mercredi 6 août 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà dans le Calame . 20 Juillet 2010




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26 Juillet 1960 & 17 Juillet 2001


la Mauritanie, en accord avec la France, arrête
la date de proclamation de son indépendance
&
le président Moktar Ould Daddah,
atterrissant à Nouakchott depuis Paris, met fin à son exil de vingt-trois ans






Le 26 Juillet 1960, le Premier ministre qui a quitté la veille Nouakchott pour Paris, est reçu par le général de Gaulle, à l'Elysée : il est convenu que la République islamique de Mauritanie proclamera son indépendance le 28 Novembre 1960 après qu'aient été transférées les compétences communes et négociés des accords de coopération (cf. Le Calame 28 Juillet 2009 . chronique traitant cet anniversaire de deux autres points de vue : politique intérieure et revendication marocaine). Selon un scenario alors convenu, le Premier ministre adresse, le lendemain, au Président de la République française et de la Communauté, une lettre confirmant la demande de " transfert des compétences de la Communauté à la République islamique de Mauritanie afin d'acquérir la souveraineté internationale " et confirmant l’intention de " négocier simultanément des accords qui permettent à la République islamique de Mauritanie de demeurer au sein de la Communauté rénovée ". Réponse, le même jour, du général de Gaulle, en tant que président de la Communauté qui "prend note de ces intentions" et transmet la demande de négociations au Premier ministre de la République française. Dans l’après-midi, entretien des deux Premiers ministres à l’hôtel de Matignon, Michel Debré et Moktar Ould Daddah pour organiser des " négociations simultanées sur le transfert des compétences et sur les rapports de la République islamique de Mauritanie et de la République française au sein de la Communauté ". En début de soirée, est publié par les deux parties, le communiqué officiel annonçant que la République islamique de Mauritanie proclamera son indépendance le 28 Novembre 1960. Et le 28, Michel Debré donne par écrit " l'accord du Gouvernement de la République française " et " propose la date du 10 Octobre pour le début des négociations ". Puis en compagnie du Premier ministre français et de Jean Foyer, secrétaire d’Etat à la Communauté, Moktar Ould Daddah s'envole pour Tananarive afin d'assister aux fêtes de l'indépendance malgache.

De fait, la plupart des anciens territoires d’Outre-mer français qui avaient opté pour le statut d’Etat membre de la Communauté – option aussi de l’assemblée mauritanienne, proclamant en même temps la République Islamique de Mauritanie (cf. Le Calame 2 Décembre 2008 . chronique anniversaire du 28 Novembre 1958) – sont en train d’accéder à l’indépendance. Le Cameroun inaugure la procession [1], la Mauritanie la fermera.

La démarche de Moktar Ould Daddah affecte autant la relation avec l’ancienne métropole qu’elle procède d’une mûe politique interne.

Dès le 28 Novembre 1959 – premier anniversaire de l’Etat mauritanien – le Premier ministre avait observé que que " le cadre politique est donc mis en place et l'unité mauritanienne suffisamment assurée (pour) brûler les étapes et acquérir demain cette indépendance, primordial et immédiat souci de tous les peuples d'Afrique ". Venu à Nouakchott, avant la tenue du Conseil exécutif de la Communauté à Saint-Louis-du-Sénégal, le général de Gaulle à Nouakchott avait admis que " dans les années à venir, dans le temps qui est devant nous, il est probable qu'il y aura beaucoup de changements dans les institutions, dans les rapports comme on dit, entre la France et la Mauritanie, mais je suis convaincu que ce qui demeurera c'est ce que l'on veut faire ensemble ". Il répondait à Moktar Ould Daddah l’assurant " qu'en tout état de cause, c'est dans l'amitié avec la République française et les autres Etats de la Communauté que la Mauritanie entend réaliser son destin ". L’homme du 18-Juin, devant l'Assemblée nationale, avait poursuivi :  " vous êtes responsables entièrement de ce qui va arriver, de vos propres concitoyens, … vous vous posez, je le sais, je le vois et je vous en approuve la question de vos responsabilités ". Le lendemain, la Fédération du Mali, c’est-à-dire ensemble le Sénégal et le Soudan d’obédience française, font connaître leur demande de transfert des compétences communautaires : c’est l’exercice de celles-ci qui constitue l’indépendance. Le 18 Madagascar fait la même demande. Toutes sont reçues par la France, mais les Etats de l’Entente qu’anime Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire, Niger, Dahomey et Haute Volta, ces deux derniers futurs Bénin et Burkina-Fasso) restent attentistes. Pas l’Association de la Jeunesse qui, tenant son 4ème congrès à Rosso du 26 au 29 Décembre, réclame l’indépendance totale.

C’est le vœu du Premier ministre et du parti gouvernemental. Autant la revendication marocaine sera décisive pour définir ultimement le processus de l’indépendance mauritanienne – c’est-à-dire sans conditions ni préalables, de manière à ce que la demande d’adhésion aux Nations Unies ne prête à aucun prétexte de refus –, autant l’initiation de la démarche dépend de celle du Mali. Le 21 Janvier 1960, le groupe parlementaire du Parti du regroupement mauritanien (né de la fusion, au congrès d’Aleg, des partis alors existants cf. Le Calame 20 Mai 2008 . chronique anniversaire des 2-5 Mai 1958), étudie " les conséquences que pourra entraîner pour la Mauritanie l'indépendance prochaine du Mali ".  Réuni du 16 au 18 Février suivants, le groupe parlementaire se substitue au bureau exécutif pour " achever l'organisation complète du Parti et insuffler au Parti de regroupement mauritanien une vigueur lui permettant de faire face aux tâches difficiles qui nous attendent ". Il constitue une " délégation du Parti auprès du Gouvernement pour donner avis sur les décisions administratives importantes … en attendant l'installation d'un bureau qui sera proposé au prochain congrès ". C’est une décision de salut public : il " décide de tout mettre en œuvre pour défendre ses limites actuelles du nord et du sud et l'intégrité de son territoire national, demande au gouvernement de châtier d'une façon exemplaire tout Mauritanien au service d'un Parti ou d'un Etat étrangers travaillant au démembrement de l'Etat mauritanien, invite le gouvernement de la RIM à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l'accession de la République islamique de Mauritanie à la souveraineté internationale par transfert des compétences au cours de l'année 1961 ".

Tandis qu’à Bangui, le 22 Février 1960, les quatre chefs de gouvernement de l'ex-Afrique équatoriale française conviennent de demander l'indépendance dans l'unité des quatre Etats et au sein de la Communauté, et que le 23, à Paris, le général de Gaulle reçoit les quatre chefs de gouvernement de l'Entente et que Diori Hamani, président du Conseil de l'Entente, s'entretient avec Léopold Sédar Senghor, Moktar Ould Daddah ne traite que de la viabilité de l’Etat mauritanien : il séjourne à Paris, lui aussi, et longuement, du 21 au 28 Février.  Il s'entretient avec le Général de Gaulle, le 24, avec le Premier Ministre français, et les ministres des Finances, des Affaires Etrangères et des Armées. Le transfert des compétences sera demandé ultérieurement. Sujet principal, les revendications sur la Mauritanie, les questions minières. Mais, ainsi assuré, le Premier ministre peut le 9 Mars 1960, dans un discours radiodiffusé, annoncer le cap qu’il fait suivre au pays : " à l'occasion du voyage que j'ai effectué la semaine dernière à Paris, j'ai transmis au Général de Gaulle, président de la République française et de la Communauté, la résolution du groupe parlementaire du P.R.M. invitant le Gouvernement que je préside de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l'accession du R.I.M. à la souveraineté internationale par le transfert des compétences au cours de l'année 1961. Je suis profondément heureux de vous annoncer aujourd'hui que le général de Gaulle a approuvé pleinement cette proposition ". Le 17 Mars, à Washington,  est signé le prêt de la Banque mondiale à MIFERMA, prêt garanti par la France et par la Mauritanie, ce qui équivaut à une " reconnaissance internationale, avant la lettre, du gouvernement de la République Islamique de Mauritanie ". Ouvrant la session ordinaire de l'Assemblée nationale, le 14 Mai, le Premier Ministre commente à nouveau l’événement  : le prêt de la B.I.R.D. " porte en premier lieu témoignage de la confiance des nations en l'avenir de la Mauritanie. Il lui apporte de surcroît une table partie de la base économique et financière indispensable pou rassurer la réalité de son indépendance... la République islamique de Mauritanie se trouve dès à présent en mesure d'assumer ses responsabilités d'Etat souverain ". Mais c’est aussi pour " constater çà et là chez certaines élites traditionnelles un manque d'enthousiasme pour l'évolution irréversible … déplorer qu'à l'inverse de ce qui se passe dans les Etats voisins, notre jeunesse ne soit pas tout entière groupée derrière son gouvernement ".

L’ensemble du processus porte la marque – non revendiquée – de Moktar Ould Daddah. Face aux menaces de démembrement, face à la dispersion des partis d’opposition, lesquels peuvent paraître représenter chacun une revendication étrangère, le Premier ministre ne concentre pas les pouvoirs, n’apparaît pas même en première ligne mais fait agir collectivement les personnalités en place, pratiquement l’ensemble de l’Assemblée nationale. Dans chacune des étapes décisives, Moktar Ould Daddah aura le même réflexe : c’est en groupe parlementaire que se débattront les issues à la crise de Janvier-Février 1966 et c’est au sein d’un bureau politique national de plus en plus élargi et où les élus, voire des membres de droit émanant d’institutions assez peu dans la mouvance du Parti (le patronat par exemple) que le Président cherchera à mobiliser le pays à partir d’Août 1975, puisque tout donnait alors à penser que le consensus était à nouveau réalisé. La participation et non la dictature. C’est à une conférence des cadres du Parti du regroupement mauritanien comprenant les membres du gouvernement, les députés et les secrétaires généraux des sections (réunie du 20 au 22 Juillet – formation qui sera aussi celle donnant lieu au congrès extraordinaire de Kaédi où sera débattu et adopté la pratique du gouvernement et de l’animation du pays à partir de 1964 cf. Le Calame 20 Janvier 2009 . chronique anniversaire du 23 Janvier 1964) que, formellement, le 22 Juillet, l'Assemblée nationale avait confié le soin d'adopter une résolution fixant la date de l'indépendance de la République islamique de Mauritanie. Aussitôt, le même jour, conférence des cadres et groupe parlementaire du PRM décident de la demande du transfert des compétences et de la négociation d'accords de coopération avec la France de telle sorte que l'indépendance soit proclamée le 28 Novembre 1960. Et c’est ainsi que s’était présenté Moktar Ould Daddah à de Gaulle le 26 Juillet 1960.

Le 16 Août, il estimera que " l'Assemblée Nationale s'est en effet prononcée d'ores et déjà sans équivoque en faveur de l'accession à l'indépendance par l'intermédiaire du groupe parlementaire du P.R.M. qui se compose uniquement de l'ensemble des députés ". En France, les formes ont été trouvées pour que l’indépendance ne dissolve pas la Communauté :  une loi du 4 Juin 1960 a révisé les articles 85 et 86 de la Constitution du 4 Octobre 1958, après une deuxième et dernière session du Sénat plurinational de la Communauté, du 30 Mai au 3 Juin.  De Gaulle y a déclaré que " la Communauté va prendre, de ce fait, une forme nouvelle. Je ne crois pas, cependant, que l'esprit, ni la valeur, de cette grande institution doivent s'en trouver altérés. Son principe est la coopération organisée entre Etats. Il en sera de même demain." [2]






Le 17 Juillet 2001, en début d’après-midi, par le courrier régulier d’Air France, le président Moktar Ould Daddah rentre au pays. Quinze mois après son renversement par les militaires, il l’avait quitté – évacué sanitaire – le 2 Octobre 1979 dans la soirée.

Le départ en France avait été difficile à organiser. A l’évidence mal portant depuis la fin de Décembre 1978, et selon le diagnostic des médecins chinois l’ayant examiné à l’hôpîtal de Kiffa [3], le Président ne peut être traité sur place. Débat en Comité militaire, sans décision. Sa libération souhaitée par Ahmed Ould Bouceif, éphémèrement au pouvoir, n’avait pas recueilli de majorité. Devenu Premier ministre, mais pas encore l’homme fort qu’il ne sera qu’à partir du 4 Janvier 1980, Mohamed Khouna Ould Haïdalla [4] s’était rendu du 18 au 20 Septembre 1979, en visite officielle à Paris. Contre une protection des frontières septentrionales que pouvait menacer le Maroc à la suite de l’accord de paix entre la Mauritanie et le Polisario, Valéry Giscard d’Estaing avait obtenu que le Père fondateur embarque à bord d’un avion gouvernemental français pour être examiné et traité en France. Seul tenu au courant dans le Comité, Ahmedou Ould Abdallah, le chef d’état-major national qui s’entretient avec le Président juste avant son envol. Gouvernement et Comité demanderont des explications et obtiendront que, pour la montre, l’illustre patient soit réclamé aux Français qui refuseront. Condamné, le 20 Novembre 1980, aux travaux forcés à perpétuité pour dilapidation des ressources nationales et infraction à la Constitution en menant la guerre au Sahara (cf. Le Calame 14 Novembre 2007 . chronique anniversaire), Moktar Ould Daddah avait été amnistié le 21 Décembre 1984 par le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya qui venait de prendre le pouvoir. Bénéficiaires de cette grâce « présidentielle » en même temps que lui, « toutes les personnes condamnées pour des raisons politiques se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur du pays » et notamment Mustapha Ould Mohamed Saleck, président de la première junte, celle de 1978, et Sid’Ahmed Ould Bneijara, le Premier ministre civil de Mohamed Khouna Ould Haïdalla, qui – lui – a été arrêté à sa descente d’avion le 13 Décembre, et sera maintenu quatre ans en détention (cf. Le Calame 12 Décembre 2007 . chronique anniversaire du 12-12). Les biens confisqués aux détenus politiques leur sont rendus… mais pas la maison que s’était fait construire, le couple présidentiel, sur prêt bancaire : elle a été affectée au colonel Mohamed Mahmoud Ould Louly, éphémère chef d’Etat de Juin 1979 à Janvier 1980, qui l’occupera une quinzaine d’années et les loyers ne seront régularisés qu’encore plus tard.

Le retour au pays du Président n’a fait l’objet d’aucune négociation. Une pétition circulait depuis quelques semaines, portant plus de dix mille signatures déjà et le président régnant avait fait savoir à l’exilé, le 1er Mars 2000, par son ambassadeur que ce retour était souhaité et serait facilité. Il ne l’a été – en fait – que par la remise en état sommaire de sa résidence privée. 

Au jour dit, qu’avait annoncé Azeddine Ould Daddah dès le 10, Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya est ostensiblement au Tagant. Les médias publics, la télévision notamment n’en ont que pour cette tournée. Du grand retour, des milliers de personnes devant l’aéroport, puis escortant – surtout des jeunes –, les voitures jusqu’à la maison avec enthousiasme et grand bruit…  il n’est rien rapporté. La chronique et les dépêches quotidiennes sont même suspendues, pour la date du 17 Juillet 2001, afin de ne rien écrire ni commenter. Le Calame comme toute la presse écrite indépendante, donne cependant la une à l’événement, le vrai, tandis que Mohamed Khouna Ould Haïdalla vient présenter regrets, excuses et hommages au président-fondateur, accompagné d’une magnifique chamelle : il s’y connaît.

Moktar Ould Daddah est donc revenu chez les siens juste à temps pour relire ses mémoires, les compléter en respirant de nouveau l’air natal. Dans la semaine de son retour, il choisit de passer une fin d’après-midi et une soirée à la badia. Ses anciens co-équipiers auront défilé, certains avec une très grande émotion, parfois pour demander quelque pardon. Les mémoires paraîtront juste le lendemain de la mort de leur auteur, soit le 16 Octobre 2003. Le président régnant, qui a failli être renversé avant l’été, est alors à la veille d’une réélection, programmée pour le 7 Novembre, que chacun sait d’avance frauduleuse. C’est à l’étranger qu’il vient, enfin, s’incliner quelques minutes devant celui dont il fut autrefois le très effacé aide-de-camp : au Val-de-Grâce de Paris, le 7 Septembre, avant de déjeuner le lendemain à l’Elysée avec Jacques Chirac. Regard inquiet et circulaire, constamment, dans l’hôpital-même. A la harangue du visiteur impromptu, Moktar Ould Daddah cligne seulement des yeux. Dieu seul sait le jugement ou le pardon qui sont les siens, à cet instant. Second et dernier moment, le 18 Octobre : le cercueil recouvert du drapeau national, peut-être cinq mille personnes alignées parallèlement dans l’enceinte de la plus ancienne des mosquées de la capitale, celle inaugurée le 3 Mai 1963, si belle et simple alors, analogue au Père de la nation. Qu’il est tardif l’hommage...

                              








[1] - le 1er Janvier 1960. Ce sont ensuite le Sénégal et le Soudan au sein de la Fédération du Mali, le 20 Juin selon un accord du 4 Avril – le 26 Juin, Madagascar – les Etats de l’Entente : le 1er Août, le Dahomey, le 3 le Niger, le 5 la Haute-Volta et le 7  la Côte d'Ivoire - le 11 Août, le Tchad, le 13 la République centrafricaine, le 15 le Congo-Brazzaville et le 17 le Gabon – le 30 Juin, le Congo belge est, lui aussi, indépendant




[2] - Moktar Ould Daddah expose ce cheminement dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français), pp. 201 à 207



[3] - du 11 au 24 Janvier puis du 5 Mai au 7 Juin 1979, c’est-à-dire pendant que la formation initiale du Comité militaire se disloque et qu’est écarté du pouvoir le lieutenant-colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck



[4] - il avait visité le Président les 13 Août et 1er Septembre 1978. Moktar Ould Daddah expose les circonstances de sa détention, puis de son évacuation, et la teneur de ces entretiens dans ses mémoires  op. cit. pp. 32 et suivantes
 

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