mercredi 11 juin 2014

chronique d'Ould Kaige - déjà publié par Le Calame . 28 Novembre 2007



14 .




28 Novembre 1960 &  28 Novembre 1990

L’indépendance proclamée inconditionnellement
et ce qu’il en advint trente ans après



Le 28 Novembre 1960, à « zéro heures », Moktar Ould Daddah, Premier ministre faisant fonction de chef de l’Etat [1], proclame l’indépendance de la République islamique de Mauritanie. Solennellement… c’est-à-dire en présence de tous ses homologues de l’Afrique d’expression française et du Premier ministre de la République française, Michel Debré, mais dans le modeste hangar qui abrita ensuite le Centre de formation administrative avant que soit édifié le bâtiment de l’Ecole Nationale d’Administration, puis les Archives nationales… [2] Il existe toujours, devant l’ancienne présidence.

L’émotion qui m’étreint en cet instant, je ne chercherai pas à la dissimuler. Le rêve de chaque homme, de chaque femme de ce pays est devenu réalité ; désormais maître de son destin, notre pays affronte l’avenir. Après un long sommeil, la Natioon mauritanienne fière de son riche passé, entre dans le concert des peuples souverains. (…) A cette heure, partout, les Mauritaniens célèbrent l’indépendance de la Patrie – le paysan et le citadin du fleuve, les éleveurs dans les tentes des campements, les manœuvres dans les mines et sur les chantiers, les habitants des ksars séculaires et des villes modernes communient dans une même joie avec tous les Mauritaniens qui en terre étranghère évoquent la patrie lointaine et saluent le début d’une ère nouvelle. Dans cette capitale naissante, je vous convie à reconnaître le symbole de la volonté d’un peuple qui a foi dans son avenir. Vive la Mauritanie libre et fraternelle.

Cet événement est allé sans difficulté pour tous les autres Etats de la Communauté d’expression française, mais pas pour la jeune République. Pour deux raisons fortes. La première était que les Mauritaniens eux-mêmes étaient divisés sur leur avenir : beaucoup étaient partisans d’une fédération avec les voisins du sud et de l’est, lesquels intervenaient pour protéger leurs partisans en Mauritanie-même [3] ; la Providence voulut que Sénégal et Soudan se séparèrent dans les cinq mois de l’indépendance de la Fédération du Mali. Beaucoup aussi de ceux qui accompagnaient depuis le début le gouvernement, craignaient de se séparer de la France, tutelle protectrice aussi bien contre un retour aux mœurs de la période antérieure à l’administration coloniale, que contre la revendication marocaine [4]. Sans vraiment informer le tout neuf gouvernement issu de la Loi-cadre, les Français avaient « nettoyé » les confins mauritano-marocains, essentiellement le territoire administré par l’Espagne : opération efficace [5] rendant crédible la garantie militaire de l’ancienne métropole. La seconde était que le Maroc et l’ensemble de la nation arabe, à l’exception inoubliable de la Tunisie d’Habib Bourguiba, contestait la réalité mauritanienne et considérait factice l’indépendance du pays. Vingt jours avant, Abdallahi Ould Obeïd, le maire d’Atar, avait été assassiné au ksar de Nouakchott.

L’événement avait été rendu possible par le ralliement de toutes les oppositions à l’option d’indépendance, que Moktar Ould Daddah avait assortie le 13 Août 1960 d’une invitation à l’union.  Le 4 Octobre, les trois partis d’opposition décidèrent de faire cause commune, de rejeter toutes prétentions d’où qu’elles viennent et de construire le pays en répondant à l’appel du Premier ministre.

Mais surtout l’option d’indépendance n’était pas nouvelle, elle venait de loin, elle avait été formulée dès le congrès tenu à Aleg, du 2 au 5 Mai 1958, regroupant les partis politiques nés pendant la période coloniale : en même temps qu’il était demandé à la métropole qu’elle se réconcilie avec les Etats arabes et mette fin à la guerre en Algérie, « l’accession à l’autonomie interne complète avec libre vocation à l’indépendance nationale » avait été expressément réclamée, alors que ni les textes de l’époque, ni la mentalité dominante, à commencer par celle du gouverneur du Territoire, ne les envisageaient. La décision d’Aleg avait été réaffirmée par le comité exécutif du nouveau parti, réuni à Atar, les 2 et 3 Septembre 1958, quand il fallut prendre position sur la réponse à donner au referendum, proposé par le général de Gaulle : sauf 3 abstentions, 28 voix pour recommander aux Mauritaniens un vote positif en réaffirmant «  l’appartenance de la Mauritanie à la communauté franco-africaine et son droit à l’indépendance nationale ». Les résultats du scrutin pouvaient donc être interprétés par Moktar Ould Daddah [6] comme la manière de la Nation mauritanienne « d’obtenir la gestion complète de ses propres affaires » et la reconnaissance au peuple mauritanien, par la nouvelle Constitution française, de « son droit imprescriptible et sacré à l’indépendance ». De Gaulle le comprit, admettant en visite officielle à Nouakchott le 10 Décembre 1959, que « dans les années à venir, dans le temps qui est devant nous, il est probable qu’il y aura beaucoup de changements dans les institutions, dans les rapports comme on dit, entre la France et la Mauritanie ». Aux députés, il déclara  : «  vous êtes responsables entièrement de ce qui va arriver, de vos propres concitoyens… vous vous posez, je le sais, je le vois et je vous en approuve, la question de vos responsabilités. »

Le groupe parlementaire du parti gouvernemental ne tarda pas à conclure. Il invita, le 18 Février 1960, « le gouvernement à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l’accession de la République Islamique de Mauritanie à la souveraineté internationale par transfert des compétences au cours de l’année 1961 ». L’indépendance de la Fédération du Mali le 4 Avril, puis la demande des Etats de l’Entente, menés par la Côte d’Ivoire, formulée le 3 Juin firent devancer ce calendrier, d’autant que le 4 Juin la Constitution française avait été révisée de façon à ce qu’ « un Etat membre de la Communauté puisse également par voie d’accords, devenir indépendant sans cesser de ce fait d’appartenir à la Communauté ». Moktar Ould Daddah en convient le 26 Juillet avec le général de Gaulle.. Dès le lendemain, il est publié que l’indépendance sera proclamée le 28 Novembre 1960, date anniversaire de l’option par l’Assemblée territoriale – en 1958 – pour le statut d’Etat membre. Le 28 Novembre avait alors été la simple date permise par la rotation de l’avion reliant Saint-Louis à la capitale, Nouakchott, en chantier… A l’époque, la ligne avait été inaugurée (Dakar.Saint-Louis.Nouakchott) la semaine précédente (le 20) par Moktar Ould Daddah résidant désormais sur place.

Les négociations pour le transfert à la Mauritanie des compétences de la Communauté s’engagent le 14 Octobre. Il s’agit des affaires dites communes, essentiellement la diplomatie, les forces armées, la monnaie et la politique économique et financière, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, les transports extérieurs et communs, les télécommunications. Elles sont chacune de la responsabilité du ministre français correspondant mais quatre comités permanents préparent les réunions du Conseil exécutif formé par les chefs de gouvernement africains, réunis sous la présidence du général de Gaulle. Aussitôt, le Premier ministre mauritanien déclare souhaiter le transfert sans le préalable d’accords de coopération : il s’agit de manifester que l’indépendance, parce qu’elle aura été obtenue sans condition, est réelle. Moktar Ould Daddah peut donc présenter, le 8 Novembre, à la ratification de l’Assemblée Nationale, un texte limpide : il a la forme d’un « accord particulier » qui est approuvé au Palais-Bourbon le 15. «  L’accord qui est soumis aujourd’hui à votre approbation ne comporte ni restriction ni réserve. Le transfert des compétences est total et inconditionnel ». Il a été cependant convenu à Paris que la négociation des accords de coopération sera entreprise « le moment venu, dans le respect de nos souverainetés », la partie française entendant ce moment dès la proclamation de l’indépendance, la partie mauritanienne – comme elle le fera en 1973 – procédant d’une manière complètement différente de celle de tous les autres Etats de la Communauté [7]. Les choses seront donc encore moins simples avec l’ancienne métropole quand le 3 Décembre, en présence du Premier ministre venu tout exprès à New-York, l’Union soviétique oppose son veto à l’admission de la République Islamique de Mauritanie parmi les Nations-Unies.

Cet anniversaire, marqué jusqu’en 1997 par la lecture du rapport présidentiel sur l’état de la Nation, était célébré sobrement et à partir de la sécheresse, ne fut plus solennisé que tous les cinq ans. En 1975, véritable apogée de la Mauritanie nouvelle, tous les acteurs – notamment ceux qui avaient successivement représenté l’ancienne puissance coloniale à Nouakchott – furent personnellement invités : Pierre Messmer et sa femme Gilberte, étaient là. D’hôtels guère que celui dit des députés, le Gomez, l’Oasis et le Mahraba… La mémoire du coup militaire du 10 Juillet 1978 fut instaurée en quasi-substitution comme jour férié, à partir de 1979, puis celui du 12 Décembre 1984 devint la référence annuelle d’un régime oublieux des dates nationales. Même en 2005 – début de la « transition démocratique », le 28 Novembre ne fut marqué que d’un lever de drapeau à la présidence, tandis que la veille et le lendemain la Fondation Moktar Ould Daddah remplissait la maison des jeunes pour un colloque anniversaire et un film commémoratif.

Pour Moktar Ould Daddah, la proclamation de l’indépendance était surtout un pacte entre Mauritaniens pour leur avenir « sur les bases d’une unité nationale solide qui permette à l’ensemble du peuple mauritanien de supporter le lourd fardeau de l’indépendance, et de lutter efficacement contre les ennemis intérieurs et extérieurs de la Nation » [8].


Les régimes autoritaires ont – depuis – fêté l’anniversaire, de façon souvent sinistre. La condamnation aux travaux forcés du « père fondateur », presque au vingtième anniversaire (cf. Le Calame 14 Novembre 2007 . chronique anniversaire du 20 Novembre 1980). Dans la nuit du 27 au 28 Novembre 1990, trentième anniversaire de la proclamation de l’indépendance, trente-trois soldats mauritaniens – présentés comme « négro-africains » – sont pendus dans la caserne d’Inal, à Nouadhibou. Seconde série dans l’atrocité après celle de l’automne de 1987 (cf. Le Calame 31 Octobre 2007 . chronique anniversaire du 28 Octobre 1987) … La veille, une délégation mauritanienne de haut-niveau s’était rendu à Dakar pour y éclaircir d’éventuelles implications du Sénégal dans la tentative. Le lendemain, L’ambiance exacerbée du printemps de 1989 n’avait pas changé, la hantise des complots qui avait marqué l’exercice du pouvoir par le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla de 1980 à 1984, habite maintenant depuis trois ans le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya : paradoxe, les militaires quand ils sont au pouvoir, ne se sentent pas en sécurité. Le lendemain, 28 Novembre – rie n’étant encore public –, le président du Comité militaire de salut national peut assurer que – « loin des échos de l’actuelle campagne internationale, de l’improvisation, de la précipitation et de l’aventurisme générateur d’instabilité et d’anarchie » – le processus de démocratisation ne sera pas interrompu (il ne prévoyait que des élections locales) et qu’un Conseil économique et social sera nommé avant la fin de l’année. Promesse récurrente depuis plus de dix ans, le colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck, avait été renversé par ses pairs pour avoir tenté de mettre en place un Conseil consultatif au printemps de 1979…  

Selon le ministre de l’Information, Mohamed Lemine Ould Ahmed – qui ne s’exprime que le 4 Décembre –, des officiers, originaires de la vallée du Fleuve, préparaient un coup d’Etat pour le 27 Novembre. Ils ont été arrêtés à des dates indéterminées mais seulement à Nouakchott. Des documents « formels » auraient été trouvés dans plusieurs maisons : il s’agissait, soi-disant, de perpétrer des massacres dans le climat de la campagne pour l’élection de 208 conseils municipaux. Le centre national d’entrainement commando (l’ex-fort Coppolani) est transformé en bagne pour 400 prisonniers originaires de la vallée du Fleuve, gardés par la dernière promotion. Une rafle de deux mois commençe : quelques 3.000 « Mauritaniens noirs », suivant Amnesty international [9], auraient alors été internés. Aucun procès n’aura lieu – en 1987, il y avait au moins eu quelques formes. Le conseil des ministres n’en sera qu’évasivement informé, dans le courant de Février 1991. Jamais d’un massacre.
                                       


[1] - la Constitution du 22 Mars 1959 a été révisée le 26 Novembre pour disposer que « le Chef de l’Etat, chef de l’exécutif, est le Premier ministre avec les rangs, pouvoirs et prérogatives qui s’attachent à ces fonctions »

[2] - le récit s’en trouve dans les mémoires du président Moktar Ould Daddah (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 230-231

[3] - Moktar Ould Daddah, op. cit. pp. 191-194, donne quasiment le verbatim d’une conversation au fond avec Sidi El Moktar N’Diaye, député du Territoire à l’Assemblée nationale française à partir de 1951 et président de l’Assemblée constituante à la suite de l’option mauritanienne pour le statut d’Etat membre de la Communauté : l’Assemblée allait voter l’adhésion à

Aucun commentaire: