doit
contribuer personnellement à la réussite du Parti ». Le surlendemain de
cette décision du B.P.N., le groupe parlementaire – qui est issu des élections
de 1959 et qui a notamment voté le transfert des compétences de la Communauté (en fait de la France) à la République Islamique
de Mauritanie, c’est-à-dire la complète indépendance de celle-ci – accepte la
compétence exclusive du B.P.N. pour juger des inéligibilités et
incompatibilités dont les critères sont retirés de la loi électorale et la
révision constitutionnelle tendant à faire du Parti du Peuple, le seul parti de
l’Etat. La même réunion du Bureau politique a mandaté les deux permanents ainsi
qu’Ahmed Ould Mohamed Salah et Mohamed Ould Cheikh, pour qu’ils rencontrent
« le syndicat en vue de tirer au clair les rapports qui doivent désormais
exister entre le syndicat et le parti ».
Comment et pourquoi en est-on arrivé
là ?
Le choix de la personnalité de Moktar Ould
Daddah par les élites territoriales, au printemps de 1957où commence de
s’appliquer la Loi-cadre
et donc le début d’un processus de décolonisation dont les étapes sont encore
incertaines, a été aussitôt conditionné par celui-ci : l’ouverture du
futur gouvernement à toutes les compétences et à tous les patriotismes. D’où
l’entrée de deux membres de l’Entente mauritanienne dans l’équipe de départ. Le
débat sur l’ouverture et la fondation par fusions successives d’un parti de
gouvernement associant majorité et oppositions à chaque nouveau stade de
l’émancipation mauritanienne, ont caractérisé autant la vie politique du pays
que la démarche personnelle de Moktar Ould Daddah. Le Parti du Peuple
Mauritanien naît le 25 Décembre 1961 dans une ambiance consensuelle, comme
s’était déroulé du 2 au 5 Mai 1958 le congrès d’Aleg, fondateur du Parti du
regroupement mauritanien. Le parti est de fait unique puisqu’il résulte des
décisions de la « table ronde » des quatre partis existants au moment
de l’indépendance. C’est cette réunion des partis – la Nahda, l’Union des
socialistes musulmans mauritaniens, l’Union nationale mauritanienne et le Parti
du regroupement mauritanien – qui a de fait gouverné le pays pendant la phase
de transition allant de l’obstruction marocaine à l’admission de la Mauritanie aux
Nations-Unies. Elle aussi qui a investi Moktar Ould Daddah pour la première
élection présidentielle.
De manière tout aussi consensuelle, la
crise de l’automne 1963 relative à l’application de certaines décisions du
premier Congrès ordinaire du Parti a été résolue par une conférence des cadres
– donc extérieure statutairement au Parti du peuple mauritanien [1].
C’est cette conférence qui s’est transformée en Congrès extraordinaire et les
décisions de l’automne de 1964 en sont l’application. La révision projetée de la Constitution pour
institutionnaliser le parti unique de l’Etat, est alors la seule manière de
fonder légalement l’interdiction de partis d’opposition que prétendent fonder
Sidi El Moktar N’Diaye, Souleymane Ould Sidya, qui ont successivement présidé
l’Assemblée nationale, et Bouyagui Ould Abidine (un Front national
démocratique, le 2 Août 1964, auquel le recepisse est refusé par le ministère
de l’Intérieur et sur lequel opine laborieusement, le 25 Novembre, la Cour suprême, présidée en
l’occurrence par son vice-président Abdallahi Ould Boyé). Et les deux
principaux élus de la période antérieure à l’indépendance, rejoindront sans
difficulté le parti unique et en présideront des instances régionales en tant
que secrétaires fédéraux, de même que la révision constitutionnelle sera
adoptée l’unanimité des 23 députés
présents.
Le contexte – pour la Mauritanie de Moktar
Ould Daddah – est à la novation tous azimuts : le 21 Octobre, la République Islamique
de Mauritanie a été reconnue officielle par l’Egypte de Nasser, la République Arabe
Unie. Le 18 Novembre est annoncée la tenue à Nouakchott pour le mois de Février
suivant de la réunion des chefs d’Etat de l’Afrique d’expression française et
Moktar Ould Daddah écrit à chacun de ses homologues que « des résultats de
la réunion de Nouakchott dépend la survie de notre groupe ». Il en sortira
une réforme profonde de l’organisation et la perspective de son émancipation
vis-à-vis de l’ancienne métropole ; la Mauritanie ne quittera
l’O.C.A.M. que parce que ses statuts en auront été violés malgré la présidence
mauritanienne. Le 19 Novembre, le poste de chef d’état-major national est
« mauritanisé », en la personne de M’Bareck Ould Bouna Moktar. Et –
symbole s’il en est de toute une époque – Cheikh Abdallahi Ould Cheikh Sidya
vient de mourir (3 Novembre).
Il est significatif que les pustchistes du
10 Juillet 1978 n’aient pas chargé Moktar Ould Daddah d’atteinte à la
démocratie par l’institutionnalisation du parti unique de l’Etat. Au contraire,
ils ont tenté de s’en inspirer. Les militaires de l’époque comme ceux de 2005
ont organisé leur permanence, celle du Comité militaire jouant exactement le
rôle du Comité peranent du Parti du peuple mauritanien, et le service
d’éducation des masses, seule forme autorisée de participation populaire de sa
fondation laborieuse à 1991, retour à l’autorisation des partis politiques, a
cherché à imiter les méthodes du parti dissous au coup d’Etat. Ce qui fait
ressortir les deux différences essentielles entre le régime de parti unique, à
la mauritaniene, et le régime de dictature militaire semblable sous toutes les
latitudes africaines et internationales : la fondation de l’un est
consensuelle et pacifique, celle de l’autre s’opère par la force ; le
fonctionnement des institutions – à l’époque du parti unique de l’Etat – est
démocratique en ce sens que les instances supérieures sont élues en congrès et
qu’au contraire des comités militaires, cette composition ne varie pas selon
les convenances de l’homme fort. Davantage, Moktar Ould Daddah à l’épreuve
se sent mal à l’aise dans le confinement d’un comité restreint : le groupe
parlementaire du Parti du regroupement mauritanien se substitue ainsi, dans son
entier et en tant que tel, au bureau excéutif du parti gouvernemental en 1960
et à partir de 1975, c’est un Bureau politique de plus en plus élargi jusqu’à
près de quarante membres en 1978, dont les complices civils du putsch, qui
dirige le Parti et le pays, et en délibère librement.
C’est donc pour des motifs artificiels
que, siégeant du 18 au 20 Novembre 1980,
à Rosso, une Cour spéciale de justice condamne aux travaux forcés Moktar Ould
Daddah. Motifs : haute trahison pour violation de la Constitution,
atteinte aux intérêts économiques de la Nation.
Le sentence contre le premier président –
fondateur – de la
République Islamique de Mauritanie, secrétaire général du
Parti du Peuple Mauritanien, est prononcée par contumace puisque sous la
pression de plusieurs chefs d’Etat africains et du président français Valéry
Giscard d’Estaing, le prisonnier du fort de Oualata a été « évacué
sanitaire » vers Paris, un an plus tôt. Ses jours effectivement en danger.
Jugé et condamné par contumace aussi le lieutenant-colonel Mohamed Ould Bah
Ould Abdel Kader. Responsable de l’aviation au moment du putsch et n’y
participant pas, il est resté fidèle au président légitime et sera exécuté à la
suite de sa tentative manquée du 16 Mars 1981.
Le contexte – pour la Mauritanie des
pustchistes du 10 Juillet 1978 – est lourd. En dix-huit mois, trois
« chefs d’Etat » se sont succédés : depuis le 4 Janvier 1980, le
lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla a supplanté, à la tête de
l’Etat, le colonel Mohamed Mahmoud Ould Louly, tout en continuant d’exercer
les fonctions de Premier ministre, qui avaient été imposées à Mustapha Ould
Mohamed Saleck. Malgré leur capitulation et la cession du Tiris el Gharbia au
Polisario, les nouveaux maîtres n’ont pas la paix, ni physiquement ni
moralement : le Maroc qui a occupé aussitôt ce qui revenait à la Mauritanie selon les
accords de Madrid, juge que le Tiris Zemmour est un refuge sahraoui et entend
exercer le droit de suite. Il « nous agresse dans nos frontières
internationalement reconnues et sans raison apparente ni réelle puis héberge
sur son sol toute une armada de traitres qui ont fui la Mauritanie pour grossir
les rangs des mercenaires recrutés en vue de déstabiliser ce pays dont le seul
péché que le Maroc et ses accolytes ne lui pardonnent jamais, est qu’il s’est
retiré d’une guerre injuste et ruineuse pour se consacrer à la reconstruction
nationale » [2].
Boulanouar est bombardé. Quoique toute vie politique soit légalement interdite,
la sensation permanente de complot intérieur ou extérieur suscite des
arrestations. La cible est l’A.M.D., Association pour une Mauritanie
démocratique, que préside l’ambassadeur en Arabie saoudite, démissionnaire,
Mohamed Ould Jiddou. Sur réquisitions signées d’Ahmedou Ould Moichine,
directeur général de la sûreté nationale
(qui occupait déjà ce poste – de confiance – pendant les tristes événements de
Janvier-Février 1966), les biens de ses dirigeants sont mis sous séquestre.
Outre le président, réfugié à l’extérieur, sont concernés Mohamed El Hafed Ould
Moktar, dit Haba directeur de plusieurs sociétés (ce qui met au chômage 200
chefs de famille) – coupable d’avoir diffusé une lettre circulaire : « même
Bokassa n’a jamais osé prendre une telle mesure », dénonçant « l’atavisme
tribal de ceux pour qui la razzia est non seulement un moyen de subsistance
mais un mode de vie » – Abdallahi Ould Sidya (une vieille maison et un
âne), Abderrahamne Ould Moïne, ancien ambassadeur, Ismaël Ould Maouloud Ould
Daddah, ancien ambassadeur, et Yacoub Ould Daddah, ces derniers apparentés à
Moktar Ould Daddah. Enfin le colonel Ahmed Salem Ould Sidi, ancien
vice-président du Comité militaire et surtout négociateur et signataire repenti
de l’accord de cession du Sahara au Polisario : il a fui la dictature de
ses pairs en traversant le fleuve Sénégal à la nage. Enfin, le 19 Septembre
1980, première application de la
Charia en matière pénale. Des milliers de personnes se sont
pressées sur une dûne des environs immédiats de Nouakchott pour voir trois
mains coupées (Boubou Sow, Mohamed Ould Bla Blal, Mourali Sikosso convaincus de
vol) et une exécution par fusillade (Sidi Ould Matalla, pour le meurtre d’un
collègue de travail dont il convoitait la femme). Le président du Comité militaire
discourant pour l’Aïd-El-Kebir (19 Octobre 1980) assure que l’application de la Charia dans le système
judiciaire mauritanien est « un premier pas vers l’application des
préceptes de l’Islam dans tous les domaines » et invite « toutes
les forces vives du pays à œuvrer aux côtés du Comité militaire de salut
national afin de combattre les perversions qui se sont infiltrées dans nos
valeurs au cours des deux dernières décennies et de revenir à nos usages et
valeurs originels ».
C’est dans cette ambiance qu’ont été
interrogés – respectivement les 30 Septembre et 1er Octobre 1980 –
deux des principaux co-équipiers de Moktar Ould Daddah pour – précisément –
établir les chefs d’accusation. Deux membres du Bureau politique national du
parti unique, Sidi Ould Cheikh Abdallahi en charge du domaine économique, et
Abdoul Aziz Sall, président de l’Assemblée nationale au moment du coup
militaire, mais premier mauritanien à avoir dirigé le cabinet du président,
puis ministre de l’Intérieur, puis responsable de la permenance du Parti et de
l’orientation doctrinale. Le premier [3]
refuse d’entrer dans le jeu et l’accusation d’atteinte, par Moktar Ould Daddah,
aux intérêts économiques de la
Nation, ne peut être étayée. A son tour renversé, le général
Moussa Traoré au Mali, tombeur de Modibo Keïta, répondra, dix ans plus
tard, à l’accusation de corruption en
assurant que tous ses homologues en faisaient autant, à la seule exception de
Moktar Ould Daddah, ce que tout le monde, assurera-t-il, savait bien à
l’époque… [4].
Si le procès avait été public, tous les témoins interrogés seraient venus
répéter le bien qu’ils pensent du « président Moktar ».
Abdoul Aziz Sall [5]
doit, lui, indiquer d’une part si les dispositions constitutionnelles pour
annexer le Sahara et pour déclarer la guerre ont été respectées, et
d’autre part si n’a pas été violé le principe d’autodétermination au Sahara.
Les réponses sont aisées. Il n’y a eu aucune déclaration de guerre d’Etat à
Etat ni de part ni d’autre et la djemaa
sahraouie avait donné son accord. Un précédent aux cessions ou adjonctions de
territoire en 1975 est invoqué par l’accusation : la rectification de
frontière par l’accord de Kayès en 1963, mais – précisément – aucun des deux
Etats n’a procédé par consultation du peuple. L’interrogatoire s’égare en une
consultation de l’ancien par le néophyte apprenant le mode de gouvernement et
surtout la diplomatie, si longtemps heureuse, de Moktar Ould Daddah.
L’un et l’autre refusent les sous-entendus
relatifs à leur situation personnelle dans le régime au moment de sa fin et
assurent que ce qu’ils n’ont pas dit le 9 Juillet 1978, ils ne le diront plus
depuis.
Aussi le compte-rendu des débats au
procès, à huis-clos, est pauvre… Chaab n°
1642 des samedi 22 et dimanche 23 novembre 1980 ne donne qu’une « déclaration » de l’avocat
général de cette Cour (le lieutenant colonel Dia Amadou, membre du Comité
militaire, ministre conseiller à la présidence du gouvernement) ; celui-ci
ne détaille pas les éléments ayant établi ces deux motifs, mais pose la question
(pour y répondre) : Pourquoi a-t-on
fait tout cela ? Après un examen approfondi de l’état actuel des textes,
en matière pénale applicable au cas des individus en cause dans le souci de ne
pas paraître aux yeux de l’opinion nationale et internationale, répondre à des
élucubrations politiques par un acte législatif ponctuel, surtout quand des
dispositions légales approuvées existent déjà, le Comité militaire de salut
national a voulu que tous les procès soient apolitiques. Tel est le cheminement
que la Cour
spéciale de justice entend suivre pour juger ceux qui se livrent à des actions
de nature à porter atteinte à la sûreté de l’Etat. La condamnation est donc
prononcée « conformément aux articles 77, 83, 84, 112 et 171 du Code
pénal ». La
Constitution du 20 Mai 1961 ne pouvait être invoquée ni en
violation ni en procédure, puisqu’elle était suspendue.
Moktar Ould Daddah a eu ainsi l’honneur
d’ouvrir la série des procédures d’exception, intentées par des régimes de
circonstances, qu’a clos – il faut l’espérer – l’instance de Wad Naga (Février
2005). Cheikh Ould Boïdé la préside comme il présidera les parodies de 1986,
1987 et ensuite.
[1] - Moktar Ould Daddah explique et commente cette évolution,
dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala
. Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français), pp. 319 et ss.
« Il ne s’agit pas de savoir si nos décisions sont conformes aux règles
établies par d’autres. Il s’agit de forger les règles qui répondent à notre
situation. Ni par goût ni par doctrine, je n’éprouve de penchant pour la
dictature. … Il est criminel de s’enliser dans les querelles et les conflits
stériles… »
[2] - 30 Juillet 1980 - éditorial de Chaab
[3] - conversation du 19 Avril 2006
[4] - Moktar Ould Daddah ibid. op. cit. a choisi de n’opiner sur aucun événement postérieur au 10
Juillet 1978, même le concernant. En revanche, il évoque les tentatives de
corruption ou les cadeaux dont il a été « gratifié » pp. 412 et ss.
« parfois des cas de conscience »… « Pourquoi donc ai-je échappé
aux candidats corrupteurs ? Parce que, paraît-il, durant les premières années
de ma carrière, ces derniers, au lieu de me témoigner directement leurs
respects, menaient d’abord des enquêtes minutieuses sur ma vulnérabilité
relative à leur générosité potentielle »… et de donner ensuite quelques
exemples pp. 417 et ss. – en indiquant pour conclure la procédure relative aux
cadeaux (espèces ou chèques nominatifs) : mise au courant du Conseil des
ministres et versement au Trésor public ou affectation par le même au plan
d’urgence de lutte contre la sécheresse
[5] - entre autres conversations depuis 2001, celle du 11 Mars
2002, au cours de laquelle il me communique les notes qu’il a prises aussitôt
après son audition
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire