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21 Mai 1957
Ce qui se fit, avait été dit
« Faisons ensemble la patrie mauritanienne ». Cette invitation
sobre fut le sous-titre du premier organe de presse mauritanien, Mauritanie nouvelle, paraissant chaque
quinze jours à Saint-Louis-du-Sénégal au début des années 1960. Elle fut dite
dans une modeste salle, celle de l’Assemblée territoriale de Mauritanie,
installée à l’extérieur du pays et devant une cinquantaine de personnes
seulement, dont beaucoup de Français, l’administration coloniale, et les 34
élus. Ceux-ci, sauf un indépendant, Français d’origine, étaient tous d’un parti
fondé dix ans auparavant : l’Union progressiste de Mauritanie, pour
renverser le premier député du Territoire à l’Assemblée nationale française,
Horma Ould Babana. Et celui qui parlait – sans relais d’une radio – n’avait pas
trente cinq ans. Tout était modeste et penser à un Etat ou à une indépendance
dans les trois ans à venir eût été surréaliste.
C’est ce qu’il advint
cependant. Le discours d’investiture de Moktar Ould Daddah, avocat-stagiaire à
Dakar et apparemment coopté par le parti majoritaire (250.000 voix à l’élection
du 31 Mars précédent contre 13.000 à des listes d’opposition : Bloc
démocratique du Gorgol, celui de Mamadou Sambouly Ba, Union pour la défense des
intérêts du Guidimaka, indépendants divers) et l’administration française,
fonde la Mauritanie
moderne. Il en donne tous les thèmes mais aussi la problématique, les
données de l’impossible.
Commencé d’une voix petite
et sourde, le discours allait tout dire, crescendo, et – surtout – tout serait
fait.
Mes chers collègues,
C’est avec un sentiment de
fierté et non sans une certaine émotion que je viens au nom de mes amis qui
constitueront mon équipe, et en mon nom personnel, solliciter votre investiture
pour former le premier gouvernement de la Mauritanie nouvelle.
Je m’adresse à vous simplement, sans manier
l’hyperbole ni le superlatif, la vie nous ayant appris aux uns et aux autres
que les grandes phrases et les mots retentissants grisent les ambitieux, mais voilent
aux hommes de bonne volonté l’âpre et rétive réalité.
Je tiens, en exorde de mon discours, à
remercier l’Administration de ce Territoire qui a su traduire dans les faits,
tant au Chef-lieu que dans la brousse, l’idéal de justice et de fraternité que la France a généreusement
répandu à travers le monde.
Il n’y a, dans ce pays, aucun problème de
contacts humains et je compte sur elle, sur le personnel d’élite qu’elle met à
notre disposition : administrateurs, techniciens, personnel enseignant,
médecins pour nous permettre d’accomplir dans les meilleures conditions une
tâche exaltante mais ingrate.
Passées les salutations
obligées, Moktar Ould Daddah affirme « une seule-idée force, un seul
idéal : la Nation
mauritanienne ». Il réclame aussitôt « que nos mines soient enfin
mises en exploitation » et alors que le Maroc officiel (et indépendant de
fraiche date) commence d’épouser la thèse des revendications d’Allal El fassi
sur un territoire allant du futur Mali à la rive gauche du fleuve Sénégal, que
des harcèlements par une « armée de libération » se multiplient
depuis le début de l’année dans le nord de la Mauritanie, il énonce –
ce qui sera sa vie – « je dis non au Maroc, Mauritaniens nous étions,
Mauritaniens nous sommes, Mauritaniens nous resterons ». Le colonisateur,
lui aussi, est averti : il faut « faire de notre pays un territoire
majeur en transférant sur notre propre sol le chef-lieu ». Mais ceux à qui
est adressé – en réalité – tout le discours, ce sont les compatriotes : « former
notre jeunesse… créer l’enseignement de l’arabe… ». L’unité politique,
thème de cœur, est manifestée le jour-même par la composition du gouvernement
qui comprend deux membres de l’Entente mauritanienne, le parti d’Horma Ould
Babana qui depuis le Maroc soutient l’Istiqlal irrédentiste. Moktar Ould Daddah
a dû l’imposer à ceux – à l’U.P.M. et dans l’administration coloniale – qui
pensaient le contrôler… [1]
En France aussi, c’est un
commencement, mais celui de la fin de la Quatrième République :
Guy Mollet, chef du gouvernement qui a parachuté ses troupes sur le canal de
Suez pour trouver au Caire, contre Nasser, la solution à la guerre de
décolonisation en Algérie, est renversé le même jour qu’est investi le premier
gouvernement mauritanien. De Gaulle a passé quarante-huit heures (13 et 14 Mars
1957) à Atar et à Fort-Gouraud… « Quand je me trouve en Mauritanie,
j’éprouve une particulière satisfaction de me trouver au milieu d’hommes
courageux et raisonnables. Je sais comment ils se sont battus dans la lutte que
nous avons menée pour libérer l’Europe et pour libérer le monde. Je suis
confiant dans l’avenir. Les difficultés passeront mais resteront les liens qui
nous unissent ainsi que les grandes espérances pour l’avenir et nous savons que
cet avenir nous est commun. Il demeure aussi le sentiment très profond de notre
amitié. »
Paris-Dakar avait
dès le 12 Avril titré : « La Mauritanie aura-t-elle le plus chef de
gouvernement de la
Fédération ?». Une photo. montrait Moktar Ould Daddah
entouré du président d’honneur de l’Association de la Jeunesse de Mauritanie
(A.J.M.), du député à l’Assemblée nationale française Sidi El Moktar N’Diaye,
le tenant affectueusement aux épaules et du poète Hamam Fall. Il a conduit la
liste de son parti en Adrar, où il avait été interprête dix ans auparavant, il
est désigné le 11 Mai comme tête de liste du conseil de gouvernement, prévu par
la loi-cadre du 23 Juin 1956. Rien n’est inscrit dans les étoiles comme il
l’écrira aux étudiants mauritaniens en France en 1963. Et quel pouvoir a-t-il
alors ? les décrets d’application en donnent peu au gouvernement
collégialement, ce n’est pas même l’autonomie interne, et si son vice-président
reçoit l’appellation de président, la réalité du pouvoir reste détenu par le
chef du Territoire. Le gouverneur Mouragues, ancien directeur du personnel au
ministère de la France
d’outre-mer à Paris, directeur du cabinet du ministre, connaît bien la Mauritanie qu’il a déjà
dirigée en 1954, mais il a une conception très restrictive de ce que d’autres –
surtout en Afrique – considèrent comme une évolution vers l’autonomie interne.
Le conflit sera immédiat, quoique feutré entre le Mauritanien et le Français
qui ne pourra jamais admettre « la vocation de la Mauritanie à
l’indépendance » [2].
Moktar Ould Daddah ne s’attache qu’à l’essentiel : l’avenir, il laisse le
portefeuille de l’Intérieur au gouverneur, mais prend celui de la Jeunesse comme il l’avait
annoncé dès son premier entretien de presse et nomme à côté des ministres de
l’ancienne génération – ceux appelés familièrement plus tard, « les
vieilles barbes » - des jeunes, parmi lesquels ceux qui vont fonder avec
lui la Mauritanie
contemporaine : Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske.
L’administration coloniale les avait fichés avec suspicion.
Malgré cette position si
faible à l’origine – dans le jeu politique traditionnel mauritanien, mêlant
considérations tribales et subordination apparente à l’administration étrangère
– Moktar Ould Daddah va en quelques semaines s’affirmer, c’est-à-dire affirmer
l’avenir : le 12 Juin, le conseil de gouvernement se réunit pour la
première fois à Nouakchott, mais sous la tente… le vice-président en avait fait
décider le principe dans les trois jours de la formation du gouvernement… le 1er
Juillet, à Atar, sans que l’y accompagne le représentant de la France, Moktar Ould Daddah
affirme la personnalité mauritanienne face aux prétentions du Maroc et lance un
appel aux populations maures vivant au Sahara sous administration espagnole… le
24 Juillet, il obtient la signature du décret de transfert du chef-lieu de la Mauritanie à
Nouakchott, sous la menace qu’il aurait – à défaut – boycotté les cérémonies du
14-juillet à Paris et refusé toute décoration française [3].
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