De quoi se mêle-t-il ?
Une amie – Mauritanienne – me téléphone et je reconnais qu’elle pose une question que peut-être d’autres se posent ces temps-ci.
De quoi vous mêlez-vous ? vous êtes croyant, vous aimez notre pays, il est dans le besoin, vos analyses et vos interventions peuvent le gêner à Bruxelles, cet argent nous est nécessaire. Et puis vos jugements ne sont pas utiles, d’ailleurs vous êtes mal informés, je sais qui les inspire, et ceux-là n’existent plus et ils n’ont pas votre désintéressement. Laissez-nous avec nous-mêmes. Suit une affirmation selon laquelle le président en place fait ce qu’il peut et que c’est difficile.
J’ai répondu que – venant d’elle – l’objection a du poids. Pas son appréciation sur le général Mohamed Ould Abdel Aziz qui ne peut être que factuelle : seuls en décideront les résultats obtenus, en tous domaines, pas seulement l’économie mais la paix sociale, le calme des esprits, le sentiment ou pas de fierté des Mauritaniens pour leur pays. Depuis bientôt deux ans, la Mauritanie en est plus aux dégâts. Le débat est seulement : peut-on ou non espérer des résultats ? selon le régime en place. Plus encore que les Mauritaiens, les faits décideront et le pouvoir censuré – s’il doit l’être – n’aura que la capacité, pour un temps, n’en empêcher l’expression. L’historien en prendra acte, comme il a pris acte du bilan des régimes autoritaires qui se sont renversées mutuellement de 1978 à 2005. Ce ne sera pas de la politique.
Mais 1° l’ingérence dans les affaires d’un Etat est un argument pour le diplomate que je suis, et 2° porter la responsabilité d’affamer un pays ne peut que toucher l’un de ses amis. Je dois répondre.
Sur le second point, c’est facile. D’une part, des démarches isolées ne peuvent infléchir des positions à la Commission européenne ou en France ou dans d’autres Etats membres de l’Union européenne que si précisément une interrogation fait déjà fléchir ces positions : affaire d’ambiance. Ce que je peux dire ou écrire n’a de poids que si cela paraît expliquer une suite d’événements ou de faits ou représenter une interprétation plausible de la psychologie de ceux qui sont responsables de ces faits ou événements. Les fautifs ne sont pas le peintre d’un massacre, mais bien ceux qui perpètrent le massacre. D’autre part, l’enjeu n’est pas la mise à la disposition de la Mauritanie des crédits programmés en dialogue avec le pouvoir précédent, en grande partie à raison de son caractère démocratique – , il est que cet argent soit efficacement utilisé et profite vraiment au pays. Cela suppose évidemment non seulement l’énoncé de réformes, mais que soient déchiffrées pour les bailleurs de fonds les habitudes mauritaniennes et les manières de les changer après tant d’années de régimes autoritaires et opaques. Seul un discours tenu ensemble par l’opposition et par le pouvoir en place, sera convaincant et vraiment informé. Ce qui ne dépend nullement des démarches d’un tiers que je suis. Militer pour que le pays fonctionne d’une manière telle que les crédits et les dons soient fructueusement reçus et utilisés, n’est pas l’affamer. Conclure à la hâte arrangerait aussi bien la « communauté internationale », l’Union européenne en particulier, que le général Mohamed Ould Abdel Aziz. La « communauté internationale » se contredirait à critiquer aujourd’hui celui qu’elle a légitimé au titre du fait accompli, puis au titre d’un scrutin contestable parce que pas supervisé faute de temps ou à lui poser des questions gênantes – pourquoi la même personne garde autorité directe sur la garde prétorienne qu’elle a constitué pour un autre il y a bien plus de vingt ans, s’est arrogée les prérogatives d’ordonnateur national des dépenses publiques à la place du service et des fonctionnaires légalement compétents et contrôlables selon les textes, alors qu’elle a été élue président de la République ? Quelle démocratie ? quelle discipline budgétaire ? dans une telle concentration de pouvoirs tandis que les tâches sociales et sécuritaires de l’Etat dont cette personne a pris la tête par la force, ne sont toujours pas assumées ? Conclure aussi superficiellement, à la lecture rapidement commentée d’un document de travail déjà diffusé mais en rien consensuel à Nouakchott, c’est remplir le tonneau (percé) des Danaïdes. L’aide – d’autant plus bâclée qu’elle est massive - affamerait le pays, dans l’état où il est après tant d’années d’opacité, de dictature et de voies de fait, simplement parce qu’elle ne sera pas au bénéfice durable de tous. Seule, la portée symbolique de son obtention est recherchée comme nouveau test de reconnaissance internationale. Si elle est tout de même obtenue dans quelques jours, ce sera, en fait et en droit, ce qu’avaient travaillé le président renversé le 6 Août 2008 et ses gouvernements successifs.
La question est donc mieux circonscrite, elle est plus simple : de quoi je me mêle ? cela ne me regarde pas ?
Je réponds d’abord que suivre les affaires, la vie d’un pays, rencontrer ses dirigeants, ses opposants, ses étudiants depuis maintenant quarante-cinq ans – quel que soit le régime – empêche d’être indifférent au sort de ce pays, de ces amis. Cela donne une sensibilité, une mémoire, des espérances : c’est vraiment charnel., Tout le contraire d’une solidarité théorique ou idéologique, politique.
Davantage… sans l’avoir spécialement cherché et en dehors d’une carrière professionnelle me donnant quelques aptitudes à la relation et au diagnostic, je me trouve – aussi – dans une situation de liberté intellectuelle et physique, indépendant de structures de parti ou de nécessités professionnelles qu’un Mauritanien de sang vivant au pays, si prestigieux ou compétent qu’il soit, n’acquiert pas et ne conserve pas sans difficulté personnelle, sans risque de chantage, sans discussion lassante ou dangereuse avec ses soutiens, ses coé-quipiers, ses proches. Sans doute, n’étant pas résidant, ne séjournant qu’épisodiquement, parfois longtemps, parfois en coup de vent, ou laissant passer du temps sans revenir, ne suis-je qu’aléatoirement informé soit par des relations – dont beaucoup se renouvellent – soit par des questions auxquelles l’on me répond, soit par des confidences ou des analyses qui ne me sont confiées que parce que je suis hors jeu. En ce sens, je ne suis le porte-parole de personne même si mes amitiés et fidélités d’une part, ou mon admiration et mon estime d’autre part sont désormais connues. Je peux d’ailleurs les justifier et les argumenter, avec beaucoup d’autres Mauritaniens. Bref, je suis à même de rendre service si l’on en a besoin et si d’autres ne peuvent faire de même. C’est ce que l’on appelle le point de vue de Sirius. Le fondateur et premier directeur du journal Le Monde signait ainsi ses éditoriaux, après la guerre puis sous de Gaulle.
C’est dans cette situation que j’ai eu l’honneur d’écouter et questionner le président Moktar Ould Daddah, à intervalles réguliers et parfois très à loisir depuis que je suis venu en Mauritanie pour y accomplir – en coopération comme enseignant au Centre de formation administrative (future Ecole nationale d’administration) en Février 1965. Dans cette situation aussi que j’ai interrogé ses coéquipiers de diverses générations et de diverses époques de son exercice du pouvoir, puis qu’à son retour d’exil j’ai cherché à comprendre d’abord les raisons de son éviction en 1978, puis ce qu’il s’était passé en son absence. Quête intellectuelle – fondée sur l’amitié – et avec pour obectif pratique de témoigner de ce que je comprends et d’écrire l’histoire et les problématiques contemporaines d’un pays dont je suis devenu familier – sans être prisonnier d’aucun de ses points de vue. Témoigner sur le passé, même récent, ou sur un personnage emblématique, n’est pas une intervention ni même une opinion sur la politique courante : celle-ci est hors de mon sujet, elle ne m’approchera que quand elle sera de l’histoire à écrire, je ne la recherche pas. C’est d’ailleurs à peu près dans cette posture que j’ai vêcu – de loin – l’exercice du pouvoir par l’élu du 25 Mars 2007. Séjournant assez longuement à la fin de 2005 et au printemps de 2006 à Nouakchott, sentant donc le mouvement des esprits et aussi celui de la junte du moment, je ne suis intervenu qu’en réfutation d’affirmations fausses du régime de transition sur ceux qui l’avaient précédé et sur certains amalgames. Intervenu aussi pour proposer des améliorations constitutionnelles, puisque la loi fondamentale était en cours de révision.
Mais, en apprenant le coup du 6 Août 2008, j’ai eu une réaction instinctive qu’ont entretenue tous les événements qui ont suivi, sans qu’elle perde son fondement, encore aujourd’hui. J’aurais sans doute retenu en grande partie l’expression de mon indignation si n’était pas survenu un fait inattendu et dont, dans le passé, je n’avais pu prendre personnellement la mesure.
La « Françafrique » était pour moi une interprétation parmi d’autres – j’avais certes enquêté en 1979-1980 [1] sur la part prise ou pas par mon pays, la France, au renversement du président Moktar Ould Daddah. Soudain, quand j’ai commencé de chercher à soutenir la condamnation du coup à Paris et à l’étoffer, la maintenir, j’ai entendu – explicitement – l’exposé de plusieurs lignes politiques vis-à-vis du fait accompli : c’était à la veille des premières consultations au titre de l’article 96 du traité de Cotonou lisant les Etats-membres de l’Union européenne aux Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. On était sous la présidence française, en Octobre 2008, l’élu de Mars 2007 était sous clé à Nouakchott. J’ai donc cherché à fortifier la ligne légaliste en même temps que j’apprenais à mieux considérer les quinze mois d’exercice du pouvoir par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi dont je n’avais guère entendu jusques là que de très vives et constantes critiques (pluralité de mes sources d’information et de mes opinions en gestation). Je rencontre à ce moment-là M° Robert Bourgi, au demeurant sympathique, et je me documente sur les circonstances de son implication dans le plaidoyer putschiste à Paris. Il m’est par ailleurs confirmé – ce que j’avais compris en 2003 en accompagnant Ahmed Ould Daddah dans sa recherche d’une observation européenne de l’élection présidentielle de Novembre 2003 – que Bruxelles s’aligne sur l’expertise de mon pays quand il s’agit de la Mauritanie. Expertise ? ou analyses intéressées ? que répudient d’ailleurs les administrations françaises compétentes [2] : à défaut d’y connaître tout le monde, les générations passent, j’en connais les traditions et les manières de voir et d’exprimer les choses (sans trop toucher les gens, et sans trop se mettre soi-même en position vulnérable..).
Le mensonge du président de mon pays, Nicolas Sarkozy, assurant en conférence de presse à Niamey, en Mars 2009 qu’il a bien été le seul à téléphoner à son homologue renversé à Nouakchott et que d’ailleurs il n’y a pas eu de manifestations pour soutenir celui-ci, est – pour moi – une véritable agreession. Je sais qu’il y a eu des manifestations et le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi me téléphone son embarras : comment répondre à quelqu’un qui ment si celui-ci est le président de la République française, car de lui il n’a reçu aucun appel téléphonique. Accessoirement, je courielle aussitôt à l’Elysée les numéros de téléphone directs ou indirects de Lemden, mais désormais l’honneur de la France est engagé. Quant à ma messagerie, elle est saccagée par les « services » compétents dans les deux jours de ma remontrance.
On est au printemps 2009 : mon pays est donc responsable de ce qu’il arrive à la Mauritanie et de ce que la « communauté internationale » va tolérer, son président le revendique même… Vient alors le troisième acte. Les oppositions sont circonvenues à Dakar, le consentement d’Ahmed Ould Daddah à cet accord qui consacre le contraire de ce qu’il a toujours voulu a été forcé par l’ambassadeur de France, le texte-même n’a été qu’à peine amendé entre sa version initiale à la rédaction de laquelle aucun Mauritanien n’a été associé, et sa version finale. Ces évidences sont tellement probantes que mon inertie, mon silence seraient coupables. La Mauritanie certes, son intérêt naturellement – il me semble cependant, à l’école de Moktar Ould Daddah, que la dignité de ses citoyens, si pauvres et démunis qu’ils soient, passe avant tout autre considération de soi-disant financement, de soi-disant éradication du terrorisme : aux Mauritaniens d’en décider librement et directement. Mais il y a plus pour un citoyen français que ses sentiments ou son attachement pour un autre pays que le sien : il y a l’honneur de la France, en jeu par le comportement de ses dirigeants du moment.
A ceux qui me conseillent de consacrer mes critiques à mon propre pays, je réponds donc que je le fais – depuis près de quarante ans, et que ce fut longtemps public [3] - chaque fois que le legs, l’exemple du général de Gaulle est oublié ou perverti, chaque fois qu’est nié par des intérêts et une propagande la légitimité d’une alternance au pouvoir en place, en fait l’accession de la gauche au pouvoir, incarnée par François Mitterrand si bien, et que j’ai eu l’honneur de beaucoup approcher. Ce qui m’a valu carrière et disgrâce, plutôt hors normes. Or, l’élément – que je possède le mieux – de cette critique de l’exercice du pouvoir dans mon pays, c’est précisément ce que la France officielle, ou plus efficacement une France officieuse fait soutenir à la France en Mauritanie. S’il fallait s’exprimer en termes juridiques et être recevable en intérêt pour agir, au sens des jurisprudences du Conseil d’Etat français, ce sont les dirigeants français, donc la France actuelle qui me donnent ce motif pour intervenir – modestement et sans fonction aucune. A plus forte raison sans aucune rémunération d’aucune sorte. Motif ? l’honneur.
L’intérêt d’ailleurs de mon pays est que sa politique envers la Mauritanie, change. C’est mon argument essentiel dans les allées du pouvoir parisien. Et c’est un de mes arguments dans celles de Bruxelles : la relation eurafricaine ne doit pas être décidée par un seul des Etats-membres, fut-il le plus expérimenté sur une partie du continent africain. Mais l’est-il encore ?
Par conséquent, je ne peux que confirmer les démarches – écrites – que j’ai faites à Bruxelles et à Paris et que des anonymes me reprochent, notamment sur le site de Cridem [4] – et particulièrement l’authenticité de mon courriel à M. Stefano Manservisi, en date du 27 Mai, et dont j’ai l’accusé de réception. Je ne regrette pas ces démarches inscrites dans une longue série chronologique, et vais les continuer, si nécessaire et jusqu’à aboutir.
Bien entendu, je me suis insurgé – aussitôt qu’elle m’a été signalée – contre la publication, sur ce même site Cridem, d’un faux [5] me faisant demander pardon pour ces démarches autant que pour mes erreurs d’appréciation que je reconnaitrais soi-disant comme beaucoup trop positives sur le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ou tout à fait infondées sur le général Mohamed Ould Abdel Aziz ! Je n’ai rien écrit de cela et je ne le pense pas. Je n’ai connu ce genre de montage [6] – et encore : rétrospectivement et pas à mon encontre – qu’en Union soviétique. Heureusement, la dégénérescence à Nouakchott n’est pas telle que le démenti sur le site lui-même soit impossible.
De quoi je me mêle ? de l’honneur de mon pays, du bonheur et de la dignité de gens que j’aime et qui m’aiment, de mœurs que je croyais de seul modèle stalinien. Ces trois points m’ancrent dans la bataille en cours pour la démocratie mauritanienne. Et s’il est des Mauritaniens que j’écouterai quand ils me diront de m’abstenir un temps ou désormais, ce ne peuvent être les ennemis de cette démocratie à venir.
D’ici là – tant que je le peux – exister, dialoguer, imaginer, proposer, n’est-ce pas aider mes amis et faire que quelques Français témoignent de ce que la France n’est pas entièrement dans ce qu’il lui est mis à charge actuellement.
Bertrand Fessard de Foucault 12.13 VI 10
[1] - mon journal d’alors, publié par Le Calame – 28 Avril 2009
[2] - Le Calame a publié à partir du 4 Août 2009 le journal de mes entretiens parisiens à l’automne de 2008 et au début de 2009
[3] - ma collaboration de pigiste au journal Le Monde de Mars 1972 à Avril 1982
[4] - « Les ires et délires de Bertrand Fessard de Foucault », en ligne le jeudi 3 Juin à 14 heures 36 – puis « M. Bertrand Fessard de Foucault en croisade contre la Mauritanie », en ligne le vendredi 4 à 16 heures 02
[5] - mis en ligne le mercredi 9 Juin à 14 heures 45 : « Mes excuses à ma seconde patrie : Bertrand Fessard de Foucault » - après qu’ait été publiée ma réplique aux « ires et délires », le vendredi 4 à 23 heures 38
[6] - en l’occurrence, l’exploitation tentée de mon blog http://mauritanie-ouldkaige.blogspot.com, que je ne peux tenir aussi régulièrement et complètement que je le voudrais, car les correspondances dont il se nourrirait – parfois de portée historique, tels que ceux dont m’a honoré le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi en Mai-Juin 2009 et qu’Ould Kaïge a publiés dans Le Calame les 25 Mai et 8 Juin – doivent être réservés tant que les événements sont encore contingents, inachevés… et aussi de mon blog religieux et http://bff-paroissevirtuelle.blogspot.com. Mes lectures du Coran ou mes réflexions sur l’Eglise catholique ne peuvent être invoquées à charge de personne
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