mercredi 6 août 2014

2008 ... note diffusée le 21 Août 2008




Le 21 Août 2008



Pour définir une position ferme et féconde
envers le régime putschiste de Mauritanie







Le 6 Août dernier, deux des principaux chefs militaires ont pris le pouvoir en Mauritanie. Ce putsch est le quatrième du genre depuis 1978, le troisième contre un régime constitutionnel. Au total depuis la mise en œuvre  de la loi Defferre organisant l’autonomie interne de nos territoires africains (Mai 1957), la Mauritanie, à quelques mois près, a davantage vêcu sous l’autorité des militaires que sous la présidence de civils. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, commandant alors la garde présidentielle, était l’un des deux principaux putschistes renversant le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya dont le régime apparemment de droit n’était que la prolongation, par une « démocratie de façade » et des élections notoirement truquées depuis Janvier 1992, d’une dictature personnelle établie par un putsch ayant renversé en Décembre 1984 un des putschistes de Juillet 1978.

Le prétexte est chaque fois de sauver le pays. L’énoncé depuis trente ans est celui d’une légitimité propre aux forces armées pour garantir l’unité et le salut du pays, mis en péril grave par la personnalité renversée. En réalité, en 2005 et en 2008, les putschistes sont passés à l’acte parce qu’ils allaient être relevés de leurs responsabilités.

La question pour la France et pour l’Union européenne est de savoir si ce nouveau coup – qui prétend « restaurer la démocratie » en éliminant le président de la République dans les quinze mois de son élection nationalement et internationalement reconnue – doit être admis formellement.

J’assure que non pour plusieurs raisons.


les putschistes sont en contradiction avec eux-mêmes puisque la période constitutionnelle à laquelle ils mettent fin ou dont ils décrètent au moins la suspension en prétendant exercer par eux-mêmes et collégialement les fonctions du président de la République, déposé en dehors de toutes les procédures prévues par une Constitution adoptée par referendum en Juillet 1991 et confirmée, après quelques modifications, en Juin 2006, a été voulue explicitement par eux, lors de leur putsch précédent (Août 2005).

Surtout, ce sont eux qui ont inspiré la candidature et sans doute contribué fortement à l’élection en Mars 2007 de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, contre l’opposant historique qu’est en Mauritanie depuis l’automne de 1991, Ahmed Ould Daddah, ancien ministre de son demi-frère, le président-fondateur Moktar Ould Daddah. Ce sont eux aussi qui avaient fait adopter – au cours de journées d’études tout à fait consensuelles et unanimitaires en Octobre 2005 – un calendrier faisant précéder l’élection présidentielle par les élections municipales et parlementaires : les militaires en fait ont inspiré des candidatures « indépendantes » formant la majorité du Parlement bicaméral.


le bilan, et l’autorité politique et morale, du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi sont sans doute très contestés ; je n’ai pas les éléments pour affirmer qu’ils sont effectivement contestables. Seule certitude, le pays ne semblait pas gouverné, la sécurité n’y était pas assuré ni pour les nationaux, ni pour les étrangers, quant à la situation économique et sociale elle est chroniquement catastrophique du fait de la corruption qui remonte au régime d’Ould Taya et qui n’a pas été éradiqué : au contraire, disent beaucoup de Mauritaniens. Mais des procédures constitutionnelles existent – de la censure des gouvernements qu’il nomme à la mise en accusation devant une Haute Cour de justice. Elles n’ont pas été suivies, et si elles le sont – à la faveur d’une session extraordinaire du Parlement ouverte hier soir – elles le seront de façon tronquée, c’est-à-dire contre le président de la République – emprisonné, et contre le président de l’Assemblée nationale – qui a, librement et clairement, argumenté l’inconstitutionnalité de cette session.


les soutiens affichés par les putschistes sont dans une forme encore plus conventionnelles qu’aux précédents renversements de cours. L’exposé des motifs de tous les ralliés est – à quelques nuances près – la redite annonée du discours du « chef de l’Etat » auto-proclamé. Ces nuances et surtout les décalages dans la chronologie des ralliements sont les seuls éléments factuels, permettant dans le système actuel des médias, de déceler les opposants. Ceux-ci n’ont de possibilité que de tarder.

La réalité est que toute personne au pouvoir est en Mauritanie acclamée tant qu’elle est sur le pavois. L’éducation à la démocratie élective – si elle peut convenir au pays – est encore à faire. Les indications données par « l’administration » pourvoyeuse de toutes grâces, depuis notre domination dite coloniale, font les victoires électorales. Rien n’est probant qu’une réelle et longue écoûte du pays. Elle ne jouait pas en faveur de Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui a profondément déçu, mais dont il est difficile de démêler si ses lacunes n’étaient pas causées par la tutelle dans laquelle il se trouvait vis-à-vis des militaires, anciens et futurs putchistes.


l’armée n’est certainement pas unanime et ses différents chefs – sauf purges à venir – ne sont pas tous à révérer l’actuel homme fort.


les sorties de crise ne sont pour le moment proposées par personne, y compris par le président de la République emprisonné et qui s’il a des propositions à faire, ne peut plus les faire. Sans doute, ce dernier en faisant obstruction à des votes de censure d’un Premier ministre, très proche de lui, et nommé en remplacement de celui que prisaient et lui avaient sans doute recommandé les militaires (Ould Zeïdane, arrivé troisième au premier tour de l’élection présidentielle) et en ne dissolvant pas l’Assemblée nationale, ne faisait pas preuve d’une grande habileté manœuvrière.

Une reconnaissance prématuré d’un fait accompli qui n’établit qu’une autorité nouvelle et qui rompt une chaine de légitimité, serait donc accepter l’inconnu à court terme. Elle découragerait les forces et les élites qui croient la démocratie constitutionnelle possible – même en Afrique…, même dans des conditions économiques et sociales très préoccupantes. Elle consoliderait surtout la pratique des militaires mauritaniens s’octroyant le droit de contrôler les élections, d’inspirer les candidatures et d’évaluer au jour le jour l’exercice du pouvoir par les élus, en les renversant quand cet exercice ne leur plaît pas, ou met en cause des positions qui leur sont personnelles.

La sortie de crise semble – certes – une élection présidentielle anticipée, dont se mêleraient « le moins possible » les militaires, dont aucun candidat potentiel ne serait a priori exclu. Mais cette élection ne peut s’ouvrir que si le poste est vacant. Il ne peut l’être que par démission – libre – du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ou par l’aboutissement d’une procédure de mise en accusation par le Parlement devant la Haute Cour.

Au moment de son élection, j’avais recommandé à Sidi Ould Cheikh Abdallahi que je connaissais depuis 1971 de s’entendre avec son compétiteur, Ahmed Ould Daddah, de grande autorité morale dans le pays et de prestige international certain, notamment dans les cercles économiques et financiers – au besoin en le nommant Premier ministre. Ce serait aujourd’hui – si le président de la République est remis en fonctions, le temps d’abdiquer ou de passer en Haute Cour – encore une solution.

Il est certain qu’Ahmed Ould Daddah, l’opposant historique – reconnu institutionnellement depuis l’élection de 2007 comme « le chef de file de l’opposition démocratique – n’aura pleine légitimité et autorité que s’il est élu à l’issue d’un processus régulier, et que si son élection est indépendante des militaires. Faute de quoi, la Mauritanie risquerait de demeurer sous surveillance de ses forces armées. Rien n’assure d’ailleurs que les militaires le feraient élire, une fois acquis son aval à leur manière de faire et d’être.

La France et l’Union européenne devraient donc favoriser un retour aux formes constitutionnelles. Ce qui passe par un effacement – au moins formel – du « chef de l’Etat » auto-proclamé même si de fait ce sont les militaires qui poussent à la démission du président de la République ou au moins consentent à la nomination d’un Premier ministre d’envergure reconnue, et surtout indépendant d’eux.                         

L’approche devrait donc viser plusieurs acteurs : le président de la République emprisonné : Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le président de l’Assemblée nationale : Messeoud Ould Boulkheir (chef de file particulièrement courageux du mouvement des anciens serviteurs et affranchios dont la situation reste complexe selon la société maure), le chef de l’opposition démocratique : Ahmed Ould Daddah. Et bien entendu, l’homme fort qui s’est arrogé le pouvoir. Lequel n’est en rien exercé collégialement.

En revanche, la solution ne peut être que collégiale, un jeu au moins à cinq./.

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