vendredi 23 mai 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publiée par Le Calame . 4 Juillet 2007



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1er Juillet 1957 & 3 Juillet 1975

La suite dans les idées ? ou la portée des faits



Le 3 Juillet 1975, devant la Cour internationale de justice, à La Haye, Moulaye El Hassen expose la thèse de la République Islamique de Mauritanie sur la partie de Sahara qu’administre toujours l’Espagne, il est assisté de Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, rédacteur du mémoire rédigé pour la Cour [1] et qui impressionne tellement le Doyen Vedel, conseiller du Maroc dans cette instance, que celui-ci fait renoncer à son client à certaines de ses prétentions.

Plaidant au minimum, la Mauritanie «  se félicite que le Maroc ne conteste pas que le sud du Sahara occidental fait partie des l’ensemble mauritanien ». L’expression est très heureuse car elle est réaliste et déplace la question du plan juridique à celui des constatations sur le terrain et selon les relations des populations les unes avec les autres, très antérieures aux théories contemporaines sur la souveraineté, trop dépendantes du concept de pouvoir central. « La référence à l’oued Seguya El Hamra ne saurait être interprétée comme une frontière, mais comme limite naturelle des zones de nomadisation des tribus relevant de l’ensemble mauritanien. ». « Le gouvernement mauritanien a accepté certes le principe de l’auto-détermination, mais il ne s’est jamais départi pour autant de sa position fondamentale, à savoir que le Sahara sous administration espagnole fait partie intégrante de la Mauritanie ».

Le même 3 Juillet 1975, l’Espagne rend publique son invitation au Maroc, à l’Algérie et à la Mauritanie d’une conférence quadripartite sur le Sahara.

Ce processus pacifique est à l’époque consensuel. L’ancienne métropole et les trois Etats du voisinage du territoire qu’elle administre paraissent – enfin – en bonne intelligence. Le sommet tripartite de Nouadhibou, le 14 Septembre 1970, réunissant autour de Moktar Ould Daddah, le roi Hassan II et Houari Boumedenne a permis « d’intensifier leur collaboration étroitepour hâter la décolonisation de cette région et ce conformément aux résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies ». Le président mauritanien a d’ailleurs, peu après, devant l’Assemblée générale de l’organisation mondiale, situé l’enjeu, non en termes nationalistes mais selon les nécessités de la paix générale : « le maintien des colonies en Afrique, la situation explosive au Moyen-Orient et dans le sud-est asiatique témoignent du manque total de volonté politique de notre organisation – dominée qu’elle est, reconnaissons-le, par les grandes puissances qui l’orientent insidieusement au gré de leurs intérêts ». Et patiente, la diplomatie mauritanienne parvient à « faire bouger les lignes ». Les 19 et 21 Avril 1971, le ministre des Affaires étrangères, Hamdi Ould Mouknass s’entretient avec Lopez Bravo, son homologue espagnol et est reçu par le général Franco, alors que sur place le gouverneur général déclare à l’ouverture de la nouvelle assemblée locale : « Il faut avoir présent que l’avenir du Sahara, nous devons le constituer avec l’effort de tous en agissant uniquement comme Sahariens, tous unis pour cette fin, sans prêter attention aux suggestions étrngères et sans permettre l’ingérence étrangère. Le Sahara sera ce que les Sahariens veulent en faire et pour cela, il savent qu’ils peuvent compter avec l’appui décidé de l’Espagne ». Ladite assemblée délibère sur l’instauration de cartes d’identité pour éviter l’immigration, la mesure décisive ne sera pas appliquée, mais elle finit par adopter (20 Février 1973) une résolution sur le « droit du terriutoire à l’exercice de son autodétermination quand il le demandera et sans influence étrangère », elle réclame surtout que s’ouvre « une période qui serve à préparer l’avenir ». Moktar Ould Daddah se trouve précisément en Algérie, lors de cette délibération à El Ayoun : « les deux parties réitèrent leur adhésion aux décisions tripartites de la rencontre historique de Nouadhibou et aux résolutions pertinentes de l’ONU, de l’OUA et des non-alignés. Elles ont décidé de continuer à apporter une attention constante à ce problème et de conjuguer leurs efforts afin de hâter la décolonisation de ce territoire et d’y faire prévaloir l’exercice du droit à l’autodétermination ». Le 7 Mars 1973, la Mauritanie rejette donc la proposition espagnole de referendum au Sahara comme « non-conforme aux résolutions pertinentes des Nations Unies ».

Le 12 Juillet 1974, l’Espagne accorde un statut d’autonomie interne au Sahara et accuse aux Nations Unies le Maroc de vouloir l’annexer purement et simplement, puis annonce le 22 Août un referendum : indépendance ou rattachement à un pays voisin.  Le 17 Septembre, Hassan II propose l’arbitrage de la Cour internationale de justice pour la récupération des deux présides espagnols : Ceuta et Melilla, il tient le gage que peut considérer Madrid, mais Moktar Ould Daddah en a un autre, résultat d’une politique étrangère de quinze ans : débutant, le même jour, son deuxième voyage officiel en République populaire de Chine, il porte à Pékin le litige et se fait distinguer de l’Algérie et du Maroc. Le 20 Septembre, la Djemaa repousse les propositions de Hassan II et demande « l’appui de l’Espagne jusqu’au moment où les Sahraouis se considèreront suffisamment préparés pour accéder à leur pleine indépendance ». Interrogé par Afrique-Asie, le 16 Novembre, Moktar Ould Daddah exclut tout affrontement entre le Maroc et la Mauritanie à propos du Sahara, confirme l’accord des deux pays pour consulter la Cour internationale de justice et maintient le principe d’autodétermination assorti d’un referendum souss le contrôle des Nations Unies. C’est ainsi que le 13 Décembre, sur proposition conjointe de la Mauritanie et du Maroc, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte par 88 voix et 43 abstentions, la résolution du comité de décolonisation en date du 11 : l’Espagne est priée d’ajourner le referendum qu’elle projetait et qui aurait entériné le partage hérité des deux colonisateurs, et la Cour internationale de justice de rendre un avis consultatif. Le territoire administré par l’Espagne était-il avant la colonisation en 1885 « territoire sans maître » ? et quels étaient alors, s’il y en avait, ses liens juridiques avec le Maroc et avec la Mauritanie ?

Il n’est alors question ni de partage – Moktar Ould Daddah en a écarté publiquement l’idée – ni a fortiori de guerre avec l’Algérie. Lors du 8ème sommet de la Ligue arabe, tenu à Rabat les 26 et 27 Octobre 1974, le président Boumedienne n’a-t-il pas déclaré devant tous ses pairs : « Je confirme que l’Algérie n’a aucune revendication sur le Sahara et que sa seule préoccupation reste l’entente entre le Maroc et la Mauritanie. Ils se sont mis d’accord sur la partie du Sahara qui doit revenir à chacun. J’ai été présent lors de cet accord ; je l’approuve de tout cœur et sans arrière-pensée » [2]. La réalité  est qu’à l’époque, le président mauritanien avait davantage à veiller du côté marocain, le roi Hassan II tentant continuellement d’obtenir, pour le compte du seul Maroc, un accord de l’Espagne, que du côté algérien dont il avait éprouvé la solidité à deux moments décisifs : l’introduction de la monnaie nationale et la nationalisation des mines de fer (MIFERMA).

La relation avec le Maroc est en effet inséparable de la continuité historique et sociologique de la Mauritanie anciennement d’administration française avec ce que l’Espagne occupe – longtemps à titre seulement nominal sous l’appellation de Rio de Oro, Ouad Dheheb, et de la Seguya El Hamra. Elle est même postérieure, logiquement et chronologiquement, à cette continuité territoriale, ethnique, commerciale et historique. Ce que reconnaissait Rabat, fondant jusqu’en 1969 sa pétition sur la possession espagnole en ce que celle-ci était partie intégrante de la Mauritanie de décolonisation française contestée.


Le 1er Juillet 1957, à pas six semaines de son investiture comme chef du gouvernement autonome institué par la loi-cadre française, Moktar Ould Daddah, à Atar, avait non seulement affirmé la personnalité mauritanienne face aux prétentions marocaines mais lancé un appel à tous les Maures au-delà des frontières du moment. Bien avant son indépendance, la Mauritanie dès qu’elle a pu s’exprimer officiellement, a donc caractérisé son ensemble.

Un lien de solidarité de plus en plus fort unit désormais tous les Mauritaniens conscients d’appartenir à une même communauté de l’Atlantique au Soudan.

Mais cette solidarité déborde nos frontières, elle englobe les populations Maures du Sahara Espagnol et des confins marocains. Il m’a paru nécessaire de faire connaître aux uns et aux autres ce que nous entendons faire de la Mauritanie pour susciter leur compréhension, les intéresser à nos efforts et leur montrer la part qu’ils peuvent y prendre.

C’est précisément Atar que je choisis pour m’adresser à eux, parce que tout d’abord Atar, par sa position géographique au nœud des routes qui mènent des rives de l’Atlantique aux confins du Soudan, du Sud Marocain au Sénégal, est, par excellence, un lieu de rencontre, de réunion et d’échange ; qu’il s’agisse de marchandises, de troupeaux ou de nouvelles, c’est à Atar que se fait le relais. Ce Ksar où cohabitent des éléments de toutes origines, venus de tous les horizons, est par excellence un foyer de brassage d’idées et d’affaires, un foyer de rayonnement commercial et intellectuel.

Si je choisis Atar, c’est aussi parce que toute la Mauritanie est actuellement tournée vers l’Adrar où vos guerriers viennent d’affirmer et réaffirment demain encore s’il le faut, la volonté de tous de défendre l’intégrité du sol mauritanien. Je renouvelle ici le témoignage d’admiration et de reconnaissance de toute la Mauritanie pour tous ceux, Mauritaniens, Français de la Métropole ou des Territoires de l’A.O.F., qui ont si vaillamment combattu pour la défense de notre liberté.

Population de l’Adrar, avant-gardes vigilantes face à l’agresseur, vous constituez aussi nos meilleurs ambassadeurs tant auprès de nos frères du Sahara espagnol que de nos amis marocains ; voulant qu’ils m’entendent, je compte sur vous pour leur transmettre aux uns et aux autres mon message et pour vous faire auprès d’eux les avocats de la Mauritanie nouvelle. Vous leur direz d’abord quels sont nos espoirs et ce vers quoi tendent aujourd’hui tous nos efforts. Nous voulons construire, avec l’aide de la France, une communauté franco-mauritanienne basée sur l’égalité et la reconnaissance de nos intérêts et de nos libertés réciproques. Le pas immense que nous venons de franchir par l’application de la Loi-Cadre, nous ouvre les perspectives les plus brillantes sur un idéal de liberté et de prospérité que nul ne peut contester.

Demain nos efforts conjugués avec ceux de la France placeront la Mauritanie au rang des nations modernes. Demain notre pays aura dans le monde la place qu’il mérite, celle d’un pays doté d’une économie moderne et pourvu d’une élite capable de gérer sagement et démocratiquement ses propres affaires, un pays qui, parce qu’il compte chez lui les plus éminents docteurs de l’Islam, voit son autorité spirituelle universellement reconnue. La Mauritanie est en effet un pont naturel, un trait d’union entre le monde arabo-berbère méditerranéen et le monde noir. La Mauritanie est, et doit demeurer le pays où la culture musulmane traditionnelle et la culture occidentale se développent côte à côte sans s’opposer mais bien au contraire en se complétant harmonieusement.

En un mot si nous le voulons, avec l’aide d’Allah, la Mauritanie sera demain un carrefour où se rencontreront et coexisteront pacifiquement les hommes de toutes origines, de toutes civilisations et de toutes cultures.

A ces différentes perspectives, il faut encore ajouter la vocation saharienne de la Mauritanie et c’est ici que je m’adresse plus particulièrement à nos frères du Sahara espagnol.

Je ne peux m’empêcher d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous portons les mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes nobles traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paître nos troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot, nous nous réclamons de cette même civilisation du désert dont nous sommes si justement fiers.

Je convie donc nos frères du Sahara espagnol à songer à cette grande Mauritanie économique et spirituelle à laquelle nous ne pouvons pas ne pas penser dès maintenant. Je leur adresse et je vous demande de le leur répéter, un message d’amitié, un appel à la concorde de tous les Maures de l’Atlantique à l’Azaouad et du Draa aux rives du Sénégal.

L’heure est passée des rezzou et des luttes fratricides opposant les uns aux autres. J’engage nos frères du Tiris, de l’Adrar Soutoff, du Zemmour, de la Séguia El Hamra, de l’Imrikli, de la Gaad et du Chebka, à se tourner ensemble vers un avenir commun, à partager avec nous les heureuses perspectives que nous réservent l’exploitation des richesses de notre sol et la mise en valeur de notre pays.

Ils bénéficierons avec nous des moyens immenses mis à notre dispotision par l’O.C.R.S. à laquelle la Mauritanie est invitée à s’associer et dont le démarrage et le développement ne sauraient nous laisser indifférents.

L’Adrar et le Zemmour sont ouverts à leurs troupeaux, nos palmeraies les accueillent pour la « guetna » ; ils peuvent y venir en sécurité, profiter de l’hospitalité mauritanienne mais encore faut-il qu’eux aussi accueillent sans réticence nos troupeaux et nos tentes, lorsque les nécessités du pâturage nous amènent à nomadiser au-delà de cette limite artificielle qu’est une frontière que nous voulons voir disparaître de nos cœurs avant qu’elle ne s’efface sur les cartes.

D’aucun voudraient que cette hospitalité fût à sens unique et que soit interdit le Sahara espagnol aux Mauritaniens n’ayant pas fourni l’aide ou donné de gage au Djich Tharir. D’aucuns même n’ont pas hésité à violer les lois sacrées de l’hospitalité beïdane pour plaire aux ordres d’étrangers nouveaux venus au Sahara où ils voudraient imposer leurs lois au nom d’une prétendue libération. Les Maures ont toujours été des hommes libres. Jamais ils ne se sont laissés imposer leurs chefs. Ils n’accepteront pas plus ceux-là qui sont aussi dépaysés dans notre Sahara que nous le sommes nous-mêmes dans leurs bruyantes cités du nord ; sans doute, sont-ils attirés chez nous par les richesses découvertes dans notre sol, mais l’appât du gain ne saurait leur servir de titre de propriété et encore moins leur conférer le droit au commandement ; si nous accueillons tous ceux qui veulent travailler avec nous, nous ne voulons à aucun prix recevoir l’ordre d’intrus venus pour nous dresser les uns contre les autres, se prétendant en cela meilleurs musulmans que nous.

Ils appliquent la formule « diviser pour régner » et cherchent à nous lancer dans une lutte fratricide. Nous ne serons pas dupes. A ces Réguibats du Sahel et du Charg, nomades de la Ségui el Hamra et du Rio, Tekna Larroussyines, Oulad Tidrarine, Oulad Delim et Ahel Cheikh Ma el Aïnin, nous disons : Soyons unis et ne nous laissons plus divisés par des étrangers.

« Si deux groupes de croyants se mettent à se faire la guerre, conciliez-les ; si l’un de ces groupes cherche à opprimer l’autre, battez-vous contre lui jusqu’à ce qu’il revienne à l’ordre de Dieu ».

Voilà, hommes de l’Adrar, chers compatriotes et amis, le message de fraternité que je vous demande de répéter dans tous les campements du Sahel. [3]






[1] - l’Exposé écrit de

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