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Hanevy Ould Dehah
Les circonstances m’ont permis de rencontrer à trois
reprises l’avocat et défenseur des Droits de l’Homme Maître Brahim Ould Ebety. Bien
avant notre première rencontre, j’entendais parler de lui et, à l’époque
où je n’étais encore qu’un jeune homme débordant d’enthousiasme et dépourvu
d’expérience, je suivais avec intérêt ses audacieuses interventions en faveur des
Droits de l’Homme et je gardais en mémoire sa célèbre
apostrophe : « J’ai honte de la justice de mon
pays ! »
Rien ne peut mieux exprimer l’impression que j’ai
gardée de lui à l’issue de notre première rencontre que ces vers du poète Ibn
Chajari :
« Quand j’interrogeais les voyageurs, ils me
faisaient
D’Ammed fils de Saïd la plus magnifique description.
Et puis nous nous rencontrâmes et je pus attester que
ce qu’avaient entendu mes oreilles ne surpassait point en magnificence ce que virent mes yeux. »
L’Homme correspondait bien à la renommée qui est la
sienne et à l’idée que je me faisais de lui. Exemplaire, il
l’est. Intransigeant sur ses convictions et ses principes, toujours. Sans
reproche dans son action. Reclus et mis à l’étroit, sa noblesse d’âme naturelle
et sa volonté indomptable continuent à occuper les plus vastes espaces.
Stigmatisé et marginalisé, il demeure bien visible au milieu du tumulte et constamment
présent au cœur du débat. Persécuté et
affamé, il ne courbe jamais l’échine ni ne mange dans les râteliers.
Ma première rencontre avec Ould Ebety a été de courte
de durée, et je n’ai pu, pour des raisons de sécurité, passer avec lui qu’un
court moment. Mon camarade Jemal Ould Lyessa m’avait contacté pour me dire que
quelqu’un allait me remettre des documents écrits de la main du Commandant
Saleh Ould Hanenna contenant les noms de ses tortionnaires dans la prion de
Wad- Naga où il était détenu.
Ces documents m’avaient été remis dans des conditions
quasi rocambolesques, dignes des films de Sean Connery et je suis allé les remettre à Brahim Ould Ebety,
après avoir fait un détour par les bureaux de Sahara-Média et confié à mon ami
Ahmed Ould Bah, sous le sceau du secret, que j’étais en possession de documents
confidentiels sensibles et que j’aurais besoin de les photocopier, d’en
conserver une copie dans ma boîte e-mail et d’en envoyer une autre sur la boîte
de Jemal. Ould Bah m’y avait aidé avec
courage. A cette époque là, j’étais celui qui récupérait les déclarations que
Salah Ould Hanenna envoyait de sa prison et j’aidais Ahmed Ould Bah à les
envoyer aux jeunes militants de « Conscience et Résistance » qui se
chargeaient de leur distribution. Je me souviens encore de cette déclaration
intitulée « Déclaration à travers les barreaux » et dont le titre
était tracé en caractères rouges, tandis que le texte était en bleu et d’une
belle écriture. Nous nous demandions comment Saleh, strictement surveillé dans sa
cellule, avait pu réaliser une telle calligraphie. Les documents relatifs aux
procédés de tortures étaient, par contre, bâclés, comme si leur auteur les
avait écrits en chevauchant un chameau emballé.
Quelques jours plus tard, Ould Ebety me remit des
documents rédigés en français et contenant des informations très détaillées sur
les tortures subies par les
« Cavaliers du Changement » en détention. Je les adressai par
e-mail à Jemal qui se trouvait à cet
instant précis à Genève, et s‘apprêtait à intervenir devant un congrès des
Droits de l’Homme, pour parler de la
torture dans la prison de Ouad-Naga.
Ould Ebety a pris alors un grand risque pour les
« Cavaliers du Changement » dont le seul nom, la seule mention en
bien ou en mal étaient considérés comme un crime grave pouvant conduire son
auteur loin derrière le soleil.
Quant à ma troisième rencontre avec Ould Ebety, elle
eut lieu quelques jours après le putsch qui renversa Taya ; il me remit
cette fois un dossier contenant des documents relatifs aux crimes des Droits de
l’Homme commis par Mouawiya ; je pris alors l’avion pour Dakar où
m’attendaient Jamal Ould Lyassa et Moustapha Ould Chaf’i qui s’activaient pour
qu’Ould Taya soit traduit devant un tribunal.
Mais les relais
les plus importants de mes relations avec Ould Ebety tout long de mon existence, se situent au
moment où le Général Aziz me fit emprisonner, suite à mes positions déclarées
contre son coup d’Etat.
Maître Ebety se constitua immédiatement et
gracieusement pour ma défense et travailla
nuit et jour pour ma libération, en mobilisant les activistes des Droits
de l’Homme partout où ils se trouvaient ; il me rendait visite
quotidiennement ou presque, m’insufflant courage quand il me voyait faiblir, me rehaussant le moral chaque fois qu’il
sentait le désespoir me gagner.
Cependant, Maître Ebety, au cours de ses visites, ne s’intéressait pas qu’à la seule personne de son client : il était
également attentif aux conditions de détention des autres prisonniers et
compatissait à leur souffrance. Un jour il me demanda si je pouvais
le tenir au courant de la situation des détenus, car il comptait
contacter à leur sujet une association suisse spécialisée dans la protection
des droits de la personne en milieu carcéral.
Ainsi a toujours été Maître Ebety : un homme
d’une grande sensibilité, au cœur rempli d’humanité et de compassion. Mais il
est aussi un homme de caractère :
sa voix dont les échos portent loin est redoutée de ceux qui bafouent les
Droits de l’Homme, et l’aura de son visage blesse les yeux de ceux qui
souffrent de cécité morale. Il est l’exemple du combattant qu’on ne voit jamais
désarçonné ou rendant les armes, de l’apôtre qui ne se sépare jamais de son
bâton, assumant pleinement sa vocation
et sa mission de secourir et de soutenir ses semblables.
Et quand on cherche un vocable ou une expression
exprimant au mieux l’ensemble des qualités de ce combattant, en excluant les légendes dont le gratifient les affabulateurs, on ne
trouvera que le simple mot d’«homme».
Tels ont
été mes rapports avec Ould Ebety ; d’autres ont peut-être eu avec lui des expériences différentes, à la faveur desquelles ont pu se révéler
d’autres aspects de sa supériorité morale, de la noblesse de son âme. Je
n’ai pas abordé ici ce que je sais de son passé militant, du reste bien connu,
me bornant à relater mon expérience personnelle avec lui, tout en sachant
qu’elle ne constitue qu’un fil dans la
trame de son prestigieux parcours.
Pour ces
motifs, je lui souhaite de tout mon cœur de remporter la compétition qu’il livre pour la fonction
fort courtisée de Bâtonnier de l’Ordre
National des Avocats, car je pense que
ce serait un fait de mésalliance
caractérisée si un autre que lui obtenait sa main.
Honneur à
toi qui demeure un géant en ce temps de
nanisme, un coryphée au milieu du dilettantisme ambiant, une lueur éclairante dans les ténèbres de la nuit.
Certes,
ils manifesteront bruyamment pour te faire échec ; ils convergeront de toute part pour
rassembler leurs forces et te
briser. Mais tu resteras le meilleur et
tu garderas constamment la tête haute, aussi haute que les nuages, tant que se
dresseront vers le ciel les monts de
l’Himalaya.
Hanevi Ould Dehah
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