jeudi 8 janvier 2015

prière de la France

 

A Dieu et aux hommes, je dis – moi, la France – que je suis une personne vivante, voulue par une vive conscience de moi-même. Selon ce que la géographie a toujours fortement suggérée à celles et ceux qui m’habitent, à leurs dirigeants, à leurs poètes, à leurs gens d’entreprise et d’imagination. J’ai été enfantée par une histoire qui n’a jamais été de hasard ou de chaos : mon histoire, l’histoire de ma vie sont une continuité, un développement. Ma constitution en chair et en âme, le peu d’endogamie, la multiplicité des arrivants m’ont rendue de plus en plus spirituelle en ce sens que le lien entre celles et ceux qui portent mon nom – et ont charge d’en être digne et d’en propager image et fond – est peu matériel, peu dépendant de leurs succès militaires ou même de leur cohésion sociale. Ils ne se rassemblent, ne ressentent leur solidarité, l’identité commune qu’ils maintiennent, sécrètent et inventent que quand les circonstances, le bonheur ou le drame, les questionnent sur ce qu’ils sont ensemble.

Les Français sont une nation priante car ils ne s’assemblent et n’ont conscience de leur ensemble qu’en ressentant ce qui leur est commun et ce qu’ils sont. Leur trésor est avant tout spirituel.

Moi la France, le monde entier aussi, nous avons vu hier ce que veut dire le rôle, la fonction, la liberté de la presse. Manifestement, c’est pour les Français une respiration et une affaire de famille, une façon de vivre. Ces exceptionnels dessinateurs, ces plumes libres de toute dictée financière, politique, idéolologique étaient mon intelligence et mon cœur, la façon de voir des Français. Charle-Hebdo., un des principaux porte-paroles de la France. Il a été dit, il y a quelques quarante ans, que la télévision française était et devait être la voix de la France. Le pluralisme des médias audio-visuels, le peu de clivage au total entre eux faute de talents comme aux débuts de chacun de ceux-ci a périmé cette ambition. Une sorte de retour salutaire à des aventures et à des solidités passées a maintenu quelques organes de presse et les techniques actuelles – le virtuel – font inventer à de nouvelles générations d’autres formulations, mais pour le même esprit.

L’épreuve de maintenant n’atteindra à l’universalité dans la nation que je suis qu’indirectement. Les manifestations de deuil et de résolution – pleurer les voix et les saints de la libre expression mais proclamer qu’ils seront continués, posthumes mais spirituellement vivants – interrogent ceux des Françaises et des Français qui n’auront pas immédiatement ressenti l’atteinte et la perte dont j’ait été victime hier matin. Il y a le drame, il y a le crime, il y a le premier temps où les uns ressentent et pas les autres. Mais l’union de beaucoup et sa parfaite expression – pas tant des professionnels de la politique ni des professionnels de la presse, quoique ce soit très bien – va porter bien au-delà des participants aux rassemblements, aux hommages, aux envois et mises en ligne si nombreux et divers. Petit à petit, ce sang versé va ajouter à mon âme et donc à ma chair.

Moi surtout, moi la France, je suis Charlie. Ne l’ai-je pas toujours été, en guerre, en paix, vaincue, triomphante, en procès et risques de guerre civile ou en défilé enthousiaste. Charlie, Zola, Clemenceau, les grandes plumes et gueules, les lucides de la démocratie, les orgueilleux de l’héritage, c’est-à-dire de cette France qu’accompagnent et reconnaissent en ce moment tant de pays, tant de gens.

Puissent les dirigeants actuels saluer la coincidence si forte entre la tuerie nominative de la rue Nicolas Appert et de la disparition du dernier survivant du Conseil national de la Résistance (1943…) en initiant enfin pour moi et pour l’Europe dont je suis tellement partie, la nécessaire action pour que se ressaisissent mon Etat, ma République, ma démocratie et que par contagion, à mon exemple, à mon appel – à moi, la France – se démocratise l’Union européenne et s’ambitionnent enfin sa générosité et son indépendance.

Prière aux Françaises et aux Français, jeunes ou vieux. Prière à Dieu qu’ils Le reconnaissent ou pas. Et s’il est possible dans les larmes, le scandale, la pitié, de l’avouer ainsi dans ma prière : la France est fière de ses enfants, de ses martyrs et de toutes celles et ceux qui les pleurent, leur rendent hommage et vont les continuer./.

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