A Dieu et aux hommes, je dis – moi, la France – que je suis une
personne vivante, voulue par une vive conscience de moi-même. Selon ce que la
géographie a toujours fortement suggérée à celles et ceux qui m’habitent, à
leurs dirigeants, à leurs poètes, à leurs gens d’entreprise et d’imagination.
J’ai été enfantée par une histoire qui n’a jamais été de hasard ou de
chaos : mon histoire, l’histoire de ma vie sont une continuité, un
développement. Ma constitution en chair et en âme, le peu d’endogamie, la
multiplicité des arrivants m’ont rendue de plus en plus spirituelle en ce sens
que le lien entre celles et ceux qui portent mon nom – et ont charge d’en être
digne et d’en propager image et fond – est peu matériel, peu dépendant de leurs
succès militaires ou même de leur cohésion sociale. Ils ne se rassemblent, ne
ressentent leur solidarité, l’identité commune qu’ils maintiennent, sécrètent
et inventent que quand les circonstances, le bonheur ou le drame, les
questionnent sur ce qu’ils sont ensemble.
Les Français sont une nation priante car
ils ne s’assemblent et n’ont conscience de leur ensemble qu’en ressentant ce
qui leur est commun et ce qu’ils sont. Leur trésor est avant tout spirituel.
Moi la France, le monde entier aussi, nous avons vu hier
ce que veut dire le rôle, la fonction, la liberté de la presse. Manifestement,
c’est pour les Français une respiration et une affaire de famille, une façon de
vivre. Ces exceptionnels dessinateurs, ces plumes libres de toute dictée
financière, politique, idéolologique étaient mon intelligence et mon cœur, la
façon de voir des Français. Charle-Hebdo., un des principaux porte-paroles de la France. Il a été dit, il y a
quelques quarante ans, que la télévision française était et devait être la voix
de la France. Le
pluralisme des médias audio-visuels, le peu de clivage au total entre eux faute
de talents comme aux débuts de chacun de ceux-ci a périmé cette ambition. Une
sorte de retour salutaire à des aventures et à des solidités passées a maintenu
quelques organes de presse et les techniques actuelles – le virtuel – font
inventer à de nouvelles générations d’autres formulations, mais pour le même
esprit.
L’épreuve de maintenant n’atteindra à
l’universalité dans la nation que je suis qu’indirectement. Les manifestations
de deuil et de résolution – pleurer les voix et les saints de la libre
expression mais proclamer qu’ils seront continués, posthumes mais
spirituellement vivants – interrogent ceux des Françaises et des Français qui
n’auront pas immédiatement ressenti l’atteinte et la perte dont j’ait été
victime hier matin. Il y a le drame, il y a le crime, il y a le premier temps
où les uns ressentent et pas les autres. Mais l’union de beaucoup et sa
parfaite expression – pas tant des professionnels de la politique ni des
professionnels de la presse, quoique ce soit très bien – va porter bien au-delà
des participants aux rassemblements, aux hommages, aux envois et mises en ligne
si nombreux et divers. Petit à petit, ce sang versé va ajouter à mon âme et donc
à ma chair.
Moi surtout, moi la France, je suis Charlie. Ne
l’ai-je pas toujours été, en guerre, en paix, vaincue, triomphante, en procès
et risques de guerre civile ou en défilé enthousiaste. Charlie, Zola,
Clemenceau, les grandes plumes et gueules, les lucides de la démocratie, les
orgueilleux de l’héritage, c’est-à-dire de cette France qu’accompagnent et
reconnaissent en ce moment tant de pays, tant de gens.
Puissent les dirigeants actuels saluer la
coincidence si forte entre la tuerie nominative de la rue Nicolas Appert et de
la disparition du dernier survivant du Conseil national de la Résistance (1943…) en
initiant enfin pour moi et pour l’Europe dont je suis tellement partie, la
nécessaire action pour que se ressaisissent mon Etat, ma République, ma
démocratie et que par contagion, à mon exemple, à mon appel – à moi, la France – se démocratise
l’Union européenne et s’ambitionnent enfin sa générosité et son indépendance.
Prière aux Françaises et aux Français,
jeunes ou vieux. Prière à Dieu qu’ils Le reconnaissent ou pas. Et s’il est
possible dans les larmes, le scandale, la pitié, de l’avouer ainsi dans ma
prière : la France
est fière de ses enfants, de ses martyrs et de toutes celles et ceux qui les
pleurent, leur rendent hommage et vont les continuer./.
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