dimanche 25 mai 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 1er Août 2007



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7 Août 1966 & 27 Juillet 1972

Le sens d’une candidature unique et de l’intégration au Parti



Le 7 Août 1966, Moktar Ould Daddah est réélu président de la République : inscrits, 491.320 ; votants, 472.657 ; exprimés pour le candidat unique, 471.577, soit 99,58%. C’est la première élection qui se déroule ainsi. Moktar Ould Daddah est, à l’époque, le secrétaire général du Parti unique de l’Etat, constitutionnalisé (art. 9) depuis le 12 Janvier 1965 et jouissant selon une loi adoptée le même jour (art. 17) du monopole de présentation des candidats. Est-ce à dire que l’élection est automatique ? que le cumul des deux fonctions à la tête de l’Etat et à la tête du Parti est statutaire ? Les textes ne l’ont jamais dit, mais l’histoire de la période fondatrice pour la Mauritanie moderne donne des pistes de réponse et permet aussi de distinguer radicalement cette époque de celle – maintenant appelée : « démocratie de façade » – où la pluralité, légalement possible, des candidatures ne laissa cependant de 1992 à 2003 aucun doute sur l’issue des scrutins présidentiels.

L’option pour un régime présidentiel et pour une élection au suffrage direct, en Mauritanie, est le fait d’un groupe parlementaire élu le 17 Mai 1959 et ayant obtenu tous les sièges face à deux partis d’opposition : la Nahda, se disant paradoxalement autant nationaliste que pro-marocaine, et l’Union nationale mauritanienne partisane de la Fédération du Mali, donc d’une absorption de la Mauritanie par ce qui s’appelait encore le Soudan (ex-« français ») et le Sénégal (U.N.M. qui avait ses adhérents d’ailleurs autant dans la vallée du Fleuve que dans le Hodh). Ces deux partis avaient prôné l’abstention sans succès. Ils étaient dûment autorisés et l’autonomie n’étant qu’interne, le scrutin s’était déroulé selon des normes françaises et avec des voies d’appel éventuel efficaces. Le parti dominant – Parti du regroupement mauritanien – résultait de la fusion de l’Union progressiste de Mauritanie qui avait en 1951 porté à la députation au Parlement français Sidi el Moktar N’Diaye battant, après péripéties et contestations (débattues jusqu’en séance publique du Palais-Bourbon à Paris) Horma Ould Boubana ; cette fusion s’était opérée au congrès d’Aleg (2-5 Mai 1958) alors même que l’Entente mauritanienne (l’ancienne formation d’Horma) avait non seulement perdu les élections précédentes mais que ceux de ses membres qui, sur l’insistance de Moktar Ould Daddah, avaient été intégrés dans le premier gouvernement, étaient « passés » à la revendication marocaine. C’est donc une assemblée d’une légitimité indiscutable qui vote le 20 Mai 1961 la Constitution présidentielle, texte qui n’est pas soumis au referendum. Le mode d’élection directe du chef de l’Etat est antérieur à la réforme française de 1962, il n’est pas encore courant en Afrique subsaharienne. Président de l’Assemblée nationale, l’ancien député du Territoire à l’Assemblée nationale française, Sidi El Moktar N’Diaye, parlementaire dans l’âme selon les schémas de la Quatrième République française, en désaccord avec ce choix du nouveau régime a démissionné à l’ouverture de la session (2 Mai 1961). Il sera suivi par deux autres députés, Kebe Amadou Lamine et Mohamed Lemine Ould Guerraby, et un abstentionniste.

La candidature de Moktar Ould Daddah à la première élection – celle du 20 Août 1961 qu’il remporte à 93% face à un candidat de fantaisie sans aucun passé politique – a été décidée par une « table ronde » des partis politiques existant avant la proclamation de l’indépendance, soit le P.R.M., parti gouvernemental, la Nahda, l’U.NM. et un parti qu’on pourrait dire des anciens combattants l’Union socialiste des musulmans mauritaniens, composés des guerriers de l’Adrar et sans doute suscitée par l’administration coloniale. Cette « table ronde » s’est réunie une première fois du 20 au 22 Mai 1961 – à l’initiative de Moktar Ould Daddah qui, par lettre du 13 Août 1960, dans la perspective acquise du transfert des compétences de la Communauté (en fait, les prérogatives conservées par la France) à la République Islamique de Mauritanie, renouvelle l’offre qu’il avait faite en 1957 aux partisans d’Horma. Comme en 1957, le réflexe du parti dominant est durablement hostile à l’ouverture. Au contraire, les trois partis d’opposition, qui n’ont pas de députés, y sont favorables après s’être concertés le 4 Octobre 1960. C’est cette réunion des partis qui – dans sa deuxième session, le 30 Juin 1961 – investit Moktar Ould Daddah, chef du gouvernement en place, pour l’élection présidentielle. Le parti gouvernemental, naturellement représenté à la « table ronde », ne peut que suivre les 17 et 18 Juillet suivants. Ainsi, le choix du régime et de la personne du président de la République sont antérieurs à la fusion des partis existants (21 Décembre 1961) et plus encore à la constitutionnalisation du parti unique.

L’investiture aux élections suivantes : 7 Août 1966, 8 Août 1971, 8 Août 1976 se fait toujours en  congrès (Aïoun-el-Atrouss 24-26 Juin 1966 – Nouakchott 1er-7 Juillet 1971 – 15-20 Août 175) même si le dernier scrutin de ce type est marqué par un décalage d’une année entre le congrès de délibération et d’investiture et l’élection proprement dite. Il faut cependant se rappeler qu’entre le congrès de 1975 et cette élection, le Conseil national s’est tenu à deux reprises, alors que de 1961 à 1976, il n’avait été réuni qu’une seule fois.
La signification de l’élection et de l’investiture sont – à mon avis d’étranger, mais de juriste et de diplomate – les suivantes. Il s’agit de manifester un consensus que le congrès a formulé, la généralité des congrès – sauf sans doute le dernier, celui du 25 Janvier 1978 marqué par la guerre du Sahara, mais aussi celui ayant conclu les dramatiques événements de Janvier-Février 1966 – ouvrant les rangs et surtout les sphères de délibérations et de décisions du Parti à de nouvelles générations ou à des forces nouvelles qui s’en distinguaient jusques-là. Ce consensus est explicite et la législation en vigueur ne prétend pas donner le change, le but n’est pas un pluralisme que les urnes étouffent mais une union nationale à consacrer par un rite, l’essentiel ayant été débattu d’une manière toute traditionnelle. Le gouvernement de Moktar Ould Daddah a été celui d’une délibération collégiale, en groupe parlementaire de 1957 à 1961, en bureau politique national du Parti ensuite – la période d’une équipe restreinte à un comité dit permanent ne couvre qu’une dizaine d’années sur vingt-et-une de son exercice du pouvoir. Il est à noter que les régimes d’autorité militaire de 1978 à 1991 puis de 2005 à 2007 n’ont pas fonctionné autrement : débats en Comité dont les décisions sont préparées et suivies par un comité permanent de composition restreinte, à une différence essentielle près que le bureau politique national quoique composé de plus en plus de membres de droit, donc nommés par le président de la République, est resté majoritairement composé d’élus (par le congrès) donc inamovibles, ce qui n’était pas le cas des membres du CMSN ou du CMRN de 1978 à 1991, et surtout à partir de 1984.

Reste la question de l’intégration au Parti de toutes forces associatives et vives en Mauritanie. La fusion des forces politiques existantes au moment de l’indépendance (et ayant d’abord fonctionné selon la loi française de 1901 sur les associations, puis la loi mauritanienne du 25 Juillet 1960) n’a en rien été forcée. – L’intrégration de l’armée est à relater et à étudier à part, je le ferai à une de ses dates anniversaires –. Celle de l’U.T.M. englobe en fait toute la dialectique des oppositions au système du Parti unique dans les années 1970 et illustre toute la stratégie – très indirecte – de Moktar Ould Daddah, à travers le Parti, pendant cette même période.

Le 27 Juillet 1972, le bureau politique national du Parti unique adopte les modalités pratiques de l’intégration de la centrale syndicale unique au Parti. Réforme « totale ». Les statuts futurs devront refléter la « reconversion de la conceptiuon ,des lméthides et des objectifs du syndicalisme intégré, se voulant comme force agissante » du Parti. Les comités d’entreprises – jusques là inexuistants – sont à organiser. Une charte sociale sera débattue entre responsables syndicaux et direction du Parti. Un siège national à Nouakchott et des sièges secondaires à Zouerate, à Nouadhibou et à Akjoujt seront édifiés.

C’est selon un processus analogue à celui de la « table ronde » des partis politiques, que l’Union des travailleurs mauritaniens s’était constituée – congrès tenu à Nouakchott du 29 au 31 Mai 1961 – en une centrale syndicale unique, issue de la fusion des centrales existantes. Elle s’était alors donnée deux secrétaires généraux, Malick Fall et Birane Mamadou Wane, le second fera une carrière ministérielle d’éclat, le premier incarnera le syndicalisme mauritanien, sans discussion pendant une dizaine d’années, plus difficilement ensuite, Dieu ait son âme… J’ai été témoin que les deux institutions – Parti et syndicat – n’étaient liées en rien, et ne communiquaient pas, notamment quand il fallut répondre de la situation tendue de l’automne de 1965 au printemps de 1966. Le président Moktar Ould Daddah, lui-même, ne savait pas la position syndicale et c’est l’U.T.M., sans doute davantage que le groupe parlementaire du Parti, qui fit pencher la balance décisive – celle de la légitimité – le 13 Février 1966, réaffirmant «  le soutien indéfectible de l’U.T.M. au président Moktar Ould Daddah, symbole de l’unité nationale et l’assurant ainsi que le gouvernement, de son appui sans réserve pour trouver dans le cadre national une solution qui sauvegarde la coexistence harmonieuse des deux ethnies ».

Les enseignants avaient pesé dans la crise politique de 1966, ils sont décisifs dans la crise syndicale qui s’ouvre au congrès tenu à Nouakchott du 1er au 3 Février 1969. A ce 4ème congrès ordinaire, l’U.T.M. se scinde en deux tendances. A la Bourse du travail, neuf syndicats sur les quatorze que comprend la centrale « considérant les manœuvres du bureau sortant et déterminés à faire traduire dans les faits la volonté de renouveau syndical » se retirent des assises et déclarer continuer le véritable congrès, les enseignants arabes y sont majoritaires, les services administratifs, les postes, la météo., la navigation aérienne largement représentés. Arbitrairement, on les désigne désormais comme « les dissidents ». A la Maison du Parti, « l’U.T.M. orthodoxe » maintient à sa tête Malick Fall et « engage le bureau national à rnforcer et à développer chaque jour davantage une étroite et harmonieuse collaboration avec le Parti du Peuple Mauritanien et son gouvernement ». Le débat est donc à la fois de personne et d’orientation, la relation avec le Parti fait problème. Le conseil des ministres s’en décharge, dès le 4 Février sur le responsable de la permanence du Parti, Ahmed Ould Mohamed Salah, tandis que grèves et agitation dominent la vie scolaire. Le 3 Avril, le ministre du Travail, par une note de service, interdit à son administration de traiter autrement qu’avec l’U.TM. orthodoxe. Chez les dissidents, la démission du secrétaire général adjoint traduit de l’embarras mais on y fait appel au président de la République pour dénoncer les ingérences du ministère du Travail dans les affaires syndicales et la violation par les autorités de la législation nationale en vigueur et des conventions du Bureau international du travail, de Genève, telles que la Mauritanie les a ratifiées. Le bureau politique national en débat longuement (12 au 15 Mai 1969) et remarque que « les adversaires de Malick Fall ont la possibilité de l’éiminer s’ils ont réellement la majorité. Il suffit tout simplement d’arriver par la voie démocratique à provoquer un congrès extraordinaire ». A cela, l’U.T.M. dans ses deux parties désormais adverses, ne parvient pas et c’est donc le Parti qui organisera l’instance de délibération et de conciliation.

Mais syndicalistes et politiques en appellent au peuple, selon les pratiques possibles. Le B.P.N. innove ; dans la même session où il a examiné la situation syndicale, il décide d’organiser des séminaires régionaux au cours des prochains mois, sous la présidence du secrétaire général du Parti. Cette méthode, tenace et patiente, opèrera la fusion des générations et des formations professionnelles et intellectuelles aboutissant au congrès de 1971 et à une novation gouvernementale dont est issu directement l’élu du 26 Mars 2007, le président Mohamed Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’U.T.M. « dissidente » de son côté, avait commencé (le 27 Mai 1969) par décider de « tout mettre en œuvre dans le but d’attirer au mouvement le maximum destravailleurs de tous secteurs » et avait chargé les enseignants de « provoquer une grève généralisée au mois d’Octobre prochain pour obtenir du congrès extraordinaire qui s’ensuivrait la destitution du bureau actuel » (de l’ « U.T.M. orthodoxe »). La crise aboutira à l’intégration, celle-ci n’étant pas une aspiration ou une logique du Parti, mais bien un moyen de refaire l’unité syndicale dans un certain contexte. Politique nouvelle en matière éducative : la loi du 1er Août 1969 réorganisant l’enseignement du second degré, la démission du ministre de l’Education nationale le 18 Mars 1971 et la scission en deux ministères, le 5 Avril suivant : Education secondaire, Jeunesse et Sports d’une part, Enseignement fondamental et Affaires religieuses d’autre part, une arabisation accentuée du personnel préfectoral et des épreuves scolaires. Les tentatives de répression des grèves ne conduisant qu’à des heurts entre manifestants et forces de l’ordre (notamment les 12 et 13 Mai 1971), l’exutoire ne peut être que le congrès du Parti. Le rapport moral du secrétaire général, le 1er Juillet 1971, reconnaît que « l’intégration doit être soigneusement préparée de façon à ce que l’U.T.M. en reconnaisse elle-même la nécessité et le bien-fondé ». En fait, Moktar Ould Daddah s’est distancé, presque dès le début, de la conduite des choses par la permanence du Parti et de l’ostracisme hâtif dans lequel a été immédiatement tenue l’U.T.M. « dissidente ». Il a constamment analysé la crise en termes d’une identité nationale, pas encore assez bien définie, et nullement comme un choix d’institutions ou de personnes. Il prône en congrès l’organisation d’un séminaire pour préparer un nouveau congrès des enseignants, mais souhaite nettement « que l’unité syndicale se refasse afin d’éviter toute tentative d’opportunisme ou toutes contradictions internes. Cela dit, le Parti ne peut avoir avec l’U.T.M. aucun différend idéologique d’une part parce que l’U.T.M. ne peut et ne doit pas devenir un parti politique, d’autre part et surtout parce que le Parti et l’Etat la reconnaissent comme la seule représentante de la force d’avant-garde, force indispensable au succès de notre lutte contre le sous-développement ».

Dès lors, les grandes décisions que seront la demande de révision des accords avec la France puis la nationalisation de Miferma, feront le contexte de la réconciliation syndicale. L’intégration, selon les travaux complexes et longs d’une commission nationale, la passation d’une nouvelle convention collective entre union patronale et syndicat de travailleurs décideront de la forme.

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