Discours
prononcé à Atar, le 1er Juillet 1957,
par le
vice-président du Conseil de gouvernement,
Me Moktar Ould Daddah
Mes chers amis, mes
chers compatriotes,
C’est avec une
émotion toujours renouvelée, que je me retrouve dans ce cadre de l’Adrar immortalisé
par le poète qui a chanté les noms prestigieux de « Gour Hamogjar, du
Batem, du Dhar Tiffojjar » et surtout au milieu de vous tous à qui je dois
la place que j’occupe maintenant. Je tiens à vous remercier à nouveau de la
confiance que vous m’avez accordée, me permettant ainsi d’accéder aux plus
hautes responsabilités. Je puis vous assurer que cette confiance ne sera pas
déçue. Je veux aussi remercier tout particulièrement l’Emir de l’Adrar à
l’hospitalité duquel nous devons de nous retrouver tous ensemble ce soir. Je
lui suis reconnaissant de vous avoir rassemblés ici pour entendre ce que j’ai à
vous dire.
Je vous convie
aujourd‘hui à regarder avec moi au-delà de la falaise du Dhar, au-delà des
dûnes de l’Akchar et de l’Azefal, pour embrasser d’un seul coup tout le
« Trab el Beïdane » c’est à dire la Mauritanie.
Je vous invite à oublier vos préoccupations et vos
soucis, pour nous pencher ensemble sur des problèmes beaucoup plus vastes,
intéressant l’avenir de la Mauritanie tout entière.
C’est à dessein que
je choisis l’Adrar pour évoquer, pour la première fois publiquement, des
questions qui intéressent non seulement l’ensemble de notre pays mais débordent
au-delà de ses frontières. La Mauritanie n’est plus ce vaste désert jadis si difficile à traverser et qui
constituait entre le monde méditerranéen et l’Afrique noire une sorte de
barrière que franchissaient mal les idées et les hommes.
Aujourd’hui grâce
au progrès, grâce au développement des moyens de communication, grâce à la
radio, à la presse comme aussi à la traditionnelle « radio Beïdane »,
nous nous trouvons étroitement mêlés à tout ce qui se passe autour de nous.Un
lien de solidarité de plus en plus fort unit désormais tous les Mauritaniens
conscients d’appartenir à une même communauté de l’Atlantique au Soudan.
Mais cette
solidarité déborde nos frontières, elle englobe les populations Maures du
Sahara Espagnol et des confins Marocains. Il m’a paru nécessaire de faire
connaître aux uns et aux autres ce que nous entendons faire de la Mauritanie pour
susciter leur compréhension, les intéresser à nos efforts et leur montrer la
part qu’ils peuvent y prendre.
C’est précisément
Atar que je choisis pour m’adresser à eux, parce que tout d’abord Atar, par sa
position géographique au nœud des routes qui mènent des rives de l’Atlantique
aux confins du Soudan, du Sud Marocain au Sénégal, est, par excellence, un lieu
de rencontre, de réunion et d’échange ; qu’il s’agisse de marchandises, de
troupeaux ou de nouvelles, c’est à Atar que se fait le relais. Ce Ksar où
cohabitent des éléments de toutes origines, venus de tous les horizons, est par
excellence un foyer de brassage d’idées et d’affaires, un foyer de rayonnement
commercial et intellectuel.
Si je choisis Atar,
c’est aussi parce que toute la Mauritanie est actuellement tournée vers l’Adrar
où vos guerriers viennent d’affirmer et réaffirment demain encore s’il le faut,
la volonté de tous de défendre l’intégrité du sol mauritanien. Je renouvelle
ici le témoignage d’admiration et de reconnaissance de toute la Mauritanie pour
tous ceux, Mauritaniens, Français de la Métropole ou des Territoires de
l’A.O.F., qui ont si vaillamment combattu pour la défense de notre liberté.
Population de
l’Adrar, avant-gardes vigilantes face à l’agresseur, vous constituez aussi nos
meilleurs ambassadeurs tant auprès de nos frères du Sahara espagnol que de nos
amis marocains ; voulant qu’ils m’entendent, je compte sur vous pour leur
transmettre aux uns et aux autres mon message et pour vous faire auprès d’eux
les avocats de la Mauritanie nouvelle. Vous leur direz d’abord quels sont nos
espoirs et ce vers quoi tendent aujourd’hui tous nos efforts. Nous voulons
construire, avec l’aide de la France, une communauté franco-mauritanienne basée
sur l’égalité et la reconnaissance de nos intérêts et de nos libertés
réciproques. Le pas immense que nous venons de franchir par l’application de la
Loi-Cadre, nous ouvre les perspectives les plus brillantes sur un idéal de
liberté et de prospérité que nul ne peut contester.
Demain nos efforts
conjugués avec ceux de la France placeront la Mauritanie au rang des nations
modernes. Demain notre pays aura dans le monde la place qu’il mérite, celle
d’un pays doté d’une économie moderne et pourvu d’une élite capable de gérer
sagement et démocratiuquement ses propres affaires, un pays qui, parce qu’il
compte chez lui les plus éminents docteurs de l’Islam, voit son autorité
spirituelle universellement reconnue. La Mauritanie est en effet un pont
naturel, un trait d’union entre le monde arabo-berbère méditerranéen et le
monde noir. La Mauritanie est, et doit demeurer le pays où la culture musulmane
traditionnelle et la culture occidentale se développent côte à côte sans
s’opposer mais bien au contraire en se complétant harmonieusement.
En un mot si nous
le voulons, avec l’aide d’Allah, la Mauritanie sera demain un carrefour où se
rencontreront et coexisteront pacifiquement les hommes de toutes origines, de
toutes civilisations et de toutes cultures.
A ces différentes
perspectives, il faut encore ajouter la vocation saharienne de la Mauritanie et
c’est ici que je m’adresse plus particulièrement à nos frères du Sahara
espagnol.
Je ne peux
m’empêcher d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous
portons les mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes
nobles traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paître nos
troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot,
nous nous réclamons de cette même civilisation du désert dont nous sommes si
justement fiers.
Je convie donc nos
frères du Sahara espagnol à songer à cette grande Mauritanie économique et
spirituelle à laquelle nous ne pouvons pas ne pas penser dès maintenant. Je
leur adresse et je vous demande de le leur répéter, un message d’amitié, un
appel à la concorde de tous les Maures de l’Atlantique à l’Azaouad et du Draa
aux rives du Sénégal.
L’heure est passée
des rezzou et des luttes fratricides opposant les uns aux autres. J’engage nos
frères du Tiris, de l’Adrar Soutoff, du Zemmour, de la Séguia El Hamra, de
l’Imrikli, de la Gaad et du Chebka, à se tourner ensemble vers un avenir
commun, à partager avec nous les heureuses perspectives que nous réservent
l’exploitation des richesses de notre sol et la mise en valeur de notre pays.
Ils bénéficieront
avec nous des moyens immenses mis à notre disposition par l’O.C.R.S. à laquelle
la Mauritanie
est invitée à s’associer et dont le démarrage et le développement ne sauraient
nous laisser indifférents.
L’Adrar et le
Zemmour sont ouverts à leurs troupeaux, nos palmeraies les accueillent pour la
« guetna » ; ils peuvent y venir en sécurité, profiter de
l’hospitalité mauritanienne mais encore faut-il qu’eux aussi accueillent sans
réticence nos troupeaux et nos tentes, lorsque les nécessités du pâturage nous
amènent à nomadiser au-delà de cette limite artificielle qu’est une frontière
que nous voulons voir disparaître de nos cœurs avant qu’elle ne s’efface sur
les cartes.
D’aucun voudraient
que cette hospitalité fût à sens unique et que soit interdit le Sahara espagnol
aux Mauritaniens n’ayant pas fourni l’aide ou donné de gage au Djich Tharir.
D’aucuns même n’ont pas hésité à violer les lois sacrées de l’hospitalité
beïdane pour plaire aux ordres d’étrangers nouveaux venus au Sahara où ils
voudraient imposer leurs lois au nom d’une prétendue libération. Les Maures ont
toujours été des hommes libres. Jamais ils ne se sont laissés imposer leurs
chefs. Ils n’accepteront pas plus ceux-là qui sont aussi dépaysés dans notre
Sahara que nous le sommes nous-mêmes dans leurs bruyantes cités du nord ;
sans doute, sont-ils attirés chez nous par les richesses découvertes dans notre
sol, mais l’appât du gain ne saurait leur servir de titre de propriété et
encore moins leur conférer le droit au commandement ; si nous accueillons
tous ceux qui veulent travailler avec nous, nous ne voulons à aucun prix
recevoir l’ordre d’intrus venus pour nous dresser les uns contre les autres, se
prétendant en cela meilleurs musulmans que nous.
Ils appliquent la
formule « diviser pour régner » et cherchent à nous lancer dans une
lutte fratricide. Nous ne serons pas dupes. A ces Réguibats du Sahel et du
Charg, nomades de la Ségui el Hamra et du Rio, Tekna Larroussyines, Oulad
Tidrarine, Oulad Delim et Ahel Cheikh Ma el Aïnin, nous disons : Soyons
unis et ne nous laissons plus divisés par des étrangers.
« Si deux
groupes de croyants se mettent à se faire la guerre, conciliez-les ; si
l’un de ces groupes cherche à opprimer l’autre, battez-vous contre lui jusqu’à
ce qu’il revienne à l’ordre de Dieu ».
Voilà, hommes de
l’Adrar, chres compatriotes et amis, le message de fraternité que je vous
demande de répéter dans tous les campements du Sahel.
Me tournant
maintenant vers le nord, je voudrais de la même façon me faire entendre de nos
voisins et amis marocains.
En votre nom et au
nom de tous les Mauritaniens, je leur adresse notre salut amical et tiens à les
assurer de notre désir sincère d’entretenir avec eux comme avec tous les
peuples voisins les relations de bon voisinage que nous n’avons jamais cessé
d’avoir avec eux. Nous leur demandons de respecter notre personnalité et
l’intégrité de nos frontières comme nous respectons les leurs, de nous laisser
suivre sagement le chemin de notre propre évolution, sans intervenir pour nous
conseiller et nous imposer une destinée dont le choix n’appartient qu’à nous et
à nous seuls.
Je suis sûr que
nous serons entendus et compris chez nos voisins, car nos voisins et amis
marocains ont déjà affirmé par la voix de plusieurs de leurs dirigeants leur
volonté de respecter les aspirations des peuples et leur droit à disposer
librement d’eux-mêmes. J’ajoute que je ne peux m’empêcher de crier notre
étonnement et même notre indignation devant la légèreté avec laquelle certains,
prétendant parler au nom de la Mauritanie, droit que nous leur refusons
formellement, veulent disposer de nous. Serions-nous à vendre ou incapables
d’exprimer nous-mêmes notre volonté ? Notre indignation est d’autant plus
grande que ces prétendus représentants de la Mauritanie trouvent dans certains
milieux marocains une aide inexplicable et injustifiable. Nous souhaitons que
les dirigeants du Maroc interviennent pour que cesse une campagne – que leur
silence semble accréditer – et que l’opinion marocaine, enfin éclairée, ne soit
plus dupée par ces faux ambassadeurs.
Pour que tous
sachent nos véritables sentiments et que s’établisse une compréhension
mutuelle, je tiens à proclamer notre désir de voir se renouer et se développer
nos relations passées. Nous voulons voir reprendre les échanges commerciaux qui
s’effectuaient traditionnellement entre le sud marocain et la Mauritanie. Et
que, seule, a pu interrompre la présence à nos confins de bandes incontrôlées
se nommant « Armée de libération ».
Nous désirons que
de plus en plus nombreux nos amis du Maroc viennent chez nous se rendre compte
par eux-mêmes de ce qui est. En effet, nous n’avons rien à cacher, bien au
contraire, nous sommes fiers des réalisations dont nous pouvons faire état dans
les domaines spirituel, économique et social. La bienvenue sera réservée à tout
visiteur pourvu que celui-ci n’apporte avec lui ni la guerre ni les paroles de
haine ou de discorde que nous ne voulons pas entendre.
Nous souhaitons que
ceux qui ont été expulsés il y a quelques mois comprennent particulièrement
notre appel. Que cet exil leur serve de leçon. Qu’ils ne craignent pas de
solliciter leur retour s’ils sont prêts à affirmer sans équivoque leur respect
de la volonté mauritanienne. Ainsi prouvons-nous notre bonne volonté et la
loyauté de nos intentions.
Et maintenant, à
ceux qui ne voudraient pas comprendre et refuseraient la main que nous tendons,
à ceux qui voudraient malgré tout se lancer dans une agression ou tenter de
diviser les Maures, en prétendant les libérer, nous répondrons par les armes et
le »qiçaç » ou « la loi du talion ». Aux coups de fusils
nous répondrons par les balles de nos fusils, de nos engins blindés et de nos
avions. Au pillage, nous répondrons par le pillage. Au rapt par le rapt. Notre
population tout entière se dressera face à l’agresseur et elle aura l’appui de
toutes les forces que la France met à notre disposition pour défendre nos
frontières. Nous le poursuivrons jusqu'au lieu de son refuge, quel qu’il soit
et où qu’il se trouve.
« Celui qui
s’est conduit injustement vis-à-vis de vous, payez-le de la même façon ».
A ceux qui, se
prétendant meilleurs patriotes que nous, vont porter leur aide aux soi-disant
libérateurs, je répondrai que le véritable patriote est celui qui défend le sol
sur lequel il est né ; l’autre, celui qui se met au service d’une nation
étrangère pour travailler contre les véritables intérêts de la Patrie qu’il
trahit, celui-là est un traître à son pays et aux siens. Il ne mérite que le
châtiment suprême sur cette terre et celui que leur réserve le Tout Puissant
dans l’autre monde…
Nous ne voulons de
mal à personne, nous voulons seulement qu’on nous laisse vivre en paix et nous
saurons défendre de toute notre énergie la paix régnant actuellement en
Mauritanie et qu’on semble nous reprocher.
On voudrait nous
faire passer pour de mauvais musulmans parce que nous sommes attachés à la
France. A cela nous répondrons que nous avons de bonnes raisons de l’être, que
la reconnaissance n’est pas pour nous un sentiment honteux et surtout que si
demeurons aux côtés de la France, c’est parce que nous avons la conviction que
malgré les difficultés de l’heure, malgré les désaccords et les oppositions,
elle demeurera toujours l’amie des peuples musulmans et que cette amitié ne
peut que se resserrer dans l’avenir. Vous savez bien, renoncer à l’amitié de la
France, ce serait renoncer à toute perspective d’avenir radieux pour notre
pays, ce serait revenir en arrière, ce serait abandonner toute idée
d’évolution, toute idée d’une grande Mauritanie riche et prospère.
« Dieu ne vous
met pas en garde contre ceux (les infidèles) qui ne combattent pas votre
religion et ne cherchent pas à vous chasser de chez vous ; Dieu ne vous
défend pas d’être courtois et justes avec eux car Dieu aime les justes. »
Certains nous accusent
encore d’être de mauvais Arabes parce que nous défendons l’intégrité de notre
pays en refusant l’annexion ou la domination. Est-il besoin de leur rappeler
que d’autres pays arabes, comme la Syrie, la Jordanie, l’Arabie saoudite pour
ne citer que ceux-là, ont tenu comme nous, à garder jalousement leur
indépendance malgré les appétits et les ambitions de certains de leurs voisins.
Et pourtant ils ne sont que je sache ni mauvais musulmans, ni traîtres à la
cause arabe.
Tel est, mes chers
compatriotes, le message de paix que j’adresse à tous les Maures désireux de
bâtir avec nous la Mauritanie nouvelle dans laquelle ils ne seront pas des
parents pauvres habitant d’une marche lointaine d’un empire mais des citoyens
libres et égaux d’une nation qui naît. Tel est aussi l’avertissement solennel à
ceux qui doutent de notre détermination à faire ensemble la patrie
mauritanienne.
« Travaillez !
Dieu regarde votre travail, ainsi que son Envoyé et tous les croyants. »
« O Seigneur,
accorde-nous ta miséricorde et donne-nous le succès dans nos
entreprises. »
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