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10 Septembre 1969 & 10
Septembre 1992
Normalisation et
dévalorisation
Le 10 Septembre 1969, le roi du Maroc, Hassan II, adresse à «
Son Excellence Monsieur Moktar Ould Daddah, Président de la République Islamique
de Mauritanie – Nouakchott » un télégramme l’invitant, avec ses
« meilleures salutations », à participer à la conférence islamique de
Rabat « dans l’esprit de l’unité islamique, à laquelle nous croyons
tous » [1].
Deux événements ont précédé
cette reconnaissance. Le 20 Août 1969, le roi avait affirmé publiquement que
« la revendication ne doit pas prendre la forme de l’injure ou de la
violence. De même, elle ne doit pas s’appuyer exclusivement sur l’histoire
lointaine ». Dès l’époque où il n’était encore que prince héritier, Moulay
Hassan n’était pas – intimement – sur la « ligne » de son père,
Mohamed V qui, lui, avait faites siennes les thèses de l’Istiqlal et
singulièrement d’Allal El Fassi [2].
Il avait même affirmé : « Ce n’est pas notre intérêt que des caïds
marocains administrent la
Mauritanie (…). Ce que nous souhaitons, c’est une sorte
d’union personnelle, une association d’Etat à Etat » [3].
Mais, loyauté envers son père et son roi, il avait défendu la thèse marocaine
aux Nations Unies et même manqué que le royaume soit membre fondateur de
l’Organisation de l’Unité Africaine pour ne pas entériner le rôle de la Mauritanie et de son
président, dans le processus panafricain. L’autre événement était survenu le
lendemain de ce discours-présage : l’incendie de la mosquée d’Al-Aqsa,
dans Jérusalem occupée par Israël. Le roi Fayçal d’Arabie avait aussitôt lancé
l’idée d’une conférence des chefs d’Etats musulmans, tandis que Moktar Ould
Daddah télégraphiait au secrétaire général des Nations Unies.
Les 25-27 Août, la Ligue arabe ne parvenant pas
à s’accorder pour un sommet arabe, en réplique à l’attentat sacrilège,
l’importance du sommet islamique est alors reconnue : l’Arabie saoudite et
le Maroc sont chargés de l’organiser. Arrivant sur ces entrefaites à Paris,
Moktar Ould Daddah confirme que la Mauritanie répondra favorablement à une
invitation à participer à la conférence islamique.
Le prétexte saisi avec
empressement par le roi du Maroc pour reconnaître en la personne de son
homologue mauritanien, la République Islamique, s’inscrit dans un contexte
où l’ostracisme dans lequel celle-ci était tenue par les Etats arabes depuis
1960, avait fléchi de plus en plus. Le Machrek-même, n’était plus iréductible.
La révolution libyenne reconnue à Nouakchott dès le 4 Septembre, Tripoli
reconnaît aussitôt la
Mauritanie. Le 1er, l’Irak avait convenu de
l’établissement de relations diplomatiques.
C’est au cours du sommet de
l’O.U.A. (le septième), qui avait lieu à Addis-Abeba du 6 au 9 Septembre, que
les choses se conviennent. Moktar Ould Daddah note personnellement : le ministre des Affaires
Etrangères du Maroc demande mon audience. Il me fait part de l’intention de son
roi de m’inviter à la conférence islamique. Je lui déclare que si j’étais
invité dans les formes requises, je viendrai.Le président Senghor se rend, là-dessus, à Rabat tandis que
le chef de l’Etat mauritanien rentre d’Ethiopie par Le Caire où il s’entretient
avec le président Nasser. Le télégramme royal l’accueille à Nouakchott… Fayçal qui a commencé de
s’entretenir avec Moktar Ould Daddah dès le sommet des Non-Alignés au Caire,
quatre ans auparavant (5 au 11 Octobre 1964) [4]
a accepté que la conférence ait lieu, non en Arabie, mais à Rabat pour que soit
protocolairement possible le geste de Hassan II.
Le télégramme d’Hassan II
est confirmé, le même jour, par l’ambassade du Maroc à Paris, le réexpédiant à
Nouakchott. Reste à apprécier le geste… le 13, le comité permanent du Bureau
politique national en débat, les avis sont très partagés, la reconnaissance
est-elle formelle ? ou implicite ? L’ennemi a-t-il changé de
mentalité, vraiment ? Moktar Ould Daddah considère que la question de
forme est dépassée, il met la décision qu’il a prise, quant à lui, comme le
président de la République
destinataire du message royal, dans la balance : question de confiance de
ses co-équipiers (ce n’est pas la première fois…), question de confiance de la Mauritanie envers le
Maroc (c’est la première…) – il l’emporte et, le 15, il accepte formellement
l’invitation du roi. Le régime fondateur de la Mauritanie est bien
collégial et c’est un système qui, quoique de confiance en la personne de celui
que l’on appelle pas encore « le père de la nation », est
délibératif, collégial. Le 23 Septembre 1969, à l’aéroport international de
Rabat, flotte le drapeau mauritanien. En marge de la conférence, le président
de la République
s’entretient avec le Maroc, en présence du président Boumedienne, et le 26, au
cours d’un dîner ne réunissant que le roi, son Premier ministre et Moktar Ould
Daddah, le préalable de la reconnaissance, jusques-là exigé à Nouakchott, est
considéré comme dépassé. Un échange de missions dans les capitales respectives
aura lieu avant et après le Ramadan (en commençant par le déplacement
mauritanien à Rabat), l’établissement des relations diplomatiques dès Janvier
1970. La Mauritanie
n’a rien cédé, la question saharienne n’a pas été évoquée, contrairement au vœu
marocain que soit avancée par Moktar Ould Daddah cette
« compensation », et les relations à venir devraient se bâtir sur le
strict modèle de celles déjà entretenues avec le Sénégal et l’Algérie, intimes
mais entre Etats souverains : respect mutuel et à égalité, quels que
soient les poids intrinsèques de chacun des pays, et leurs différents
coefficients.
Le 10 Septembre 1992, se clôt un cycle de négociations très difficiles
avec le Fonds monétaire international.
Michel Camdessus, directeur
général, est venu à Nouakchott. Une dévaluation de l’ouguiya – de 27,9% par
rapport au dollar américain – doit être consentie pour obtenir du F.M.I. et de la Banque mondiale une aide de
390 millions de dollars. Cette dévaluation entraîne une dévalorisation,
beaucoup plus substantielle encore par rapport au franc et à la peseta, en
raison du relèvement des commissions bancaires. Les prix de détail dans les
quinze jours augmentent en moyenne de 42%. La population dans les villes, et
notamment à Nouakchott et à Nouadhibou, réagit et manifeste. Le 4 Octobre,
c’est le couvre-feu tandis que le Premier ministre juge
« inadmissible » la flambée des prix et installe (le lendemain) un
« comité de surveillance du marché ». Sidi Mohamed Ould Boubacar,
dernier ministre des Finances du gouvernement des militaires (il est en place
depuis Octobre 1990), a négocié à Washington au printemps : pour le F.M.I.
la dévaluation devait être de 42%, pour lui de seulement 25%. Il avait d’une
certaine manière obtenu gain de cause, il en est récompensé par Maaouyia Ould
Sid’Ahmed Taya, qui le nomme Premier ministre, dès sa propre entrée en
fonctions de président de la
République, le 18 Avril 1992. Ce sont en fait deux
successions à soi-même puisque le président de l’ex-Comité militaire de salut
national est, de fait, à la tête de l’Etat, depuis sept ans, et que le Premier
ministre, économiste de trente-quatre ans, a surtout en charge les grands
équilibres, ayant acompli toute sa courte mais brillante carrière à la
trésorerie générale, puis au budget et enfin au plan [5].
Faisant figure d’opposant
historique depuis son score à l’élection présidentielle, si contestée, du 24
Janvier 1992, Ahmed Ould Daddah – en conférence de presse, le 8 Octobre –
analyse sévèrement une dévaluation sans la moindre mesure d’accompagnement.
Lui-même a représenté la Banque
mondiale dans des pays africains en difficulté et a donc l’expertise de la
situation. Il récapitule les trois plans de développement que les régimes
militaires ont tenté de mettre en œuvre depuis le renversement de Moktar Ould
Daddah, quatorze ans auparavant. Gabegie et mauvaise gestion.
Déjà réduit les 8 et 11
Octobre, malgré des manifestations de femmes, le couvre-feu est levé le 17. Le
malaise demeure. Il aboutira aux « émeutes du pain », les plus graves
– les 21 et 22 Janvier 1995 – faisant pour la première fois depuis 1978, sortir
Moktar Ould Daddah, de son silence.
[1] - Moktar Ould Daddah consacre un chapitre entier, dans ses
mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages –
disponible en arabe et en français), aux
relations avec le Maroc à partir de cette date, et, pp.. 452 et ss., développe
spécialement la manière dont se prépara puis fut convenu le processus de
normalisation
[2] - discours prononcé, le 25 Février 1958 à M’Hamid du Draa,
tandis que s’achève l’ « opération Ouragan » menée par les
Français au Sahara occidental, avec la permission des Espagnols ne parvenant
plus à contrôle Smara, pour y « nettoyer » la Saguia-Al-Hamra et la Tekna
[3] - Le Monde du 9
Juin 1960
[4] - Moktar Ould Daddah, op.
cit. p.516
[5] - à la suite du renversement de Maaouyia Ould Sid’Ahmed
Taya , Sidi Mohamed Ould Boubacar, qui avait été semi-disgrâcié le 2 Janvier
1996, retrouve les fonctions de Premier ministre le 7 Août 2005, sur nomination
du colonel Ely Ould Mohamed Vall, président du Conseil militaire pour la
justice et la démocratie
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