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17 Juin 1951 & 19 Juin
1961
Sidi El Moktar N’Diaye élu à
l’Assemblée nationale française & Signature des accords de coopération avec
la France
Le 17 Juin 1951, Sidi El Moktar N’Diaye l’emporte par 25.039 voix contre 23.649
voix à Horma Ould Babana, 2.432 à Ba Hamat, 277 à N’Diaye Guibril, 17 à Torré
et 11 à Sanchez Calzadille, ces deux derniers n’étant pas candidats. Electeurs
inscrits à lépoque : 135.586 et votants ce jour-là : 52.181. Mais l’élection
du candidat de l’U.P.M., soutenu en fait par l’administration coloniale, est
aussitôt contestée par celui qui est encore président du Conseil général. Selon
le droit constitutionnel français de l’époque, c’est à l’Assemblée nationale
métrpopolitaine elle-même de statuer. Sa commission de recensement général des
votes note la faible participation : 40%, mais ne la juge pas anormale
selon la moyenne de l’Afrique occidentale française, d’autant qu’en cette
saison, une partie de la population du Hodh transhume au Soudan (future république du Mali) Les arguments d’Horma Ould Babana, à près
de soixante ans de distance, ont un son contemporain : en théorie, pas
d’ingérence de l’administration, mais manipulation de la géographie des bureaux
de vote, les uns très accessibles, d’autres distants de parfois 60 kilomètres d’une
fraction réputée favorable au député sortant, horaires, règles données à la
radio, diffusion hâtive de résultats partiels pouvant influencer les derniers
suffrages. La commission a « l’impression très nette qu’il s’agit des
doléances d’un candat battu dont on comprend le mécontentement mais qui ne
craint pas d’affirmer et de se contredire ensuite » [1].
Le 19 Juillet, l’élection de Sidi El Moktar
N’Diaye comme député à l’Assemblée nationale métropolitaine est donc validée.
C’est un tournant dans la vie politique du Territoire. Le Gouverneur est
aussitôt remplacé, et Pierre Messmer,
chargé de l’expédition des affaires courantes : il commandait jusques-là
l’Adrar. Première décision, le lendemain de la validation du député : le
redécoupage des circonscriptions pour les élections au Conseil général, que la
loi métropolitaine du 6 Février 1952 va ériger en Assemblée territoriale. Le 1er
Décembre, Horma Ould Babana est réintégré dans le cadre commun supérieur des
services administratifs, financiers et comptables de l’A.O.F.. et affecté au
Gouvernement général à Dakar.
Ce scrutin est significatif à deux points de vue.
D’une part, il est – pour la première fois –
proprement mauritanien. La première élection, celle de 1945 à l’Assemblée
constituante métropolitaine, fusionnait le Territoire avec celui du Sénégal. La
seconde en 1946 avait été dominée par les socialistes français, bien relayés en
Afrique occidentale et l’U.P.M. – machine des milieux « traditionnels »
pour contrer Horma Ould Babana (chronique
anniversaire de la fondation de l’Union
progressiste de Mauritanie, les 16-20 Février 1948 – Le Calame du 12 Février 2008) lesquels s’étaient pratiquement
apparentés au R.P.F. du général de Gaulle. L’administration coloniale, quant à
elle, était surtout soucieuse de la paix en brousse et était partagée suivant
les gouvernements à Paris sur la contagion en Afrique occidentale du
Rassemblement démocratique africain, le R.D.A. Celui-ci ne « prend »
pas en Mauritanie, même dans la
Vallée du Fleuve. Le scrutin du 17 Juin montre au contraire
que non seulement les partis sont nationaux avant la lettre, mais surtout qu’il
n’y a place que pour deux, avec sans doute des clivages tribaux, mais pas de
différenciation régionale ni de base ethnique. Cette sociologie et surtout
cette géographie électorales rendent exceptionnel cette époque de l’histoire
mauritanienne : elle va peu durer.
D’autre part, le scrutin est l’amorce d’une vie
politique et d’organisation des partis – véritables. Jusques là, la Mauritanie se
définissait – selon l’administration coloniale – comme en dehors des partis
politiques. Revue des partis en 1950, conclusion du Bulletin de renseignements
sur la Mauritanie
. Dans l’ensemble, les
partis politiques ont peu de partisans. Cette faiblesse numérique étant
d’ailleurs compensée par la valeur qualitative de leurs adhérents. Ils sont
encadrés par les fonctionnaires qui satisfont ainsi leur désir de prendre part
à la gestion des affaires publiques et croient pouvoir ainsi acquérir des
avantages que ne leur confèreraient pas normalement leur situation. L’argent
est fourni par les gros commerçants, les cotisations étant insuffisantes à
alimenter la caisse.
On peut
dire qu’en Mauritanie, aucu effort n’a été fait pour enrôler des effectifs
nombreux. La politique est l’apanage de quelques-uns : gros commerçants,
fonctionnaires, chefs traditionnels et, si la masse peut être parfois mise en
mouvement, elle obéit à des instructions et n’agit pas spontanément. L’action
de ces groupes est d’ailleurs très limitée et se cantonne aux agglomérations,
au chef-lieu d’abord qui attire – les occasions sont nombreuses. Tous ceux qui
n’ayant pas d’occupations très définies sont avides de renseignements et
désireux de se montrer, de plastronner et aussi de rapporter dans leurs
campements des nouvelles fraîches, grâce auxquelles ils pensent pouvoir
acquérir plus de prestige aux yeux de leurs semblables. A l’intérieur du
Territoire, c’est dans les maisons basses des ksour aux ruelles étroites et
tortueuses que se nouent les intrigues, et que se font et se défont les
alliances. Les grands nomades, les Regueibat en particulier sont restés
étrangers à l’activité politique. La politique ne pouvant rien leur rapporter,
ils la dédaignent.
En
Mauritanie, la politique n’a fait que provoquer le réveil des vieilles
querelles. Les partis n’ont ni doctrine ni programme ; ils ne
s’intéressent qu’aux problèmes locaux et trop souvent ils ont tendance à
influencer les décisions de l’administration. Cette particularité explique leur
stabilité apparente sur laquelle on aurait tort d’ailleurs de se faire
illusion. [2].
Le 19 Juin 1961, à l'Hôtel de Matignon à
Paris, les Premiers Ministres de la République française et
de la République
Islamique de Mauritanie signent les accords de coopération franco-mauritaniens. Il s’agit
d’abord d’un traité de coopération entre les " deux Etats tenant
compte des liens particuliers d'amitié qui les unissent " et ensuite d’une
série d’accords en matière de défense, d’assistance militaire technique, de coopération
en matière économique, monétaire et financière. Ce sont les plus importants.
Les autres règlent la coopération en matière de justice, la coopération
culturelle, enfin les coopérations pour
les postes et télécommunications, l’aviation civile, la marine marchande et
divers concours en personnel. Michel Debré assure que " ces accords sont pour une
grande part la consécration de l'œuvre accomplie ensemble depuis plusieurs
générations " et Moktar Ould Daddah répond : " nous n'hésitons
pas à demander au grand jour, à la
France de nous apporter son aide suivant ses généreuses
traditions … Au moment où la puissance hier colonisatrice, accorde
l'indépendance celle-ci est menacée par un autre pays frère de race et de religion
et qui est africain ". Il demande
en conclusion le " règlement définitif du conflit algérien ".
Comme demandé par la partie
mauritanienne (chronique anniversaire du 6 Juin 1961 – Le Calame du 3 Juin 2008), le traité est rédigé sur le modèle de ceux conclus, six semaines
auparavant, par les Etats de l’Entente avec l’ancienne métropole, c’est-à-dire
hors de la
Communauté. Pour les Etats demeurant dans la Communauté instituée
par le referendum positif (y compris en Mauritanie) du 28 Septembre 1958, pas
de traité mais des accords particuliers dont un sur la participation de l’Etat
africain signataire à la
Communauté [3].
Ce traité est de coopération diplomatique : sauf pour le décanat du coprs
diplomatique revenant de droit, à Nouakchott, à l’ambassadeur de France et pour
l’aide technique à l’organisation et à la formation des corps diplomatique et
consulaire mauritaniens, les clauses sont de réciprocité, notamment pour la
représentation dans les pays tiers. Il est entendu qu’il ne saurait être interprêté
« comme comportant pour l’un des
deux Etats contractants une limitation quelconque à son pouvoir de négocier et
de conclure des traités, conventions ou autres actes internationaux ».
L’accord de défense a les mêmes considérants que ceux passés par les Etats de
l’Entente, ensemble, avec la
France, mais qui différent assez sensiblement de ceux conclus
par les Etats d’Afrique équatoriale [4].
Mais son dispositif est spécial. Sans doute, l’aide et l’assistance mutuelle,
la responsabilité du nouvel Etat indépendant pour sa défense intérieure et
extérieure ont le même libellé, mais il n’est pas fait allusion « à la
libre disposition des installations militaires nécessaires aux besoins de la
défense » mais seulement à des facilités. Le comité de défense réglant
« l’importance numérique des troupes françaises » est bipartite alors
qu’avec l’Entente et avec l’Afrique équatoriale, la France organise des
conseils régionaux quadri-partites. L’accord de coopération en matière
économique, monétaire et technique est le même que celui conclu par chacun des
Etats de l’Entente et par les Etats d’Afrique équatoriale : c’est
notamment l’appartenance à la zone franc, des clauses de style affirment une
indépendance à laquelle il est pratiquement renoncé [5],
mais il est spécifié que la
Mauritanie, comme les autres Etats africains contractant a
toutes « possibilités d’échanges et de coopération qui s’offrent à elle
dans les autres pays du monde (et que) l’aide de la République française ne
sera pas exclusive de celle que la République Islamique
de Mauritanie pourra recevoir d’autres Etats et d’organismes
internationaux ». L’accord général de coopération technique en matière de
personnel est le même pour tous les anciens territoires français d’Afrique au
sud du Sahara ; il détaille les procédures établissant les besoins de
l’Etat demandeur et celles d’agrément des candidatures. Or, le décanat de droit
et les disproportions flagrantes de pouvoirs dans la gestion de la zone franc,
aucune clause n’est attentatoire à la souveraineté mauritanienne. Celle-ci
n’est limitée que parce que le pays est demandeur, et n’a pas – à ses débuts
d’Etat indépendant – le choix de ses bailleurs d’aide et de fonds.
Ces textes avaient été examinés en Conseil
des ministres, le 29 Mai, à la veille du départ du Premier ministre [6] :
délibération d’à peine deux heures puisque le modèle de l’Entente avait été
choisi. Moktar Ould Daddah avait déclaré lqu’il ne voyait rien à y ajouter ou à y retrancher dans le
domaine des principes et que seuls certains points de détail pouvaient appeler
quelques adaptations, lesquelles ne devraient pas soulever de difficultés car, la République Islamique
de Mauritanie étant le dernier des Etats de l’Union africaine et malgache à
signer des accords de coopération, il ne pouvait pas ne pas tenir compte de
l’aspect de coûtume et de tradition et de tradition qui s’était instauré et
faisait en somme jurisprudence.
Prévues pour ne pas durer plus d’une
demi-journée, les conversations d’experts devaient être assorties de quelque
délai pour ne pas paraître anormalement brèves et factices à l’opinion
mauritanienne. Or, elles durent et à Nouakchott, on se l’explique, faute
d’informations directes, par l’attitude négative de certains membres, non
gouvernementaux, de la délégation : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, ancien
secrétaire général de la Nahda,
Yacoub Ould Boumediana, ancien président de l’Union nationale
mauritanienen : les partis n’ont pas encore fusionné, et même celle du
directeur de l’Intérieur, Ahmed Ould Ba, seul mauritanien issu de l’Ecole
nationale de la France
d’outre-mer au même titre que les administrateurs coloniaux. Le climat de la
négociation est souvent difficile : Moktar Ould Daddah le commente
sobrement à son retour : les
négociations se sont déroulées dans une atmosphère cordiale et de compréhension
mutuelle. Certes, il nous est arrivé de ne pas toujours être d’accord sur la
forme à donner aux Accords, mais étant au départ d’accord sur le fond,
c’est-à-dire sur les grands principes, nous avons fini par nous entendre et trouver
une solution qui convienne aux uns et aux autres. Mais il le note plus sévèrement dans ses mémoires [7]
. “ A l’ouverture,
l’atmosphère était “courtoisement tendue”. Nous étions correctement reçus, mais
nos interlocuteurs parisiens semblaient gênés car “avec ces Mauritaniens, on ne
sait plus sur quel pied danser ...” ironisait un membre de la délégation
française. Il ne fallut pas moins de deux entretiens avec le Général de Gaulle
et deux avec Michel Debré pour régler certaines divergences relatives à la rédaction
finale des accords, divergences concernant surtout les bases de Port-Etienne et
d’Atar ainsi que la juridiction militaire appelée, éventuellement, à juger les
militaires français pour crimes et délits commis sur le territoire de la R.I.M. “ Alors que les autres Etats s’engagent à
« ne procéder à l’arrestation d’un membre des forces armées françaises
qu’en cas de flagrant délit », la Mauritanie obtient un libellé plus conforme à sa
souveraineté : « Les autorités mauritanienens aviseront les autorités
françaises dans un délai de vingt-quatre heures de toute arrestation d’un
membre des forces armées françaises. L’avis mentionnera les motifs de
l’arrestation ». Et contrairement à celles des autres Etats, elles nont
pas à remettre l’intéressé aux autorités françaises dans l’attente du prononcé
éventuelle de sa mise en détention préventive. Moktar Ould Daddah est – entre
autres – de formation pénaliste.
La ratification
paraît devoir aller de soi – comme l’avait été, de prime abord, la négociation.
Dès le 22 Juin, le groupe
parlementaire P.R.M. avait entendu le compte-rendu des négociateurs et l’avait
approuvé. En séance publique, le 28 Juin, aucune discussion, pas même la
lecture des accords et un vote unanime. A Paris, le 19 Juillet, pas davantage
de débat au Palais-Bourbon mais au
Sénat, la séance du 21 Juillet au cours de laquelle les accords
franco-mauritaniens sont approuvés, est houleuse. Une vive discussion a lieu
sur l'attitude de la
Mauritanie dans la crise – avec combats violents et mort
d’hommes – opposant la France
à la Tunisie
à propos de la base de Bizerte : l'échange
des instruments de ratification des accords franco-mauritaniens est reporté ;
il n’aura lieu que le 15 Novembre. La veille du débat, en effet, Moktar Ould
Daddah avait déclaré que “ les événements de Bizerte prennent l’aspect d’une guerre
coloniale, ce qui rend indéfendable l’attitude française ...”.
[1] - Journal officiel des débats parlementaires de
l’Assemblée nationale française – 20 Juillet 1951 p. 5924
[2] - lettre du 21 Novembre 1950 n° 268 CAB/LC du gouverneur
de la Mauritanie,
répondant à la lettre circulaire n° 1044 CAB/LG-DK du 19 Juin 1950 du
Haut-Commissaire général à Dakar
[3] - l’accord de tête a pour « considérant que par
l’effet de l’entrée en vigueur des accords de transfert des compétences de la Communauté, la République … a accédé à
l’indépendance et que la
République française a
reconnu son indépendance et sa souveraineté – conscients des responsabilités
qui leur incombent en ce qui concerne le maintien de la paix, conformément aux
principes de la charte des Nations unies – considérant que la République … manifeste
la volonté de coopérer avec la
République française au sein de la Communauté à laquelle
elles participent désormais dans les conditions prévues aux accords conclus à
cet effet – désireux de déterminer les modalités de leur coopération en matière
de … »
[4] - « conscients des responsabilités qui leur incombent
en ce qui concerne le maintien de la paix, conformément aux principes de la
charte des Nations unies – soucieux de matérialiser les liens d’amitié et de
confiante coopération qui les unissent – considérant que les parties
contractantes manifestent à cette fin la volonté de coopérer dans le domaine de
la défense, notamment de la défense extérieure – désireux de déterminer les
modalités de cette coopération dont les engagements ont un carcatère
essentiellement défensif », ces dernières spécifications ne figuraient pas
dans les accords des 11, 13 et 15 Août 1960 conclus par les Etats d’Afrique
équatoriale demeurant dans la
Communauté.
[5] - « Chaque Etat détient l’intégralité des pouvoirs
économiques, monétaires et financiers reconnus aux Etats souverains. Les
parties acceptent de coordonner leurs politiques commerciale, monétaire et financière
externes entre elles et avec les autres Etats de la zone franc, de façon à
s’entraider réciproquement et à promouvoir le développement économique le plus
rapide possible de chacun d’eux. La République française contnuera à apporter à la République islamique de
Mauritanie l’aide matérielle et technique qui lui est nécessaire pour atteindre
les obectifs de progrès économique et social que celle-ci s’est fixée. Le
présent accord a été librement discuté et conclu avec le souci d’établir entre la République française et
la République
islamique de Mauritanie, compte tenu de leurs structures différentes et de
l’inégalité de leur niveau de développement, une intime et étroite
collaboration leur permettant de normaliser leurs rapports et de les rendre
mutuellement plus féconds. » – art. 2, 3 et 4
[6] - Moktar Ould Daddah ne portera le titre de président de la République qu’en
conséquence de sa première élection trois mois plus tard
[7] - La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages –
disponible en arabe et en français) pp. 238.239
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