samedi 24 mai 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publiée par Le Calame . 18 Juillet 2007




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26 Juillet 1963 & 17 Juillet 2001

Un fondateur



Le mardi 17 Juillet 2001, en début d’après-midi, par le simple courrier régulier d’Air France, Moktar Ould Daddah, rentre à Nouakchott qu’il avait quittée dans la soirée du 2 Octobre 1979, salué à l’époque par le lieutenant-colonel Ahmed Ould Abdallah, au nom du lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïddallah, Premier ministre et homme fort du régime qui s’était imposé le 18 Juillet 1978. Il est accompagné par Mariem son éposue et Mohamedound, son fils aîné, Pour ce retour de vingt-deux ans d’exil (plus que la durée de son exercice du pouvoir), il n’est accompagné que de Mariem, son épouse et de Mohamedoun, leur premier-né. Le premier Président de la République Islamique de Mauritanie, n’est officiellement accueilli par personne. Les cadets Azeddine et Faïza, aussi Ahmed, demi-frère et ancien ministre de Moktar, l’embrassent. A la maison, l’attendent sa sœur et aussi celle qui a secondé Mariem dans la première éducation des enfants. Les actualités nationales ne donnent aucune image. Apparemment, l’événement de la journée est l’arrivée en tournée au Tagant, de l’ancien aide-de-camp du « père de la nation », membre inamovible des comités militaires depuis le coup initial et président régnant. Mais – de l’aéroport international à la modeste villa, bâtie sur deniers personnels et prêt bancaire, puis prêtée à l’Etat jusqu’en 1978, avant de servir sans base contractuelle de résidence au colonel Mohamed Mahmoud Ould Louly, éphémère chef d’Etat – la jeunesse mauritanienne fait escorte et acclamations. Elle ne sait pourtant le passé – de plus de vingt ans –  comme la nouvelle du retour que par la rumeur (une pétition avait commencé de circuler pour ce retour, zélée par un comité présidé par Cheikhna Ould Mohamed Laghdaf, ministre de la Justice de Moktar Ould Daddah à l’indépendance, et ministre des Affaires Etrangères des premiers pustchistes). Dans la soirée,  Mohamed Khouna Ould Haïdallah vient présenter excuses et devoirs : lui aussi avait été aide-de-camp du fondateur [1]. Une chamelle blanche l’accompagne, le cadeau est agréé : naturellement.

Le 26 Juillet 1963 [2], à Bamako, les quatre Etats riverains du fleuve Sénégal signe une convention sur l’aménagement du bassin du Sénégal : un Comité inter-Etats est institué. L’évidence économique aide à régler par les perspectives d’intégration les quotidiens problèmes entre populations migrantes et commerçantes, entre administrations, et aussi à exorciser définitivement les relents annexionnistes ou fusionnistes qui avaient empoisonné depuis la période d’autonomie interne les relations entre voisins. Les contentieux bilatéraux avaient été au préalable réglés. Entre le Sénégal et le Mali [3], le 1er Février précédent, et surtout entre la Mauritanie et le Mali qui avait un temps hébergé des hommes de main égarés par la revendicatio narocaine et cautionnés par l’ancien député de Mauritanie, Horma Ould Babana. Se rencontrant à Kayes [4], du 15 au 17 Février, Moktar Ould Daddah et Modibo Keïta signent un traité précisant la frontière, que n’avait pas tracée avec assez de clarté le décret rendant le Hodh à la patrie mauritanienne. Ils estiment alors «  apporter à l’édifice de l’unité africaine une pierre de taille » selon des « résultats que nous pourrons donner en exemple à tous ceux que pourraient opposer des problèmes semblables à ceux qui devaient être discutés entre nous, c’est-à-dire des contentieux frontaliers ». Le renversement de Modibo Keïta par ses militaires, le 19 Novembre 1968, sera débattu, aussi bien en âme et conscience  par son homologue mauritanien qu’en bureau politique national [5] ; il ne fera pas obstacle à la poursuite des mises en commun. Dès le 25, un sommet à trois – c’est-à-dire hors la présence du pustchiste malien – se tient à Conakry : Moktar Ould Daddah et Léopold Sedar Senghor parviennent à convaincre Sékou Touré d’au moins attendre quelque information. Celle-ci sera donnée par une mission de bonne volonté malienne, habile autant que la composition de la nouvelle équipe gouvernementale [6]. Le 21 Avril 1969, Moktar Ould Daddah accueille à Néma le colonel Moussa Traoré. Les deux chefs d’Etat « réaffirment avec force leur appartenance à l’O.E.R.S. » mais le processus a été concerté avec la Guinée (mision du B.P.N. quinze jours avant). La relation avec le Sénégal est encore plus intime mais peut devenir conflictuelle (comme l’ont tristement manifesté les « événements » d’Avril-Mai 1989) et la question frontalière a périodiquement besoin de mise au point [7] : la qualité exceptionnelle des relations entre Moktar Ould Daddah et Léopold Sédar Senghor [8] a cependant cimenté les fondations de l’ensemble multilatéral à quatre comme elle a permis de surmonter tous les complexes existant de part et d’autre du Fleuve au moment des indépendances respectives. En revanche, la relation avec la Guinée ne va devenir confiante qu’après la conférence de Bamako [9].

La construction [10] paraît longtemps seulement politique, mais comment fonder autrement ? Sans l’entente des Etats et surtout la manière dont la Mauritanie put longtemps les unir internationalement dans la quête des grands financements, les réalisations principales, permettant d’irriguer plus de 400.000 hectares dans le bassin du fleuve et de produire de l’énergie, n’auraient pu se faire : le barrage-réservoir anti-sel à Diama, mitoyen avec le Sénégal  (et les erreurs l’accompagnant) [11] et le barrage hydro-électrique à Manantali, mitoyen avec le Mali [12], à la production duquel les successeurs de Moktar Ould Daddah n’ont pas su assez associer le pays.

Le processus d’intégration des Etats riverains a été lancé, le 28 Mai 1962, par Moktar Ould Daddah, via la presse internationale qu’il recevait à Paris en marge de son voyage officiel. Les quatre chefs d’Etat sont invités à se réunir à Nouakchott. Peu après, les soutiens du Maroc – dont le Mali et la Guinée – se désolidarisent des actions subversives pour ne plus soutenir Rabat que « dans toutes les mesures pacifiques qu’il pourrait prendre en vue d’une solution équitable du problème mauritanien ». Sur le terrain, à Kobenni, les chefs de circonscription malien et mauritanien se concertent : 30 Mai 1962. Une première réunion ministérielle devient possible : tenue à Conakry les 10 et 11 Juillet 1962, elle reconnaît l’unité du bassin du Fleuve quant à son développement et adopte «  des mesures concrètes pour une action immédiate et concertée », malgré de nouveaux accrochages à la frontière mauritano-malienne à la fin du même mois.

Le 17 Octobre 1962, Horma Ould Babana est prié par le gouvernement malien de transférer ses camps d’entrainement hors du Mali, le transfert est effectif dès le 26 et, dès le 19, Moktar Ould Daddah a suggéré à Modibo Keïta que se rencontrent les ministres de l’Intérieur pour préparer la conférence au plus haut niveau des deux Etats. A la suite des entretiens et du traité de Kayes, se sont ouvertes à Nouakchott des négociations entre Mali et mauritanie pour des accords de commerce, de paiement et de transports routiers, tandis qu’avec le Sénégal, la Mauritanie en engagent d’autres : 28 Avril 1963 à Dakar, pour « la révision et l’adaptation des accords passés entre les deux Etats ». Ainsi le rapprochement entre les riverains du fleuve Sénégal est-il à la fois l’apparition d’institutions communes de mise en valeur du bassin et l’établissement ou le rééquilibrage de meilleures relations bilatérales. Le processus ne cessera plus, au moins entre Sénégal, Mauritanie et Mali, la Guinée faisant chroniquement problème ou « sécession ».

Le secrétariat général du Comité inter-Etats est installé à Saint-Louis le 14 Février 1965, au lendemain de la constitution de l’Organisation Commune Africaine et Malgache, à Nouakchott, sous la présidence de Moktar Ould Daddah. La réunion des Chefs d’Etats riverains permet au président mauritanien de montrer « l’intérêt qu’il y a également d’nevisager la constiutution d’un ensemble économique régional qui grouperait francophones et anglophones de l’Ouest africain ». La future Communauté économique commence – là et alors – sa gestation [13]. On convient à quatre d’une rencontre annuelle « au sommet », d’harmoniser l’abaissement des obstacles, surtout non tarifaires, aux échanges. On envisage de renégocier les accords passés entre la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (de totale obédience française, en fait) et la Guinée ainsi qu’avec le Mali [14].  Sékou Touré, déjà absent, est mis au courant par Moktar Ould Daddah. Léopold Sédar Senghor, qui réclame, parfois explicitement, la préséance pour le Sénégal, se voit répondre que « nos poliiques nationales respectives ne sauraient signifier la satellisation de l’un de nos deux Etats par l’autre. En politique extérieure, précisément, on ne peut exiger que le Sénégal et la Mauritanie, aient une ligne de conduite identique » [15]. Si la crise de l’O.C.A.M. est donc en germe, en revanche l’organisation des Etats riverains du fleuve va résister. La Mauritanie est en effet proche du vœu de Sékou Touré que le « groupement régional (soit) conforme aux dispositions de la Charte de l’O.U.A. entre les quatre Etats riverains du fleuve Sénégal ». S’il y a à choisir, pour Nouakchott, entre les regroupements d’influence française, et les organisations régionales ou continentales africaines, la réponse va de soi. Elle est donnée en 1965.

Mais, plus déterminantes encore que l’influence étrangère dont la Mauritanie veut émanciper l’Afrique, surtout mentalement, il y a – pour l’avenir de la mise en valeur du bassin – , les attitudes guinéennes. Moktar Ould Daddah, depuis sa propre accession au pouvoir, a admiré l’homme qui a dit – le premier – non à la France et plus encore à de Gaulle, et lui-même est estimé, à l’expérience, par Sékou Touré : cela ne suffit pas. Le 29 Janvier 1967, la Guinée suspend sa participation au Comité inter-Etats, et n’y revient d’abord pas malgré un entretien long et confiant de Moktar Ould Daddah, à Labé, avec Sékou Touré. En revanche, le Mali se rapproche des conditions générales de l’économie monétaire sénégalaise et mauritanienne à partir du printemps de 1967. Il importe que la Guinée, elle aussi, n’en soit pas trop éloignée : c’est à nouveau une négociation menée au niveau des deux partis que les choses s’arrangent à l’automne [16] . La reprise est signifiée par la conférence des quatre Chefs d’Etat riverains les 6 et 7 Novembre 1967, elle se concrétise par une avancée substantielle : les 24-25 Mars 1968, à Labé, est adoptée « au sommet » la Charte constitutive de l’Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal, l’O.E.R.S.. Dans le « respect de leur souveraineté et de leurs options fondamentales respectives », Guinée, Mali, Mauritanie et Sénégal décident de « poursuivre en commun leurs efforts de développement économique, culturel et sociual en vue d’aboutir à un développement régional harmonisé et au renforcement de l’indépendance de leurs pays ». Les quatre présidents décident, très pratiquement, du principe de la consultation préalable entre Etats à chaque indice de crise, et en réunion commune.

Mais la querelle sénégalo-guinéenne persiste, malgré des médiations au niveau présidentiel, puis des ministres des Affaires étrangères : elle est question de personnes, de soupçons mutuels envers l’autre : Moktar Ould Daddah n’y peut plus rien [17] , les Chefs d’Etat n’arrivent plus à se réunir à quatre, la Guinée suspend à nouveau sa participation le 16 Juin 1971.

Il faut donc faire autre chose, l’économie va primer et on la gèrera désormais à trois. Les 10-11 Mars 1972, à Nouakchott, les présidents Moktar Ould Daddah, Moussa Traoré et Léopold Sédar Senghor créent une Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal : O.M.V.S., restant ouverte à «  tous Etats riverains du fleuve Sénégal » (article 18) et ne faisant pas obstacle «  à la création, à l’existence et au fonctionnement d’organismes nationaux ou d’institutions régionales embrassant des domaines de coopération différents ou plus vastes » (art. 2). Surtout, le caractère international du Fleuve et de ses affluents sur les territoires des trois Etats membres est confirmé. Les Chefs d’Etat « affirment solennellement leur volonté de développer une étroite coopération pour permettre l’exploitation rationnelle des ressources du fleuve et garantir la liberté de navigation et l’égalité de traitement des utilisateurs ». A suivre…


[1] - Moktar Ould Daddah, donne dans ses mémoires la liste de ses aides-de-camp (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français)  p. 390 : elle comprend plusieurs des futurs pustchistes.  Les entretiens, pendant la détention à Oualata, entre le fondateur renversé et le principal des pustchistes, y sont également évoqués, pp. 33 à 38

[2] - Moktar Ould Daddah examine souvent dans ses mémoires (op. cit.) les rapports bilatéraux avec les autres Etats membres, entre lesquels il eut souvent à faire le conciliateur (pp. 426 & ss. et 440 & ss. notamment) ; il traite plus brièvement l’organisation des Etats riverains (p. 440)

[3] - qui avaient accédé à l’indépendance le 4 Avril 1960, unis en une Fédération portant le nom emblématique sous lequel les deux partenaires et surtout leurs chefs avaient voulu unifier toute l’Afrique occidentale française, à quoi s’étaient décisivement opposés Côte d’Ivoire et Mauritanie

[4] - 1a réconciliation, après le paroxysme de la tension à la suite de l’attentat perpétré à Néma le 29 Mars 1962  contre un mess d’officiers de l’armée mauritanienne, suivi d’attaques des postes de Kankossa et de Bousteïla par des commandos venus du Mali les 25 et 28 Avril suivants, s’était négociée entre les partis : du 10 au 12 Septembre 1962, Youssouf Koïta et Ahmed Baba Ould Ahmed Miske représentent le Parti du Peuple mauritanien au congrès de l’Union  soudanaise RDA – laborieusement puisque le 8 Mai 1962, le gouvernement malien estimait encore inutile la venue à Bamako d’une mission de bonne volonté mauritanienne et qu’en conséquence le secrétaire général des Nations Unies avait été saisi, le 21 Mai 1962, d’une mise en cause du Mali dans l’attentat de Néma

[5] - mémoires (op. cit. ) p. 428

[6] - la mission est conduite, le 14 Décembre 1968 par Amadou Aw, ministre de Modibo Keïta jusqu’au putsch et l’un de ses plus proches, tandis que Jean-Marie Koné, fait par Modibo Keïta premier chef du gouvernement soudanais sous la loi-cadre, et longtemps son compagnon, est devenu ministre des Affaires Etrangères du nouveau régime – le tracé sur le terrain de la frontière convenue en 1963 à Kayès ne sera effectué qu’après une nouvelle rencontre des chefs d’Etat, toujours à Kayès, les 20-21 Juillet 1970, mais ce sera Moussa Traoré qui repésentera le Mali

[7] - Moktar Ould Daddah publie dans ses mémoires (op. cit. p. 448) le dispositif de sa lettre du 23 Avril 1975, valant conclusion du débat

[8] - la première rencontre est racontée dans La Mauritanie contre vents et marées  p. 101, Moktar Ould Daddah est alors à Bir Oum Grein, interprète, tandis que l’agrégé de grammaire, Normalien, est député du Sénégal à  l’Assemblée nationale de la métropole française et l’avait même été pour la Mauritanie, aussi, à la Constituante de la Libération, les deux territoires formant alors une unique circonscription électorale de la France d’Outre-mer ; la suite, au niveau des Chefs d’Etat,  est évoquée pp. 437 & ss.

[9] - le 2 Mai 1962, Sekou Touré reçoit Dey Ould Brahim, ministre de l'Information et de la Fonction publique, et l’assure de ses bonnes intentions. Comme le Mali, à l’époque, la Guinée fait partie du « groupe de Casablanca » qui a cause commune avec le Maroc, et appuie donc censément la revendication de l’Istiqlal sur la Mauritanie. Une mission de bonne volonté guinéenne est conduite à Nouakchott le 11 Juillet suivant. La relation en fait se nouera par le voyage d’études qu’effectuent en Guinée, du 27 Octobre au 3 Novembre 1963, Moktar Ould Daddah et une partie du B.P.N. – alors en crise, celle qui conduira au congrès de Kaédi et à la réforme du Parti du Peuple. La visite sera rendue, en Mauritanie, par Sékou Touré du 

[10] - la problématique et les prolongements contemporains de l’Organisation sont donnés par l’ancien ministre mauritanien et gaut-commissaire un temps de l’OMVS : Mohamed Salem Ould Merzoud, L’eau, l’Afrique, la solidarité : une nouvelle espérance - l’OMVS, un cas de développement solidaire (Présence africaine . Juin 2005 . 193 pages)

[11] - ainsi, le barrage antisel de Diama réalisé en 1986, complété par100 kms de digue sur la rive droite achevée en 1991, a-t-il anéanti en bonne partue la faune et la flore de l’estuaire parce que les travaux préalables à la digue et au barrage n’ont pas été faits. Du côté mauritanien, il a fallu donc financer séparément des infrastructures hydrauliques notamment pour préserver le parc national de Diawling 

[12] - achevé en 1990, il ferme un réservoir de 11 milliards m3 et a une puissance installée de 800 MW

[13] - le « sommet » du Comité inter-Etats, tenu à Bamako les 6 et 7 Novembre 1967 « renouvelle la mission du président Moktar Ould Daddah pour effectuerles démarches nécessaires à la création d’un groupement régional et proposer, un sommet, à Monrovia ». Malgré l’absence de

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