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6 Juin 1961 & 2 Juin
1991
Négociation des accords de
coopération avec la France
& Premières émeutes du pain à Nouadhibou, réveil démocratique
le début du mois de Juin
rappelle deux événements trop récents pour en écrire déjà l’histoire
témoignages ou documents
seront utiles à Ould Kaïge : Le
Calame les lui transmettra.
8-9 Juin 2003 : tentative de coup militaire contre Maaouyia Ould
Sid’Ahmed Taya
4 Juin 2005 : affaire du poste de
Lemgheity dont le traitement déstabilise le président régnant
… à remarquer, AMI n’a pas diffusé de
bulletin à ces dates
Le 6 Juin 1961, s’ouvrent à Paris les négociations franco-mauritaniennes.
La date en avait été décidée, les 28-29
Avril, en Conseil des ministres. Elles étaient reportées depuis des mois selon
le souci qu’a Moktar Ould Daddah de ne donner aucune prise au reproche d’une
quelconque dépendance de Paris ou d’une indépendance pré-conditionnée par des
accords de coopération [1].
Malgré des attentats mortels contre des Français, le 8 Mars, à Atar et à
Nouakchott, dont le chef de l’Etat [2]
a refusé une sanction selon la loi du talion [3].
La direction des services de sécurité a été mauritanisée, le 19 Avril :
Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miské la reçoit. Et, la forme-même de ces accords a été
revue « à la baisse » : répondant à une lettre du Premier
ministre français, Michel Debré, Moktar Ould Daddah indique que " le gouvernement mauritanien qui
s'était initialement proposé … de demeurer au sein de la Communauté rénovée a
été amené par le cours de l'évolution récente à reconsidérer sa position et à
ne plus envisager son maintien dans la Communauté ". Les accords conclus
entre la France
et les Etats de l'Entente "constituent une base de négociations"
entre Nouakchott et Paris. Pendant les négociations aura d’ailleurs lieu à
Paris le premier voyage officiel de Félix Houphouët-Boigny, en tant que chef de
l’Etat ivoirien.
La République Islamique de Mauritanie a fait, en effet, de son
admission aux Nations Unies, contestée par le Maroc, la manifestation
indispensable de sa reconnaissance au plan international. L'Assemblée générale des Nations Unies s’étant
déclarée le 19 Avril favorable à l'admission de la République islamique de
Mauritanie par 63 voix contre 15 et 17 abstentions (dont l'Union
Soviétique renonçant par là à maintenir son veto), l’issue n’est plus douteuse :
la Mauritanie
est libre de contracter avec l’ancienne métropole, on ne le lui reprochera plus.
C’est d’ailleurs un très bon moment. Sur le plan intérieur, le Premier ministre
chef de l’Etat a les mains libres. La Constitution a été révisée dans le sens qu’il
proposait, le 20 Mai (chronique anniversaire du 20 Mai 1961 – Le Calame du 20 Mai 2008). L’unification des partis politiques est en bonne voie depuis la
première réunion de leur « table ronde » les 21 et 22 Mai. Sur le
plan extérieur, la coalition formée par le Maroc se désagrège, Modibo Keita [4]
propose à Moktar Ould Daddah (20 Mai) des négociations pour que soient fixées
les frontières ds deux pays sur le cours du Ouadou et le long de la
"chaine des puits" du Tilemsi, et le partenaire français – l’ancienne
métropole – est plus « présentable » que jamais. Pendant les
conférences franco-mauritaniennes, se tiennent en effet, à Evian du 20 Mai au
13 Juin, des pourparlers entre la
France et le "GPRA" (gouvernement provisoire de la République algérienne,
établi en exil à Tunis), assortis d'une interruption des opérations offensives
des troupes françaises en Algérie. C’est la conséquence de l’échec du putsch de
quatre généraux français à Alger le mois précédent : de Gaulle a les mains
libres, lui aussi.
Le Maroc en est donc réduit à accumuler
les gestes de protestations. Le 3 Juin, le gouvernement est remanié : le
doctrinaire de la revendication territoriale du Draa au fleuve Sénégal, Allal
el Fassi en fait partie (chronique anniversaire du 25 Février 1958 – Le Calame du 26 Février 2008) et surtout l’ex-émir du Trarza, parti en dissidence trois ans
auparavant, Mohamed Fall Ould Oumeir y
est ministre d'Etat chargé des affaires sahariennes et mauritaniennes ; le
même jour, Hassan II qui n’a succédé à son père que depuis trois mois [5]
tente de retenir Modibo Keita. Mais le Mali a désormais choisi la voie
réaliste, et jour même où s’ouvre à Paris les conversations
franco-mauritaniennes, d’autres, franco-maliennes, mais de moindre ambition
commencent à Bamako à la suite d’un voyage d’André Malraux, ministre français
des Affaires culturelles et « génial ami » du général de Gaulle.
Autre partenaire ayant lâché le Maroc, Kwame N’Krumah a invité (3 Février) le
chef de l’Etat mauritanien à visiter officiellement le Ghana. Déjà Sékou Touré
avait adressés, mais laconiquement, ses vœux à Moktar Ould Daddah, le 22
Décembre précédent. Le 7 Juin, la rédaction de "la loi fondamentale du
Royaume chérifien" relance explicitement la revendication du Maroc sur la Mauritanie ; la
veille, Rabat a protesté officiellement contre l’ouverture des négociations.
Le problème n’est plus là, pour la Mauritanie, mais la
mise au point des accords est laborieuse. Moktar Ould Daddah n’est plus épaulé,
comme au moment de la demande d’indépendance par Sidi El Moktar N’Diaye ;
le nouveau président de l’Assemblée nationale, Hamoud Ould Ahmedou n’a aucune
notoriété en France. Tous deux y arrivent le 30 Mai. Le Premier ministre
français, Michel Debré reçoit son homologue mauritanien, qui est aussi devenu
l’homologue du général de Gaulle : l’entretien du 5 avec ce dernier
confirme que l’appui de l’Elysée face aux divers ministères et services
français, est acquis. Moktar Ould Daddah note dans ses mémoires [6] :
Avec le
recul, je dois à l’honnêteté de reconnaître qu’à cette occasion comme dans bien
d’autres circonstances, le Général de Gaulle, son Premier Ministre Michel Debré
et son Gouvernement, malgré certaines attitudes condescendantes vis-à-vis de
nous, ont toujours fait montre de beaucoup de compréhension à l’égard de mon
pays et de moi-même. Ils nous ont toujours témoigné, quelles que fussent par
ailleurs leurs motivations qui ne pouvaient être seulement altruistes, une
sympathie particulière et agissante alors que, tout compte fait, nous étions, à
notre manière et sans le vouloir spécialement, les partenaires les plus
difficiles de l’ex-Communauté franco-africaine ! Peut-être parce que, comble de
paradoxe, nous étions le pays qui avait le plus besoin de l’ancienne métropole,
le pays le plus fragile, leplus vulnérable, le seul au monde d’alors à voir son
existence mise en cause par un voisin et puissant pays frère qui revendiquait
la totalité de son territoire. Grande ironie de l’Histoire : le
colonisateur libérait – du moins, théoriquement –, aidait, défendait ce que le
pays frère menaçait d’avaler ! Et si ce dernier n’y parvenait pas, c’était
uniquement grâce à la protection du colonisateur. En effet, sans cette
protection française, la
Mauritanie n’aurait pas survécu à la décolonisation : le
Maroc surtout l’aurait en partie annexée, laissant l’est au Mali et, le cas
échéant, le sud au Sénégal, comme nous le verrons plus tard. Cependant, malgré
notre certitude absolue que nous ne pouvions pas nous passer de l’aide et de
l’assistance de la France
dans tous les domaines, nous ne pouvions pas, pour autant, tout accepter d’elle
! C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes souvent heurtés,
courtoisement toujours, mais fermement quelquefois. Pot de terre contre pot de
fer… le second ne tenant pas à briser le premier… D’aucuns – Français –
auraient dit que « … nous nous sommes servis de la France contre la France ».
Le 2 Juin 1991, éclatent des émeutes violentes à Nouadhibou, notamment
provoquées par le prix du pain ; le ministre de l’Intérieur, lieutenant
colonel Ould Baba assure prendre « toutes les dispositions nécessaires
pour sauvegarder l’ordre, la stabilité et la protection des citoyens »
tandis que le lendemain, l’UTM devant le blocage de toutes négociations sur le
niveau de vie évoque une « action généralisée ». A quoi réplique le
ministre de l’Intérieur qui se dit déterminé à réagir « contre les menées
subversives de tous ceux qui se mettent à la solde de l’étranger ». De
fait, de spectaculaires arrestations se multiplient, dont celle de Djibril Ould
Abdallahi (né Gabriel Cimper), ancien numéro deux du régime (radié de l’armée
après son limogeage et assigné à résidence depuis à Kiffa, sa ville
natale), du secrétaire général de l’UTM,
de Moktar Ould Bouceif, maire de Kiffa, frère de l’ancien Premier ministre du
printemps de 1979 et pourtant partisan de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, de
Messaoud Ould Boulkheir, ancien ministre du Développement rural, un des
fondateurs de El Hor [7],
ainsi que Ladji Traoré et Ould Bedr Dine, chefs de file du Mouvement national
démocratique (M.N.D.) [8],
tous soupçonnés d’être à l’origine des émeutes. Cela fait beaucoup… et
l’opposition alors s’organise. Un Front
démocratique uni des forces du changement : F.D.U.C., regroupant six mouvements dont le M.N.D.
« qui conclut dans le passé avec les militaires nombre d’accords et de
combinaisons occultes, mais qui faute de militants nombreux dispose de cadres
de valeurs » (commentaire de Jeune Afrique – 25 Juin) et El
Hor. Dans le même temps, les militaires originaires de la Vallée du Fleuve, déjà
emprisonnés, se voient notifier par un « conseil d’enquête » des
sanctions de soixante jours d’arrêt de rigueur avec le libellé identique pour
tous : « l’intéressé a eu un contact vérifié avec une organisation
subversive et anti-nationale ». de nouvelles personnalités sont arrêtées
le 6 Juin – celles du F.D.U.C. qui ne l’avaient pas été avant la formation du
Front… : Hadrami Ould Khattri et Ahmadou Mamadou Dip, qui ont été
ministres de Moktar Ould Daddah, Mustapha Ould Badreddine, dirigeant du Front
et du M.N.D. et les jeunes « démocrates indépendants » : Bechir
el-Hassen et Dah Ould Yassa. Tous sont assignés à résidence surveillée, par
application de la législation qu’avait fait édictée à l’indépendance la
revendication marocaine. Les familles ne se voient indiquer aucun lieu de
détention ni un quelconque motif de de poursuites judiciaires.
C’est dans ce contexte que, le 9 Juin 1991,
se réunit le Comité militaire de salut national. Conformément aux engagements
pris par son chef, six semaines auparavant dans le discours d’Aïd El Fitr, il
annonce la tenue du referendum pour le 12 Juillet et publie le texte de la Constitution, sans
que les travaux préparatoires soient accessibles. Les promesses pleuvent,
oecuméniques : « liberté d’association, de conscience et
d’expression », « République islamique arabe et africaine ».
L’arabe, le pulaar, le wolof et le soninké sont reconnues comme langues
nationales, l’arabe est la langue officielle. Les institutions proposées sont
reprises du modèle algérien d’alors, lui-même proche des textes de la Cinquième République
française : un président de la République, élu au suffrage universel pour six
ans et au mandat renouvelable sans restriction, un gouvernement dirigé par un
Premier ministre, et un Parlement avec Assemblée nationale et Sénat. Le tout
mis en place trois mois au plus tôt et neuf mois au plus tard, après le
referendum. Entretemps, la
Charte constitutionnelle du C.M.S.N. reste en vigueur. Des
ordonnances sur les partis politiques et sur la presse seront promulguées dans
les deux suivant le referendum. Cent
trois articles [9]. En
fait, le souvenir de l’avortement du projet de Constitution de Mohamed Khouna
Ould Haïdalla en Décembre 1980, est dans tous les esprits.
En réponse, l’U.T.M. qui demeure la seule
force organisée que tolère le régime militaire, lance un préavis de grève de 48
heures pour soutenir ses revendications salariales : augmenter les
salaires de 77%, le coût dela vie ayant augmenté de 280%. Selon les autorités,
le mouvement n’est suivi que par une « infime minorité » :
l’échec provoque la suspension du secrétaire général, lequel la dément. Des
échauffourées avec blessés de part et d’autre répliquent donc à Nouakchott aux
émeutes de Nouadhibou, à l’occasion d’un meeting des syndicalistes favorables à
Mohamed Mahmoud Ould Radhy, autoritairement démis de ses fonctions de
secrétaire général de l’U.T.M. et remplacé par interim par Mohamed Brahim dit
Dina.
La situation est si tendue que, le 1er
Juillet, alors que la
Mauritanie devait succéder à la Libye pour la présidence de
l’Union du Maghreb arabe, le, président du Comité militaire cède son tour à
Hassan II, de façon à se consacrer aux réformes… Quelques gestes sont alors
faits : mutation colonel Cheikh Ould Mohane Saleh, membre du C.M.S.N.,
impliqué dans ce que l’on appelle pudiquement « l’affaire des
disparus », nomination du leader « baassiste » Ould Breidelleil
à à la tête des « structures d’éducation de masse » (S.E.M. seule
organisation politique du régime). Enfin, « mise en permission » des
militaires noirs internés. Mais ce n’est qu’après le referendum, le 29 Juillet,
que seront libérés, par amnistie, les huits chefs de l’opposition par amnistie.
Le Front démocratique uni des forces de
changement demeure cependant, faute de législation, un mouvement
d’opposition censément clandestin et dont l’activité peut, à tout moment, être
réprimée.
Ainsi, s’édifie la « démocratie de
façade » que vont inaugurer le referendum de 1991 et l’élection
présidentielle de 1992.
[1] - le 14 Mars 1961, Moktar Ould Daddah
s’entretient de la coopération militaire avec la France avec l’ambassadeur,
Pierre Anthonioz (l’ancien haut-commissaire maintenu sur place, malgré le
souhait mauritanien d’une nouvelle personnalité pour marquer le changement
qu’est l’accession à l’indépendance) : le Premier Ministre refuse de
s'engager sur "l'imminence de la conclusion d'accords de coopération"
mais donne l'assurance verbale qu'elle interviendra après la conférence de
Yaoundé des pays d’expression française. En attendant, un échange de lettres
sur la participation provisoire de la
France à la défense de la Mauritanie est convenu.
– La même impatience française s’était manifestée dès la proclamation de
l’indépendance : le 20 Décembre 1960, le secrétaire général de la Communauté avait assuré
que Pierre Anthonioz serait remplacé dans le courant de Janvier, puisque les
négociations sur la coopération vont s' "engager très prochainement"
[2] - Moktar Ould Daddah ne portera le titre de président de la République qu’en
conséquence de sa première élection trois mois plus tard
[3] - le 20 Mai 1961, jour de l’adoption du
régime présidentiel, la Cour
criminelle spéciale, jugeant des attentats du 8 Mars à Atar et à Nouakchott,
prononce une peine capitale qui est commuée le 22 par le Chef de l'Etat
[4] - à la suite de la scission de
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