mardi 17 juin 2014

Brahim Ould Ebety : mes trois rencontres avec lui... Hanevy Ould Dehah




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Hanevy Ould Dehah

Les circonstances m’ont permis de rencontrer à trois reprises l’avocat et défenseur des Droits de l’Homme Maître Brahim Ould Ebety. Bien avant notre première rencontre, j’entendais parler de lui et, à l’époque où je n’étais encore qu’un jeune homme débordant d’enthousiasme et dépourvu d’expérience, je suivais avec intérêt ses audacieuses interventions en faveur des Droits de l’Homme et je gardais en mémoire sa célèbre apostrophe : « J’ai honte de la justice de mon pays ! »

Rien ne peut mieux exprimer l’impression que j’ai gardée de lui à l’issue de notre première rencontre que ces vers du poète Ibn Chajari :
« Quand j’interrogeais les voyageurs, ils me faisaient
D’Ammed fils de Saïd la plus magnifique description.
Et puis nous nous rencontrâmes et je pus attester que ce qu’avaient entendu mes oreilles ne surpassait point en magnificence  ce que virent mes yeux. »

L’Homme correspondait bien à la renommée qui est la sienne et  à l’idée  que je me faisais de lui. Exemplaire, il l’est. Intransigeant sur ses convictions et ses principes, toujours. Sans reproche dans son action. Reclus et mis à l’étroit, sa noblesse d’âme naturelle et sa volonté indomptable continuent à occuper les plus vastes espaces. Stigmatisé et marginalisé, il demeure bien visible au milieu du tumulte et constamment présent au cœur  du débat. Persécuté et affamé, il ne courbe jamais l’échine ni ne mange dans les râteliers.

Ma première rencontre avec Ould Ebety a été de courte de durée, et je n’ai pu, pour des raisons de sécurité, passer avec lui qu’un court moment. Mon camarade Jemal Ould Lyessa m’avait contacté pour me dire que quelqu’un allait me remettre des documents écrits de la main du Commandant Saleh Ould Hanenna contenant les noms de ses tortionnaires dans la prion de Wad- Naga où il était détenu.

Ces documents m’avaient été remis dans des conditions quasi rocambolesques, dignes des films de Sean Connery et je  suis allé les remettre à Brahim Ould Ebety, après avoir fait un détour par les bureaux de Sahara-Média et confié à mon ami Ahmed Ould Bah, sous le sceau du secret, que j’étais en possession de documents confidentiels sensibles et que j’aurais besoin de les photocopier, d’en conserver une copie dans ma  boîte  e-mail et d’en envoyer une autre sur la boîte de Jemal. Ould Bah m’y avait aidé  avec courage. A cette époque là, j’étais celui qui récupérait les déclarations que Salah Ould Hanenna envoyait de sa prison et j’aidais Ahmed Ould Bah à les envoyer aux jeunes militants de « Conscience et Résistance » qui se chargeaient de leur distribution. Je me souviens encore de cette déclaration intitulée « Déclaration à travers les barreaux » et dont le titre était tracé en caractères rouges, tandis que le texte était en bleu et d’une belle écriture. Nous nous demandions comment Saleh, strictement surveillé dans sa cellule, avait pu réaliser une telle calligraphie. Les documents relatifs aux procédés de tortures étaient, par contre, bâclés, comme si leur auteur les avait écrits en chevauchant un chameau emballé.

Quelques jours plus tard, Ould Ebety me remit des documents rédigés en français et contenant des informations très détaillées sur les tortures  subies par les « Cavaliers du Changement » en détention. Je les adressai par e-mail  à Jemal qui se trouvait à cet instant précis à Genève, et s‘apprêtait à intervenir devant un congrès des Droits de l’Homme,  pour parler de la torture dans la prison de Ouad-Naga. 

Ould Ebety a pris alors un grand risque pour les « Cavaliers du Changement » dont le seul nom, la seule mention en bien ou en mal étaient considérés comme un crime grave pouvant conduire son auteur loin derrière le soleil. 

Quant à ma troisième rencontre avec Ould Ebety, elle eut lieu quelques jours après le putsch qui renversa Taya ; il me remit cette fois un dossier contenant des documents relatifs aux crimes des Droits de l’Homme commis par Mouawiya ; je pris alors l’avion pour Dakar où m’attendaient Jamal Ould Lyassa et Moustapha Ould Chaf’i qui s’activaient pour qu’Ould Taya soit traduit devant un tribunal.

Mais les relais  les plus importants de mes relations avec Ould Ebety  tout long de mon existence, se situent au moment où le Général Aziz me fit emprisonner, suite à mes positions déclarées contre son coup d’Etat.

Maître Ebety se constitua immédiatement et gracieusement pour ma défense et travailla  nuit et jour pour ma libération, en mobilisant les activistes des Droits de l’Homme partout où ils se trouvaient ; il me rendait visite quotidiennement ou presque, m’insufflant courage quand il me voyait faiblir,  me rehaussant le moral chaque fois qu’il sentait le désespoir me gagner. 

Cependant, Maître Ebety, au cours de ses visites,  ne s’intéressait pas qu’à la seule  personne de son client : il était également attentif aux conditions de détention des autres prisonniers et compatissait à leur souffrance. Un jour il me demanda si je  pouvais  le tenir au courant de la situation des détenus, car il comptait contacter à leur sujet une association suisse spécialisée dans la protection des droits de la personne en milieu carcéral. 

Ainsi a toujours été Maître Ebety : un homme d’une grande sensibilité, au cœur rempli d’humanité et de compassion. Mais il est aussi  un homme de caractère : sa voix dont les échos portent loin est redoutée de ceux qui bafouent les Droits de l’Homme, et l’aura de son visage blesse les yeux de ceux qui souffrent de cécité morale. Il est l’exemple du combattant qu’on ne voit jamais désarçonné ou rendant les armes, de l’apôtre qui ne se sépare jamais de son bâton, assumant  pleinement sa vocation et sa mission de secourir et de soutenir ses semblables.

Et quand on cherche un vocable ou une expression exprimant au mieux l’ensemble des qualités de ce combattant, en excluant les légendes  dont le gratifient les affabulateurs, on ne trouvera que le simple mot d’«homme».

Tels ont été mes rapports avec Ould Ebety ; d’autres  ont peut-être eu avec lui  des expériences différentes,  à la faveur desquelles ont pu se révéler d’autres aspects de sa supériorité morale, de la noblesse de son  âme.  Je n’ai pas abordé ici ce que je sais de son passé militant, du reste bien connu, me bornant à relater mon expérience personnelle avec lui, tout en sachant qu’elle ne constitue qu’un  fil dans la trame de son prestigieux  parcours.

Pour ces motifs, je lui souhaite de tout mon cœur de remporter  la compétition qu’il livre pour la fonction fort courtisée de Bâtonnier  de l’Ordre National des Avocats, car je pense que  ce serait un fait  de mésalliance caractérisée  si un autre que lui  obtenait sa main.

Honneur à toi qui demeure  un géant en ce temps de nanisme,   un coryphée  au milieu du dilettantisme ambiant,  une lueur éclairante dans les ténèbres  de la nuit.

Certes, ils manifesteront bruyamment pour te faire échec ; ils  convergeront de toute part  pour  rassembler leurs forces   et te briser.  Mais tu resteras le meilleur et tu garderas constamment la tête haute, aussi haute que les nuages, tant que se dresseront vers le ciel  les monts de l’Himalaya.
Hanevi Ould Dehah


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