jeudi 5 juin 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 26 Septembre 2007




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28 Septembre 1958 & 26 Septembre 1974

Relations avec la France et avec la Chine :
les chemins de l’ indépendance et de la coopération


Le 28 Septembre 1958, la Mauritanie, en tant que territoire français d’outre-mer, est appelée à approuver ou à rejeter la nouvelle Constitution que propose le général de Gaulle. Les résultats sont sans équivoque :
                          inscrits          382.870
                          votants          322.451                soit 84,2 %
                          exprimés       321.744
                          oui                302.018                soit 94,4 % des votants
                          non                 19.126               

L’essentiel est-il dans ce score ? sous contrôle encore de l’administration française, dans la forme et dans le fond. La question est autre, quel sens donner au oui ?

La consultation n’a légalement été animée que par un seul parti, celui du gouvernement, le Parti du Regroupement mauritanien fait du rassemblement des partis politiques opéré au congrès tenu à Aleg du 2 au 5 Mai 1958. Le 4 Septembre, le chef du Territoire – et non le président du conseil de gouvernement (Moktar Ould Daddah, comme tous ses homologues africains a reçu ce titre par ordonnance du général de Gaulle du 26 Juillet 1958, effective en Mauritanie le 31) – a refusé le recepisse des statuts de la Nahda, fondée quinze jours auparavant. Présidée par Bouyagui Ould Abidine, avec Ahmed Baba Ould Ahmed Miske secrétaire général entouré de tous ceux qui seront les plus actifs animateurs du Parti du Peuple mauritanien, première version du congrès de l’Unité au congrès de Kaédi (Yahya Ould Menkouss, bamba Ould Yezid, Haiba Ould Hamody…), la Nahda a pour objet de « mener le pays dans la voie rapide de la décolonisation ». Elle rejette «  le principe de charte octroyée » et se prononce «  pour l’auto-détermination », elle « met en garde la France contre l’habitude de se choisir des interlocuteurs et dénie à ces créatures préfabriquées le droit d’engager l’avenir de la Mauritanie ». C’est donc un parti d’opposition, que Moktar Ould Daddah autorise le 8 Octobre, la veille de son départ pour Paris, puis les Etats-Unis ; il en a désormais la possibilité politique et anticipe sa compétence puisque la nouvelle Constitution française – instituant la Communauté – organise l’autonomie des territoires d’Outre-mer : surtout  le gouverneur Mouragues a quitté le pays, définitivement, le 4.

C’est donc le chef du gouvernement qui, dans un discours radiodiffusé le surlendemain du referendum, donne le sens de la réponse mauritanienne, autant à ses compatriotes qu’aux responsables métropolitains. « Par son vote massif, la nation mauritanienne a, sans équivoque, manifesté le 28 Septembre son désir de construire son avenir avec l'aide de la Francela Mauritanie pourra préparer dans les meilleurs conditions l'accession à son indépendance totale… grâce à la  Constitution que le peuple mauritanien vient approuver à une si large majorité, nous sortirons le moment venu de la Communauté des peuples libres du titre XII pour conclure avec elle les accords prévus au titre suivant ». Cette interprétation n’est pas nouvelle, puisqu’elle est la position arrêtée en comité exécutif du parti gouvernemental, qui avait longuement débattu à huis-clos, à Atar, les 2 et 3 Septembre précédents. Par 28 voix et 3 abstentions, le comité s’était prononcé en faveur d’un vote positif mais en réaffirmant « l’appartenance de la Mauritanie à la communauté franco-africaine » (réponse à la revendication marocaine) autant que « son droit à l’indépendance nationale » [1]. En fait, le oui mauritanien équivaut – dans l’esprit de Moktar Ould Daddah au non guinéen : il permet le même processus que celui voulu par Sékou Touré, il en est une première étape, quoiqu’apparemment très différent d’expression. La suite montrera que ce choix et sa forme n’ont pas handicapé la jeune République dans sa construction et son indépendance [2], tout en ayant bénéficié au départ de la garantie militaire et des concours nécessaires, tandis que dès  le 2 Octobre 1958, dès la République démocratique de Guinée se voit retirer par la France, tout concours administratif et financier. Les deux chefs d’Etat s’en expliqueront en 1963 quand Moktar Ould Daddah, avec une très nombreuses délégation, visitera la Guinée (27 Octobre au 3 Novembre 1963) et étudiera le fonctionnement de son parti : « bien que nos deux pays n’aient pas toujours emprunté la même route, ils se dirigeaient vers le même but ».

Une autre force mauritanienne aurait pu peser dans un sens différent : l’UGTAN-Mauritanie (future Union des Travailleurs de Mauritanie, U.T.M.), dont le congrès constitutif (du 29 au 31 Août) avait suivi de peu celui de la Nahda. Dans le comité directeur se remarquent Mamoudou  Sy dit Sy Seck, qui lui aussi s’illustrera pour les débuts du parti unique, N’Diawarr Sarr un ancien de l’Entente mauritanienne, et chargé de la presse comme dans le bureau exécutif de la Nahda : Yahya Ould Menkouss. Or, l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire s’est prononcée, en conférence des cadres réunie à Bamako les 10 et 11 Septembre, pour le non au referendum, et elle va militer pour que l’exemple guinéen soit contagieux ; son comité directeur, de nouveau réuni les 9 et 10 Octobre 1958, mais à Conakry, décide de « faire aboutir cette volonté populaire à l’indépendance, condition indispensable pour que l’Afrique retrouve son unité » et souhaite «  que les assemblées territoriales dans le délai de quatre mois qui leur est imparti, optent massivement et fermement pour l’indépendance ».

Pour l’avoir souvent évoqué avec lui, soit à son initiative, soit à la mienne, je suis convaincu que Moktar Ould Daddah était, dès cette époque, et surtout dans sa jeunesse studieuse d’interprête dans le grand Nord mauritanien, puis dans sa période estudiantine en France, des plus nationalistes de sa génération dans l’Afrique « française ». Beaucoup d’indices et de réactions me le faisaient rétrospectivement sentir. A lire ses mémoires aussi : l’évocation de l’indépendance de l’Inde ou de l’équipée franco-britannique de Suez, on en est convaincu. Il y a plus : dans les décisions du début des années 1970, le Président est manifestement en flèche relativement à ses collaborateurs, pas seulement « la vieille garde » au comité permanent du Bureau politique national, mais avec ceux qui vont préparer la nationatisation de MIFERMA ou négocier avec l’ancienne métropole la révision des accords de 1961. Réalisme certain en 1958 autant qu’en 1972-1974 mais les cartes ne sont plus les mêmes, grâce à un parcours très médité d’une époque à l’autre. Moktar Ould Daddah n’est pas témoin de l’échange du 26 Août 1958 à Conakry. Sékou Touré y déclare au général de Gaulle : «  Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse  dans l’esclavage (Moktar Ould Daddah a tenu souvent de tels propos, ses proches et ceux qui se souviennent de son époque et de ses tournées de « prise de contact » à « l’intérieur », les ont entendus). Nous ne renoncerons pas et jamais à notre droit légitime à l’indépendance. Nous serons citoyens de cet Etat et membres de la Communauté franco-africaine ». Il y avait donc certainement une marge d’entente et d’aménagement, qui ne fut pas choisie. De Gaulle répond qu’ »il n’y a pas de raison pour que la France rougisse en rien de l’oeuvre qu’elle a accomplie ici avec les Africains. L’indépendance est à la disposition de la Guinée ». Mais le chef du gouvernement mauritanien, comme Ouezzin Coulibaly le Voltaïque [3], ou Bakary Djibo le Nigérien [4] ou encore Modibo Keita le Soudanais – en l’absence de Dia et de Senghor, indépendantistes déclarés au Sénégal – est à Dakar, le lendemain : autour de l’homme du 18-Juin. Celui-ci – place Protêt, qui deviendra naturellement place de l’Indépendance – déclare aux « porteurs de pancartes » (il en retrouvera d’autres à Montréal, au Québec en 1967… et saura aussi leur répondre) : « qu’ils sachent que la France leur propose la Communauté franco-africaine, dans les conditions que j’ai évoquées à Brazzaville, conditions dont je n’admets pas qu’on mette en doute la précision ni la sincérité ». Que Moktar Ould Daddah ait assisté, lors de son voyage officiel en Guinée, à un défilé populaire caricaturant l’armée et l’administration coloniales françaises, provoqua d’ailleurs le vif mécontentement personnel du général de Gaulle, au point que Jean-François Deniau, présentant peu après ses lettres de créance au Président – le 21 Décembre 1963 –, s’entendit dire par celui-ci (qui le tenait de Léopold Sédagr Senghor) : si vous avez mission de me « débarquer », ne vous gênez pas, rencontrez qui vous voulez ici. L’ambassadeur dût reconnaître, à la suite des événements tragiques de Janvier-Février 1966, qui avait, au total, l’audience des Mauritaniens…

Les relations de coopération sont finalement la voie choisie par la Mauritanie, mais elles ne sont pas exclusives. Sans « autorisation » ni concertation – et en coincidence avec sa sortie du dispositif « intégré » de la coopération franoc-africaine : l’O.C.A.M. –, la Mauritanie a reconnu la Chine populaire (le 19 Juillet 1965 à la suite d’une mission d’experts ayant séjourné à Nouakchott du 1er au 5 Juin – symboliquement les contacts avaient été pris à Conakry), ce qui a mécontenté l’ancienne métropole qui l’avait pourtant fait – avec éclat – dix-huit mois auparavant. Il en est découlé une autre relation de coopération qui atteint son apogée [5], à la suite de la révision des accords avec la France, sans qu’il y ait d’ailleurs de lien de cause à effet.

Pour la deuxième fois en voyage officiel en Chine, le président Moktar Ould Daddah arrive, le 26 Septembre 1974  de Nankin à Pékin ; il y signe des accords de coopération économique et technique avec Deng Hsiao Ping, alors vice-premier ministre, et de concours financiers  : la Chine réalisera le port en eau profonde (7 milliards CFA) ce qui sera le port de l’Amitié, un stade omni-sports de 10.000 places, et contribuera à la réalisation de la route de l’Espoir ; prêt de de 2,5 milliards UM pour la culture de la canne à sucre, du riz et du coton. Les grands chantiers, dont l’aboutissement a été les premières grandes infrastructures mauritaniennes, datent de ce moment et ont tenu à cette relation exceptionnelle. La réciprocité est plus grande qu’il n’y paraît. Elle est politique, à tous les sens du terme. C’est la Mauritanie qui rallie les quelques voix africaines qui feront la différence à l’Assemblée générale des Nations Unies pour que le siège chinois soit retiré à Taïwan et revienne à Pékin. N’est-elle pas devenue une des « vitrines » les plus exemplaires et donc efficaces de l’aide chinoise au Tiers Monde, en Afrique ?


[1] - Souleymane Ould Cheikh Sidya, alors représentant du Territoire à l’Assemblée de l’Union française, commente ce choix pour Paris-Dakar : « Les Mauritaniens savent actuellement ce qu’ils veulent et tiennent à leur patrie mauritanienne. Pour que cette unité, cette personnalité et cette indépendance puissent être consolidées, il n’y a qu’un seul chemin à suivre, c’est l’association à la Communauté franco-africaine »

[2] - Moktar Ould Daddah l’expose sobrement dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français),  pp. 181 à 183

[3] - il décède, très peu après, le 7 Septembre ce qui a probablement changé toute l’histoire moderne du Burkina Fasso, tant il était équilibré quoique charismatique ; Moktar Ould Daddah s’en sentait très proche

[4] - celui-ci ayant préconisé le non, combattu par l’administration française, démissionne le 19 Octobre, puisque le referendum a été positif aussi au Niger

[5] - Moktar Ould Daddah, ibid. op. cité, pp. 612 à 623

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