lundi 19 mai 2014

chroniques d'Ould Kaïge pour les grandes dates mauritaniennes - déjà publié par Le Calame . 23 Mai 2007



1 .


21 Mai 1957

Ce qui se fit, avait été dit


« Faisons ensemble la patrie mauritanienne ». Cette invitation sobre fut le sous-titre du premier organe de presse mauritanien, Mauritanie nouvelle, paraissant chaque quinze jours à Saint-Louis-du-Sénégal au début des années 1960. Elle fut dite dans une modeste salle, celle de l’Assemblée territoriale de Mauritanie, installée à l’extérieur du pays et devant une cinquantaine de personnes seulement, dont beaucoup de Français, l’administration coloniale, et les 34 élus. Ceux-ci, sauf un indépendant, Français d’origine, étaient tous d’un parti fondé dix ans auparavant : l’Union progressiste de Mauritanie, pour renverser le premier député du Territoire à l’Assemblée nationale française, Horma Ould Babana. Et celui qui parlait – sans relais d’une radio – n’avait pas trente cinq ans. Tout était modeste et penser à un Etat ou à une indépendance dans les trois ans à venir eût été surréaliste.

C’est ce qu’il advint cependant. Le discours d’investiture de Moktar Ould Daddah, avocat-stagiaire à Dakar et apparemment coopté par le parti majoritaire (250.000 voix à l’élection du 31 Mars précédent contre 13.000 à des listes d’opposition : Bloc démocratique du Gorgol, celui de Mamadou Sambouly Ba, Union pour la défense des intérêts du Guidimaka, indépendants divers) et l’administration française, fonde la Mauritanie moderne. Il en donne tous les thèmes mais aussi la problématique, les données de l’impossible.

Commencé d’une voix petite et sourde, le discours allait tout dire, crescendo, et – surtout – tout serait fait.
Mes chers collègues,
C’est avec un sentiment de fierté et non sans une certaine émotion que je viens au nom de mes amis qui constitueront mon équipe, et en mon nom personnel, solliciter votre investiture pour former le premier gouvernement de la Mauritanie nouvelle.
Je m’adresse à vous simplement, sans manier l’hyperbole ni le superlatif, la vie nous ayant appris aux uns et aux autres que les grandes phrases et les mots retentissants grisent les ambitieux, mais voilent aux hommes de bonne volonté l’âpre et rétive réalité.
Je tiens, en exorde de mon discours, à remercier l’Administration de ce Territoire qui a su traduire dans les faits, tant au Chef-lieu que dans la brousse, l’idéal de justice et de fraternité que la France a généreusement répandu à travers le monde.
Il n’y a, dans ce pays, aucun problème de contacts humains et je compte sur elle, sur le personnel d’élite qu’elle met à notre disposition : administrateurs, techniciens, personnel enseignant, médecins pour nous permettre d’accomplir dans les meilleures conditions une tâche exaltante mais ingrate.

Passées les salutations obligées, Moktar Ould Daddah affirme « une seule-idée force, un seul idéal : la Nation mauritanienne ». Il réclame aussitôt « que nos mines soient enfin mises en exploitation » et alors que le Maroc officiel (et indépendant de fraiche date) commence d’épouser la thèse des revendications d’Allal El fassi sur un territoire allant du futur Mali à la rive gauche du fleuve Sénégal, que des harcèlements par une « armée de libération » se multiplient depuis le début de l’année dans le nord de la Mauritanie, il énonce – ce qui sera sa vie – «  je dis non au Maroc, Mauritaniens nous étions, Mauritaniens nous sommes, Mauritaniens nous resterons ». Le colonisateur, lui aussi, est averti : il faut « faire de notre pays un territoire majeur en transférant sur notre propre sol le chef-lieu ». Mais ceux à qui est adressé – en réalité – tout le discours, ce sont les compatriotes : « former notre jeunesse… créer l’enseignement de l’arabe… ». L’unité politique, thème de cœur, est manifestée le jour-même par la composition du gouvernement qui comprend deux membres de l’Entente mauritanienne, le parti d’Horma Ould Babana qui depuis le Maroc soutient l’Istiqlal irrédentiste. Moktar Ould Daddah a dû l’imposer à ceux – à l’U.P.M. et dans l’administration coloniale – qui pensaient le contrôler… [1]

En France aussi, c’est un commencement, mais celui de la fin de la Quatrième République : Guy Mollet, chef du gouvernement qui a parachuté ses troupes sur le canal de Suez pour trouver au Caire, contre Nasser, la solution à la guerre de décolonisation en Algérie, est renversé le même jour qu’est investi le premier gouvernement mauritanien. De Gaulle a passé quarante-huit heures (13 et 14 Mars 1957) à Atar et à Fort-Gouraud…  « Quand je me trouve en Mauritanie, j’éprouve une particulière satisfaction de me trouver au milieu d’hommes courageux et raisonnables. Je sais comment ils se sont battus dans la lutte que nous avons menée pour libérer l’Europe et pour libérer le monde. Je suis confiant dans l’avenir. Les difficultés passeront mais resteront les liens qui nous unissent ainsi que les grandes espérances pour l’avenir et nous savons que cet avenir nous est commun. Il demeure aussi le sentiment très profond de notre amitié. »

Paris-Dakar avait dès le 12 Avril titré : «  La Mauritanie aura-t-elle le plus chef de gouvernement de la Fédération ?». Une photo. montrait Moktar Ould Daddah entouré du président d’honneur de l’Association de la Jeunesse de Mauritanie (A.J.M.), du député à l’Assemblée nationale française Sidi El Moktar N’Diaye, le tenant affectueusement aux épaules et du poète Hamam Fall. Il a conduit la liste de son parti en Adrar, où il avait été interprête dix ans auparavant, il est désigné le 11 Mai comme tête de liste du conseil de gouvernement, prévu par la loi-cadre du 23 Juin 1956. Rien n’est inscrit dans les étoiles comme il l’écrira aux étudiants mauritaniens en France en 1963. Et quel pouvoir a-t-il alors ? les décrets d’application en donnent peu au gouvernement collégialement, ce n’est pas même l’autonomie interne, et si son vice-président reçoit l’appellation de président, la réalité du pouvoir reste détenu par le chef du Territoire. Le gouverneur Mouragues, ancien directeur du personnel au ministère de la France d’outre-mer à Paris, directeur du cabinet du ministre, connaît bien la Mauritanie qu’il a déjà dirigée en 1954, mais il a une conception très restrictive de ce que d’autres – surtout en Afrique – considèrent comme une évolution vers l’autonomie interne. Le conflit sera immédiat, quoique feutré entre le Mauritanien et le Français qui ne pourra jamais admettre « la vocation de la Mauritanie à l’indépendance » [2]. Moktar Ould Daddah ne s’attache qu’à l’essentiel : l’avenir, il laisse le portefeuille de l’Intérieur au gouverneur, mais prend celui de la Jeunesse comme il l’avait annoncé dès son premier entretien de presse et nomme à côté des ministres de l’ancienne génération – ceux appelés familièrement plus tard, « les vieilles barbes » - des jeunes, parmi lesquels ceux qui vont fonder avec lui la Mauritanie contemporaine : Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske. L’administration coloniale les avait fichés avec suspicion.

Malgré cette position si faible à l’origine – dans le jeu politique traditionnel mauritanien, mêlant considérations tribales et subordination apparente à l’administration étrangère – Moktar Ould Daddah va en quelques semaines s’affirmer, c’est-à-dire affirmer l’avenir : le 12 Juin, le conseil de gouvernement se réunit pour la première fois à Nouakchott, mais sous la tente… le vice-président en avait fait décider le principe dans les trois jours de la formation du gouvernement… le 1er Juillet, à Atar, sans que l’y accompagne le représentant de la France, Moktar Ould Daddah affirme la personnalité mauritanienne face aux prétentions du Maroc et lance un appel aux populations maures vivant au Sahara sous administration espagnole… le 24 Juillet, il obtient la signature du décret de transfert du chef-lieu de la Mauritanie à Nouakchott, sous la menace qu’il aurait – à défaut – boycotté les cérémonies du 14-juillet à Paris et refusé toute décoration française [3].


[1] - voir les mémoires de Moktar Ould Daddah, notamment pp. 153-154 : La Mauritanie, contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages) disponible en arabe et en français
[2] - ibidem, pp. 169.170

[3] - ibidem, pp. 156-157

Aucun commentaire: