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28 Novembre 1960 & 28 Novembre 1990
L’indépendance proclamée
inconditionnellement
et ce qu’il en advint trente
ans après
Le 28
Novembre 1960, à « zéro heures », Moktar Ould Daddah, Premier
ministre faisant fonction de chef de l’Etat [1],
proclame l’indépendance de la
République islamique de Mauritanie. Solennellement…
c’est-à-dire en présence de tous ses homologues de l’Afrique d’expression
française et du Premier ministre de la République française, Michel Debré, mais dans le
modeste hangar qui abrita ensuite le Centre de formation administrative avant
que soit édifié le bâtiment de l’Ecole Nationale d’Administration, puis les
Archives nationales… [2]
Il existe toujours, devant l’ancienne présidence.
L’émotion qui
m’étreint en cet instant, je ne chercherai pas à la dissimuler. Le rêve de
chaque homme, de chaque femme de ce pays est devenu réalité ; désormais
maître de son destin, notre pays affronte l’avenir. Après un long sommeil, la Natioon mauritanienne
fière de son riche passé, entre dans le concert des peuples souverains. (…) A
cette heure, partout, les Mauritaniens célèbrent l’indépendance de la Patrie – le paysan et le
citadin du fleuve, les éleveurs dans les tentes des campements, les manœuvres
dans les mines et sur les chantiers, les habitants des ksars séculaires et des
villes modernes communient dans une même joie avec tous les Mauritaniens qui en
terre étranghère évoquent la patrie lointaine et saluent le début d’une ère
nouvelle. Dans cette capitale naissante, je vous convie à reconnaître le
symbole de la volonté d’un peuple qui a foi dans son avenir. Vive la Mauritanie libre et
fraternelle.
Cet événement est allé sans difficulté
pour tous les autres Etats de la
Communauté d’expression française, mais pas pour la jeune
République. Pour deux raisons fortes. La première était que les Mauritaniens
eux-mêmes étaient divisés sur leur avenir : beaucoup étaient partisans
d’une fédération avec les voisins du sud et de l’est, lesquels intervenaient
pour protéger leurs partisans en Mauritanie-même [3] ;
la Providence
voulut que Sénégal et Soudan se séparèrent dans les cinq mois de l’indépendance
de la Fédération
du Mali. Beaucoup aussi de ceux qui accompagnaient depuis le début le
gouvernement, craignaient de se séparer de la France, tutelle protectrice aussi bien contre un
retour aux mœurs de la période antérieure à l’administration coloniale, que
contre la revendication marocaine [4].
Sans vraiment informer le tout neuf gouvernement issu de la Loi-cadre, les Français
avaient « nettoyé » les confins mauritano-marocains, essentiellement
le territoire administré par l’Espagne : opération efficace [5]
rendant crédible la garantie militaire de l’ancienne métropole. La seconde
était que le Maroc et l’ensemble de la nation arabe, à l’exception inoubliable
de la Tunisie
d’Habib Bourguiba, contestait la réalité mauritanienne et considérait factice
l’indépendance du pays. Vingt jours avant, Abdallahi Ould Obeïd, le maire
d’Atar, avait été assassiné au ksar de Nouakchott.
L’événement avait été rendu possible par
le ralliement de toutes les oppositions à l’option d’indépendance, que Moktar
Ould Daddah avait assortie le 13 Août 1960 d’une invitation à l’union. Le 4 Octobre, les trois partis d’opposition
décidèrent de faire cause commune, de rejeter toutes prétentions d’où qu’elles
viennent et de construire le pays en répondant à l’appel du Premier ministre.
Mais surtout l’option d’indépendance
n’était pas nouvelle, elle venait de loin, elle avait été formulée dès le
congrès tenu à Aleg, du 2 au 5 Mai 1958, regroupant les partis politiques nés
pendant la période coloniale : en même temps qu’il était demandé à la
métropole qu’elle se réconcilie avec les Etats arabes et mette fin à la guerre
en Algérie, « l’accession à l’autonomie interne complète avec libre
vocation à l’indépendance nationale » avait été expressément réclamée,
alors que ni les textes de l’époque, ni la mentalité dominante, à commencer par
celle du gouverneur du Territoire, ne les envisageaient. La décision d’Aleg
avait été réaffirmée par le comité exécutif du nouveau parti, réuni à Atar, les
2 et 3 Septembre 1958, quand il fallut prendre position sur la réponse à donner
au referendum, proposé par le général de Gaulle : sauf 3 abstentions, 28
voix pour recommander aux Mauritaniens un vote positif en réaffirmant «
l’appartenance de la
Mauritanie à la communauté franco-africaine et son droit à
l’indépendance nationale ». Les résultats du scrutin pouvaient donc être
interprétés par Moktar Ould Daddah [6]
comme la manière de la Nation
mauritanienne « d’obtenir la gestion complète de ses propres
affaires » et la reconnaissance au peuple mauritanien, par la nouvelle
Constitution française, de « son droit imprescriptible et sacré à
l’indépendance ». De Gaulle le comprit, admettant en visite officielle à
Nouakchott le 10 Décembre 1959, que « dans les années à venir, dans le
temps qui est devant nous, il est probable qu’il y aura beaucoup de changements
dans les institutions, dans les rapports comme on dit, entre la France et la Mauritanie ». Aux
députés, il déclara : « vous êtes
responsables entièrement de ce qui va arriver, de vos propres concitoyens… vous
vous posez, je le sais, je le vois et je vous en approuve, la question de vos
responsabilités. »
Le groupe parlementaire du parti
gouvernemental ne tarda pas à conclure. Il invita, le 18 Février 1960,
« le gouvernement à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de
l’accession de la
République Islamique de Mauritanie à la souveraineté
internationale par transfert des compétences au cours de l’année 1961 ».
L’indépendance de la
Fédération du Mali le 4 Avril, puis la demande des Etats de
l’Entente, menés par la Côte
d’Ivoire, formulée le 3 Juin firent devancer ce calendrier, d’autant que le 4
Juin la Constitution
française avait été révisée de façon à ce qu’ « un Etat membre de la Communauté puisse
également par voie d’accords, devenir indépendant sans cesser de ce fait d’appartenir
à la Communauté
». Moktar Ould Daddah en convient le 26 Juillet avec le général de Gaulle.. Dès
le lendemain, il est publié que l’indépendance sera proclamée le 28 Novembre
1960, date anniversaire de l’option par l’Assemblée territoriale – en 1958 –
pour le statut d’Etat membre. Le 28 Novembre avait alors été la simple date
permise par la rotation de l’avion reliant Saint-Louis à la capitale,
Nouakchott, en chantier… A l’époque, la ligne avait été inaugurée
(Dakar.Saint-Louis.Nouakchott) la semaine précédente (le 20) par Moktar Ould
Daddah résidant désormais sur place.
Les négociations pour le transfert à la Mauritanie des
compétences de la
Communauté s’engagent le 14 Octobre. Il s’agit des affaires
dites communes, essentiellement la diplomatie, les forces armées, la monnaie et
la politique économique et financière, le contrôle de la justice,
l’enseignement supérieur, les transports extérieurs et communs, les
télécommunications. Elles sont chacune de la responsabilité du ministre
français correspondant mais quatre comités permanents préparent les réunions du
Conseil exécutif formé par les chefs de gouvernement africains, réunis sous la
présidence du général de Gaulle. Aussitôt, le Premier ministre mauritanien
déclare souhaiter le transfert sans le préalable d’accords de
coopération : il s’agit de manifester que l’indépendance, parce qu’elle
aura été obtenue sans condition, est réelle. Moktar Ould Daddah peut donc
présenter, le 8 Novembre, à la ratification de l’Assemblée Nationale, un texte
limpide : il a la forme d’un « accord particulier » qui est
approuvé au Palais-Bourbon le 15. « L’accord qui est soumis aujourd’hui à
votre approbation ne comporte ni restriction ni réserve. Le transfert des
compétences est total et inconditionnel ». Il a été cependant convenu à
Paris que la négociation des accords de coopération sera entreprise « le
moment venu, dans le respect de nos souverainetés », la partie française
entendant ce moment dès la proclamation de l’indépendance, la partie
mauritanienne – comme elle le fera en 1973 – procédant d’une manière
complètement différente de celle de tous les autres Etats de la Communauté [7].
Les choses seront donc encore moins simples avec l’ancienne métropole quand le
3 Décembre, en présence du Premier ministre venu tout exprès à New-York,
l’Union soviétique oppose son veto à l’admission de la République Islamique
de Mauritanie parmi les Nations-Unies.
Cet anniversaire, marqué jusqu’en 1997 par
la lecture du rapport présidentiel sur l’état de la Nation, était célébré sobrement
et à partir de la sécheresse, ne fut plus solennisé que tous les cinq ans. En
1975, véritable apogée de la
Mauritanie nouvelle, tous les acteurs – notamment ceux qui
avaient successivement représenté l’ancienne puissance coloniale à Nouakchott –
furent personnellement invités : Pierre Messmer et sa femme Gilberte,
étaient là. D’hôtels guère que celui dit des députés, le Gomez, l’Oasis et le
Mahraba… La mémoire du coup militaire du 10 Juillet 1978 fut instaurée en
quasi-substitution comme jour férié, à partir de 1979, puis celui du 12
Décembre 1984 devint la référence annuelle d’un régime oublieux des dates
nationales. Même en 2005 – début de la « transition démocratique »,
le 28 Novembre ne fut marqué que d’un lever de drapeau à la présidence, tandis que
la veille et le lendemain la Fondation Moktar Ould Daddah remplissait la
maison des jeunes pour un colloque anniversaire et un film commémoratif.
Pour Moktar Ould Daddah, la proclamation
de l’indépendance était surtout un pacte entre Mauritaniens pour leur avenir
« sur les bases d’une unité nationale solide qui permette à l’ensemble du
peuple mauritanien de supporter le lourd fardeau de l’indépendance, et de
lutter efficacement contre les ennemis intérieurs et extérieurs de la Nation » [8].
Les régimes autoritaires ont – depuis –
fêté l’anniversaire, de façon souvent sinistre. La condamnation aux travaux
forcés du « père fondateur », presque au vingtième anniversaire (cf. Le
Calame 14 Novembre 2007 . chronique anniversaire du 20 Novembre 1980). Dans la nuit du 27 au 28 Novembre 1990, trentième anniversaire de la
proclamation de l’indépendance, trente-trois soldats mauritaniens – présentés
comme « négro-africains » – sont pendus dans la caserne d’Inal, à
Nouadhibou. Seconde série dans l’atrocité après celle de l’automne de 1987 (cf. Le
Calame 31 Octobre 2007 . chronique anniversaire du 28 Octobre 1987) … La veille, une délégation mauritanienne de
haut-niveau s’était rendu à Dakar pour y éclaircir d’éventuelles implications
du Sénégal dans la tentative. Le lendemain, L’ambiance exacerbée du printemps
de 1989 n’avait pas changé, la hantise des complots qui avait marqué l’exercice
du pouvoir par le colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla de 1980 à 1984, habite
maintenant depuis trois ans le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya :
paradoxe, les militaires quand ils sont au pouvoir, ne se sentent pas en
sécurité. Le lendemain, 28 Novembre –
rie n’étant encore public –, le président du Comité militaire de salut national
peut assurer que – « loin des échos de l’actuelle campagne
internationale, de l’improvisation, de la précipitation et de l’aventurisme
générateur d’instabilité et d’anarchie » – le processus de
démocratisation ne sera pas interrompu (il ne prévoyait que des élections
locales) et qu’un Conseil économique et social sera nommé avant la fin de
l’année. Promesse récurrente depuis plus de dix ans, le colonel Mustapha Ould
Mohamed Saleck, avait été renversé par ses pairs pour avoir tenté de mettre en
place un Conseil consultatif au printemps de 1979…
Selon le ministre de l’Information, Mohamed
Lemine Ould Ahmed – qui ne s’exprime que le 4 Décembre –, des officiers,
originaires de la vallée du Fleuve, préparaient un coup d’Etat pour le 27
Novembre. Ils ont été arrêtés à des dates indéterminées mais seulement à
Nouakchott. Des documents « formels » auraient été trouvés dans
plusieurs maisons : il s’agissait, soi-disant, de perpétrer des massacres
dans le climat de la campagne pour l’élection de 208 conseils municipaux. Le centre
national d’entrainement commando (l’ex-fort Coppolani) est transformé en bagne
pour 400 prisonniers originaires de la vallée du Fleuve, gardés par la dernière
promotion. Une rafle de deux mois commençe : quelques 3.000
« Mauritaniens noirs », suivant Amnesty international [9],
auraient alors été internés. Aucun procès n’aura lieu – en 1987, il y avait
au moins eu quelques formes. Le conseil des ministres n’en sera qu’évasivement
informé, dans le courant de Février 1991. Jamais d’un massacre.
[1] - la
Constitution du 22 Mars 1959 a été révisée le 26
Novembre pour disposer que « le Chef de l’Etat, chef de l’exécutif, est le
Premier ministre avec les rangs, pouvoirs et prérogatives qui s’attachent à ces
fonctions »
[2] - le récit s’en trouve dans les mémoires du président
Moktar Ould Daddah (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible
en arabe et en français) pp. 230-231
[3] - Moktar Ould Daddah, op. cit. pp. 191-194, donne
quasiment le verbatim d’une conversation au fond avec Sidi El Moktar N’Diaye,
député du Territoire à l’Assemblée nationale française à partir de 1951 et président
de l’Assemblée constituante à la suite de l’option mauritanienne pour le statut
d’Etat membre de la
Communauté : l’Assemblée allait voter l’adhésion à
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