8 .
La mémoire d’un grand Français et
gaulliste ayant aimé la
Mauritanie :
Pierre Messmer,
Premier ministre (1972-1974),
commandant de l’Adrar (1950-1952),
gouverneur du Territoire (1952-1954)
Pierre Messmer est décédé le 29 Août 2007 à l’âge de 91 ans. Un
ancien Premier ministre français, certes après avoir été dix ans le ministre
des Armées du général de Gaulle, mais surtout le commandant du cercle de
l’Adrar en 1950, puis – de 1952 à 1954 – le gouverneur du territoire
d’outre-mer français qu’était la Mauritanie. Il y arriva en spécialiste de
l’Indochine tant sur le terrain où il s’était échappé des prisons du Viet-Minh,
que des comités parisiens dont il sortit convaincu que l’indépendance était
inéluctable. D’où son « exil » à Atar…Plus tard, haut-commissaire en
Afrique équatoriale puis en Afrique occidentale. Même ayant quitté le pouvoir
en 1974, il était resté l’homme de conseil et d’influence pour l’Afrique et en
Afrique. Voir le portrait de Moktar Ould Daddah qu’il donna à Jeune Afrique en 2003, selon
l’expérience notamment qu’il avait eu de la nationalisation de Miferma. Voir aussi la lettre qu’il
écrivit, il n’y a pas un an à Jacques Chirac, encore à l’Elysée, pour que la France change complètement
de politique en Côte d’Ivoire, sinon dans toute l’Afrique.
J’étais son visiteur depuis plus de trente ans et la Mauritanie a été, avec
le général de Gaulle, notre lien (et notre sujet de conversation) permanent.
J’ai été le dernier – le samedi 28 juillet. Le lendemain, à la même heure, il
était au Val-de-Grâce à Paris, œdème pulmonaire. L’entretien s’acheva sur la Mauritanie. Le
voici, sans précaution, et qui témoigne simplement des analyses d’une autorité
de la colonisation.
Est-ce que vous auriez envie
ces temps-ci de me dire ce que vous attendriez d’un résumé de l’histoire de la Mauritanie
contemporaine ? du début de Coppolani à Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui
vient de gagner.
J’ai sur la
Mauritanie comme vous le savez une idée que je suis à peu
près le seul à avoir, sauf peut-être quelques Mauritaniens.
Je pense que la
Mauritanie n’a jamais été colonisée. Et si j’écrivais, ou si
vous écrivez sur la
Mauritanie, moi je crois que c’est une idée centrale. Que se
passe-t-il à partir de Coppolani ? ce sont des militaires français, c’est
une tribu guerrière qui s’impose à la Mauritanie, mais les Mauritaniens sont habitués à
cela, depuis la guerre de Charr Baba. C’est une tribu guerrière qui remplace
les tribus guerrières venues d’Arabie. Et nous nous insérons dans un système
que nous connaissons mal au début, mais qui correspond exactement à ce que nous
allons faire. Il n’y a pas de colonisation. La colonisation allait commencer au
moment de l’indépendance, avec les grandes réalisations minières, Akjoujt et
Fort-Gouraud. Alors là, la colonisation allait commencer, mais il y a eu l’indépendance
avant.
Il y a eu la tentative
d’O.C.R.S. aussi.
Cela n’existe pas.
Quand vous arrivez, vous
avez le commandement par intérim puis comme gouverneur, y a-t-il un
projet ? Non. Vous commencez par l’Adrar, puis l’intérim,
puis vous êtes gouverneur.
Avec les militaires. En Adrar, quand j’arrive, je n’ai que des
militaires sous mes ordres et je fais venir un civil, un administrateur
adjoint : de Lalance, qui avait été aide-de-camp de Leclerc.
Et là, vous ne connaissiez
pas du tout la Mauritanie ?
Non. Mais je connaissais le Sahara, l’Erythrée, la Libye, le sud-tunisien.
J’avais voyagé dans le Sahara algérien … et
alors, ce sont les mêmes, ou ils sont différents ? Ils sont
différents. Ce ne sont pas les mêmes. Et
en quoi ? la religion, le commerce, l’habileté ? Non, les tribus
guerrières de Mauritanie sont arabes. Au Mali, et au Niger, les Touaregs sont
des Berbères. Au Tchad, ce sont des Noirs. Et
alors, ce clivage ethnique est un clivage… Au Darfour, ce sont des Noirs. Et quelle est la conséquence ? Les
Arabes sont fiers de l’être. Et ils méprisent les autres, leurs tributaires et
même les marabouts, et les marabouts s’appuient sur les Français contre les
tribus guerrières mauritaniennes.
Quand vous gouvernez, y
a-t-il déjà les perspecives de la loi Defferre ? on y pense un peu dans
les hautes sphères ? et faut-il trouver quelques Mauritaniens pour plus
tard ?
Les Mauritaniens existent, on ne pense pas à la loi Defferre. Ce
n’est pas la culture mauritanienne. Mais il y a une élite mauritanienne, remarquable,
déjà. Dans deux domaines. Chez d’une part, chez les marabouts, en particulier
la grande famille des Cheikh Sdya, et puis d’autre part, chez… dans un cadre
qui va servir d’encadrement à la
Mauritanie indépendante, ce sont les interprètes qui représentent
un cadre d’une qualité exceptionnelle ! Et que l’on n’a pas dans les autres territoires ? Et ce sont eux qui vont apporter les cadres au
démarrage.
La revendication marocaine
était-elle prévisible en 1950 ?
Bien sûr !
Le commandement des confins
laissait tout cela un peu flou…
Oui, prévisible, et pas réaliste.
Prévisible parce que les grandes dynasties marocaines almoravide
et almohade viennent de la
Mauritanie. Et, n’oubliez pas que si les Français n’avaient
pas été au Maroc, la dynastie actuelle était renversée par les Regueibats, qui
avaient pris Marrakech et marchaient sur Rabat, et c’est ce qui fait que les
Regueibats haïssent la dynastie marocaine, et n’iront jamais avec elle… et ne
nous aiment pas beaucoup. Parce qu’ils pensent que nous les avons empêchés de
s’emparer du Maroc.
Pourrait-on dire qu’il y a
eu entre 1910 et 1940 deux politiques, l’une de Lyautey faisant le Maroc tel
qu’il a été, et puis celle venant d’A.O.F. et de la Mauritanie qui est une autre
politique pour le désert et pour le Sahara ?
Non : pas pour le Sahara. Pour la Mauritanie. Parce
que, au Mali, c’est-à-dire au Soudan, ils ont fait une politique tout à fait
différente. Mauritanie…
D’autant qu’on a rattaché le
Hodh à la Mauritanie.
Pour des raisons, je dirais… religieuses et ethniques. La
frontière entre le Mali et la
Mauritanie est un peu la limite des zones de paturages des
Beydanes d’un côté et des Touaregs de l’autre. Je viens de prononcer le
mot : beydane, cela veut dire : blanc. D’ailleurs, les Maures quand
ils s’adressaient à quelqu’un comme moi, disaient : eux, en parlant des
Noirs, et : nous, en parlant des Blancs.
Nous, Français et Maures…
Nous, Blancs.
Et ils considéraient les
Touaregs comme des Noirs ?
Non. Comme autre chose.
Est-ce que Horma est une
continuité du Cheikh Hamallah, dans l’esprit des Mauritaniens et pour
l’autorité administrative ?
Le hamallisme a été une des raisons du rattachement du Hodh. C’est
d’ailleurs très intéressant et, à mon avis, les gens du Soudan ont très mal
traité ce problème. Très, très mal. Comme des imbéciles… Horma Ould Babana, un
Ida Ouali, donc… une tribu : les Ida Ouali sont une tribu très forte et très répandue partout ! Très
dispersée. Avec un sens de la cohésion. Je ne crois pas qu’Horma était
hamalliste. Mais, il faudrait vérifier : je crois que le Hodh votait pour
Horma. Et vous l’avez connu,
personnellement, Horma ?C’est un type pas sérieux, ou est-ce quelqu’un qui
avait quelque chose ? Je crois
qu’il avait une immense ambition et je me demande s’il n’avait pas joué le coup
trop tôt. Au fond, il pensait à l’indépendance, au fond. Et par conséquent, il a été sabré par l’administration.
Mais en vous écoutant, il
m’est venu une idée que vous aviez probablement à l’esprit sans la
conceptualiser. Et on parle des Almoravides. Est-ce que tous ces Mauritaniens
qui sont partis au Maroc, ne se sont pas dit, nous n’allons pas pour approuver
la revendication marocaine, nous allons pour mauritaniser le Maroc, qui n’a pas
bien tourné avec la colonisation française et avec les Alaouites. Et cette
ambition, d’une certaine manière, Moktar l’a frôlée dans les dernières années
de son règne, car il était devenu le seul homme qui pouvait aller voir
indifféremment Bourguiba, Boumedienne, Khadafi, Hassan II qui eux ne se saquaient
jamais entre eux. Il était le seul à pouvoir y aller, non sans orgueil.
J’ai très bien connu un personnage qui a joué cela. Je vais voir
si j’ai quelque chose… j’arrive. Quelque chose d’important. C’est … il faudrait
que vous regardiez la biographie de Deye Ould Sidi Baba, c’était le fils d’une
des grandes familles d’Atar. Il est parti quand moi j’ai quitté la Mauritanie [1].
Parce que je crois que… il ne voulait pas quitter la Mauritanie quand j’y
étais, mais il a fait une très grande carrière au Maroc, il a été ambassadeur à
l’ONU et président de l’Assemblée. C’est intéressant parce qu’il représente
exactement ce que vous dites. Je pensais
à ce genre d’homme. Et manifestement, le roi se servait de lui pour montrer
que la Mauritanie
était un arrière plan du Maroc. Maintenant c’est fini.
Ce cercle du Chemama sur le
Fleuve, cela paraît une idée assez étonnante.
Au fond, vous savez : les Sénégalais ne souhaitaient pas
aller plus loin que la vallée du Fleuve. Ce
n’était déjà pas mal…parce que la
Mauritanie a été conquise du sud au nord et non du nord au
sud, elle a été conquise et comprise par le Trarza et les Cheikh Sidya. Et ce
sont eux qui parmi les Mauritaniens sont les plus universalistes et ont le plus
la vision d’un ensemble mauritanien. C’est presque les seuls…
Le général de Gaulle était très ami avec Cheikh Sidya. Ah oui ? ce n’était pas une
apparence ? Il est venu en Mauritanie en 1953 ou 1954, il est venu en
A.O.F., il a passé deux jours en Mauritanie, il m’a demandé – j’étais
gouverneur – à aller à Boutilimit, chez Cheikh Sidya. Il en avait donc déjà entendu parler ? Ah oui ! je les
ai laissés en tête-à-tête. Après les… l’accueil qui a un peu étonné le Général,
mais il a eu l’habileté de ne pas le manifester. Quand il est arrivé à
Boutilimit, on a devant lui égorgé un chameau et on lui a fait boire le lait de
la chamelle, qui n’était pas très propre. Il s’est soumis à cette épreuve,
parce que c’est lui qui a demandé à aller à Boutilimit, ce n’est pas moi qui le
lui ai proposé. Alors comment vous expliquez
çà ? Je crois que Cheikh Sidya avait manifesté sa sympathie au Général
très tôt. Il faudrait voir si cela ne date pas de la guerre, du ralliement en
1943 de l’A.O.F. Donc, contre Boisson. Je
pourrai le savoir, les Cheikh Sidya ont encore des archives. Il connaissait
le Général, avant que le Général vienne à Boutilimit. Et en revanche, le jeune émir de l’Adrar et le déjà vieux Abderrahmane
au Tagant, n’avaient pas l’envergure ? J’ai toujours refusé de
rétablir l’émirat de l’Adrar quand j’étais en Mauritanie. On ne l’a fait
qu’après mon départ, mais c’était idiot. L’émir, c’est un chef de guerre. Donc, il faut qu’il y ait la guerre. Il y
avait un peu un concurrent marabout des Cheikh Sidya. C’étaient les Cheikh Mal
El Ainin. Oui, dans le nord, c’est Smara, mais ils soutiennent – les Mal El
Aïnin – soutiennent les Regueibats et ils
sont en zone espagnole. C’est plus compliqué que çà. La répartition entre
Français et Espagnols, répartition des Regueibats : les Regueibat Sahel
sujets espagnols et les Regueibat
Legouacem sujets français. Ce n’était
donc pas une frontière, c’étaient des gens. Les Regueibats sont les hommes
des nuages, ils vont là où tombe la pluie. Vous
récitez un proverbe mauritanien.
Dix-huit mois auparavant – le 16 février 2006 – Pierre Messmer
commentait, de la même façon, une de mes réflexions sur la Mauritanie. J’en
rentrais et disais que la question du Sahara n’était pas fermée pour les
Mauritaniens et que la
Mauritanie, qu’elle le veuille ou non, reste partie prenante
dans le règlement à faire.
Cher ami, votre note sur le « processus
de transition démocratique » de la Mauritanie m’a vivement
intéressé et me donne de l’espoir pour un pays que j’aime et des hommes que je
respecte. Sur un seul point, je suis en désaccord avec vous. Dans votre
développement sur « les prochaines
responsabilités internationales » vous évoquez la question du Sahara
Occidental et affirmez qu’il n’y a qu’un Tiris (c’est vrai) et que « les populations de l’ancienne
possession espagnole sont mauritaniennes » ce qui est discutable. En
politique, la géographie humaine est plus importante que la géographie
physique. La population du Sahara ccidental est, pour l’essentiel, Regueibat
(de la branche Sahel de la confédération cousine des Lgouacem) et les
Regueibats détestent la dynastie alaouite pour des raisons historiques. Mais
cela ne veut pas dire qu’ils se « sentent »
Mauritaniens. Ce sont les hommes des nuages. J’en sais quelque chose, ayant
administré pendant quatre ans les Lgouacem dont, à ma connaissance, les sentiments
n’ont pas beaucoup changé. Pour la Mauritanie, la sagesse est de se mêler le moins
possible du Sahara Occidental qui lui a coûté si cher et qui pourrait à nouveau
la déstabiliser. Je sais que c’est difficile ; je sais que ce que j’écris
est impopulaire mais je crois avoir raison. Il y a des boîtes à chagrin qu’il
faut garder fermées.
[1] - anachronisme puisque Deye est entré, à la demande de
Moktar Ould Daddah, dans le premier gouvernement mauritanien, celui issu de la
« loi-cadre » et n’est parti au Maroc qu’en Mars 1958, soit quatre
ans après que Pierre Messmer ait quitté le territoire, mais peut-être
avait-t-il commencé de s’y rendre au départ du gouverneur et avant même
l’indépendance du Maroc. A vérifier…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire