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1er Juillet 1957
& 3 Juillet 1975
La suite dans les
idées ? ou la portée des faits
Le 3 Juillet 1975, devant la
Cour internationale de justice, à La Haye, Moulaye El Hassen expose
la thèse de la
République Islamique de Mauritanie sur la partie de Sahara
qu’administre toujours l’Espagne, il est assisté de Mohamed Ould Maouloud Ould
Daddah, rédacteur du mémoire rédigé pour la Cour [1]
et qui impressionne tellement le Doyen Vedel, conseiller du Maroc dans cette
instance, que celui-ci fait renoncer à son client à certaines de ses
prétentions.
Plaidant au minimum, la Mauritanie « se
félicite que le Maroc ne conteste pas que le sud du Sahara occidental fait
partie des l’ensemble mauritanien ». L’expression est très heureuse car
elle est réaliste et déplace la question du plan juridique à celui des
constatations sur le terrain et selon les relations des populations les unes
avec les autres, très antérieures aux théories contemporaines sur la
souveraineté, trop dépendantes du concept de pouvoir central. « La
référence à l’oued Seguya El Hamra ne saurait être interprétée comme une
frontière, mais comme limite naturelle des zones de nomadisation des tribus
relevant de l’ensemble mauritanien. ». « Le gouvernement mauritanien
a accepté certes le principe de l’auto-détermination, mais il ne s’est jamais
départi pour autant de sa position fondamentale, à savoir que le Sahara sous
administration espagnole fait partie intégrante de la Mauritanie ».
Le même 3 Juillet 1975, l’Espagne rend publique son invitation au Maroc, à
l’Algérie et à la
Mauritanie d’une conférence quadripartite sur le Sahara.
Ce processus pacifique est à
l’époque consensuel. L’ancienne métropole et les trois Etats du voisinage du
territoire qu’elle administre paraissent – enfin – en bonne intelligence. Le
sommet tripartite de Nouadhibou, le 14 Septembre 1970, réunissant autour de
Moktar Ould Daddah, le roi Hassan II et Houari Boumedenne a permis
« d’intensifier leur collaboration étroitepour hâter la décolonisation de
cette région et ce conformément aux résolutions pertinentes de l’Organisation
des Nations Unies ». Le président mauritanien a d’ailleurs, peu après,
devant l’Assemblée générale de l’organisation mondiale, situé l’enjeu, non en
termes nationalistes mais selon les nécessités de la paix générale :
« le maintien des colonies en Afrique, la situation explosive au
Moyen-Orient et dans le sud-est asiatique témoignent du manque total de volonté
politique de notre organisation – dominée qu’elle est, reconnaissons-le, par
les grandes puissances qui l’orientent insidieusement au gré de leurs
intérêts ». Et patiente, la diplomatie mauritanienne parvient à
« faire bouger les lignes ». Les 19 et 21 Avril 1971, le ministre des
Affaires étrangères, Hamdi Ould Mouknass s’entretient avec Lopez Bravo, son
homologue espagnol et est reçu par le général Franco, alors que sur place le
gouverneur général déclare à l’ouverture de la nouvelle assemblée locale :
« Il faut avoir présent que l’avenir du Sahara, nous devons le constituer
avec l’effort de tous en agissant uniquement comme Sahariens, tous unis pour
cette fin, sans prêter attention aux suggestions étrngères et sans permettre l’ingérence
étrangère. Le Sahara sera ce que les Sahariens veulent en faire et pour cela,
il savent qu’ils peuvent compter avec l’appui décidé de l’Espagne ».
Ladite assemblée délibère sur l’instauration de cartes d’identité pour éviter
l’immigration, la mesure décisive ne sera pas appliquée, mais elle finit par
adopter (20 Février 1973) une résolution sur le « droit du terriutoire à
l’exercice de son autodétermination quand il le demandera et sans influence
étrangère », elle réclame surtout que s’ouvre « une période qui serve
à préparer l’avenir ». Moktar Ould Daddah se trouve précisément en
Algérie, lors de cette délibération à El Ayoun : « les deux parties
réitèrent leur adhésion aux décisions tripartites de la rencontre historique de
Nouadhibou et aux résolutions pertinentes de l’ONU, de l’OUA et des
non-alignés. Elles ont décidé de continuer à apporter une attention constante à
ce problème et de conjuguer leurs efforts afin de hâter la décolonisation de ce
territoire et d’y faire prévaloir l’exercice du droit à l’autodétermination ».
Le 7 Mars 1973, la
Mauritanie rejette donc la proposition espagnole de
referendum au Sahara comme « non-conforme aux résolutions pertinentes des
Nations Unies ».
Le 12 Juillet 1974, l’Espagne accorde un statut d’autonomie interne au
Sahara et accuse aux Nations Unies le Maroc de vouloir l’annexer purement et
simplement, puis annonce le 22 Août un referendum : indépendance ou
rattachement à un pays voisin. Le 17
Septembre, Hassan II propose l’arbitrage de la Cour internationale de justice pour la
récupération des deux présides espagnols : Ceuta et Melilla, il tient le
gage que peut considérer Madrid, mais Moktar Ould Daddah en a un autre,
résultat d’une politique étrangère de quinze ans : débutant, le même jour,
son deuxième voyage officiel en République populaire de Chine, il porte à Pékin
le litige et se fait distinguer de l’Algérie et du Maroc. Le 20 Septembre, la Djemaa repousse les
propositions de Hassan II et demande « l’appui de l’Espagne jusqu’au
moment où les Sahraouis se considèreront suffisamment préparés pour
accéder à leur pleine indépendance ». Interrogé par Afrique-Asie, le 16 Novembre, Moktar Ould Daddah exclut tout
affrontement entre le Maroc et la
Mauritanie à propos du Sahara, confirme l’accord des deux
pays pour consulter la Cour
internationale de justice et maintient le principe d’autodétermination assorti
d’un referendum souss le contrôle des Nations Unies. C’est ainsi que le 13
Décembre, sur proposition conjointe de la Mauritanie et du Maroc, l’Assemblée générale des
Nations Unies adopte par 88 voix et 43 abstentions, la résolution du comité de
décolonisation en date du 11 : l’Espagne est priée d’ajourner le
referendum qu’elle projetait et qui aurait entériné le partage hérité des deux
colonisateurs, et la Cour
internationale de justice de rendre un avis consultatif. Le territoire
administré par l’Espagne était-il avant la colonisation en 1885
« territoire sans maître » ? et quels étaient alors, s’il y en
avait, ses liens juridiques avec le Maroc et avec la Mauritanie ?
Il n’est alors question ni
de partage – Moktar Ould Daddah en a écarté publiquement l’idée – ni a fortiori
de guerre avec l’Algérie. Lors du 8ème sommet de la Ligue arabe, tenu à Rabat
les 26 et 27 Octobre 1974, le président Boumedienne n’a-t-il pas déclaré devant
tous ses pairs : « Je confirme que l’Algérie n’a aucune revendication
sur le Sahara et que sa seule préoccupation reste l’entente entre le Maroc et la Mauritanie. Ils se
sont mis d’accord sur la partie du Sahara qui doit revenir à chacun. J’ai été
présent lors de cet accord ; je l’approuve de tout cœur et sans
arrière-pensée » [2].
La réalité est qu’à l’époque, le
président mauritanien avait davantage à veiller du côté marocain, le roi Hassan
II tentant continuellement d’obtenir, pour le compte du seul Maroc, un accord
de l’Espagne, que du côté algérien dont il avait éprouvé la solidité à deux
moments décisifs : l’introduction de la monnaie nationale et la
nationalisation des mines de fer (MIFERMA).
La relation avec le Maroc
est en effet inséparable de la continuité historique et sociologique de la Mauritanie anciennement
d’administration française avec ce que l’Espagne occupe – longtemps à titre
seulement nominal sous l’appellation de Rio de Oro, Ouad Dheheb, et de la Seguya El Hamra. Elle
est même postérieure, logiquement et chronologiquement, à cette continuité
territoriale, ethnique, commerciale et historique. Ce que reconnaissait Rabat,
fondant jusqu’en 1969 sa pétition sur la possession espagnole en ce que
celle-ci était partie intégrante de la Mauritanie de décolonisation française contestée.
Le 1er Juillet 1957, à pas six semaines de son investiture
comme chef du gouvernement autonome institué par la loi-cadre française, Moktar
Ould Daddah, à Atar, avait non seulement affirmé la personnalité mauritanienne
face aux prétentions marocaines mais lancé un appel à tous les Maures au-delà
des frontières du moment. Bien avant son indépendance, la Mauritanie dès qu’elle
a pu s’exprimer officiellement, a donc caractérisé son ensemble.
Un lien de solidarité
de plus en plus fort unit désormais tous les Mauritaniens conscients
d’appartenir à une même communauté de l’Atlantique au Soudan.
Mais cette
solidarité déborde nos frontières, elle englobe les populations Maures du Sahara
Espagnol et des confins marocains. Il m’a paru nécessaire de faire connaître
aux uns et aux autres ce que nous entendons faire de la Mauritanie pour
susciter leur compréhension, les intéresser à nos efforts et leur montrer la
part qu’ils peuvent y prendre.
C’est précisément
Atar que je choisis pour m’adresser à eux, parce que tout d’abord Atar, par sa
position géographique au nœud des routes qui mènent des rives de l’Atlantique
aux confins du Soudan, du Sud Marocain au Sénégal, est, par excellence, un lieu
de rencontre, de réunion et d’échange ; qu’il s’agisse de marchandises, de
troupeaux ou de nouvelles, c’est à Atar que se fait le relais. Ce Ksar où
cohabitent des éléments de toutes origines, venus de tous les horizons, est par
excellence un foyer de brassage d’idées et d’affaires, un foyer de rayonnement
commercial et intellectuel.
Si je choisis Atar,
c’est aussi parce que toute la
Mauritanie est actuellement tournée vers l’Adrar où vos
guerriers viennent d’affirmer et réaffirment demain encore s’il le faut, la
volonté de tous de défendre l’intégrité du sol mauritanien. Je renouvelle ici
le témoignage d’admiration et de reconnaissance de toute la Mauritanie pour tous
ceux, Mauritaniens, Français de la
Métropole ou des Territoires de l’A.O.F., qui ont si
vaillamment combattu pour la défense de notre liberté.
Population de
l’Adrar, avant-gardes vigilantes face à l’agresseur, vous constituez aussi nos
meilleurs ambassadeurs tant auprès de nos frères du Sahara espagnol que de nos
amis marocains ; voulant qu’ils m’entendent, je compte sur vous pour leur
transmettre aux uns et aux autres mon message et pour vous faire auprès d’eux
les avocats de la
Mauritanie nouvelle. Vous leur direz d’abord quels sont nos
espoirs et ce vers quoi tendent aujourd’hui tous nos efforts. Nous voulons construire,
avec l’aide de la France,
une communauté franco-mauritanienne basée sur l’égalité et la reconnaissance de
nos intérêts et de nos libertés réciproques. Le pas immense que nous venons de
franchir par l’application de la
Loi-Cadre, nous ouvre les perspectives les plus brillantes
sur un idéal de liberté et de prospérité que nul ne peut contester.
Demain nos efforts
conjugués avec ceux de la
France placeront la Mauritanie au rang des nations modernes. Demain
notre pays aura dans le monde la place qu’il mérite, celle d’un pays doté d’une
économie moderne et pourvu d’une élite capable de gérer sagement et démocratiquement
ses propres affaires, un pays qui, parce qu’il compte chez lui les plus
éminents docteurs de l’Islam, voit son autorité spirituelle universellement
reconnue. La Mauritanie
est en effet un pont naturel, un trait d’union entre le monde arabo-berbère
méditerranéen et le monde noir. La Mauritanie est, et doit demeurer le pays où la
culture musulmane traditionnelle et la culture occidentale se développent côte
à côte sans s’opposer mais bien au contraire en se complétant harmonieusement.
En un mot si nous
le voulons, avec l’aide d’Allah, la Mauritanie sera demain un carrefour où se
rencontreront et coexisteront pacifiquement les hommes de toutes origines, de
toutes civilisations et de toutes cultures.
A ces différentes
perspectives, il faut encore ajouter la vocation saharienne de la Mauritanie et c’est ici
que je m’adresse plus particulièrement à nos frères du Sahara espagnol.
Je ne peux m’empêcher
d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous portons les
mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes nobles
traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paître nos
troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot,
nous nous réclamons de cette même civilisation du désert dont nous sommes si
justement fiers.
Je convie donc nos
frères du Sahara espagnol à songer à cette grande Mauritanie économique et
spirituelle à laquelle nous ne pouvons pas ne pas penser dès maintenant. Je
leur adresse et je vous demande de le leur répéter, un message d’amitié, un
appel à la concorde de tous les Maures de l’Atlantique à l’Azaouad et du Draa
aux rives du Sénégal.
L’heure est passée
des rezzou et des luttes fratricides opposant les uns aux autres. J’engage nos
frères du Tiris, de l’Adrar Soutoff, du Zemmour, de la Séguia El Hamra, de
l’Imrikli, de la Gaad
et du Chebka, à se tourner ensemble vers un avenir commun, à partager avec nous
les heureuses perspectives que nous réservent l’exploitation des richesses de
notre sol et la mise en valeur de notre pays.
Ils bénéficierons
avec nous des moyens immenses mis à notre dispotision par l’O.C.R.S. à laquelle
la Mauritanie
est invitée à s’associer et dont le démarrage et le développement ne sauraient
nous laisser indifférents.
L’Adrar et le
Zemmour sont ouverts à leurs troupeaux, nos palmeraies les accueillent pour la
« guetna » ; ils peuvent y venir en sécurité, profiter de
l’hospitalité mauritanienne mais encore faut-il qu’eux aussi accueillent sans
réticence nos troupeaux et nos tentes, lorsque les nécessités du pâturage nous
amènent à nomadiser au-delà de cette limite artificielle qu’est une frontière
que nous voulons voir disparaître de nos cœurs avant qu’elle ne s’efface sur
les cartes.
D’aucun voudraient
que cette hospitalité fût à sens unique et que soit interdit le Sahara espagnol
aux Mauritaniens n’ayant pas fourni l’aide ou donné de gage au Djich Tharir.
D’aucuns même n’ont pas hésité à violer les lois sacrées de l’hospitalité
beïdane pour plaire aux ordres d’étrangers nouveaux venus au Sahara où ils
voudraient imposer leurs lois au nom d’une prétendue libération. Les Maures ont
toujours été des hommes libres. Jamais ils ne se sont laissés imposer leurs
chefs. Ils n’accepteront pas plus ceux-là qui sont aussi dépaysés dans notre
Sahara que nous le sommes nous-mêmes dans leurs bruyantes cités du nord ;
sans doute, sont-ils attirés chez nous par les richesses découvertes dans notre
sol, mais l’appât du gain ne saurait leur servir de titre de propriété et
encore moins leur conférer le droit au commandement ; si nous accueillons
tous ceux qui veulent travailler avec nous, nous ne voulons à aucun prix
recevoir l’ordre d’intrus venus pour nous dresser les uns contre les autres, se
prétendant en cela meilleurs musulmans que nous.
Ils appliquent la
formule « diviser pour régner » et cherchent à nous lancer dans une
lutte fratricide. Nous ne serons pas dupes. A ces Réguibats du Sahel et du
Charg, nomades de la Ségui
el Hamra et du Rio, Tekna Larroussyines, Oulad Tidrarine, Oulad Delim et Ahel
Cheikh Ma el Aïnin, nous disons : Soyons unis et ne nous laissons plus
divisés par des étrangers.
« Si deux
groupes de croyants se mettent à se faire la guerre, conciliez-les ; si
l’un de ces groupes cherche à opprimer l’autre, battez-vous contre lui jusqu’à
ce qu’il revienne à l’ordre de Dieu ».
Voilà, hommes de
l’Adrar, chers compatriotes et amis, le message de fraternité que je vous
demande de répéter dans tous les campements du Sahel. [3]
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