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5 Juin 1965 & 8-9 Juin
1976
Distribution des prix & Attaque de la capitale
Au lycée de Nouakchott, dont
le proviseur est encore un Français et qui délivre une équivalence du
baccalauréat français, Mohameden Ould Babbah, arabisant prononce le discours
d’usage lors de la distribution des prix. Présents, le Président de la République, le corps
diplomatique dont son doyen, l’ambassadeur de France, à l’époque Jean-François
Deniau [1].
5 Juin 1965.
« Une réforme profonde
s’impose ; s’obstiner à l’ignorer est une erreur grave ». Et de
plaider pour « une arabisation progressive, non seulement de sstructures
mais aussi du contenu éducatif et formateur de notre enseignement » tout
en admettant que « le français restera pour longtemps un auxiliaire utile
pour l’arabe ».
Le discours peut être
considéré rétrospectivement à trois points de vue.
Son auteur, aussi bon
francisant qu’éminent arabisant, après avoir été proviseur à son tour, sera
plusieurs fois ministre, naturellement de l’Enseignement supérieur, puis, aux
heures cruciales de la guerre, de la Défense. Ce sera surtout l’un des opposants
irréductibles tant aux successifs régimes d’autorité militaire qu’à la
démocratie de façade, quoique Maaouyia Ould Sid Ahmed Taya ait tenté de le
séduire, dès 1984 et ensuite : réponse, je préfère rester enseignant de
base. Compagnon de route depuis 1991 d’Ahmed Ould Daddah, sauf un court temps,
il est, par sa résistance historique, l’un des fondateurs de fait de la
nouvelle démocratie mauritanienne, tout en se consacrant aujourd’hui à la
collation et à l’édition des manuscrits arabes traditionnels, conservés par les
collectivités les plus diverses en Mauritanie.
Le contexte est celui d’une
nouvelle étape à tous égards du commencement mauritanien. Le 23 Juin 1965, la Mauritanie quitte
l’O.C.A.M. [2] :
Moktar Ould Daddah, président en exercice depuis le sommet fondateur de
Nouakchott (10-12 Février), n’a pu admettre que ses pairs accueillent, sans
lui, Moïse Tshombé, Premier ministre du Congo ex-belge, dont beaucoup
soupçonnent qu’il a causé la mort de Patrice Lumumba en 1960 et favorisent le maintien
en Afrique australe de la colonisation portugaise et de l’apartheid. Le 19
Juillet suivant, la
République Islamique de Mauritanie et la République populaire de
Chine conviennent d’établir des relations diplomatiques. Ces deux décisions de
Moktar Ould Daddah surprennent, notamment le représentant de la France qui ne les a pas
pressenties, elles passent pour un « renversement des alliances » ou
un virage « à gauche » alors même que de Gaulle a donné l’exemple,
dix-huit mois auparavant de la reconnaissance d’un fait évident, la Chine est à Pékin et pas à
Taipeh. Enfin, le gouvernement est profondément remanié (26 Juillet), le
Président de la République
abandonnant pour la première fois tout portefeuille. Mohamed Ould
Cheikh, secrétaire général de la Défense nationale depuis la création des forces
armées mauritaniennes, en reste chargé avec rang de ministre et cumulativement
avec les Affaires Etrangères. Un universitaire, brillant historien francisant
et syndicaliste influent, devient ministre du Développement : Elimane
Mamadou Kane. Jamais jusques là, le gouvernement n’a été composé de
personnalités aussi fortes et alliant autant – à l’instar de Moktar Ould Daddah
– l’imprégnation traditionnelle et l’abord moderne des grands défis. La Mauritanie, quoique très
jeune encore, est adulte, l’été de 1965.
Pourtant, le discours de
Mohameden Ould Babbah est probablement le point de départ – car il faut des
symboles – de ce qui deviendra « les événements de Janvier-Février
1966 », secousse politique et épreuve d’identité. La loi du 12 Janvier
1965, réorganisant l’enseignement secondaire, disposait par son article 10 que
« dans les établissements d’enseignement secondaire, il est donné un
enseignement en langue française et un enseignement en langue arabe. Ces deux enseignements
sont obligatoires » [3].
Le texte passe inaperçu, il est voté à l’unanimité des 23 députés présents
par une Assemblée Nationale en fin de mandat (celle élue le 17 Mai 1959 et
prorogée) et dont la plupart des membres quitteront, par force, la vie
politique. Le même jour en effet, la Constitution est révisée (article 9) pour que le
Parti du Peuple Mauritanien soit reconnu désormais comme le Parti unique de
l’Etat ; une loi ordinaire dispose aussitôt (article 17) que seul le
P.P.M. peut présenter des candidats à la députation. L’agitation ne sera
nullement une contestation de ce monopole qui était de fait depuis le congrès
de l’Unité (25 au 30 Décembre 1961), elle sera le fait des enseignants
originaires de la Vallée
du Fleuve, entraînant une réaction de l’autre bord, chacun craignant pour soi,
les élèves prenant partie et certains des membres du gouvernement, précisément
Mohamed Ould Cheikh et Elimane Mamadou Kane, particulièrement liés d’amitié,
passant pour favorables à telle solution, contre une autre personnalité
gouvernementale, Ahmed Ould Mohamed Salah, ministre de la Justice et de l’Intérieur.
Le mouvement scolaire d’alors n’aura donc rien à voir avec tous ceux qui
suivront : il ne créait pas une ambiance, il dépendait de celle des aînés.
Ces événements – que nous examinerons à leur anniversaire – auront plusieurs
conséquences : la dissolution de cette exceptionnelle équipe
ministérielle, un congrès du Parti plaçant sur un pied d’égalité les deux
langues jusqu’à ce que l’arabe ne soit plus seulement langue nationale, mais
aussi langue officielle [4],
puis qu’une nouvelle réforme accentue en 1973 l’arabisation [5].
Mais l’option initiale – correspondant à la nature mauritanienne – demeure pour
Moktar Ould Daddah. Même si le pays adhère à la Ligue arabe (4 Décembre
1973), dans des conditions d’ailleurs exceptionnelles, il reste pionnier de la
coopération et du souhait d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest [6]
: les 12-13 Novembre 1965, la conférence des Chefs d’Etat riverains du fleuve
Sénégal (Mauritanie, Sénégal, Mali et Guinée) envisage « non seulement la
mise en valeur du bassin du Fleuve, mais aussi de promouvoir un développement
économique intégré de l’ensemble du bassin et des territoires nationaux ».
Les communautés économiques de l’Afrique de l’Ouest [7](dont
la première Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, créée le 3 Juin
1972, est d’expression seulement française à ses débuts), les barrages sur le
Sénégal viennent de là. Sur le moment, Mohameden Ould Babbah paraît relayé –
presque aussi spectaculairement – par l’ambassadeur au Caire, Hadrami Ould
Khattri, ancien ministre de l’Education nationale précisément :
« l’aide culturelle de la République Arabe Unie (l’Egypte de Nasser) et des
autres pays arabes contribuera à remplacer le français par la langue arabe en
Mauritanie à partir de l’année prochaine » (3 Août 1965) ; or, à
l’époque, du fait de l’obstination marocaine, la plupart de ces pays ne
reconnaissent toujours pas la République Islamique.
Onze ans plus tard – 8.9 Juin 1976 – une colonne du
Polisario tente un coup de main sur Nouakchott. Son secrétaire général est
tué : El Oualy Ould Esseyed, ainsi que son adjoint. Chaab publie une de ses plus macabres photos. Un an auparavant, il
s’était entretenu de confiance avec Moktar Ould Daddah [8].
La surprise a été totale, mais le ressaisissement aussi : la population de
la capitale accourt aux états-majors pour y recevoir des armes. Une seconde
tentative aura lieu le 3 Juillet 1977, mais elle sera déjouée avant de prendre
forme. Le Front pour la libération de la Seguiet-el-Hamra et du Rio de Oro avait tenu son
congrès constitutif (dans la clandestinité) le 10 Mai 1973, mais il avait été
initialement fondé à Nouakchott, trois ans auparavant : très ouvertement,
et avec l’aide des autorités du Parti et de l’Etat. Non seulement parce que
l’unité à tous égards de l’ensemble mauritanien y inclinait mais parce que la Mauritanie venait de
publier son désaccord avec l’Espagne [9],
puis sa réprobation des manifestations d’El Ayoun, à l’occasion desquelles
Khattry Ould El Joumani avait été arrêté : cette personnalité avait
participé au premier congrès d’unification politique mauritanienne, celui
d’Aleg (2 au 5 Mai 1958) proclamant aussi la vocation de la Mauritanie à
l’indépendance. Même la guerre commencée, le Front est demandeur d’une
entente : il est représenté souvent par d’anciens politiques mauritaniens,
notoires, comme Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et Brahim Ould Derwich. La
tentative, en fait, vise à empêcher la mise sur pied par Félix Houphouet-Boigny
d’un comité des sages (cinq ou six chefs d’Etat, agréés par les trois pays
belligérants : Algérie, Maroc et Mauritanie). Comité qui a la préférence
de l’Algérie, récusant la proposition tunisienne de l’époque qui ne proposait
que des chefs d’Etat arabes. Or, c’est devant ceux-ci que Houari Boumedienne
avait proclamé son désintéressement (26-27 Octobre 1974, 8ème sommet
de la Ligue
arabe, tenu à Rabat) et se serait donc déjugé. De fait, le sommet de
l’Organisation de l’Unité Africaine, tenu à Port-Louis (île Maurice, du 3 au 5
Juillet 1976) élude la proposition béninoise d’une reconnaissance du droit du
peuple sahraoui à l’autodétermination et renvoit à un sommet extraordinaire [10].
L’un des points communs de
ces deux anniversaires est l’identité mauritanienne : le discours
d’investiture du 20 Mai 1957 – commémoré en partie par la première de ces
chroniques – et celui prononcé le 1er Juillet suivant – qui sera
exposé dans une prochaine, ont affirmé la logique d’un jeune Maure,
« parachuté » à la tête d’un gouvernement que le Maroc juge fantoche.
Or, l’autre point commun montre au contraire l’indépendance du pays et de son
président. La manière d’une époque à l’autre reste la même. La constitution du
gouvernement est chaque fois significative d’une réorganisation et d’un
renforcement. Comme en 1965, le gouvernement est profondément remanié après le
choc de 1976 (le 17 Juin), un militaire entre pour la première fois au
gouvernement (le colonel Viah Ould Mayouf) mais pas pour y traiter de défense
ou d’opérations (il est ministre de la Construction). Le Conseil national du Parti qui
ne s’était jusqu’à la guerre réuni qu’une fois (pour adopter le projet de Plan,
à Tidjikja, délibérant du 25 Mars au 18 Avril 1970) se tient dans les trois
jours de l’attaque : le 11 Juin 1976. Il avait déjà, en réunion
extraordinaire des 29 au 31 Janvier précédents, examiné les négociations ayant
abouti à l’accord tripartite de Madrid (14 Novembre 1975) et surtout entendu le
récit par Moktar Ould Daddah de son entretien à Béchar avec Houari Boumedienne
(10 Novembre 1975). Paradoxalement, la guerre et la situation difficile font
fonctionner une instance démocratique nouvelle à telle enseigne même que la
direction nationale – le Bureau politique national B.P.N. – au lieu de conserver
son comité permanent de cinq ou six membres ou de s’organiser pour la direction
de la guerre, va au contraire constamment s’élargir – sur recommandation du
secrétaire général – jusqu’à englober
certains des éléments civils qui accompagneront, sinon pousseront, les
militaires dans leur action du 10 Juillet 1978. L’élection présidentielle qui
clôt apparemment la séquence des événements déclenchée en 1965 et en
1975 : question de l’arabisation, question du Sahara (7 Août 1966, 8 Août
1976), paraît contestable selon les critères de maintenant, elle consacre au
contraire à l’époque un consensus certain.
[1] - décédé le 24 janvier 2007, membre de l’Académie
française. Du cabinet de Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires
Etrangères du général de Gaulle, il succède à Jacques Leprette le 19 décembre
1963 comme ambassadeur de France et le demeure jusqu’au 4 novembre 1966. Il
sera ensuite commissaire européen, puis secrétaire d’Etat à la Coopération sous
Georges Pompidou, et ministre du Commerce extérieur puis de
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