6 .
7 Août 1966 & 27 Juillet
1972
Le sens d’une candidature
unique et de l’intégration au Parti
Le 7 Août 1966, Moktar Ould Daddah est réélu président de la République :
inscrits, 491.320 ; votants, 472.657 ; exprimés pour le candidat
unique, 471.577, soit 99,58%. C’est la première élection qui se déroule ainsi.
Moktar Ould Daddah est, à l’époque, le secrétaire général du Parti unique de
l’Etat, constitutionnalisé (art. 9) depuis le 12 Janvier 1965 et jouissant
selon une loi adoptée le même jour (art. 17) du monopole de présentation des
candidats. Est-ce à dire que l’élection est
automatique ? que le cumul des deux fonctions à la tête de l’Etat et à la
tête du Parti est statutaire ? Les textes ne l’ont jamais dit, mais
l’histoire de la période fondatrice pour la Mauritanie moderne
donne des pistes de réponse et permet aussi de distinguer radicalement cette
époque de celle – maintenant appelée : « démocratie de façade »
– où la pluralité, légalement possible, des candidatures ne laissa cependant de
1992 à 2003 aucun doute sur l’issue des scrutins présidentiels.
L’option
pour un régime présidentiel et pour une élection au suffrage direct, en
Mauritanie, est le fait d’un groupe parlementaire élu le 17 Mai 1959 et ayant
obtenu tous les sièges face à deux partis d’opposition : la Nahda, se disant
paradoxalement autant nationaliste que pro-marocaine, et l’Union nationale
mauritanienne partisane de la
Fédération du Mali, donc d’une absorption de la Mauritanie par ce qui
s’appelait encore le Soudan (ex-« français ») et le Sénégal (U.N.M.
qui avait ses adhérents d’ailleurs autant dans la vallée du Fleuve que dans le
Hodh). Ces deux partis avaient prôné l’abstention sans succès. Ils étaient
dûment autorisés et l’autonomie n’étant qu’interne, le scrutin s’était déroulé
selon des normes françaises et avec des voies d’appel éventuel efficaces. Le
parti dominant – Parti du regroupement mauritanien – résultait de la fusion de
l’Union progressiste de Mauritanie qui avait en 1951 porté à la députation au
Parlement français Sidi el Moktar N’Diaye battant, après péripéties et
contestations (débattues jusqu’en séance publique du Palais-Bourbon à Paris)
Horma Ould Boubana ; cette fusion s’était opérée au congrès d’Aleg (2-5
Mai 1958) alors même que l’Entente mauritanienne (l’ancienne formation d’Horma)
avait non seulement perdu les élections précédentes mais que ceux de ses
membres qui, sur l’insistance de Moktar Ould Daddah, avaient été intégrés dans
le premier gouvernement, étaient « passés » à la revendication
marocaine. C’est donc une assemblée d’une légitimité indiscutable qui vote le
20 Mai 1961 la Constitution
présidentielle, texte qui n’est pas soumis au referendum. Le mode d’élection
directe du chef de l’Etat est antérieur à la réforme française de 1962, il
n’est pas encore courant en Afrique subsaharienne. Président de l’Assemblée
nationale, l’ancien député du Territoire à l’Assemblée nationale française,
Sidi El Moktar N’Diaye, parlementaire dans l’âme selon les schémas de la Quatrième République
française, en désaccord avec ce choix du nouveau régime a démissionné à
l’ouverture de la session (2 Mai 1961). Il sera suivi par deux autres députés,
Kebe Amadou Lamine et Mohamed Lemine Ould Guerraby, et un abstentionniste.
La
candidature de Moktar Ould Daddah à la première élection – celle du 20 Août
1961 qu’il remporte à 93% face à un candidat de fantaisie sans aucun passé
politique – a été décidée par une « table ronde » des partis
politiques existant avant la proclamation de l’indépendance, soit le P.R.M.,
parti gouvernemental, la Nahda,
l’U.NM. et un parti qu’on pourrait dire des anciens combattants l’Union
socialiste des musulmans mauritaniens, composés des guerriers de l’Adrar et
sans doute suscitée par l’administration coloniale. Cette « table
ronde » s’est réunie une première fois du 20 au 22 Mai 1961 – à
l’initiative de Moktar Ould Daddah qui, par lettre du 13 Août 1960, dans la
perspective acquise du transfert des compétences de la Communauté (en fait,
les prérogatives conservées par la
France) à la République Islamique de Mauritanie, renouvelle
l’offre qu’il avait faite en 1957 aux partisans d’Horma. Comme en 1957, le
réflexe du parti dominant est durablement hostile à l’ouverture. Au contraire,
les trois partis d’opposition, qui n’ont pas de députés, y sont favorables
après s’être concertés le 4 Octobre 1960. C’est cette réunion des partis qui –
dans sa deuxième session, le 30 Juin 1961 – investit Moktar Ould Daddah, chef
du gouvernement en place, pour l’élection présidentielle. Le parti
gouvernemental, naturellement représenté à la « table ronde », ne
peut que suivre les 17 et 18 Juillet suivants. Ainsi, le choix du régime et de
la personne du président de la
République sont antérieurs à la fusion des partis existants
(21 Décembre 1961) et plus encore à la constitutionnalisation du parti unique.
L’investiture
aux élections suivantes : 7 Août 1966, 8 Août 1971, 8 Août 1976 se fait
toujours en congrès (Aïoun-el-Atrouss
24-26 Juin 1966 – Nouakchott 1er-7 Juillet 1971 – 15-20 Août 175)
même si le dernier scrutin de ce type est marqué par un décalage d’une année
entre le congrès de délibération et d’investiture et l’élection proprement
dite. Il faut cependant se rappeler qu’entre le congrès de 1975 et cette
élection, le Conseil national s’est tenu à deux reprises, alors que de 1961 à
1976, il n’avait été réuni qu’une seule fois.
La
signification de l’élection et de l’investiture sont – à mon avis d’étranger,
mais de juriste et de diplomate – les suivantes. Il s’agit de manifester un
consensus que le congrès a formulé, la généralité des congrès – sauf sans doute
le dernier, celui du 25 Janvier 1978 marqué par la guerre du Sahara, mais aussi
celui ayant conclu les dramatiques événements de Janvier-Février 1966 – ouvrant
les rangs et surtout les sphères de délibérations et de décisions du Parti à de
nouvelles générations ou à des forces nouvelles qui s’en distinguaient
jusques-là. Ce consensus est explicite et la législation en vigueur ne prétend
pas donner le change, le but n’est pas un pluralisme que les urnes étouffent
mais une union nationale à consacrer par un rite, l’essentiel ayant été débattu
d’une manière toute traditionnelle. Le gouvernement de Moktar Ould Daddah a été
celui d’une délibération collégiale, en groupe parlementaire de 1957 à 1961, en
bureau politique national du Parti ensuite – la période d’une équipe restreinte
à un comité dit permanent ne couvre qu’une dizaine d’années sur vingt-et-une de
son exercice du pouvoir. Il est à noter que les régimes d’autorité militaire de
1978 à 1991 puis de 2005 à 2007 n’ont pas fonctionné autrement : débats en
Comité dont les décisions sont préparées et suivies par un comité permanent de
composition restreinte, à une différence essentielle près que le bureau
politique national quoique composé de plus en plus de membres de droit, donc
nommés par le président de la
République, est resté majoritairement composé d’élus (par
le congrès) donc inamovibles, ce qui n’était pas le cas des membres du CMSN ou
du CMRN de 1978 à 1991, et surtout à partir de 1984.
Reste
la question de l’intégration au Parti de toutes forces associatives et vives en
Mauritanie. La fusion des forces politiques existantes au moment de
l’indépendance (et ayant d’abord fonctionné selon la loi française de 1901 sur
les associations, puis la loi mauritanienne du 25 Juillet 1960) n’a en rien été
forcée. – L’intrégration de l’armée est à relater et à étudier à part, je le
ferai à une de ses dates anniversaires –. Celle de l’U.T.M. englobe en fait
toute la dialectique des oppositions au système du Parti unique dans les années
1970 et illustre toute la stratégie – très indirecte – de Moktar Ould Daddah, à
travers le Parti, pendant cette même période.
Le
27 Juillet 1972, le bureau politique national du Parti unique adopte les
modalités pratiques de l’intégration de la centrale syndicale unique au Parti.
Réforme « totale ». Les statuts futurs devront refléter la
« reconversion de la conceptiuon ,des lméthides et des objectifs du
syndicalisme intégré, se voulant comme force agissante » du Parti. Les
comités d’entreprises – jusques là inexuistants – sont à organiser. Une charte
sociale sera débattue entre responsables syndicaux et direction du Parti. Un
siège national à Nouakchott et des sièges secondaires à Zouerate, à Nouadhibou
et à Akjoujt seront édifiés.
C’est
selon un processus analogue à celui de la « table ronde » des partis
politiques, que l’Union des travailleurs mauritaniens s’était constituée –
congrès tenu à Nouakchott du 29 au 31 Mai 1961 – en une centrale syndicale
unique, issue de la fusion des centrales existantes. Elle s’était alors donnée
deux secrétaires généraux, Malick Fall et Birane Mamadou Wane, le second fera
une carrière ministérielle d’éclat, le premier incarnera le syndicalisme
mauritanien, sans discussion pendant une dizaine d’années, plus difficilement
ensuite, Dieu ait son âme… J’ai été témoin que les deux institutions – Parti et
syndicat – n’étaient liées en rien, et ne communiquaient pas, notamment quand
il fallut répondre de la situation tendue de l’automne de 1965 au printemps de
1966. Le président Moktar Ould Daddah, lui-même, ne savait pas la position
syndicale et c’est l’U.T.M., sans doute davantage que le groupe parlementaire
du Parti, qui fit pencher la balance décisive – celle de la légitimité – le 13
Février 1966, réaffirmant « le soutien indéfectible de l’U.T.M. au
président Moktar Ould Daddah, symbole de l’unité nationale et l’assurant ainsi
que le gouvernement, de son appui sans réserve pour trouver dans le cadre
national une solution qui sauvegarde la coexistence harmonieuse des deux
ethnies ».
Les
enseignants avaient pesé dans la crise politique de 1966, ils sont décisifs
dans la crise syndicale qui s’ouvre au congrès tenu à Nouakchott du 1er
au 3 Février 1969. A
ce 4ème congrès ordinaire, l’U.T.M. se scinde en deux tendances. A la Bourse du travail, neuf
syndicats sur les quatorze que comprend la centrale « considérant les
manœuvres du bureau sortant et déterminés à faire traduire dans les faits la
volonté de renouveau syndical » se retirent des assises et déclarer
continuer le véritable congrès, les enseignants arabes y sont majoritaires, les
services administratifs, les postes, la météo., la navigation aérienne
largement représentés. Arbitrairement, on les désigne désormais comme
« les dissidents ». A la
Maison du Parti, « l’U.T.M. orthodoxe » maintient à
sa tête Malick Fall et « engage le bureau national à rnforcer et à
développer chaque jour davantage une étroite et harmonieuse collaboration avec
le Parti du Peuple Mauritanien et son gouvernement ». Le débat est donc à
la fois de personne et d’orientation, la relation avec le Parti fait problème.
Le conseil des ministres s’en décharge, dès le 4 Février sur le responsable de
la permanence du Parti, Ahmed Ould Mohamed Salah, tandis que grèves et
agitation dominent la vie scolaire. Le 3 Avril, le ministre du Travail, par une
note de service, interdit à son administration de traiter autrement qu’avec
l’U.TM. orthodoxe. Chez les dissidents, la démission du secrétaire général
adjoint traduit de l’embarras mais on y fait appel au président de la République pour
dénoncer les ingérences du ministère du Travail dans les affaires syndicales et
la violation par les autorités de la législation nationale en vigueur et des
conventions du Bureau international du travail, de Genève, telles que la Mauritanie les a
ratifiées. Le bureau politique national en débat longuement (12 au 15 Mai 1969)
et remarque que « les adversaires de Malick Fall ont la possibilité de
l’éiminer s’ils ont réellement la majorité. Il suffit tout simplement d’arriver
par la voie démocratique à provoquer un congrès extraordinaire ». A cela,
l’U.T.M. dans ses deux parties désormais adverses, ne parvient pas et c’est
donc le Parti qui organisera l’instance de délibération et de conciliation.
Mais
syndicalistes et politiques en appellent au peuple, selon les pratiques
possibles. Le B.P.N. innove ; dans la même session où il a examiné la
situation syndicale, il décide d’organiser des séminaires régionaux au cours
des prochains mois, sous la présidence du secrétaire général du Parti. Cette
méthode, tenace et patiente, opèrera la fusion des générations et des formations
professionnelles et intellectuelles aboutissant au congrès de 1971 et à une
novation gouvernementale dont est issu directement l’élu du 26 Mars 2007, le
président Mohamed Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’U.T.M. « dissidente »
de son côté, avait commencé (le 27 Mai 1969) par décider de « tout mettre
en œuvre dans le but d’attirer au mouvement le maximum destravailleurs de tous
secteurs » et avait chargé les enseignants de « provoquer une grève
généralisée au mois d’Octobre prochain pour obtenir du congrès extraordinaire
qui s’ensuivrait la destitution du bureau actuel » (de
l’ « U.T.M. orthodoxe »). La crise aboutira à l’intégration,
celle-ci n’étant pas une aspiration ou une logique du Parti, mais bien un moyen
de refaire l’unité syndicale dans un certain contexte. Politique nouvelle en
matière éducative : la loi du 1er Août 1969 réorganisant
l’enseignement du second degré, la démission du ministre de l’Education
nationale le 18 Mars 1971 et la scission en deux ministères, le 5 Avril
suivant : Education secondaire, Jeunesse et Sports d’une part,
Enseignement fondamental et Affaires religieuses d’autre part, une arabisation
accentuée du personnel préfectoral et des épreuves scolaires. Les tentatives de
répression des grèves ne conduisant qu’à des heurts entre manifestants et
forces de l’ordre (notamment les 12 et 13 Mai 1971), l’exutoire ne peut être
que le congrès du Parti. Le rapport moral du secrétaire général, le 1er
Juillet 1971, reconnaît que « l’intégration doit être soigneusement
préparée de façon à ce que l’U.T.M. en reconnaisse elle-même la nécessité et le
bien-fondé ». En fait, Moktar Ould Daddah s’est distancé, presque dès le
début, de la conduite des choses par la permanence du Parti et de l’ostracisme
hâtif dans lequel a été immédiatement tenue l’U.T.M. « dissidente ».
Il a constamment analysé la crise en termes d’une identité nationale, pas
encore assez bien définie, et nullement comme un choix d’institutions ou de
personnes. Il prône en congrès l’organisation d’un séminaire pour préparer un
nouveau congrès des enseignants, mais souhaite nettement « que l’unité
syndicale se refasse afin d’éviter toute tentative d’opportunisme ou toutes
contradictions internes. Cela dit, le Parti ne peut avoir avec l’U.T.M. aucun
différend idéologique d’une part parce que l’U.T.M. ne peut et ne doit pas
devenir un parti politique, d’autre part et surtout parce que le Parti et
l’Etat la reconnaissent comme la seule représentante de la force d’avant-garde,
force indispensable au succès de notre lutte contre le sous-développement ».
Dès
lors, les grandes décisions que seront la demande de révision des accords avec la France puis la
nationalisation de Miferma, feront le contexte de la réconciliation syndicale.
L’intégration, selon les travaux complexes et longs d’une commission nationale,
la passation d’une nouvelle convention collective entre union patronale et
syndicat de travailleurs décideront de la forme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire