lundi 4 août 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà dans le Calame . 22 Juin 2010



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27 Juin 1958   &  26 Juin 2009


Moktar Ould Daddah s’entretient avec le général de Gaulle des nouvelles institutions franco-africaines
&
Sidi Ould Cheikh Abdallahi, démissionnaire,
s’adresse à la nation







Le 27 Juin 1958, Moktar Ould Daddah, vice-président du Conseil de gouvernement [1] mauritanien est reçu par le général de Gaulle. Il ne le connaît pas et n’est pas connu de celui-ci. L’ « homme du 18-Juin », alors loin du pouvoir, était déjà venu en Mauritanie à deux reprises. D’abord pour s’entretenir tête-à-tête avec Abdallahi Ould Cheikh Sidya (Pierre Messmer, alors gouverneur du Territoire, les avait laissés seuls – 6 Mars 1953). Puis, il était venu confirmer, par son seul prestige, l’assurance de la métropole française que le pays serait défendu de la revendication marocaine, alors au mode éventuel (à Atar et à Fort-Gouraud, futur F’Derick : “je sens que je me trouve au milieu d’hommes courageux, amicaux et raisonnables” – 13-14 Mars 1957). D’autre part, le jeune homme d’Etat mauritanien est le seul de ses homologues africains à ne pas être ou avoir été membre d’une des assemblées métropolitaines. Arrivé le 5 Juin à Paris, il rencontre tous les personnages de la Quatrième République que vient de submerger la révolte des tenants de « l’Algérie » française, le 13 Mai 1958. Certains participent au nouveau gouvernement : les ministres d'Etat (Guy Mollet, Houphouet-Boigny, Pierre Pflimlin et Louis Jacquinot) ; les ministres de la France d'Outre-Mer, des Finances et des Affaires Etrangères (Cornut-gentille, Pinay et Couve de Murville) ainsi que Robert Buron (ministre des Travaux Publics). Moktar Ould Daddah s'entretient également avec Edgar Faure, Félix Gaillard, François Mitterrand, André Colin et Mendès France. Il ne participe donc pas, le 12 Juin, à Dakar, à la quatrième conférence des Chefs de Territoire et Vice-présidents de Conseil de Gouvernement, à laquelle le représente Ahmed Saloum Ould Haiba, ministre de l’Intérieur, et ne réplique pas aux rumeurs de presse sur sa relation – mauvaise depuis le congrès d’Aleg (Le Calame du 6 Mai 2008 – chronique anniversaire) – avec  le gouverneur du Territoire [2]. Les deux hommes se concerteront au retour de Paris du jeune vice-président. Le 16 Juillet, par circulaire, Albert Mouragues confirmera que " des controverses peuvent surgir dans des domaines importants ou modestes entre le Président du Conseil et les Ministres  (mais qu'elles) ne doivent pas mettre en cause la solidarité des membres qui composent cette institution ". Du reste, le 25 Juin, juste au lendemain de l’entretien du Vice-Président mauritanien avec le chef du gouvernement français, a été décidé, à Paris, le principe du transfert de la présidence du Conseil de Gouvernement aux Vice-Présidents, pour lequel les élus africains avaient bataillé en vain deux ans plus tôt. Coincidence ?

Après avoir été reçu par le Président de la République, René Coty, et rencontré le directeur général de la B.I.R.D. qui l’assure du financement des mines de fer, il est donc face au général de Gaulle [3], dernier président du Conseil d’un régime auquel va être susbtitué la Cinquième République. Le Mauritanien expose au Français son hostilité à un exécutif fédéral à Dakar et que son pays (ce sont les résolutions du congrès d’Aleg, votées pas deux mois auparavant) souhaite l’autonomie complète de la Mauritanie avec liens fédéraux directs avec la France. Politiquement, en unité d'action avec le P.R.A. de Léopold Sedar Senghor comme avec le R.D.A. de Félix Houphouët-Boigny, le parti gouvernemental, le P.R.M ne veut pas une fusion organique. Mais, appelant de ses vœux d’autres rapports franco-algériens que la guerre, Moktar Ould Daddah entretient le Général d’une perspective bien plus vaste : il souhaite la construction d'une fédération ou d'un confédération maghrébine avec laquelle la Mauritanie pourrait nouer des liens de coopération amicale semblables à ceux qui uniront la future Mauritanie autonome aux territoires de l'A.O.F.  [4]. Enfin, les questions de la sécurité mauritanienne sont traitées : le général de Gaulle a en effet ordonné que s’accélère le retrait militaire de la France de ses anciens protectorats d’Afrique du nord [5] tandis que le Maroc, le 24 Juin, demande l'évacuation des troupes françaises basées dans l'est du pays.  Dès le lendemain, de Gaulle préside un conseil restreint sur les problèmes sahariens. Résumant son entretien à l’Hôtel de Matignon pour   Radio-Dakar, le 2 Juillet 1958, Moktar Ould Daddah assure que " la Mauritanie n'a aucunement l'intention de quitter l'A.O.F. " mais précise qu’elle est un " trait d'union entre l'Afrique noire et l'Afrique blanche ". Il insiste sur la nécessité de régler le contentieux franco-marocain.". Quinze jours auparavant, il avait déclaré à l'A.F.P. : " Nous considérons le peuple marocain comme un peuple frère, Mais la fraternité ne peut signifier en aucun cas la subordination ".

Restent les problèmes institutionnels. Ils vont se régler dans le sens que peut souhaiter la Mauritanie, quoique celle-ci ne soit pas représentée dans les instances restreintes où se débat et se rédige la Constitution instituant la Communauté, étape vers l’autonomie puis l’indépendance [6] . Mais le 10 Juillet, le comité ministériel examinant les travaux constitutionnels décide que le général de Gaulle consultera les Vice-présidents des conseils de gouvernement des Territoires d’outre-mer à l'occasion de la fête nationale. Celui-ci, à la veille du 14-Juillet " adresse aux peuples d'outre-mer un message d'amitié et d'espoir. (Il s'agit d') établir sur le mode fédéral les liens de notre union ". Et, du 18 au 24 Juillet, sur l'invitation du général de Gaulle, le Vice-Président du Conseil se rend à Paris pour étudier les problèmes constitutionnels. Moktar Ould Daddah, qui avait rendu compte le 5, de sa première conversation avec de Gaulle, expose dès son retour à Saint-Louis ses entretiens constitutionnels. " Le Gouvernement français nous donne pour notre part entière satisfaction. Ce que nous souhaitons, c'es l'autonomie interne complète assortie d'une convention d'association avec la métropole. La Fédération du type américain qui nous est offerte convient à notre rôle de trait d'union avec cette seule réserve que nous souhaiterions voir figurer le droit à l'indépendance dans les textes constitutionnels. Notre plus vif désir est de voir compléter cette fédération par une confédération avec les trois pays du Maghreb ". C’est la ligne de la Mauritanie telle que débattue puis décidée consensuellement, en congrès de fusion, du 2 au 5 Mai, par les partis nationaux.




Le 26 Juin 2009, en fin d’une journée dont le début ne laissait encore rien augurer, c’est un discours d’une grande élévation que prononce Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Il avait été élu Président de la République, le 25 Mars 2007, au second tour d’un scrutin – cas jusqu’à présent unique dans l’histoire mauritanienne, et attestant par lui-même, de la qualité de cette élection. Ce discours, aussitôt salué d’historique et qui ajuste, pour l’avenir et en termes d’autorité morale, un homme d’Etat qui n’a manifestement pas eu sa chance pendant les quinze mois de son exercice du pouvoir encadré par l’opposition et par les militaires, est le seul moment de grandeur et de sincérité de ce vendredi-là.

La « communauté internationale » a été pour beaucoup dans cet abaissement général. Dès que l’application de l’accord avait vu la confrontation s’établir à propos de la pérennité de la junte et de la personnalité à désigner par celle-ci pour être le Premier ministre d’union nationale, l’Union africaine avait communiqué que, selon son Conseil de paix et de sécurité, l’élection présidentielle doit se tenir « impérativement le 18 Juillet » [7]. Cinq directeurs de journaux avaient alors pris l’initiative de « remuer  les acteurs politiques » [8]. Mais ceux-ci semblent plus soucieux d’entrer en campagne que de tirer parti de l’accord de Dakar et de la résistance du Président de la République : Ely Ould Mohamed Vall se déclare le premier, vite suivi par Ahmed Ould Daddah et Jemil Ould Mansour, investis candidats de leurs parti respectifs pour l’élection. Enfin Messaoud Ould Boulkheir [9].

Sans avoir été admis à s’adresser à la nation depuis le bureau présidentiel [10] et sans que l’opposition au candidat putschiste ait pu faire changer le Premier ministre, le Président a accepté de signer la nomination d’un gouvernement d’union nationale, tel que le composaient les partis.  Il n’a pas obtenu l’essentiel : Mohamed Ould Abdel Aziz a refusé la disolution du Haut Conseil d’Etat : « une ligne rouge à ne pas dépasser » [11] et les partisans du putschiste observent que « Sidi cherche à torpiller les accords parce qu’il n’y voit pas ses intérêts personnels et renie ainsi ses engagements solennellement déclarés de signer la feuille de route qui sortirait d’un consensus national » [12]. Au contraire, le président de l’Assemblée nationale comprend qu’ « on ne peut pas lui demander de démissionner alors que l’outil de son départ forcé, le Haut Conseil d’Etat n’est pas dissout » [13]. La transformation de celui-ci en l’une des instances prévues par la Constitution de 1991, sera la seule concession – uniquement de forme – finalement obtenue par le Président avant sa démission. Le Conseil supérieur de la défense nationale a aussitôt repris la pétition de légitimité de l’ancien Haut Conseil d’Etat [14] et il est composé à l’identique. Le portail de l’Agence mauritanienne d’information (l’A.M.I.) conserve d’ailleurs l’ancienne appellation.

L’opposition n’a pas davantage obtenu que Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, sinon – sur le papier dans la répartition à venir des portefeuilles ministériels – le ministère de l’Intérieur et celui de la Défense... Alors que le 6 Juin, surlendemain de la signature à Nouakchott de l’accord intervenur à Dakar, Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale assurait [15] que « le Front peut, s’il reste uni, tenir la dragée haute à tous les autres candidats et l’emporter… On a bien essayé de faire reculer davantage l’échéance électorale pour avoir le temps de nous préparer, mais nous n’avons pas été soutenus par la communauté internationale. Malgré cela tout reste ouvert. Beaucoup de gens qui couraient derrière Aziz lorsqu’il était chef de la junte, ne sont pas prêts à voter en sa vafeur maintenant qu’il n’est plus le maître. ». En principe, ce devait être le lundi 8, que le Président de la République aurait dû signer ce que l’accord de Dakar lui prescrit, notamment la nomination du gouvernement, pour aussitôt après démissionner. Or, non seulement la junte ne se dissolvait pas, mais le 10, Mohamed Ould Abdel Aziz avait proposé comme Premier ministre d’union nationale celui qu’il avait nommé dès son coup, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf… « Nous ne l’avons pas refusé pour sa propre personne et ses propres qualités intrinsèques, mais plutôt pour ce qu’il symbolise en tant que Premier ministre de la junte qui continue d’incarner le putsch. » [16]. Le Président et le FNDD avaient donc reconstitué ce front, au sens littéral, qui n’aurait pas dû se défaire à Dakar, au point qu’une nouvelle négociation est devenue nécessaire. Les partisans de la junte s’y refusent : « cette rencontre serait sans objet parce qu’elle n’a aucune chance de voir ses conclusions appliquées », l’opposition s’adonne, selon eux, «  à des blocages délibérés pour tenter d’imposer un nouveau report » de l’élection [17]. L’initiative des directeurs de journaux nationaux juge « que le blocage est définitif sauf miracle de dernière minute. » C’est juste à ce moment-là que le directeur du site électronique de contestation de la junte, Hanevy Ould Dehah, directeur de Taqadoumy, est arrêté…

Dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 Juin, les négociations recommencent, et de nouveau à Dakar : Saïd Djinnit représente le secrétaire général des Nations Unies, Mohamed Yahya Ould Horma le putschiste-candidat, Mohamed Ould Mouloud le F.N.D.D. et Mohamed Abderrahmane Ould Meine le R.F.D. La question du Haut Conseil d’Etat domine la discussion. On s’ajourne le mardi 23 pour continuer à Nouakchott. C’est alors qu’un décret du président du Sénat, soi-disant intérimaire de la présidence de la République, organise l’élection du 18 Juillet, et donne aux candidats jusqu’au 26 pour s’inscrire. Exactement comme « Dakar  1» avait été soumis au chantage que se tienne le 6 Juin l’élection, le système putschiste menace de tenir le scrutin unilatéralement : aussitôt, Ahmed Ould Daddah, Messaoud Ould Boulkheir et Ely Ould Mohamed Vall contestent le texte et sont suivis le 24 par le Conseil constitutionnel. Mais le décret sera rétabli à l’identique par le gouvernement d’union nationale, dès le lendemain de sa nomination.
Pour ajouter à la confusion, le général Mohamed Ould Abdel Aziz disparaît, le 24, pendant quelques heures : un accident d’hélicopère. Sans le rechange aussitôt expédié par le général El Ghazouani, la question présidentielle était réglée sans scrutin… Les médiateurs du mois précédent, affluent alors (le jeudi 25) à Nouakchott, en tête desquels le président sénégalais Abdoulaye Wade. A 14 heures 47, le vendredi 26, un « accord sur tous les points » est trouvé. Quelques heures après, les Mauritaniens subjugués écoutent un discours de démission qui permet l’application d’accords, auquel aujourd’hui, à nouveau, chacun se réfère sans qu’aucun Mauritanien les ait vraiment écrits ni même négociés. 

                          
P S

Est-il « trop tôt » pour donner ici une analyse de ce qui devra s’appeler « Dakar 2 » et qui importe bien plus que l’accord signé le 4 Juin. Cette analyse – dont j’ai alors l’honneur de recevoir la confidence par le Président de la République – met en cause mon pays. Si je me suis tant impliqué dans la solution d’une crise de légitimité qui perdure, c’est pour l’honneur de la France en Mauritanie, et témoigner en son nom pour l’avenir qu’une autre attitude était possible : au minimum, ne pas intervenir du tout… la seule neutralité entre les opposants à l’élection du putschiste du 6 Août 2008, et le général Mohamed Ould Abdel Aziz eût probablement suffi à montrer que le fait accompli par celui-ci ne pouvait trouver aucun alibi d’apparence démocratique ensuite.

Les archives diplomatiques françaises – sauf hasard heureux que je ne laisserai pas passer – ne s’ouvriront pas sur ce tournant de l’histoire nationale mauritanienne avant 2039. Quant à celles de la junte … en existe-t-il sur des délibérations et des correspondances entre putschistes, et entre certains d’entre eux et l’étranger ou avec des groupes nationaux les soutenant ? probablement pas.  Ce ne peut être que témoignage oral, à recueillir ou plus tard ! en entretien publié par Le Calame…

citation –

Vendredi 12 Juin 2009 – 10 heures 06
Mon Cher Bertrand,
Le FNDD et le RFD ont rejeté, avant-hier  la nomination ( reconduction ) de l’actuel PM. Depuis, le clan MOAA ne semble pas les avoir contactés. Probable que nous allions vers un réel blocage. J’ai appris ce matin  que MOAA aurait confié à l’un de ses ambassadeurs qu’il ne cédera pas sur le PM, sur la dissolution du HCE, et qu’il s’opposera à ce que je m’adresse à mes compatriotes à l’occasion de ma démission, à moins que mon adresse soit écrite par eux ( sic ). Si, les autres parties, ne cèdent pas, il envisagerait de « mettre de l’ordre dans tout cela, par le recours à la force ».
Je suis, jusqu’à nouvel ordre, moins sévère que vous avec le FNDD. Il y a  certes des forces centrifuges mais il y a aussi une volonté réelle d’éviter l’éclatement. Le raidissement de MOAA, s’il se confirme, remettra les choses en ordre et je pense que le Front en sortira encore plus combatif. D’accord avec vous, pour ce qui concerne le RFD
Je maintiens la même position, qui a l’avantage de la simplicité et de la clarté : pas de démission tant que le HCE n’est pas dissous ; pas de préalable à la signature du décret de formation du Gouvernement qui devra néanmoins se faire nécessairement au Bureau du Président de la République, là où se signent les décrets.
Amitiés
Sidi
P.S. : L’envoi de ce message a été retardé de 24h, à cause de problèmes de connexion. J’espère que cela ne recommencera pas.

Samedi 13 Juin – 16 heures 47
Mon cher Bertrand,
J’ai reçu hier une délégation du RFD, comprenant « Doyen », ( c’est ainsi que Le Pt Mokhtar appelait Babah ), Ismail Ould Amar et Ould Lemmat, autre vice-président.
Des explications relatives à des divergences au sein du Parti m’ont été présentées comme explication et excuses pour le fait que la visite ne m’ait pas été rendue plus tôt.  L’objet de la visite était de me convaincre que pour barrer la route à MOAA, il faut au RFD et au FNDD présenter un seul candidat de préférence et, à défaut, un accord d’alliance. Ils veulent que j’aide à cela.
Je n’ai pas manqué, tout en étant resté sobre, de leur dire qu’à mon égard, et par rapport à certains principes démocratiques, ils se sont comportés.
Par ailleurs, je sens depuis hier soir que la Communauté internationale ne va pas me suivre pour ce qui concerne la dissolution du HCE. Je n’ai pas encore tous les éléments d’une solution qu’elle aurait mise au point, et dont elle espère que je l’accepterai. Les prochaines heures vont être importantes à cet égard.
Amitiés.
Sidi

Mardi 16 Juin 2009 – 12 heures 41
Mon cher Bertrand,
Plusieurs messages que j’ai commencé à vous écrire, mais que je n’ai pas pu achever et envoyer ( appels incessants, en particulier de wade, dans le cadre de la recherche d’une solution permettant de surmonter le blocage actuel relatif au HCE. J’exige la dissolution de ce « machin », avant ma démission et MOAA refuse. La Communauté internationale semble s’accommoder d’une solution consistant à accepter le maintien du HCE, avec des réaménagements destinés à me faire accepter cela. Un abîme entre les beaux principes affichés et la pratique. Situation bloquée pour le moment, en attendant le retour, cet après midi, de Wade du Gabon.
Je suis toujours à Lemden, que je ne quitterai qu’après que la situation ait été débloquée par l’acceptation de la dissolution du HCE.
 Amitiés
Sidi

Vendredi 19 Juin 2009 – 15 heures15
Mon cher Bertrand,
Depuis deux jours il y a un blocage réel pour ce qui est de l’application de l’accord de Dakar. Le Gouvernement n’est pas formé et le Président de la République n’a pas démissionné. La raison immédiate du blocage est que MOAA ne veut pas (plus) de la dissolution du HCE et que j’exige cette dissolution avant de démissionner. Il y a quelques jours il a semblé au Pt Wade que la solution pourrait être trouvée à travers un traitement « sémantique » permettant d’éviter le terme « dissolution » en le remplaçant par un ou plusieurs termes ayant la même signification.
Je me suis prêté à cela et j’ai accepté successivement deux propositions qui m’ont été faites dans ce sens. Mais elles ont été faites par MOAA dont le représentant aux dernières réunions des mauritaniens avec les médiateurs a déclaré de façon claire leur opposition à la dissolution du HCE disant que cela n’était pas prévu par l’accord.
Les médiateurs et le CGI (Groupe de Contact International sur la Mauritanie) ont dit qu’ils ne baissent pas les bras et qu’ils poursuivent la recherche d’une solution s’inscrivant dans le cadre défini par l’accord.
Ils envisagent une réunion du CPS (Conseil de Paix et de Sécurité), une réunion du GCI (Groupe de Contact International sur la Mauritanie)au plus haut niveau et un Dakar 2(nouvelles négociations entre les trois pôles mauritaniens).
Tout cela pour trouver une solution au blocage qui est essentiellement (si ce n’est exclusivement) la question du HCE.
Il me semble qu’il aurait été plus approprié d’exercer des pressions sur MOAA pour qu’il accepte la dissolution étant donné que ma position est bien connue et que mes concessions ne peuvent être que d’ordre sémantique.
Pendant ce temps MOAA continue ses tournées à l’intérieur du pays. Un programme de 9 jours dont  il reviendra à Nouakchott le 26 juin.
Son raidissement concernant le HCE est très probablement dû au fait  que les élections envisagées pour le 18/07 lui apparaissent à lui et à ses supporters comme très risquées.
Il a probablement choisi de revenir à des élections type 6/6, avec son gouvernement, son administration et ses premiers concurrents. 18/7 se passerait comme devrait se passer le 6/6.
Je crains que même avec ce revirement votre pays ne condamne pas « cette solution unilatérale » et qu’il envisagerait de le reconnaitre rapidement après son élection. Il aurait ainsi, par delà les belles déclarations en faveur de la démocratie de l’ordre constitutionnel, soutenu un coup d’état contre un régime démocratique à travers une succession de déclarations destinées à faire découper le grand morceau de viande pour pouvoir le faire avaler.
Jusqu’à présent le FNDD et le RFD ont collaboré de façon satisfaisante.
Est-ce que Ahmed se présenterait dans cette perspective d’un 18/7 à la MOAA ? Est-ce que Ely se présenterait ? Trop tôt pour que je puisse en parler. Dans quelques jours on y verra sûrement plus clair.
J’ai l’impression que l’opinion publique, bien que très désireuse de la conclusion d’un accord entre les différents partis, comprend la position ferme du Président de la République concernant le HCE.
Amitiés,
Sidi
PS : trouvez ci-dessus la dernière proposition concernant le HCE que j’ai acceptée.

A l’attention du Président Wade,
Je vous retourne la proposition que vous m’avez envoyée avec des changements plutôt de forme, que j’ai mis en italique.
PROPOSITION DE COMMUNIQUE DU HCE
 Le Haut Conseil d’Etat, au cours de sa réunion de ce jour, a décidé de remettre ses prérogatives et fonctions au Gouvernement Transitoire d’Union Nationale en vue de permettre à celui-ci de créer, dès sa première réunion, un Conseil Supérieur de Défense Nationale, conformément à l’article 34 de la Constitution.
PROPOSITION DE DECLARATION DES TROIS POLES
  Les Trois Pôles politiques mauritaniens, signataires de l’Accord-Cadre de Dakar, prennent acte du Communiqué du Haut Conseil d’Etat et s’en félicitent.
 Les Trois Pôles engagent le Gouvernement de Transition, lors de son Premier Conseil des Ministres, à procéder par décret à la mise sur pied d’un « Conseil Supérieur de Défense Nationale », conformément à l’article 34 de la Constitution.  

Dimanche 21 Juin 2009 – 14 heures 25
Mon cher Bertrand,
« Dakar 2 » a commencé hier soir, je n’en ai pas encore de nouvelles. A quoi peut-il aboutir? Les médiateurs et la CGI souhaitent la mise en œuvre effective de l’accord de Dakar. A quelles conditions et pourquoi faire ?
1-Il semble que la fin doive plus que jamais justifier les moyens. Les organisations internationales, les grandes démocraties de ce monde iraient jusqu’à accepter (pour ne pas dire imposer) l’éviction d’un président démocratiquement élu et le maintien d’une structure politico-militaire anticonstitutionnelle, responsable du renversement d’un président élu et de l’exercice de ses fonctions. Pourvu que l’accord soit mis en œuvre.
2-Il faut que les élections soient organisées le 18/07. Il ne faut surtout pas demander si politiquement et techniquement cela est possible. Si vous le faites vous êtes accusé de vouloir saboter et vous risquez d’être montré du doigt par la Communauté Internationale comme portant la responsabilité de l’échec de l’accord.
Comment est on arrivé là ?
Comment tant de monde aussi sérieux peut il se comporter d’une façon aussi peu responsable ? Aussi peu respectueuse (et peut être ignorante des choses) ?
Il y a là quelque chose qui nous échappe, qui m’échappe et que je souhaite bien (avec votre aide) comprendre.
Ma position est qu’il me faut la dissolution du HCE comme condition préalable à ma démission, les négociations actuelles sur cette question ne pouvant être que d’ordre sémantique.
Ce que suggère pour moi la situation actuelle est que la communauté internationale essaie de se mouvoir dans des marécages qui séparent l’ordre constitutionnel, la légalité et le fait accompli d’un coup d’état qui a renversé un président démocratiquement élu.
Tout ce beau monde est désormais bien installé dans ces marécages.
Jusqu’à quand ?
Amitiés,
Sidi


Lundi 22 Juin 2009 – 17 heures 46
Mon cher Bertrand,
Dakar ? Une proposition du Groupe de Contact, à laquelle j’aurai préféré une autre qui parle clairement de la dissolution du HCE.
Cette proposition maintient le HCE en lui donnant un nouveau nom et  en le mettant sous l’autorité du gouvernement transitoire d’union nationale. Le RFD et le FNDD ont accepté, le camp de MOAA a refusé. Mais depuis hier la communauté internationale met tout en œuvre, comme pression, comme menaces-me dit on-pour lui faire changer d’avis.
Des analyses faites par le FNDD et le RFD faisant de l’acceptation de cette proposition un échec réel pour MOAA et ses troupes, ayant des conséquences funestes pour lui sur le plan électoral, parlant de l’état de l’opinion nationale qui ne pardonnerait pas à celui qu’elle considérerait comme responsable de l’échec de l’accord de Dakar, sont utilisés pour me convaincre de ne pas porter la responsabilité de l’échec de Dakar 2 au cas où ce ne serait MOAA qui se chargerait de le porter. Qu’en pensez vous ?
Admiratif devant l’énergie que vous déployez pour défendre les causes auxquelles vous croyez, reconnaissant pour tout ce que vous dites de moi et faites pour moi.
Amitiés,
Sidi

Jeudi 23 Juin 2009 – 19 heures 41
Mon cher Bertrand,
J’ai appris certaines choses que je vous communique en vous laissant le soin d’en faire l’usage que vous estimez le plus indiqué.
1/ Les Français me préfèrent de loin MOAA. Je pense qu’ils ont, au moins à certains niveaux, cautionné  mon renversement.
Pourquoi ? J’avoue que je n’en sais trop rien, les raisons invoquées (islamisme, laxisme dans la lutte contre le terrorisme) ne pouvant m’apparaitre que comme des prétextes, sachant que les Français ne doivent pas ignorer qui je suis. Je dois vous dire que je n’ai pas l’intention de me dépenser à les convaincre qu’ils se trompent sur moi. Je le ferais pour mes compatriotes mais pas pour des étrangers.
 A Dakar, donc, les Français qui disaient autour d’eux que c’est le Président Sidi qui bloque, qui prend le pays en otage et qui risque de tout faire foirer, par son entêtement à vouloir faire dissoudre le HCE, ont dit que si  jusqu'à  lundi (hier), un accord n’est pas trouvé à Dakar, ils s’orienteront vers le soutien du processus unilatéral par lequel MOAA maintiendra la date du 18/07 pour l’élection présidentielle.
La position de l’Espagne, moins déterminée, est tout de même contre la dissolution du HCE (Pêche et immigration clandestine obligent).
 Nous sommes aujourd’hui devant une France qui tient absolument à sortir du jeu le Président légitime et qui conçoit et aide à l’exécution d’un projet permettant de légitimer le tombeur de ce président.
Il y a deux jours le représentant de MOAA, a dit qu’ils donnaient 48 heures aux négociateurs de Dakar et que si un accord n’est conclu d’ici là, ils envisageront, eux, leur sortie de crise.
Il m’a été affirmé, que cette déclaration a été induite (coordonnée, inspirée) par la partie française.
Les résultats des négociations de Dakar sont attendus d’un moment à l’autre, je pense qu’il s’agira de dire que la médiation continue et peut être de mettre en garde MOAA contre la mise en œuvre d’un processus électoral unilateral.
Amitiés,
Sidi

– fin de citation
                                                                      



[1] - le chef du Territoire, selon les décrets du 4 Avril 1957 portant application de la Loi-cadre, ou loi Defferre du 23 Juin 1956, préside ce Conseil de gouvernement : c’est alors Albert Mouragues, familier de la Mauritanie qu’il gouverne pour la seconde fois

[2] - le 12 Juin 1958, Paris-Dakar fait état de ce que " le bruit court que le Chef de gouvernement de Mauritanie, en désaccord avec son Vice-président, aurait offert sa démission "

[3] - Moktar Ould Daddah évoque souvent sa relation de travail avec le général de Gaulle, dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 180-182 pour ce premier entretien, suivi d’autres : les 27 Juin 1958, 24 Février 1960, 26 Juillet 1960, 5 et 13 Juin 1961,  24 Novembre 1961, 23 Septembre 1963, 11 Septembre 1964, 10 Septembre 1965, 29 Septembre 1966, 19 et 22 Septembre 1967, 19 septembre 1968. Le rituel en est donné par le Président : citation -  Il m’accueillait à l’entrée de son bureau - ou sur le perron de l’Elysée, suivant les circonstances. Il me faisait asseoir et s’asseyait à côté de moi, dans un autre fauteuil, derrière son bureau. Et, après que soient sortis les photographes et les cameramen, il me disait : “ Comment ça va en Mauritanie ? ” ou “ Comment va la Mauritanie ? ” ou “ Voulez-vous me parler de la Mauritanie, Mr. le Président ? ”. J’évoquais, régulièrement, deux questions “permanentes”, avec d’autres variables suivant les circonstances. Les deux questions permanentes étaient : nos rapports avec le Maroc et le démarrage, puis le développement de l’exploitation de nos mines de fer surtout - et de cuivre. Ensuite et, jusqu’en 1962, je demandais au Général de me faire le point concernant la guerre d’Algérie. Et, régulièrement, jusqu’à notre dernier tête à tête, celui de 1968, le point sur la situation en Orient arabe et plus particulièrement, sur le drame palestinien. A la fin de mon exposé, le Général, qui le suivait attentivement, me posait des questions ou me demandait des précisions, sur tel ou tel point de mon développement. Puis, il enchaînait, en disant, à peu près : “En ce qui concerne la France, ou “concernant la politique française....” Il répondait à mes questions plus ou moins complètement, insistant sur les points auxquels il attachait le plus d’importance, suivant la situation du moment. Puis, il terminait l’entretien par un propos aimable du genre “Je vous remercie de votre visite”. Il se levait et me raccompagnait vers la sortie, me serrait la main, avec un “au revoir Monsieur le Président”  - fin de citation

[4] - daté du 10 Juin 1958, le Monde publie une déclaration de Moktar Ould Daddah suivant laquelle la Mauritanie ne peut pas et n'a pas à choisir entre le Nord et le Sud

[5] - le 14 Juin 1958, est signé un accord franco-marocain aux termes duquel les troupes françaises évacuent les postes qu'elles tenaient encore dans l'Ouest et le Sud du Maroc – et le 17, un accord franco-tunisien aux termes duquel toutes les troupes françaises sont retirées de Tunisie à l'exception de celles basées à Bizerte

[6] - le 13 Juin 1958, pour préparer l'avant-projet de Constitution, le gouvernement métropolitain institue deux instances : • un comité ministériel comprenant le général de Gaulle, Michel Debré, les quatre ministres d'Etat, le ministre de la France d'Outre-Mer, René Cassin et Raymond Jannot –  • un groupe de travail devant préparer une structure d'accueil fédérale et différents statuts offerts à l'Outre-mer. Enfin, le 16 Juillet, est créé un un Comité consultatif constitutionnel où la Mauritanie n’est pas davantage présente
[7] - A.F.P. – 11 Juin – 22 heures 29

[8] - La Tribune, Biladi, Le Quotidien de Nouakchot, Le Calame et Al-Fajr (L’Aurore) – A.F.P. – 12 Juin 2009

[9] - ces candidatures sont respectivement annoncées les 6, 8, 14 et 15 Juin
[10] - malgré son souhait exprès – A.F.P. – 7 Juin 2009 – 18 heures 29

[11] - A.F.P. – 18 Juin – 13 heures 26 et 18 heures 52

[12] - Sidi Mohamed Ould Maham, à l’A.F.P. – 18 Juin – 18 heures 52

[13] - A.F.P. – 15 Juin – 14 heures 39

[14] - Mauritanie / Politique / Défense
Communiqué du Conseil Supérieur de Défense Nationale
Nouakchott - 28 - juin - (AMI) - Le Conseil Supérieur de la Défense Nationale (CSDN), s'est réuni en session ordinaire le dimanche 28 juin sous la présidence du général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, Président du Conseil Supérieur de Défense Nationale .
Le Conseil Supérieur de Défense Nationale a salué l'évolution positive des négociations et l'entente conclue entre les protagonistes favorisant un nouveau climat politique dans le pays empreint de sérénité et de concorde nationale, gages d'une bonne élection présidentielle le 18 juillet 2009 .
Le Conseil Supérieur de Défense Nationale rappelle, pour sa part, que si les forces armées et de sécurité ont pris leurs responsabilités le 6 août 2008, c'était bien pour sauver le pays et défendre les acquis démocratiques .
Dix mois se sont écoulés au cours desquels tout a été mis en oeuvre pour améliorer les conditions de vie des citoyens, rétablir l'autorité et la crédibilité de l'Etat et enfin préserver les libertés individuelles et collectives .
Aussi, l'on ne peut que se féliciter aujourd'hui que le processus engagé par les forces armées et de sécurité a conduit à un consensus national qui s'est traduit par des accords conclus entre les trois pôles démocratiques mauritaniens .
C'est dans ce contexte que l'institution ayant dirigé le mouvement du 6 août 2008 a pris l'appellation de Conseil Supérieur de Défense Nationale .
Ce dernier, conscient de ses responsabilités envers la Nation, entend accomplir ses tâches conformément à la constitution et aux lois de la République .
Le Conseil Supérieur de Défense Nationale restera toutefois vigilant vis-à-vis de toute action tendant à porter préjudice au climat de paix et de sécurité dans le pays .
Enfin, le Conseil Supérieur de Défense Nationale tient à saluer l'effort considérable consenti par les médiateurs internationaux en vue de rapprocher les points de vue des 3 pôles politiques mauritaniens. Il tient aussi à féliciter les dirigeants de ces trois pôles mauritaniens pour leur sens élevé de responsabilité et leur capacité à parvenir à une solution consensuelle

[15] - A.F.P. – 6 Juin 2009 – 15 heures 25

[16] - Ahmed Ould Wedia, pour le Front national pour la défense de la démocratie – A.F.P. – 10 Juin – 21 heures 23

[17] - Ba Adema Moussa, négociateur de Mohamed Ould Abdel Aziz, à l’A.F.P. – 19 Juin – 18 heures 13

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