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24 Août 1940 & 24 Août
1991
Deux commencements ou deux
contre-sens ?
Le 24 Août 1940, massacre des
Tenouadji par les « hamallistes » : la répression est immédiate
(30 condamnations à mort dont les fils de Cheikh Hamallah et 500 internements).
Le 24 Août 1991, le Rassemblement pour la démocratie et l’union
nationale (RDUN) est autorisé officiellement. C’est le premier parti à être
autorisé depuis l’interdiction générale en 1978 de tout mouvement politique. Il
est dirigé par Ahmed Ould Sidi Baba, le maire d’Atar, ancien ministre de Moktar Ould Daddah, cousin de son
contribule, le président du Comité militaire de salut national (le colonel
Maaouya Ould Sid Ahmed Taya) et chef reconnu des Smacides.
Ces
deux événements ont en commun d’être à l’origine d’une série de faux sens ou de
contre sens sur l’histoire de la
Mauritanie contemporaine. Celui de 1991 sur un retour du pays
à la démocratie, celui de 1940 sur la réalité de l’emprise de l’administration
française.
La
Constitution adoptée par referendum le 12 Juillet 1991 (et
promulguée, le 20, par ordonnance du Comité militaire de salut national CMSN)
prévoyait que dans les deux mois serait promulguée la législation sur les
partis politiques et sur la presse, en prévision d’élections présidentielle et
parlementaires. La nouvelle loi fondamentale, sans référence aux Constitutions
du 22 Mars 1959 et 20 Mai 1961 (et qui a été, depuis, amendée par le referendum
du 5 Juin 2006), garantit la « liberté d’association, de conscience et
d’expression »). Mais alors que l’opposition au régime militaire, établi
le 10 Juillet 1978 par le renversement du président fondateur Moktar Ould
Daddah, souhaite que les formes du changement en Mauritanie soient débattues
consensuellement (ainsi qu’elles le seront lors des journées des 25-29 Octobre
2005 inaugurant la transition démocratique), le système autoritaire préfère
procéder seul. Le Front
démocratique uni des forces du changement FDUC, regroupant six mouvements, ne
sera donc jamais reconnu en tant que tel. Quelques-uns de ses dirigeants (Hadrami
Ould Khattri et Ahmadou Mamadou Diop, anciens ministres de Moktar Ould Daddah,
Mustapha Ould Badreddine du MND, les jeunes « démocrates
indépendants » : Bechir el-Hassen et Dah Ould Yassa) sont d’ailleurs
arrêtés le 6 Juin 1991, puis assignés à résidence l’avant-veille du jour où le
Comité publie le projet de Constitution censé acheminer le pays vers l’état de
droit… l’amnistie n’est promulguée que le 29 Juillet, la participation au
referendum n’a été que de 8,02 à 23,08 % selon les régions - seules les régions
désertiques ne comptant que 5% de la population, ont vraiment participé :
Adrar 86,07 %, Tiris Zemmour 69,13%, Inchiri 92,52%. Les chiffres officiels
n’en rendent pas compte : 85,34% de participation et 97,94% oui.
C’est dans ce contexte
que le 25 Juillet, le Comité militaire a adopté les deux lois promises sur les
partis politiques et sur la presse.
L’autorisation du mouvement
fondé par le maire d’Atar sera suivie de cinq autres, dont – le 28 Septembre
1991 – l’ Union populaire socialiste et démocratique, dirigé par Mohamed
Mahmoud Ould Mah, économiste, ancien maire de Nouakchott et SG de l’Union des
économistes maghrébins, et surtout – le 2 Octobre 1991 – l’Union des forces
démocratiques (UFD), qui compte quatre anciens ministres. Présidé par Hadrami
Ould Khattri, qui a compté sous Moktar Ould Daddah, il a comme secrétaire
général le très médiatique fondateur de El Hor, Messaoud Ould Boulkheir, qui –
lui – a été ministre de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Deux coordinateurs :
Mohameden Ould Babah et Amadou Mamadou
Diop, manifestent l’entente de toutes les composantes mauritaniennes. L’UFD est
en fait la réapparition du Front démocratique.
Le Parti républicain
démocratique et social PRDS, dirigé par l’ancien ministre Cheikh Sid’Ahmed Ould
Baba présidant, avec le titre de « coordinateur » une commission de
16 membres – revendique jusqu’à 500.000 adhérents à l’automne de 1991. On y
soutient la candidature du président du Comité militaire : « parti du
pouvoir, des grosses fortunes, de l’administration mais aussi de la Mauritanie profonde, le
PRDS rassemble une impressionnantes collection d’atouts. Il est le seul à
diposer directement d’un journal Al Joumhouriya … » (Jeune Afrique 19 Novembre 1991). Le RDUN d’Ahmed Ould Sidi Baba n’est pas
fait pour gêner ce nouveau parti ; il lui a ouvert la voie, et se prononce
contre toute conférence nationale en Mauritanie (la procédure qui ailleurs a,
depuis le discours prononcé par François Mitterrand, le président de la République française à La Baule, le 19 Juin 1990,
devant ses pairs africains, provoqué de véritables changements dans le sens de
la démocratie). Il est également hostile à toute commission d’enquête
indépendante sur les « négro-africains » exécutés en Décembre 1990.
Enfin, il annonce ne pas présenter de candidat à la prochaine élection
présidentielle.
La façade démocratique est
cependant organisée : pluripartisme légal et vivant pour la première fois
en Mauritanie depuis plus de vingt-cinq ans [1].
Toute la question est de vérifier si les élections seront sincères. L’ajout –
d’autorité – au texte adopté par referendum d’un article 104 qui n’y figurait
pas et qui maintient les lois d’exception, peut en effet faire douter de la
sincérité du régime militaire.
Le 7 Octobre 1991, le CMSN
promulgue la nouvelle loi organique pour les élections, mais sans donner de
date pour la tenue de celles-ci. Pour les présidentielles, notamment, tout
candidat doit être présenté au moins 30 des 208 maires ou 400 conseillers municipaux.
Or, 200 de ces 208 maires ont adhéré au PRDS. La manœuvre est si évidente que,
le 14 Octobre, le pouvoir recule. Le secrétaire permanent du CMSN, le
lieutenant-colonel Mohamed Lemine Ould Ndiayane indique que les candidats à
l’élection présidentielle n’auront à justifier de la signature que de 50
conseillers municipaux, dont 1/5ème au maximum provenant de la même
région. L’UFD enregistre « favorablement », mais réclame un
gouvernement de transition pour que se fassent en toute indépenndance du régime
militaire la concertation politique préalable entre partis, la révision des
textes électoraux et des listes et que soit, consensuellement, fixé
l’échéancier des scrutins. L’opposition demande aussi la dissolution des
conseils municipaux et des « structures d’éducation de masse » mises
en place par le système militaire pour combler le vide laissé par
l’interdiction du Parti du peuple mauritanien lors du coup du 10 Juillet 1978.
L’ouverture des médias publics aux partis sur une base égalitaire est exigée.
Il s’agit de « baliser ensemble le chemin susceptible de garantir une
transition démocratique sereine et transparente ». Les prodromes sont déjà
discutables, la suite va montrer la nature du régime censément nouveau, car le
referendum de l’été de 1991 ne peut – par lui-même, d’autant que les résultats
en sont contestés – faire oublier la succession des sanglants événements qui de
l’automne 1986 à l’automne 1990 ont endeuillé le pays, sans compter le drame du
printemps de 1989, ni les premières « émeutes du pain », à Nouadhibou
le 2 Juin.
En 1940, la coincidence
entre le désastre subi par la métropole française et les événements de l’est
mauritanien, peut faire croire à une manifestation nationaliste. C’est
certainement ce qu’ont craint – alors – les aurorités coloniales. Le
« hamallisme », du nom de sa figure emblématique, le Chérif Hamallah,
n’est pas encore complètement élucidé faute qu’une recherche indépendante ait
été possible avant l’indépendance et parce qu’ensuite l’attention éventuelle
des chercheurs a été requise par une actualité à rebondissements. [2]
Une conséquence indiscutable et bénéfique a été, pour ces raisons de maintien
de l’ordre, le rattachement du Hodh que Bamako on comprenait et contrôlait
moins bien que de … Saint-Louis, près de quatre ans plus tard.
Je préfère donc à ce stade
laisser s’exprimer le colonisateur, dans son « rapport politique
annuel », celui de 1940 donc.
A
partir du mois de mai, l’élément européen lui-même, qui, à quelques exceptions
près, n’est composé dans la
Colonie que de militaires ou de fonctionnaires ne put suivre
qu’avec quelque peine les opérations qui allaient se dérouler sur un rythme
accéléré. L’annonce de l’Armistice le surprit avant qu’il ait eu le temps de
réaliser l’étendue et l’importance de nos défaites successives. Pendant
plusieurs semaines, nos postes de radio furent muets, les journaux et
périodiques ne parvinrent plus. La propagande étrangère put répandre en toute
liberté et sans crainte d’être démentie les informations les plus propres à
jeter le trouble dans l’esprit des français éloignés de la métropole. Ceux de la Mauritanie malgré leur
anxiété et de douloureux débats de conscience firent preuve de discipline.
L’arrivée au pouvoir du Maréchal PETAIN, au moment où tout semblait manquer à
notre malheureux pays fut un grand soulagement et permit un premier espoir dans
le relèvement de la France.
La
suspension des hostilités coïncide avec l’époque où à la suite des premières
pluies, les autochtones commencent à se disperser à la recherche des pâturages
verts et à ensemencer les terrains de culture. De leur côté, les Européens,
encore abattus par notre défaite, et mal renseignés, évitèrent à ce moment
d’aborder avec les indigènes la question de la fin de la lutte avec
l’Allemagne.
Ce
n’est guère que dans le courant de Juillet que la situation de la Métropole commença à
être connue en milieu indigène. Les nomades, en commentant les nouvelles de
l’invasion et de l’occupation de la
France, évoquèrent les images d’un razzi de grande envergure.
Le vainqueur, disait-on, avait le trésor de l’Etat, enlevé les femmes, s’était
emparé de tous les biens pour les envoyer en Allemagne. Le brusque changement
d’attitude de l’Angleterre à notre égard, les évènements de Mers-El-Kébir
déconcertèrent nos gens.
Cependant
rien ne changeait dans la vie de la Colonie. Aucun mouvement n’avait eu lieu dans les
garnisons du Nord, sinon pour les renforcer en vue de parer à une attaque
possible venant du Rio. Aussi la plus grande partie de la population
demeura-t-elle sans inquiétude trop vive.
Il
serait vain cependant de nier l’atteinte grave portée à notre prestige par la
défaite. La propagande nécessaire que nous avions menée avant l’Armistice et
par laquelle nous affirmions la force de nos armes et la certitude de notre
victoire se retournait contre nous. A cela venaient s’ajouter les difficultés
matérielles qui, pour des esprits encore fermés à la complexité des problèmes
internationaux et économiques, pouvaient passer pour le signe d’une ruine plus
ou moins complète de notre pays.
D’autre
part, si nous avions apporté à la masse des originaires de nos colonies la paix
intérieure, une justice plus exacte, des améliorations certaines dans l’ordre
social et économique, nous avions dû, surtout en Mauritanie, lutter contre les
abus de pouvoir de certains chefs et de certaines castes privilégiées. Il était
humain que ceux qui pouvaient jadis imposer leur volonté sans contrôle
éprouvassent quelque regret des temps passés et fussent tentés de les faire
revivre au besoin par la violence, comptant sur notre impuissance à maintenir
notre autorité, d’autres parmi nos administrés pouvaient être incités par notre
défaite et les commentaires tendancieux dont elle était l’objet, à croire qu’il
leur était permis sans avoir rien à craindre de notre part d’assouvir librement
leurs haines et leurs rancunes.
En
effet, alors que dans le reste de la
Colonie, seuls quelques isolés se permettaient d’émettre des
doutes sur notre maintien dans le pays, de graves évènements se préparaient à
la limite orientale de la
Mauritanie et dans la zone limitrophe du Soudan. Cette
dernière région est le centre de la voie Tidjania réformée dont le chef est
Cheikh Hamallah qui réside habituellement à Nioro depuis plusieurs années,
celui-ci et ses disciples sont en violent conflit avec leurs coreligionnaires
de la voie quadria et de la voie tidjania orthodoxe il apparaît que dès la fin
de Juillet, les fils du Cheikh et peut-être le Cheikh lui-même, ont cru le
moment venu de s’imposer par la force, en s’attaquant d’abord à leurs vieux
ennemis les Tenouadjiou dans le courant du mois d’Août, ils firent répandre
chez leurs fidèles le bruit du remplacement prochain en A.O.F. des autorités
françaises par les autorités allemandes et, comptant sur notre carence,
déclarèrent l’occasion favorable pour les tribus de régler leurs comptes.
L’attaque contre les campements Tenouadjiou fut déclenchée à la fin d’Août le récit
des évènements est donné par ailleurs. Une action prompte et énergique permit
de circonscrire et d’arrêter le mouvement. Les hamallistes des autres cercles
mauritaniens : Tagant, Adrar, Guidimaka et Gorgol, surveillés, ne
bougèrent pas.
En
dehors même de la zone frontière soudano-maritanienne, la population apprit à
la fois le mouvement et son échec. Les Hamallistes furent sévèrement jugés par
les autres musulmans, l’arrestation des principaux meneurs favorablement
commentée. Mais les fidèles du Cheikh de Nioro n’en sont pas à leur première
affaire : ils ont suscité dans un passé peu éloigné des désordres plus ou
moins sérieux au Soudan, puis à Kaédi. Les sanctions sont attendues avec
curiosité dans toute la
Colonie, avec anxiété dans l’Assaba. Leur insuffisance,
l’impunité laissées à certains chefs du mouvement ne manqueraient pas de
susciter des commentaires fâcheux et de faire taxer notre mansuétude de
faiblesse. De nouveaux désordres seraient à craindre. L’emprise de Cheikh
Hamallah sur ses fidèles est telle que ceux-ci peuvent n’avoir pas perdu encore
tout espoir de reprendre leur action. Quant à leurs adversaires, il est
nécessaire tout à la fois de les rassurer et de leur ôter tout prétexte de
revanche.
[1] - au total six partis sont, à l’époque,
autorisés : Rassemblement pour la Démocratie et l’Unité nationale RDUN ; Parti
Républicain Démocratique et Social PRDS ; Parti Mauritanien du Renouveau
PMR ;Union Populaire Socialiste et Démocratique UPSD ; Union des
Forces Démocratiques UFD ; Parti pour la Justice Démocratique
PJD
[2] - Moktar Ould Daddah, dans ses ses mémoires (La
Mauritanie
contre vents et marées Karthala
. Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) l’évoque p. 259 et fait référence à la thèse de Alioune
Traoré, un compatriote
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