dimanche 22 juin 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 8 Avril 2008



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5 Avril 1966   &   6 Avril 1979  &  9 Avril 1989

Réintégration dans le Parti du Peuple des deux anciens représentants du pays aux assemblées françaises
&
Apparition d’un Premier ministre dans le régime militaire
&
Le très grave incident de Diawara (Bakel) sur le Fleuve



Le 5 Avril 1966, « après avoir pris connaissance des demandes de réintégration formulées par les intéressés, les permanents (du Bureau politique national) ont décidé de mettre fin à la mesure d’exclusion définitive qui frappait les camarades Sidi el Moktar N’Diaye et Souleymane Ould Cheikh Sidya et d’autoriser leur retour au Parti du Peuple Mauritanien à compter de ce jour ». Le 28 Mars précédant, le Bureau politique national avait accepté le principe de la réintégration dans le Parti des anciens présidents de l’Assemblée nationale : Sidi el Moktar N’Diaye et Souleymane Ould Cheikh Sidya, qui en avaient été exclus en Avril 1964 pour avoir refusé de signer en blanc leur démission de député.

Cette réconciliation des opposants –plus notoires en raison de leurs fonctions dans le système parlementaire de l’époque coloniale française – avec le système du parti unique et même le régime présidentiel qu’ils ont chacun combattu, est spectaculaire. Elle constitue la première étape d’une démarche tenant autant aux élites mauritaniennes qu’à la personnalité du président Moktar Ould Daddah : démarche visant sans cesse à rallier les réfractaires et à les faire participer à la forme la plus globalisante possible d’une démocratie, à la fois naissante mais correspondant dans sa pratique aux manières traditionnelles de débattre dans les collectivités.

Sidi El Moktar N’Diaye et Souleymane Ould Cheikh Sidya ne réoccuperont plus de positions nationales dans le Parti ou dans l’Etat, mais ils exerceront un magistère moral dans leur région natale, le Trarza, devenu la VIème région à partir de 1968. Tour à tour secrétaire fédéral du Parti, investi par le Bureau politique national, mais si le système avait été électif, ils auraient été portés à la même place.

Souleymane Ould Cheikh Sidya participera activement au Conseil national, tenu à Tidjikja en Mars 1970. L’ancien député au Parlement français, quant à lui, se risquera cependant aux pratiques d’antan en opérant des réconcilisations locales entre tribus. Il sera condamné aussitôt par les instances nationales du Parti soucieuses que la légitimité de toute autorité et de toute procédure soient celles du régime nouveau et non des habitudes anciennes.

L’un et l’autre ont la dignité de ne pas s’offrir aux putschistes en 1978, et achèvent leur vie dans la discrétion. Sidi El Moktar N’Diaye meurt à Saint-Louis le 25 Janvier 1997 et, c’est non loin de Souleymane Ould Cheikh Sidya, décédé deux ans avant lui, que Moktar Ould Daddah sera inhumé sur l’une des dûnes environnant Boutilimit. 



Le 6 Avril 1979, un « Comité militaire de salut national » (C.M. S. N.) reprochant à son président, le colonel Mustapaha Ould Mohamed Saleck, son « indécision » et son « manque d’autorité », se substitue au « Comité militaire de redressement national » (C.M.R.N.).

La Charte constitutionnelle est considérablement remaniée et fait apparaître, pour la première fois en Mauritanie une dyarchie dans l’exercice du pouvoir exécutif. La fonction de Premier ministre n’est – littéralement – pas nouvelle, puisque Moktar Ould Daddah, selon la Constitution du 22 Mars 1959, porte ce titre, mais il le cumule avec la fonction non écrite de chef de l’Etat. Le système de 1979, avec la double responsabilité d’un Premier ministre nommé par le président mais rendant compte à un autre organisme, Comité militaire ou Assemblée nationale, censé exercer le pouvoir législatif, est donc fondateur. Pour l’avenir. Mohamed Khouna Ould Haïdalla pratiquera le système différemment selon qu’il aura choisi une personnalité civile : Sid Ahmed Ould Bneijara [1], ou se sera fait imposer un de ses pairs militaires : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, comme Premier ministre. Mais « l’homme fort » sera de nouveau le président du Comité. Au contraire, en 1979, c’est le Premier ministre qui a cette prééminence indiscutée ; elle tient à la personnalité du lieutenant-colonel Ahmed Ould Bouceif désigné pour exercer une fonction qui ménage encore la position institutionnelle du chef initial des putschistes. Mohamed Khouna Ould Haïdalla lui succèdera, pour quelques mois dans cette position politique et institutionnelle, avant de lui préférer la présidence du Comité tout en gardant celle du gouvernement : retour au système initial des putschistes. C’est lui qui a proposé la nomination du Premier ministre, et il devient ministre de la Défense ; Ahmedou Ould Abdallah devient le chef d’état-major. Le lieutenant-colonel Mohamed Ould Bah Ould Abdelkader est chargé de la permanence du C.M.S.N., poste nouveau mimant le régime qui a été renversé le 10 Juillet 1978 [2].

Pour la forme, le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck reste « chef de l’Etat ». C’est, apparemment, le retour à la collégialité et le début d’un dualisme : en réalité, un tout nouveau cours commence et sans doute une nouvelle politique, destinée à réparer la cassure du 10 Juillet 1978. Il est aussitôt prêté à Bouceïf, l’intention de se rapprocher de Moktar Ould Daddah, toujours emprisonné à Oualata, et à tout le moins de le libérer.

En réalité, Mustapha Ould Mohamed Saleck ne correspondait plus au consensus des militaires pustchistes qui l’avait porté au pouvoir nominal. Il avait des projets propres, et notamment un certain rétablissement de la démocratie, sinon de la légalité antérieure. Non sans contradictions. S’il a pris le pouvoir, c’est davantage poussé par des civils que par les militaires. Il s’est laissé convaincre d’être seul en situation de rétablir un processus de décision politique qu’il estimait avec d’autres, bloqué, à propos de la guerre pour le Sahara certes mais pas seulement. Tant qu’il sera au pouvoir, la question saharienne sera d’ailleurs peu débattue. Il s’agit pour lui de se dégager du conflit, mais pas isolément, et de trouver une solution ensemble avec les Marocains. Il le propose d’ailleurs au roi Hassan II, qui l’aurait accepté d’emblée : mieux vaut être le roseau que le baobab, plier que casser. Ce qu’il se donne comme objet de la prise du pouvoir, c’est le retour à bref délai à la démocratie. Aucune évaluation du Parti unique, pas de critique d’ailleurs du système, une constatation de carence s’accentuant et dont aucun signe de reprise – selon lui [3] – ne se discernait.
Par ordonnance du 29 Mars, il avait créé un Conseil consultatif national de 98 membres sur lequel il aurait pu s’appuyer face à ses « collègues » militaires. Il ouvre la première séance le 5 Avril. Après avoir analysé la « situation catastrophique avant le 10 juillet », il expose le vœu du Comité d’ « associer le peuple étroitement à la conception et à l’exécution de la politique de redressement dans tous les domaines. Le Conseil consultatif national est appelé à jouer un rôle primordial pour garantir le succès de la politique de concertation avec le peuple ». Des commissions nationales sectorielles sont déjà opérationnelles et il est envisagé de créer des conseils consultatifs régionaux et des communes urbaines. 

C’est là-dessus que se divise le Comité militaire. Mustapha Ould Mohamed Saleck fait composer par son entourage civil le Conseil consultatif : une bonne partie des élites d’avant le coup du 10 Juillet 1978 sont ainsi nommées d’office. C’est le moyen de ce retour à la démocratie, en tout cas celui de l’organiser et de le préparer ; il n’est pas suivi [4]. Des officiers se réunissent chaque soir en dehors de lui. Certains, dont Mohamed Khouna Ould Haïdalla, viennent finalement le voir, mettent tout sur la table. Une réunion formelle a lieu ensuite, le président du Comité ne veut pas lâcher sur la démocratie et évoque d’ailleurs le sort à sécuriser des pustchistes pour la période qui suivra le moment de leur retrait du pouvoir… mais il accepte tout à fait la nomination d’un Premier ministre, et que ce soit Haïdalla. Ce dernier fait cependant choisir Bouceïf, par le Comité et contre Mustapha. Le système est donc, alors, très collégial. Il va cesser de l’être.

Mais peu auparavant, une ordonnance du 19 Mars avait complété les dispositions de la Charte constitutionnelle du Comité militaire de redressement national, en donnant à son chef des pouvoirs de crise analogues à ceux réservés par la Constitution française au président de la République et qui furent utiles au général de Gaulle lors du pustch d’Avril 1961, en Algérie alors en guerre de décolonisation. A ceci près que le concept de « fonctionnement normal des institutions » diffère suivant que l’on se trouve dans un Etat de droit et dans un régime de fait. Dès le lendemain, cet article 13 bis [5] avait été mis en vigueur, pour compter du jour-même, le 20. Naturellement, ces dispositions ne figureront plus dans les Chartes constitutionnelles suivantes qui n’envisageront que l’état de siège ou l’état d’urgence [6], moyennant l’approbation du Comité [7]. Celle du 6 Avril 1979, dont on ne sait pas, sur le moment, qu’elle va être éphémère ne prévoit même pas ces deux états d’exception. Double aveu : Mustapha Ould Mohamed Saleck est bien mis sur la touche parce qu’il allait exercer le pouvoir différemment de ce que voulait la majorité du Comité militaire ; le régime est de soi exceptionnel – exorbitant de tout droit commun – et n’a donc besoin d’aucun texte pour établir juridiquement sa nature…


La rupture de 1978 – sensible au plan de l’exercice du pouvoir, désormais confiné entre militaires et à huis clos, sensible aussi en ce que l’abandon de la Tiris El Gharbia ne libère pas pour autant le pays de l’hypothèque saharienne – ne se manifestera pleinement qu’une décennie plus tard. Dramatiquement. En terme d’unité nationale et de mise en cause de la décisive harmonie avec le voisin sénégalais.


Le 9 Avril 1989, ont lieu de vifs affrontements entre villageois sénégalais et gardes mauritaniens, à Diawara, près de Bakel, à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal.. Selon le Parti démocratique sénégalais, le principal mouvement d’opposition que dirige Abdoulaye Wade, il y a deux morts : Moussa Kaba Sakho et Husseinou Sakho, et un blessé : Lansana Sakho. Selon l’AFP à Dakar, il s’est agi de bétail mauritanien divaguant et que les cultivateurs sénégalais ont voulu chasser : embuscade, dix-huit prises d’otages, sept disparus et cinq blessés. La divagation du bétail sur l’îlot désertique du fleuve : Woretunde ou Dounde Khore (selon la rive et les appartenances locales), est fréquente mais, à la décrue, le terrain, cultivé par les Sénégalais. L’armée sénégalaise se replie devant la concentration mauritanienne opérée en protection des éleveurs. Le conflit paraît aussitôt opposer non pas les populations soninké ou sarakollé vivant sur les deux rives, mais bien Noirs et Blancs, selon qu’ils sont agriculteurs sédentaires ou éleveurs de bétail.

Ce type d’affrontements n’est pas nouveau, ni en Mauritanie-même ni d’une rive à l’autre du fleuve frontalier, mais sa dégénérescence – terrible – va l’être ; elle eût été impensable aux époques de Moktar Ould Daddah et de Léopold Sédar Senghor [8] ; elle tient en bonne partie à l’ambiance toute nouvelle, à l’extérieur du pays, d’une reviviscence de clivages et mouvements ethniques, puis, à l’intérieur, de répliques répressives infondées et dramatiques (chronique anniversaire du 28 Octobre 1987 – Le Calame du 31 Octobre 2007).


[1] - le premier du du 15 Décembre 1980 au 25 Avril 1981, puis le second du 25 Avril 1981 au  7 Mars 1984
[2] - ce Comité permanent – que n’avait pas maintenu Moktar Ould Daddah à la suite du Congrès quasi-unanimitaire de 1975, par souci de laisser tout le pouvoir au Bureau politique élargi à toutes les tendances et toutes les forces vives – est donc ré-institué dans le système militraire par les articles 8 et 9 de la Charte constitutionnelle du 6 Avril 1979 ; avec sa « permanence »

[3] - entretien tête-à-tête le 23 Avril 2006

[4] - le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla, dans la même position à la tête du Comité et pris dans le même dilemme démocratie-retour à la légalité contre maintien de l’armée au pouvoir, ne sera pas davantage suivi et son projet de Constitution, publié par Chaab le 17 Décembre 1980, restera lettre morte

[5] - Lorsque les circonstances exceptionnelles constatées par le Président du Comité l’exigent, le Président du Comité militaire de redressement national, chef du gouvernement, dispose de tous les pouvoirs pour assurer le fonctionnement normal des institutions.
Si la nature des mesures à prendre le commande, le Président peut suspendre l’application de la Charte constitutionnelle et du règlement intérieur du Comité.
Les circonstances exceptionnelles sont constatées par voie d’ordonnance du Président du Comité militaire de redressement national, chef du gouvernement, et cessent d’avoir effet suivant les mêmes formes.
Le Président informe le Comité militaire de redressement national de sa décision de mettre en œuvre les dispositions du présent article et, peut, à cette occasion, adresser un message à la Nation.

[6] - disposition initiale de la Charte dite du 10 Juillet 1978 (en réalité élaborée après la prise de pouvoir et publiée seulement le 26) art. 13 – absente de la Charte du 6 Avril 1979 – reprise par les Chartes du 25 Avril 1981, art. 14 et du 9 Février 1985, art. 13

[7] - qui n’était pas prévue dans le texte initial de la première Charte des militaires

[8] - l’exemple pouvant en être donné par la rixe survenue le 6 Mai 1969, au Sénégal, à Touba, près de la grande mosquée : six morts du côté mauritanien

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