Le 21 Août 2008
Pour définir une position ferme et féconde
envers le régime putschiste
de Mauritanie
Le 6 Août dernier, deux des
principaux chefs militaires ont pris le pouvoir en Mauritanie. Ce putsch est le
quatrième du genre depuis 1978, le troisième contre un régime constitutionnel.
Au total depuis la mise en œuvre de la
loi Defferre organisant l’autonomie interne de nos territoires africains (Mai
1957), la Mauritanie,
à quelques mois près, a davantage vêcu sous l’autorité des militaires que sous
la présidence de civils. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, commandant alors
la garde présidentielle, était l’un des deux principaux putschistes renversant
le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya dont le régime apparemment de droit
n’était que la prolongation, par une « démocratie de façade » et des
élections notoirement truquées depuis Janvier 1992, d’une dictature personnelle
établie par un putsch ayant renversé en Décembre 1984 un des putschistes de
Juillet 1978.
Le prétexte est chaque fois de sauver le pays.
L’énoncé depuis trente ans est celui d’une légitimité propre aux forces armées
pour garantir l’unité et le salut du pays, mis en péril grave par la personnalité
renversée. En
réalité, en 2005 et en 2008, les putschistes sont passés à l’acte parce qu’ils
allaient être relevés de leurs responsabilités.
La question pour la France et pour l’Union
européenne est de savoir si ce nouveau coup – qui prétend « restaurer la
démocratie » en éliminant le président de la République dans les
quinze mois de son élection nationalement et internationalement reconnue – doit
être admis formellement.
J’assure que non pour
plusieurs raisons.
1°
les putschistes sont en
contradiction avec eux-mêmes puisque la période constitutionnelle à laquelle
ils mettent fin ou dont ils décrètent au moins la suspension en prétendant
exercer par eux-mêmes et collégialement les fonctions du président de la République, déposé en
dehors de toutes les procédures prévues par une Constitution adoptée par
referendum en Juillet 1991 et confirmée, après quelques modifications, en Juin 2006, a été voulue
explicitement par eux, lors de leur putsch précédent (Août 2005).
Surtout, ce sont eux qui ont
inspiré la candidature et sans doute contribué fortement à l’élection en Mars
2007 de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, contre l’opposant historique qu’est en
Mauritanie depuis l’automne de 1991, Ahmed Ould Daddah, ancien ministre de son
demi-frère, le président-fondateur Moktar Ould Daddah. Ce sont eux aussi qui
avaient fait adopter – au cours de journées d’études tout à fait consensuelles
et unanimitaires en Octobre 2005 – un calendrier faisant précéder l’élection
présidentielle par les élections municipales et parlementaires : les
militaires en fait ont inspiré des candidatures « indépendantes »
formant la majorité du Parlement bicaméral.
2°
le bilan, et l’autorité
politique et morale, du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi sont sans doute
très contestés ; je n’ai pas les éléments pour affirmer qu’ils sont
effectivement contestables. Seule certitude, le pays ne semblait pas gouverné,
la sécurité n’y était pas assuré ni pour les nationaux, ni pour les étrangers,
quant à la situation économique et sociale elle est chroniquement
catastrophique du fait de la corruption qui remonte au régime d’Ould Taya et
qui n’a pas été éradiqué : au contraire, disent beaucoup de Mauritaniens.
Mais des procédures constitutionnelles existent – de la censure des
gouvernements qu’il nomme à la mise en accusation devant une Haute Cour de
justice. Elles n’ont pas été suivies, et si elles le sont – à la faveur d’une
session extraordinaire du Parlement ouverte hier soir – elles le seront de
façon tronquée, c’est-à-dire contre le président de la République –
emprisonné, et contre le président de l’Assemblée nationale – qui a, librement
et clairement, argumenté l’inconstitutionnalité de cette session.
3°
les soutiens affichés par
les putschistes sont dans une forme encore plus conventionnelles qu’aux
précédents renversements de cours. L’exposé des motifs de tous les ralliés est
– à quelques nuances près – la redite annonée du discours du « chef de
l’Etat » auto-proclamé. Ces nuances et surtout les décalages dans la
chronologie des ralliements sont les seuls éléments factuels, permettant dans
le système actuel des médias, de déceler les opposants. Ceux-ci n’ont de
possibilité que de tarder.
La réalité est que toute
personne au pouvoir est en Mauritanie acclamée tant qu’elle est sur le pavois.
L’éducation à la démocratie élective – si elle peut convenir au pays – est
encore à faire. Les indications données par « l’administration »
pourvoyeuse de toutes grâces, depuis notre domination dite coloniale, font les
victoires électorales. Rien n’est probant qu’une réelle et longue écoûte
du pays. Elle ne jouait pas en faveur de Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui a
profondément déçu, mais dont il est difficile de démêler si ses lacunes
n’étaient pas causées par la tutelle dans laquelle il se trouvait vis-à-vis des
militaires, anciens et futurs putchistes.
4°
l’armée n’est certainement
pas unanime et ses différents chefs – sauf purges à venir – ne sont pas tous à
révérer l’actuel homme fort.
5°
les sorties de crise ne sont
pour le moment proposées par personne, y compris par le président de la République emprisonné
et qui s’il a des propositions à faire, ne peut plus les faire. Sans doute, ce
dernier en faisant obstruction à des votes de censure d’un Premier ministre,
très proche de lui, et nommé en remplacement de celui que prisaient et lui
avaient sans doute recommandé les militaires (Ould Zeïdane, arrivé troisième au
premier tour de l’élection présidentielle) et en ne dissolvant pas l’Assemblée
nationale, ne faisait pas preuve d’une grande habileté manœuvrière.
Une reconnaissance prématuré
d’un fait accompli qui n’établit qu’une autorité nouvelle et qui rompt une
chaine de légitimité, serait donc accepter l’inconnu à court terme. Elle découragerait les
forces et les élites qui croient la démocratie constitutionnelle possible –
même en Afrique…, même dans des conditions économiques et sociales très
préoccupantes. Elle consoliderait surtout la pratique des militaires
mauritaniens s’octroyant le droit de contrôler les élections, d’inspirer les
candidatures et d’évaluer au jour le jour l’exercice du pouvoir par les élus,
en les renversant quand cet exercice ne leur plaît pas, ou met en cause des
positions qui leur sont personnelles.
La sortie de crise semble – certes – une
élection présidentielle anticipée, dont se mêleraient « le moins
possible » les militaires, dont aucun candidat potentiel ne serait a
priori exclu. Mais cette élection ne peut s’ouvrir que si le poste est vacant.
Il ne peut l’être que par démission – libre – du président Sidi Ould Cheikh
Abdallahi ou par l’aboutissement d’une procédure de mise en accusation par le
Parlement devant la Haute
Cour.
Au moment de son élection,
j’avais recommandé à Sidi Ould Cheikh Abdallahi que je connaissais depuis 1971
de s’entendre avec son compétiteur, Ahmed Ould Daddah, de grande autorité
morale dans le pays et de prestige international certain, notamment dans les
cercles économiques et financiers – au besoin en le nommant Premier ministre.
Ce serait aujourd’hui – si le président de la République est remis en
fonctions, le temps d’abdiquer ou de passer en Haute Cour – encore une
solution.
Il est certain qu’Ahmed Ould
Daddah, l’opposant historique – reconnu institutionnellement depuis l’élection
de 2007 comme « le chef de file de l’opposition démocratique – n’aura
pleine légitimité et autorité que s’il est élu à l’issue d’un processus
régulier, et que si son élection est indépendante des militaires. Faute de
quoi, la Mauritanie
risquerait de demeurer sous surveillance de ses forces armées. Rien n’assure
d’ailleurs que les militaires le feraient élire, une fois acquis son aval à
leur manière de faire et d’être.
La France et l’Union européenne devraient donc favoriser un
retour aux formes constitutionnelles. Ce qui passe par un effacement – au moins
formel – du « chef de l’Etat » auto-proclamé même si de fait ce sont
les militaires qui poussent à la démission du président de la République ou au moins
consentent à la nomination d’un Premier ministre d’envergure reconnue, et
surtout indépendant d’eux.
L’approche devrait donc
viser plusieurs acteurs : le président de la République
emprisonné : Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le président de l’Assemblée
nationale : Messeoud Ould Boulkheir (chef de file particulièrement
courageux du mouvement des anciens serviteurs et affranchios dont la situation
reste complexe selon la société maure), le chef de l’opposition
démocratique : Ahmed Ould Daddah. Et bien entendu, l’homme fort qui s’est
arrogé le pouvoir. Lequel n’est en rien exercé collégialement.
En revanche, la solution ne
peut être que collégiale, un jeu au moins à cinq./.
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