jeudi 22 mai 2014

chroniques d'Ould Kaïge pour les grandes dates mauritaniennes - déjà publié par Le Calame . 6 Juin 2007



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5 Juin 1965 & 8-9 Juin 1976

Distribution des prix & Attaque de la capitale




Au lycée de Nouakchott, dont le proviseur est encore un Français et qui délivre une équivalence du baccalauréat français, Mohameden Ould Babbah, arabisant prononce le discours d’usage lors de la distribution des prix. Présents, le Président de la République, le corps diplomatique dont son doyen, l’ambassadeur de France, à l’époque Jean-François Deniau [1]. 5 Juin 1965.
«  Une réforme profonde s’impose ; s’obstiner à l’ignorer est une erreur grave ». Et de plaider pour « une arabisation progressive, non seulement de sstructures mais aussi du contenu éducatif et formateur de notre enseignement » tout en admettant que « le français restera pour longtemps un auxiliaire utile pour l’arabe ».

Le discours peut être considéré rétrospectivement à trois points de vue.
Son auteur, aussi bon francisant qu’éminent arabisant, après avoir été proviseur à son tour, sera plusieurs fois ministre, naturellement de l’Enseignement supérieur, puis, aux heures cruciales de la guerre, de la Défense. Ce sera surtout l’un des opposants irréductibles tant aux successifs régimes d’autorité militaire qu’à la démocratie de façade, quoique Maaouyia Ould Sid Ahmed Taya ait tenté de le séduire, dès 1984 et ensuite : réponse, je préfère rester enseignant de base. Compagnon de route depuis 1991 d’Ahmed Ould Daddah, sauf un court temps, il est, par sa résistance historique, l’un des fondateurs de fait de la nouvelle démocratie mauritanienne, tout en se consacrant aujourd’hui à la collation et à l’édition des manuscrits arabes traditionnels, conservés par les collectivités les plus diverses en Mauritanie.

Le contexte est celui d’une nouvelle étape à tous égards du commencement mauritanien. Le 23 Juin 1965, la Mauritanie quitte l’O.C.A.M. [2] : Moktar Ould Daddah, président en exercice depuis le sommet fondateur de Nouakchott (10-12 Février), n’a pu admettre que ses pairs accueillent, sans lui, Moïse Tshombé, Premier ministre du Congo ex-belge, dont beaucoup soupçonnent qu’il a causé la mort de Patrice Lumumba en 1960 et favorisent le maintien en Afrique australe de la colonisation portugaise et de l’apartheid. Le 19 Juillet suivant, la République Islamique de Mauritanie et la République populaire de Chine conviennent d’établir des relations diplomatiques. Ces deux décisions de Moktar Ould Daddah surprennent, notamment le représentant de la France qui ne les a pas pressenties, elles passent pour un « renversement des alliances » ou un virage « à gauche » alors même que de Gaulle a donné l’exemple, dix-huit mois auparavant de la reconnaissance d’un fait évident, la Chine est à Pékin et pas à Taipeh. Enfin, le gouvernement est profondément remanié (26 Juillet), le Président de la République abandonnant pour la première fois tout portefeuille. Mohamed Ould Cheikh, secrétaire général de la Défense nationale depuis la création des forces armées mauritaniennes, en reste chargé avec rang de ministre et cumulativement avec les Affaires Etrangères. Un universitaire, brillant historien francisant et syndicaliste influent, devient ministre du Développement : Elimane Mamadou Kane. Jamais jusques là, le gouvernement n’a été composé de personnalités aussi fortes et alliant autant – à l’instar de Moktar Ould Daddah – l’imprégnation traditionnelle et l’abord moderne des grands défis. La Mauritanie, quoique très jeune encore, est adulte, l’été de 1965.

Pourtant, le discours de Mohameden Ould Babbah est probablement le point de départ – car il faut des symboles – de ce qui deviendra « les événements de Janvier-Février 1966 », secousse politique et épreuve d’identité. La loi du 12 Janvier 1965, réorganisant l’enseignement secondaire, disposait par son article 10 que « dans les établissements d’enseignement secondaire, il est donné un enseignement en langue française et un enseignement en langue arabe. Ces deux enseignements sont obligatoires » [3]. Le texte passe inaperçu, il est voté à l’unanimité des 23 députés présents par une Assemblée Nationale en fin de mandat (celle élue le 17 Mai 1959 et prorogée) et dont la plupart des membres quitteront, par force, la vie politique. Le même jour en effet, la Constitution est révisée (article 9) pour que le Parti du Peuple Mauritanien soit reconnu désormais comme le Parti unique de l’Etat ; une loi ordinaire dispose aussitôt (article 17) que seul le P.P.M. peut présenter des candidats à la députation. L’agitation ne sera nullement une contestation de ce monopole qui était de fait depuis le congrès de l’Unité (25 au 30 Décembre 1961), elle sera le fait des enseignants originaires de la Vallée du Fleuve, entraînant une réaction de l’autre bord, chacun craignant pour soi, les élèves prenant partie et certains des membres du gouvernement, précisément Mohamed Ould Cheikh et Elimane Mamadou Kane, particulièrement liés d’amitié, passant pour favorables à telle solution, contre une autre personnalité gouvernementale, Ahmed Ould Mohamed Salah, ministre de la Justice et de l’Intérieur. Le mouvement scolaire d’alors n’aura donc rien à voir avec tous ceux qui suivront : il ne créait pas une ambiance, il dépendait de celle des aînés. Ces événements – que nous examinerons à leur anniversaire – auront plusieurs conséquences : la dissolution de cette exceptionnelle équipe ministérielle, un congrès du Parti plaçant sur un pied d’égalité les deux langues jusqu’à ce que l’arabe ne soit plus seulement langue nationale, mais aussi langue officielle [4], puis qu’une nouvelle réforme accentue en 1973 l’arabisation [5]. Mais l’option initiale – correspondant à la nature mauritanienne – demeure pour Moktar Ould Daddah. Même si le pays adhère à la Ligue arabe (4 Décembre 1973), dans des conditions d’ailleurs exceptionnelles, il reste pionnier de la coopération et du souhait d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest [6] : les 12-13 Novembre 1965, la conférence des Chefs d’Etat riverains du fleuve Sénégal (Mauritanie, Sénégal, Mali et Guinée) envisage « non seulement la mise en valeur du bassin du Fleuve, mais aussi de promouvoir un développement économique intégré de l’ensemble du bassin et des territoires nationaux ». Les communautés économiques de l’Afrique de l’Ouest [7](dont la première Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, créée le 3 Juin 1972, est d’expression seulement française à ses débuts), les barrages sur le Sénégal viennent de là. Sur le moment, Mohameden Ould Babbah paraît relayé – presque aussi spectaculairement – par l’ambassadeur au Caire, Hadrami Ould Khattri, ancien ministre de l’Education nationale précisément : « l’aide culturelle de la République Arabe Unie (l’Egypte de Nasser) et des autres pays arabes contribuera à remplacer le français par la langue arabe en Mauritanie à partir de l’année prochaine » (3 Août 1965) ; or, à l’époque, du fait de l’obstination marocaine, la plupart de ces pays ne reconnaissent toujours pas la République Islamique.

Onze ans plus tard – 8.9 Juin 1976 – une colonne du Polisario tente un coup de main sur Nouakchott. Son secrétaire général est tué : El Oualy Ould Esseyed, ainsi que son adjoint. Chaab publie une de ses plus macabres photos. Un an auparavant, il s’était entretenu de confiance avec Moktar Ould Daddah [8]. La surprise a été totale, mais le ressaisissement aussi : la population de la capitale accourt aux états-majors pour y recevoir des armes. Une seconde tentative aura lieu le 3 Juillet 1977, mais elle sera déjouée avant de prendre forme. Le Front pour la libération de la Seguiet-el-Hamra et du Rio de Oro avait tenu son congrès constitutif (dans la clandestinité) le 10 Mai 1973, mais il avait été initialement fondé à Nouakchott, trois ans auparavant : très ouvertement, et avec l’aide des autorités du Parti et de l’Etat. Non seulement parce que l’unité à tous égards de l’ensemble mauritanien y inclinait mais parce que la Mauritanie venait de publier son désaccord avec l’Espagne [9], puis sa réprobation des manifestations d’El Ayoun, à l’occasion desquelles Khattry Ould El Joumani avait été arrêté : cette personnalité avait participé au premier congrès d’unification politique mauritanienne, celui d’Aleg (2 au 5 Mai 1958) proclamant aussi la vocation de la Mauritanie à l’indépendance. Même la guerre commencée, le Front est demandeur d’une entente : il est représenté souvent par d’anciens politiques mauritaniens, notoires, comme Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et Brahim Ould Derwich. La tentative, en fait, vise à empêcher la mise sur pied par Félix Houphouet-Boigny d’un comité des sages (cinq ou six chefs d’Etat, agréés par les trois pays belligérants : Algérie, Maroc et Mauritanie). Comité qui a la préférence de l’Algérie, récusant la proposition tunisienne de l’époque qui ne proposait que des chefs d’Etat arabes. Or, c’est devant ceux-ci que Houari Boumedienne avait proclamé son désintéressement (26-27 Octobre 1974, 8ème sommet de la Ligue arabe, tenu à Rabat) et se serait donc déjugé. De fait, le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine, tenu à Port-Louis (île Maurice, du 3 au 5 Juillet 1976) élude la proposition béninoise d’une reconnaissance du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et renvoit à un sommet extraordinaire [10].

L’un des points communs de ces deux anniversaires est l’identité mauritanienne : le discours d’investiture du 20 Mai 1957 – commémoré en partie par la première de ces chroniques – et celui prononcé le 1er Juillet suivant – qui sera exposé dans une prochaine, ont affirmé la logique d’un jeune Maure, « parachuté » à la tête d’un gouvernement que le Maroc juge fantoche. Or, l’autre point commun montre au contraire l’indépendance du pays et de son président. La manière d’une époque à l’autre reste la même. La constitution du gouvernement est chaque fois significative d’une réorganisation et d’un renforcement. Comme en 1965, le gouvernement est profondément remanié après le choc de 1976 (le 17 Juin), un militaire entre pour la première fois au gouvernement (le colonel Viah Ould Mayouf) mais pas pour y traiter de défense ou d’opérations (il est ministre de la Construction). Le Conseil national du Parti qui ne s’était jusqu’à la guerre réuni qu’une fois (pour adopter le projet de Plan, à Tidjikja, délibérant du 25 Mars au 18 Avril 1970) se tient dans les trois jours de l’attaque : le 11 Juin 1976. Il avait déjà, en réunion extraordinaire des 29 au 31 Janvier précédents, examiné les négociations ayant abouti à l’accord tripartite de Madrid (14 Novembre 1975) et surtout entendu le récit par Moktar Ould Daddah de son entretien à Béchar avec Houari Boumedienne (10 Novembre 1975). Paradoxalement, la guerre et la situation difficile font fonctionner une instance démocratique nouvelle à telle enseigne même que la direction nationale – le Bureau politique national B.P.N. – au lieu de conserver son comité permanent de cinq ou six membres ou de s’organiser pour la direction de la guerre, va au contraire constamment s’élargir – sur recommandation du secrétaire général –  jusqu’à englober certains des éléments civils qui accompagneront, sinon pousseront, les militaires dans leur action du 10 Juillet 1978. L’élection présidentielle qui clôt apparemment la séquence des événements déclenchée en 1965 et en 1975 : question de l’arabisation, question du Sahara (7 Août 1966, 8 Août 1976), paraît contestable selon les critères de maintenant, elle consacre au contraire à l’époque un consensus certain.


[1] - décédé le 24 janvier 2007, membre de l’Académie française. Du cabinet de Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires Etrangères du général de Gaulle, il succède à Jacques Leprette le 19 décembre 1963 comme ambassadeur de France et le demeure jusqu’au 4 novembre 1966. Il sera ensuite commissaire européen, puis secrétaire d’Etat à la Coopération sous Georges Pompidou, et ministre du Commerce extérieur puis de

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