jeudi 7 août 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié dans le Calame . 3 Août 2010



71 .



5 Août 1967 & 5 Août 1979


d’anciens ministres du président Moktar Ould Daddah
apportent « leur plein et entier soutien »
à Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, détenu
&
à Alger, la République Islamique de Mauritanie
signe un accord avec le Front Polisario



Le 5 Août 1967, commence de circuler à Nouakchott un tract signé de huit hauts-fonctionnaires, dont trois anciens ministres, et non des moindres : Mohamed Ould Cheikh [1], Yahya Ould Menkouss [2] et Elimane Mamadou Kane [3]. Ceux-ci protestent « contre l’utilisation de l’appareil judiciaire à des fins politiques » et apportent « leur plein et entier soutien à Ahmed Baba Ould Ahmed Miske ». La veille, l’influent quotidien français, Le Monde, avait fait état d’un comité de soutien à Ahmed Baba Ould Ahmed Miske dont feraient partie certains responsables mauritaniens : Hamdy Ould Mouknass, Haïba Ould Hamody, un ancien président de l’Assemblée et le secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères. Le 9 Août, Sidi Mohamed Diagana, expédiant les affaires courantes pendant l’absence du Président de la République, prend des sanctions contre les signataires du tract. Mohamed Ould Cheikh est suspendu de ses fonctions, Elimane Kane révoqué et Yahya Ould Menkouss suspendu. Le 13, le journal du parti unique de l’Etat, Le Peuple publie des lettres de Hamdi Ould Mouknass, alors haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports et de Haïba Ould Hamody, maire d’Atar et constamment réélu au Bureau politique depuis le congrès fondateur de 1961 ; ils protestent auprès du journal Le Monde, pour avoir été cités comme faisant partie du comité de soutien et déclarent partager la responsabilité de l’arrestation et de l’emprisonnement d’Ahmed Ould Baba Miske.



Ahmed Baba Ould Ahmed Miske a été pendant deux ans – Mars 1964 à Mars 1966 – l’ambassadeur de la République Islamique de Mauritanie à Washington et son représentant permanent auprès des Nations Unies, à New-York. Il présente ses lettres de créance au président Lyndon B. Johnson, le 6 Mai 1964, et s’introduit tellement au Département d’Etat qu’il en obtient la résidence à Nouakchott de l’ambassadeur américain – première des grandes puissances autres que la métropole et l’Espagne à le faire… et, ce qui n’est pas accessoire, la venue du secrétaire d’Etat pour toute une soirée à la représentation mauritanienne…  la Mauritanie lui doit son installation dans les cercles diplomatiques décisifs de Washington et de New-York. Au dîner diplomatique d’Octobre 1965, le ministre des Affaires étrangères et la délégation mauritanienne reçoivent deux Premiers ministres, plusieurs ministres des Affaires étrangères, une quinzaine d’ambassadeurs. En Mars 1966, le secrétaire général des Nations Unies, U Thant, déjeune à la table de l’ambassadeur, entouré des représentants des pays les plus influents. A propos de la crise financière de l’Organisation mondiale, il avait, le 18 Février 1965, assuré que « nous ne voulons confier ni à cinq ni à deux grandes puissances le soin de décider en dehors de nious, de notre destin à tous ».

Considéré par Jean-François Deniau, alors ambassadeur de France à Nouakchott, comme « certainement le diplomate mauritanien le plus écouté dans sa capitale », Ahmed Baba Ould Ahmed Miske obtient ainsi pour son pays des succès incontestables [1]. « En Octobre 1964, échec de la délégation marocaine qui n’a pu obtenir une résolution favorable à sa cause devant le Comité des 24, malgré une « conclusion » où cet organisme lui donnait pratiquement gain de cause en 1963. Election de la Mauritanie au Comité des 33 (maintien de la paix), malgré une vigoureuse campagne marocaine (ce fait n’avait pas de rapport direct avec le problème du Sahara, mais a renforcé notre position à l’ONU : c’était le premier organisme important auquel la Mauritanie était élue). Renforcement de la présence de la Mission mauritanienne et établissement de nombreux contacts et liens avec les délégations, le Secrétariat et la presse internationale. Succès remporté au cours de la discussion durant la 20° session : le débat s’est terminé nettement à notre avantage. Articles favorables à notre cause parus (pour la première fois) dans la presse internationale (correspondants auprès de l’ONU du Christian Science Monitor, de Jeune Afrique, du New York Times, dépêches de UPI, etc…). Certes le Maroc peut considérer comme un succès d’avoir contribué à nous barrer la route du Conseil de sécurité [2]. Mais, outre le fait que nous avons, en nous retirant, renforcé notre position africaine, la campagne menée nous a permis d’établir des contacts nombreux et utiles, qui demeurent. De plus, nous restons très bien placés dans la course pour 1967. L’opinion « onusienne » était si bien conditionnée par la propagande marocaine que l’on pensait automatiquement Maroc lorsqu’il était question du ‘Sahara espagnol’. Il n’en est plus ainsi maintenant… ».


[1] - lettre du 15 Mars 1966 par laquelle, en fin de mission, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske rend compte à Nouakchott

[2] - candidate au siège annuel de l’Afrique au Conseil de sécurité, la Mauritanie retire sa candidature le 1er Décembre


Commentateur érudit du fameux Al Wasit, Ahmed Baba a, depuis son enfance, la pénétration du sujet. Sa tribu nomadise des deux côtés de l’ancienne frontière franco-espagnole. S’il est militant et ambassadeur du Front Polisario quinze ans plus tard, c’est simplement parce qu’il milite d’une autre manière pour la même cause : l’unification de l’ensemble mauritanien. Le 28 Mars 1967, sans affectation depuis près d’un an, il publie dans Le Monde un article remarqué : le Maroc doit renoncer à la force dans ses revendications territoriales et l’avenir de ses relations avec l’Algérie dépend d’une normalisation de son rapport à la République Islamique de Mauritanie.

Le 14 Avril 1966, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske est autorisé à regagner Nouakchott : il est remplacé aux Nations Unies et à Washington par le demi-frère du Président de la République, Abdallahi Ould Daddah, arrivant de l’ambassade de Paris et peu enclin à ménager la mémoire de son prédécesseur. Le 20, il rend publique sa décision de démissionner de ses fonctions diplomatiques « pour raisons personnelles ». C’est le 6 Juillet qu’il doit répondre de la gestion financière de son poste en Amérique.

Bien plus que d’avoir été l’efficace représentant de son pays à New-York et d’avoir introduit la Mauritanie dans les débats sur le Sahara alors dit espagnol, Ahmed Baba est surtout le premier secrétaire général de l’Association de la Jeunesse mauritanienne (A.J.M.) que de jeunes dissidents de l’U.P.M. fondent à Rosso le 24 Novembre 1955 pour soutenir une candidature autre que celle de Sidi El Moktar N’Diaye, député sortant, soutenu par l’administration coloniale. Le candidat de la Jeunesse, Mohamed Ould Jiddou, conseiller territorial, rejoint un temps Horma Ould Babana au Maroc. C’est à cette époque que se noue l’amitié entre quelques-uns des cadres les plus déterminés de l’indépendantisme mauritanien : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Bamba Ould Yezid, Yahya Ould Menkouss, Mohamed Ould Cheikh en sont, Ahmed Bazeid, un temps aussi. Les chemins divergeront quand pour certains l’opposition à la France, dont la volonté de décolonisation peut paraître suspecte, doit se faire sous la forme d’un parti, tandis que d‘autres se convainquent que la réponse efficace est de faire un Etat et d’en obtenir l’indépendance. Au deuxième congrès, tenu de nouveau à Rosso du 15 au 17 Juillet 1957, c’est Mohamed Ould Cheikh, qui est élu secrétaire général : Ahmed Baba lui a passé la main peu auparavant et s’efface provisoirement tandis que son frère Ahmed Bazeid, d’abord trésorier, participe à la commission de presse. En congrès extraordinaire, toujours à Rosso, les 25 et 26 Décembre 1957, l’Association rejette toute idée de fusion avec tout parti politique : Ahmed Bazeid devient secrétaire général, après un bref intérim d’Abdallahi Ould Cheikh et Ahmed Baba se charge – c’est un talent incontesté depuis maintenant plus de cinquante ans – du journal [1]. Au troisième congrès, tenu cette fois à Nouakchott du 17 au 19 Juillet 1958, l’A.J.M. réaffirme son apolitisme mais laissent ceux de ses membres qui veulent créer un parti, libres de le faire. Ahmed Baba, alors secrétaire arabe du haut comité d’action (le bureau), ne s’en prive pas, la Nahda se constitue à Kaédi : le congrès tenu les 25 et 26 Août 1958 porte au bureau exécutif notamment Bouyagui Ould Abidine (président), Ahmed Baba Ould Ahmed Miske (secrétaire général), Yahya Ould Menkouss, Bamba Ould Yezid, Heïba Ould Hamody. Quand se tient toute l’année 1961 la « table ronde » des partis et tendances politiques, aboutissant à l’investiture consensuelle de Moktar Ould Daddah, candidat unique pour la présidence, et surtout à la fusion produisant – au Congrès de l’Unité, le 25 Décembre 1961 – le Parti du Peuple, futur parti unique de l’Etat, ce sont les dirigeants de la Nahda, eux-mêmes issus des premières directions de l’A.J.M. qui sont les plus déterminés, qui soutiennent le plus efficacement Moktar Ould Daddah et proposent un corps de doctrine. Ce sont eux qui forment l’ossature des gouvernements successifs jusqu’en Février 1966, et c’est l’A.J.M. en tant que telle qui adresse au congrès de Kaédi un message recommandant aux congressistes l’unité, un meilleur encadrement des masses et la prédominance absolue du Parti.

Vis-à-vis de Moktar Ould Daddah, Ahmed Baba et Mohamed Ould Cheikh sont dans une relation très différente jusqu’en 1966. Le premier l’a connu dès l’adolescence, puisque le futur président était reçu à Atar par le « vieux Bazeid », père d’Ahmed Baba et d’Ahmed Bazeïd [2] et c’est avec celui-ci que Moktar délibère aussi bien en 1946 une éventuelle candidature à la députation qu’en 1954 une candidature à l’Assemblée de l’Union française. Il regarde le Président comme le fruit d’un choix français et lui prête la crainte que le parti lui échappe si lui s’en occupe vraiment : il a, il est vrai, l’excellente référence de la Nahda tandis que la parti gouvernemental précédent a si peu prospéré que le groupe parlementaire a dû se substituer à son bureau exécutif. Après s’être beaucoup investi pendant l’année 1962 – notamment en organisant la permanence du Parti puis son groupe parlementaire initialement présidé par un autre ancien de la Nahda Sid’Ahmed Lehbib – , il est donc démissionnaire de fait mais réélu pourtant au Bureau politique par le congrès de Mars 1963, auquel il n’assiste d’ailleurs pas plus de Mohamed Ould Cheikh, fatigué. Il opte en fait aussitôt pour l’ambassade en Abidjan qui dessert aussi Conakry[3], d’où il sera nommé, dès Décembre 1963, à Washington [4]. Mohamed Ould Cheikh, secrétaire permanent de la « table ronde » dans le dernier trimestre de 1961, au contraire, est l’homme du Président. Il n’y a pas de rupture entre Ahmed Baba et ce dernier, parce qu’il n’y a jamais eu de véritable amitié personnelle ou politique, tandis que de son éviction du gouvernement, vêcue comme une cassure intime d’une relation de travail et d’une communion de pensée et d’ambition pour le pays, Mohamed Ould Cheikh, ne se remettra jamais, mais il a été l’homme du « parler vrai » [5]. La France a contribué à l’image de l’un et de l’autre. Elle a intérêt à faire passer la Nahda, parti d’opposition indépendantiste, pour pro-marocaine et elle présente ensuite le système du parti unique de l’Etat, voire l’équipe gouvernementale qui reconnaît Pékin et quitte l’O.C.A.M. comme  inspirée par l’esprit de cet ancien parti de la jeunesse nationaliste [6]. Jean-François Deniau, alors l’ambassadeur, analyse aussi la montée en puissance – et peut-être en projets d’avenir – de Mohamed Ould Cheikh [7]. Ainsi, une « affaire » de gestion d’une ambassade peut devenir la contestation de l’ensemble d’un régime dont le dessein politique initial doit beaucoup à ceux qui le contestent après en avoir été écartés.

Sans doute est-ce la fin d’une première époque de la fondation mauritanienne moderne. Le débat sur le régime constitutionnel – tranché par le vote du 20 Mai 1961 d’une Constitution présidentielle – et sur la place et le rôle d’un ou plusieurs partis – tranché par le congrès de Kaédi tenu du 25 au 31 Janvier 1964 sous la présidence d’un secrétaire général pourtant mis en minorité le 4 Octobre précédent, et par la révision constitutionnelle du 12 Janvier 1965, aurait pu opposer sévèrement plusieurs des grands acteurs mauritaniens de la fin de l’administration française au nouveau-venu que fut en 1957 Moktar Ould Daddah. Malgré des velléités d’opposition soit par la présidence de l’Assemblée nationale soit par la fondation de partis autres que celui du gouvernement, Sidi El Moktar N’Diaye et Souleymane Ould Cheikh Sidya se réconcilièrent finalement avec le Président, Bouyagui Ould Abidine cessa de faire parler de lui et de susciter des foules. Mais Mohamed Ould Cheikh et Ahmed Baba Ould Ahmed Miske représentèrent de 1958 à 1966 une alternative idéologique, une conception du Parti, discutée à Kaédi, mais pas adoptée, celle d’un parti de cadres.

Un autre ancien de l’A.J.M.. et de la Nahda, qui a été ministre des Finances du 18 Janvier 1965 au 21 Février 1966, est lui aussi sur la sellette : Bamba Ould Yezid, commandant le cercle du Hodh occidental est, pour un an, exclu le 18 Août 1996 du Parti « pour indiscipline et négligence caractérisées », et le lendemain relevé de ses fonctions. Yahya Ould Menkouss, ambassadeur à Paris, est remis à la disposition du ministre de l’Intérieur, le 1er Avril 1967. En fait, l’ambiance à Nouakchott est devenue délétère : le Bureau politique réuni du 16 au 18 Mai 1967 « arrête des mesures propres à neurtraliser toutes activités subversives d’où qu’elles viennent et sous quelques formes que ce soient ». Le 1er Juin, le Président reçoit longuement Ahmed Baba qui doit répondre de sa gestion à la représentation permanente aux Nations Unies. Ce dernier est arrêté le 16 Juin. Sans qu’il y ait eu vraiment procès [8], il sera mis en liberté provisoire le 28 Septembre et partira s’établir en France.

Révoqué le 21 Février 1968 – sinistre anniversaire de son départ du gouvernement deux ans auparavant – le solitaire de Dar El Barka ne réclamera jamais rien et ne profitera pas de la réintégration offerte le 3 Février 1972 à tous les fonctionnaires poursuivis de 1968 à 1972. Son prestige demeuré intact en 1978, au sein des forces armées qu’il avait créées, fait rêver d’une autre issue, alors tant pour la guerre au Sahara que pour le maintien d’une légitimité certaine du pouvoir. Au contraire, Bamba Ould Yezid sera membre du Conseil constitutionnel et Ahmed Baba Ould Ahmed Miske figurera à l’organigramme de la présidence de la République au début du mandat de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Et Yahya Ould Menkouss sera le directeur de la sûreté nationale des premiers putschistes pour instruire le procès par contumace de Moktar Ould Daddah en interrogeant notamment Abdoul Aziz Sall et Sidi Ould Cheikh Abdallahi…

Mais le débat de 1967 était encore un débat de personnes et d’individualités. A partir de 1969, les scissions syndicales constitueront la partie apparente de débats de fond, dont le régime du parti unique de l’Etat n’est qu’un des thèmes. Des partis et mouvements apparaîtront – forcément clandestins – dès 1973 [9]. La première génération s’étant accordée sur le parti unique quoiqu’elle provînt, majoritairement en conception du pouvoir et en personnalités, de mouvements d’opposition aux gouvernements issus de la période française, ne pouvait contester le pouvoir qu’elle avait établie que sur son bilan ou sur le traitement fait aux siens : elle ne continuait pas une ligne politique antérieure. La seconde génération du débat politique oblige les personnalités quelles qu’elles soient – et qu’elles se trouvent dans l’opposition ou au pouvoir – doivent fonder un parti ou en disposer. Les mises en cause individuelles – et les atteintes aux libertés – appellent les partis  à prendre position : on l’a vu quand l’ancien Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghef a été à plusieurs reprises arrêté, apparemment pour des gestions antérieures à l’eexercice de hautes fonctions gouvernementales. Dans les années 1960, au contraire, les questions de personnes n’appellent que des prises de position personnelles.




Le 5 Août 1979, à Alger, le lieutenant-colonel Ahmed Salem Ould Sidi, pour la République Islamique de Mauritanie, et Bachir Mustapha Sayed, pour la « République arabe sahraouie démocratique », signent un accord de paix. Il est – sauf son fait – secret de texte. Il ne prévoit pas formellement la cession de la Tiris El Gharbia dont la Mauritanie conserve la responsabilité et l’administration pendant encore six mois, mais une formule de rétrocession par les Nations Unies. Ahmed Ould Abdallah, chef de l’état-major national, a secondé dans la négociation le vice-président du Comité militaire de salut national. Il déclare le 8, que « l’existence de la Mauritanie en tant qu’Etat libre et indépendant, serait menacée si elle ne sortait pas d’une guerre impopulaire ». C’est ce qu’avait soutenu le 2, le lieutenant-colonel Mahmoud Ould Houssein, ministre de l’Information : « s’il avait été consulté, le peuple mauritanien n’aurait jamais accepté de consentir tant de sacrifices pour un morceau de désert qu’il ne revendique pas ». De fait, le 7 Août, le Comité militaire entérine l’accord d’Alger, soutenu par une motion signée de quatre cent cadres qui l’approuve.

Le 2 Août, Ahmedou Ould Abdallah, alors ministre des Affaires étrangères, avait remis un message du Premier ministre, le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla au président français, Valéry Giscard d’Estaing et s’était entretenu avec son homologue à Paris, Jean François-Poncet. Mais le 3, en conférence religieuse à la mosquée de Mechouar, le roi Hassan II avait rappelé les accords mauritano-marocains en matière de frontières, le 14 Avril 1976, et de solidarité militaire, le 13 Mai 1977. C’est le thème des entretiens, à Rabat, entre le Roi et le Premier ministre : « le Maroc et la Mauritanie s’engagent à ne rien faire qui puisse porter atteinte à la sécurité réciproque de leurs deux pays. » Soit !         

La réalité est bien plus complexe.

D’abord dans les intentions des militaires qui n’ont pas pris pour motif principal du renversement de Moktar Ould Daddah, de mettre fin à la guerre du Sahara, au contraire. Naturellement, ils se sont satisfaits de l’attentisme bienveillant du Front Polisario, publié le , mais Mustapha Ould Mohamed Saleck a limogé dans les trois mois du coup ceux – du clan – qui voulait liquider la 13ème région. Ahmed Ould Bouceif a, d’entrée de jeu, signifié que la question du Sahara mauritanien et de la guerre ne pourrait trouver sa solution que dans un règlement d’ensemble. Son successeur, comme Premier ministre, Mohamed Khouna Ould Haïdalla qui ne devient président du Comité militaire qu’à la suite d’une longue session du 4 au 10 Janvier 1980, est pris – à propos du Sahara – dans un engrenage comme il le sera, pour l’ensemble de sa période d’ « homme fort ».

A peine a-t-il formé son gouvernement le 3 Juin 1979 – le lendemain des funérailles d’Ahmed Ould Bouceïf, en même temps que le lieutenant-colonel Mohamed Ould Louly prend la place de Mustapha Ould Mohamed Saleck comme « chef de l’Etat » –, qu’il est approché par les Sahraouis – en fait par Ahmed Baba Ould Ahmed Miske. Rencontre directe ou avec témoins ? entre le Mauritanien et le Front Polisario ? Les hésitations à Nouakchott sont interprétées à Tindouf d’une manière telle que le 12 Juillet 1979, le Front rompt unilatéralement le cessez-le-feu qu’il avait instauré, unilatéralement aussi, depuis douze mois juste : il attaque la garnison de Tichla et fait des prisonniers. La négociation change d’enjeu, les prisonniers ou les conversations. Au sommet de l’O.U.A. à Monrovia, dont le principal point à l’ordre du jour est le Sahara,  l’Algérie, comme convenu, s’entremet tandis qu’Ahmed Baba s’efface – il reviendra à Nouakchott l’année suivant convaincu d’être nommé Premier ministre dans un jeu où Sid’Ahmed Bneijara le doublera. Le rendez-vous d’Alger est donc convenu à Monrovia de la façon la plus floue[10]. De même, l’entretien de Rabat, cinq jours après la signature d’Alger, n’est pas aussi conclusif que le communiqué veut le faire entendre puisque dès le 11 Août, une colonne du Front Polisario – forte selon les Sahraouis de trois mille hommes – se concentre et attaque à Bir Anzaram, près de la fronitère mauritanienen. Aussitôt, le Maroc prend le contrôle de la zone mauritanienen et occupe par la force Dakhla. Vainement, dans la soirée, la Mauritanie des militaires demande le retrait marocain de la Tiris El Gharbia et croit riposter en demandant au Maroc de retirer ses troupes de Mauritanie-même. Le 14, est publiée la reprise des relations diplomatiques avec l’Algérie et le lendemain la Mauritanie se retire de ce qu’elle avait obtenu lors du traité de Madrid, près de quatre ans plus tôt : elle prétend le faire à la suite de « l’agression » du Maroc contre son administration provisoire à Dakhla. Contre le coup de force marocain et sans pouvoir s’appuyer sur une résistance de ses propres troupes ou quelque conduite ne donnant pas prise à la propagande de Rabat, le Premier ministre mauritanien proteste. Mais l’essentiel – pour lui et pour l’avenir de la diplomatie mauritanienne à propos du Sahara – est qu’il déclare qu’il « ne lui est plus possible de mettre en œuvre les engagements souscrits concernant ce territoire ». Le Front Polisario a beau jeu de critiquer la passivité mauritanienne devant l’occupation par le Maroc de la totalité de l’ancienne possession espagnole. Il communique, le 16 Août que « la Mauritanie par l’empressement qu’elle montre est en train d’effectuer une opération qui relève de la confusion » tandis que le roi Hassan II raille « la débandade politique des responsables de Nouakchott ».

Les épilogues – tous tristes – sont multiples.

La Mauritanie doit d’abord expliquer à ses divers partenaires qu’elle n’est pas un « Etat-girouette ». Elle dénonce pourtant l’accord de défense avec le Maroc et à Nouakchott l’on manifeste contre « les appétits expansionnistes » de Rabat d’autant que si les troupes royales évacuent la Mauritanie, elles demeurent, au nombre de mille hommes à Bir Oum Ghrein tant que La Guerra n’aura pas été abandonnée. Les Nations Unies sont saisies, le retrait de la Guerra est en principe accepté à Nouakchott mais quand la paix revenue au Sahara il y aura à qui rétrocéder la bourgade qui fauit banlieue de la capitale économique – alors – de la Mauritanie. Le 26 Décembre 1979, enfin, le Maroc évacue Bir Oum Ghrein. Mais les années suivantes sont marquées par la menace constante que Rabat exerce le droit de suite, en territoire mauritanien au prétexte que le Polisario le traverse constamment ou y aurait même des bases.

Aussi bien le Premier ministre que le signataire de l’accord d’Alger regrettent ce qu’ils ont fait, et s’estiment trompés par l’ensemble des protagonistes algériens, marocains et sahraouis. Mohamed Khouna Ould Haïdalla est désormais en minorité au sein du Comité militaire aussi bien quand il s’agit – à l’instigation du colonel Khadafi, les 20 et 21 Avril 1981 – de tenter une union avec la République sahraouie doublée d’un « pacte révolutionnaire » entre la Libye, l’Algérie, cette République et la Mauritanie, que le 27 Février 1984 lors de sa reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique, et cette majorité, hostile au rapprochement avec le Front, est menée celui qui le renversera : Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya. Quant à Ahmed Salem Ould Sidi, démissionnaire du Comité, il est avec son brillant collègue Mohamed Ould Ba Abdelkader, moins dissimulé et plus expéditif : la tentative du 16 Mars 1981 est manquée, le pouvoir en place la déclare commanditée par le Maroc, les deux braves sont fusillés dans des conditions atroces.

Radio-télévisé depuis Tetouan, pour la « fête du trône », le 30 Juillet 2010, onzième anniversaire de son accession au pouvoir, près de dix-neuf ans après l’apparent consensus sur le principe d’une consultation référendaire des populations concernées – que la Mauritanie, seule à connaître tout son monde, pourrait vraiment identifier en dépit des multiples transferts du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest – le roi Mohamed VI peut tranquillement assurer que le Maroc «  ne cèdera pas un pouce de son Sahara ». Accord d’Alger avec le représentant d’une République qui, certes, a un siège à l’Union africaine mais n’a toujours aucune effectivité territoriale : c’est cet accord qui devait la lui procurer.


[1] - rédigé et paraissant uniquement en arabe, il est diffusé de mille à deux mille exemplaires, et très lu dans les campements, il doit être considéré comme l’ancêtre de toute la presse d’opinion écrite en Mauritanie
[2] - entretiens à Paris les 23, 24 et 25 Octobre 1967 – corroborés sur ce point par Moktar Ould Daddah La Mauritanie, contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages), pp. 94-95 à ceci près que Bazeïd serait le grand-père et non le père des deux protagonistes du Président

[3] - il remet ses lettres de créance à Sekou Touré le 19 Octobre 1963 et prépare donc le décisif voyage d’études « place sous le signe du Parti » qu’effectue, du 27 Octiobre au 3 Novembre suivants, Moktar Ould Daddah et une nombreuse délégation

[4] - il n’est d’ailleurs pas étranger à la diplomatie, puisqu’à l’ouverture de la table ronde des partis, il est nommé – 20 Mars 1961 – chef du services des affaires politiques et sociales au ministère des Affaires étrangères
[5] - notamment sur le sujet difficile des « garanties à la minorité ». Dès le congrès de Mars 1963, il est associé à Elimane Mamadou Kane dans un tract dénonçant des sympathies excessives pour les compatriotes originaires de la vallée du Fleuve. C’est principalement sur cette accusation, encore plus répandue contre les deux ministres à partir de l’automne de 1965, que sont remerciés deux des meilleurs ministres qu’ait eus la Mauritanie

[6] - dépêche de Jean-François Deniau, en date du 6 Juillet 1965 : « du retour de la Nahda »

[7] - dépêche de Jean-François Deniau, en date du 12 Novembre 1965 sur les « rumeurs de complot contre le Président Moktar qui mettrauient en cause le ministre des Affaires étrangères et de
 

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