samedi 21 juin 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 11 Mars 2008



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 12 Mars 1976   &   16 Mars 1981

Création de la wilaya de Tiris el Gharbia
&
Tentative de coup contre le régime militaire



Le 12 Mars 1976, Moktar Ould Daddah signe le décret créant la wilaya de Tiris el Gharbia, chef lieu Dakhla (ex-Villa Cisneros). Cette 13ème région comprend quatre départements : Dakhla, El Argoud, Aousred et Tichlé. Le département de la Guerra et l’oasis de Bir Gandouz sont rattachés à la 8ème  région (Nouadhibou). La frontière nouvelle – avec le Maroc, ce qu’auparavant la Mauritanie n’avait jamais eue – est convenue dans son détail le 14 Avril à Rabat entre le roi Hassan II et le président de la République, une commission mixte est instituée pour le bornage. La mise en valeur ensemble des territoires sahariens fait l’objet entre les deux Etats d’un accord de coopération économique : la Mauritanie participera désormais à la Société des phosphates de Bu Craa [1] ; c’est en commun que les richesses ichtyologiques seront exploitées et les droits de pêche accordés.

Sur les 76.000 habitants environ que comptait en 1974 le territoire administré par l’Espagne (266.000 kilomètres carrés), la Mauritanie en accueille 13.638. La nouvelle région, s’étend sur plus de 90.000 kilomètres carrés entre la baie du Lévrier et le 24ème parallèle. Une zone plate parsemée de dunes prolongeant le Tiris Zemmour, une zone montagneuse ou Adrar Soutoff, une dépression côtière : l’Aguerguer, et pas de fleuve, mais une nappe artésienne maritime alimentant Dakhla et Argoub.

Pendant plus de trois ans, la Tiris el Gharbia vivra la vie nationale comme toute autre région de la République Islamique de Mauritanie, et sera organisée à l’identique, administrativement et politiquement [2]. De retour d’une longue enquête sur place, Ahmed Ould Mohamed Salah, ministre d’Etat à la souveraineté interne, propose – le 31 Mai – de « doter la wilaya des mêmes structures organisationnelles et administratives qui se trouvent dans les autres régions du pays », ce qu’entérine le Bureau politique national du Parti unique de l’Etat. Elle bénéficiera aussi d’un traitement de faveur : ravitaillements exceptionnels dès le 30 Mars, sept sièges à l’Assemblée nationale, ce qui est beaucoup plus que proportionnel à sa population [3] ; ces députés seront élus le même jour que la rééection présidentielle de Moktar Ould Daddah, le 8 Août 1976. Ahmed Ould Mohamed Salah déclare à cette occasion que « la population de cette région sait ce qu’elle veut et elle l’ai dit depuis qu’elle a eu la liberté de le faire. Que l’on cesse donc de nous parler d’autodétermination. Leur participation au scrutin constitue la preuve la plus éloquente que ces populations se sont bien autodéterminées. »

Le contexte de cette unification est pourtant difficile, pas tant dans le territoire-même – depuis le 22 Février, la Mauritanie contrôle entièrement la partie du Sahara qui lui est revenue selon les accords de Madrid, mais à la suite de durs combats, devant La Guerra, notamment – que sur la scène internationale et à raison d’opérations militaires visant l’ensemble de la Mauritanie et d’abord sa capitale.

Le pays parvient cependant à tenir ces deux fronts.

A Addis-Abeba – le 29 Février –, le conseil des ministres de l’Organisation de l’unité africaine, rejette la thèse algérienne sur le Sahara occidental, que vient de quitter le délégué espagnol à l’administration tripartite mise en place par les accords de Madrid. 23 Etats sur 47 s’affirment contre la reconnaissance de la « République arabe sahraouie démocratique » ou demandent au moins des éclaircissements. Réuni à Lourenço Marques, le comité de libération de l’O.U.A. avait en effet recommandé, le 23 Janvier, à une majorité de 18 de ses membres, au prochain conseil de l’Organisation, la reconnaissance du Front Polisario ; le ministre des Affaires étrangères, Hamdi Ould Mouknass, avait stigmatisé des « mobiles inavouables ». Cette recommandation est réputée nulle et sans effet. Le 7 Mars, le Maroc et la Mauritanie rompent ensemble leurs relations diplomatiques avec l’Algérie qui, au contraire, vient de reconnaître la R.A.S.D.

L’attaque directe de Nouakchott par le Polisario, les 8-9 Juin, est repoussée et Sayed Ould Ouali ainsi que son adjoint, sont tués, mais elle a pour effet de ruiner l’accord qui commençait de se faire, au début de Mai, entre l’Algérie, la Mauritanie et le Maroc, sous l’égide du président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny : réunir un comité de sages (cinq ou six Chefs d’Etat) agréé par les trois pays concernés. La Tunisie tente alors de relayer la proposition :  un comité des sages arabes que refuse l’Algérie préférant maintenir le dossier à l’O.U.A. plutôt que devant Ligue arabe dont aucun membre – à l’époque –n’a encore reconnu le Polisario.



Le 16 Mars 1981, arrivent du Sénégal, à Nouakchott, en land-rovers, les lieutenants-colonels Mohamed Ould Ba Abdelkader et Ahmed Salem Ould Sidi. Tous deux sont d’anciens membres du Comité militaire de salut national, mais ils n’ont pas participé au coup  du 10 Juillet 1978.

Le premier, qui avait commandé l’aviation pendant la guerre [4], s’était exilé et, avant de se fixer au Maroc, avait rencontré en France le président Moktar Ould Daddah, lui aussi en exil. Le second, signataire de l’accord d’Alger rétrocédant la Tiris el Gharbia au Polisario, avait ensuite manifesté son désaccord avec la politique, trop favorable à celui-ci, qu’incarnait désormais son collègue Mohamed Khouna Ould Haïdalla. Il avait passé le fleuve Sénégal à la nage pour lui échapper.

Ould Sidi investit au petit matin, la radio dans le but d’annoncer la constitution d’un Comité provisoire de salut public et d’appeler le Maroc à fournir une aide aérienne. De son côté, Abdelkader se rend à la présidence de la République où doit l’attendre, pour le moins en homme averti sinon en complice… le chef d’état-major Maaouya Ould Sid Ahmed Taya. En principe, le Comité militaire – au complet – y tient sa réunion sous la présidence d’Haïdalla. De neuf à dix heures, violents combats à l’état-major, puis à la radio, enfin à la présidence de la République et au siège du gouvernement. Scenario convenu ? Maaouyia est pris en otage. Mais son adjoint, le commandant Djibril Ould Abdallah (alias Gabriel Cymper) organise la reprise en main. Huit morts. Le colonel Abdelkader tente de se suicider et sa mort est d’abord annoncée. Haïdalla (prévenu par Maaouyia ?) s’était inopinément rendu à Atar ce matin-là.

Attribuant, aussitôt, la tentative au Maroc, le Premier ministre Sid’Ahmed Ould Bneijara annonce l’échec de la tentative de putsch à 16 heures et prescrit le couvre-feu pour 18 heures. Suspension des relations avec le Maroc et fermeture des aéroports de Nouakchott et de Nouadhibou au trafic international sauf pour des arrivées de matériel de guerre (armement anti-aérien avec leurs techniciens) et de personnels « civils » de sécurité fournis par l’Algérie qui organise avec ses Antonov un pont aérien. Alger avertit même Rabat qu’on « s’opposera fermement (à sa) politique d’escalade qui tend à aggraver la tension, à étendre l’aire de belligérance et à porter atteinte à la stabilité et à l’indépendance de la Mauritanie ». Abdou Diouf dément par téléphone à Haïdalla et Bneijara toute implication du Sénégal. Le Maroc est donc visé ; Mohamed Lamine, Premier ministre sahraoui affirme que «  les dirigeants marocains intensifient ainsi leur action de division et d’agression contre le peuple mauritanien frère dans le cadre d’un plan élaboré récemment dans certaines capitales étrangères ». Dans la soirée, le Maroc exprime sa « profonde indignation » et « rejette sur le gouvernement mauritanien l’entière responsabilité de toute détérioration qui pourra survenir dans les relations du Maroc avec le peuple frère de Mauritanie ».

La tentative avortée met donc à nu les contradictions des relations extérieures mauritaniennes depuis qu’a été renversé par la force Moktar Ould Daddah. Elle coincide en effet avec une série de coups de main du Polisario dans l’ancienne possession espagnole, à partir du territoire mauritanien – selon Rabat. Les Marocains l’assurent : « nous ne sommes nullement impliqués dans cette tentative de putsch. Nous avons constaté ces derniers temps une descalade verbale de la part de la Mauritanie. Cela a été encore le cas vendredi dernier avec la mise en garde lancée par le premier ministre de Mauritanie contre le Maroc. M. Boucetta, notre ministre des Affaires étrangères y a répondu samedi dans une déclaration à Radio-Méditerranée Internationale. Nous sommes toujours en faveur d’une coopération franche et sincère avec la Mauritanie. Nous aurions pu l’attaquer quand nous avions douze mille soldats là-bas. Nous ne voulons pas nous immiscer dans sa politique intérieure. En fait, les Mauritaniens ont des différends internes et ils cherchent à les masquer en trouvant un bouc émissaire et en désignant le Maroc ». Le Premier ministre marocain Maati Bouabid précise même que l’asile politique, accordé au colonel Abdelkader « dans le cadre des principes internationaux et en particulier avec son engagement de ne s’adonner à aucune activité politique hostile au gouvernement de son pays » a fait rejeter toutes les demandes d’extradition parce que « l’intéressé n’avait en aucune manière enfreint son engagement » Rien n’y fait. Le lendemain, le Comité militaire décide la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc « après un examen aprofondi de la situation créée par la tentative du Maroc de renverser le régime par une bande de traitres à sa solde qu’il a organisée, entrainée et armée à cette fin » et « engage le gouvernement à poursuivre son action auprès des instances africaines, arabes et internationales afin qu’elles condamnent avec la dernière énergie cette agression caractérisée perpétrée par le royaume marocain contre notre pays ». « Selon le principe de réciprocité », le Maroc rompt alors les relations diplomatiques avec la Mauritanie tout en affirmant aussi que « la France n’est impliquée ni de près ni de loin dans la crise maroco-mauritanienne ». Valéry Giscard d’Estaing est en effet soupçonné d’avoir donné le « feu vert » au roi Hassan II et, à Paris, le quotidien communiste L’Humanité soutient que deux chasseurs français ont été vus dans le ciel mauritanien et que l’un d’eux a été forcé d’atterrir…Le Sénégal, prudent, expulse sept dirigeants de l’Alliance pour une Mauritanie démocratique [5] installés à Dakar, dont Mohamed Ould Jiddou, son président nominal, Abdallahi Ould Sidya ancien ministre et ancien ambassadeur à Moscou et Abderrahmane Ould Moine, ancien ambassadeur au Koweit. Le président algérien, Chadli Benjedid, dépêche à Nouakchott Taleb Ibrahimi, ministre-conseiller à la présidence et le lieutenant-colonel Mohamed Larbi Belkhir, et du 17 au 23 Mars, on compte douze atterrissages d’Antonov à Nouakchott et à Nouadhibou, dont 250 tonnes de munitions pour le seul 23 Mars... C’est un renversement complet des alliances, et la guerre continue, mais contre un autre adversaire qu’entre 1976 et 1978 : une attaque marocaine est désormais la hantise du colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla. Le droit de suite serait exercé en Mauritanie, contre le Polisario, que les forces armées nationales ne pourraient (ou ne voudraient) empêcher de transiter dans l’extrême nord. 

Suspicion et répression se développent aussi à l’intérieur. L’émir du Trarza Habib Ould Sidi, oncle d’Ahmed Salem Ould Sidi, est arrêté. Nord contre sud. Rumeurs de trente arrestations dans le corps des officiers et d’une répression sur un millier de personnes. Le directeur de la sûreté Ahmedou Ould Moichine – qui avait été à ce poste au temps des « événements » de Janvier-Février 1966 – est remplacé par un militaire, le capitaine Mohamed Lamine Ould N’Diayane. Résidant à Dakar, Ismaël Ould Amar – un [6] des civils qui, avec Bneijara, avaient inspiré le coup de 1978, pour se retourner ensuite – analyse : « la tentative de coup d’Etat du 16 mars démontre avec éclat à quelles extrêmités le désespoir peut conduire des soldats perdus. Au-del de son actualité, il ne faut pas oublier que l’événement prend sa source dans les luttes qui se trament depuis plus de deux ans entre factions militaires rivales et qui se sont traduites par des éliminations successives. Ceux qui de l’intérieur ou de l’extérieur aident l’armée à poursuivre ce jeu trahissent l’intérêt de la Mauritanie. Plus que jamais, l’armée doit comprendre l’urgence pour elle d’organiser sa sortie du bourbier politique intérieur où elle s’est laissée entraîner plus longtemps qu’il ne fallait ». L’Alliance pour une Mauritanie démocratique renchérit : la tentative est le « fait uniquement des seules forces patriotiques mauritaniennes, sans aucune aide ou soutien de quelque pays que ce soit …  le régime Haïdalla-Boukhreiss-Bneijara ne doit sa survie qu’aux armes du Polisario et de ses maîtres libyens ».

L’épilogue est sanglant. Siégeant secrètement et à huis clos, du 21 au 24 Mars mais en présence d’une dizaine d’avocats (Agence France-Presse du 24), une Cour militaire spéciale – réunie à Jreida – condamne à mort les lieutenants-colonels Mohamed Ould Ba Abdelkader et Ahmed Salem Ould Sidi, et les lieutenants Moustapha Niang et Mohamed Doudou Seck. Cinq sous-officiers sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Et tandis que vient à Nouakchott « pour quelques jours », le ministre sahraoui des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Saleck, et que commence une opération sahraouie de très grande envergure, depuis le territoire mauritanien, contre Guelta Zemmour (90 kilomètres à l’ouest de Bir Moghrein) [7],  que la rumeur court que des unités du Polisario sont stationnées à Toueila (banlieue de Nouakchott) et dans le nord à Cheggat (60 kms de la frontière algérienne), Bir Moghrein, Dhar, Tijirit, que la sécurité algérienne a une base à Toujounine, les condamnés sont exécutés à l’aube. Un akhbar – encore – fait croire à un simulacre. L’annonce n’est donnée qu’une seule fois, en version arabe à la radio. Plusieurs membres du Comité militaire ont en vain demandé la grâce et Sadam Hussein a envoyé Tarek Aziz s’y associer ; celui-ci atterrit trois heures après l’exécution.

Haute trahison ? mais de qui ou de quoi ? quand pour beaucoup le pouvoir en place semble s’assimiler au Polisario ? Tentative de rétablir la légitimité ? Certitude : l’abandon de la Tiris el Gharbia n’a pas fait sortir la Mauritanie de la guerre du Sahara. Et l’ambiance, à Nouakchott, est – au printemps de 1981 – moins que jamais à rétablir la démocratie.


[1] - une considérable réserve de phosphates à haute teneur (1,7 milliards de tonnes) a été découverte en 1965. Exploitée par l’Empresa nacional minera del Sahara ENMINSA, elle st située dans la partie marocaine

[2] - Moktar Ould Daddah détaille cette organisation dans ses mémoires :  La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français)  pp. 660 & 661 :
Les tâches prioritaires du nouveau Gouverneur et de ses collaborateurs sont, d’une part, de remettre en marche les différents secteurs de l’administration régionale tous désorganisés par une période d’anarchie consécutive à l’inaction de l’administration espagnole depuis plusieurs mois et aussi, aux activités destructrices du “Polisario”. D’autre part, le gouverneur et ses collaborateurs, munis de pouvoirs étendus et de moyens financiers importants par rapport aux nôtres, doivent, en même temps et dans les meilleures conditions, préparer l’intégration politique, économique, culturelle et administrative de la région. Pour ce faire et pour éviter le développement de “l’esprit provincialiste” dû aux différences de méthodes d’administration jusqu’alors utilisées dans les deux parties de notre pays, nous avons modifié les limites frontalières entre la 8ème  et la nouvelle 13ème régions. En incluant dans chacune des deux régions la partie de l’autre qui lui est géographiquement proche, le lieu de référence étant la capitale régionale : Nouadhibou et Dakhla. Ainsi, le département de La Guerra, si proche de Nouadhibou, est rattaché à la 8ème région. Dans le même esprit, l’arrondissement d’Inal et de Tmeimichatt qui faisaient partie de la 8ème région sont rattachés à la 13ème. Quant à cette dernière, elle est divisée en quatre départements : ceux de Dakhla, d’El Argoud, d’Aousred et de Tichlé. Tous ces départements sont peu peuplés, mais nous avons préféré les créer pour mettre l’administration à la portée des administrés et pour faciliter l’encadrement en vue de l’intégration de nos compatriotes, grâce à l’action du Parti dont - je le rappelle - chaque section correspond à un département. 
Dans cette nouvelle région, le gouverneur et les préfets proviennent de

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