jeudi 13 mars 2014

Mohamed Ould Abdel Aziz ? fil conducteur et tentative d'interprétation ... première esquisse soumise à quelques amis

voir à la date du samedi 15 - les conseils et relectures d'amis




Mohamed Ould Abdel Aziz

?

Les biographies : l’officielle et l’officieuse ne diffèrent pas – à ma connaissance – et sont limpides. Né au Sénégal, marié à une Marocaine, origines modestes tant tribale, que familiale, sociale. Bagage mince : la mécanique automobile d’abord en officine puis dans l’armée mauritanienne (recruté par Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la sûreté nationale dès l’avènement de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya), formation tant intellectuelle que militaire très succincte (Meknès au Maroc). Faits d’armes et participation à des opérations : néant. Chargé par Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya vers 1986-1987 (époque des soi-disants complots baasiste puis peul, et début des « années de braise ») de constituer un bataillon d’élite : il séjourne en Irak pour l’apprendre, il n’en quittera le commandement personnel que pendant ses années de Meknès. De ce BASEP, il garde toujours le commandement qu’il a cumulé avec la position de chef de l’état-major particulier du président de la République (Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi . 25 Mars (investiture 19 Avril) 2007 au 6 Août 2008). Promu général au printemps de 2007 par celui qu’il trahira, auto-proclamé président du Haut Conseil d’Etat, chef de l’Etat, à l’été de 2008, élu président de la République dès le premier tour d’une élection dont il a forcé l’anticipation l’été de 2009, et selon toutes probabilités, réélu dans les mêmes conditions d’arbitraire et de succès l’été prochain. Elu enfin président de l’Union africaine pour l’exercice 2014-2015, sans doute par défaut puisque l’Afrique du nord (dont, au titre de l’Union du Maghreb arabe, fait partie la Mauritanie) n’avait aucun autre pays-candidat « présentable », mais élu et en place quand même.

Trois silhouettes apparaissent cependant, qui obligent à considérer le personnage comme plus complexe que sa carrière le laisserait d’abord à penser. Mais chacune correspond à un « public » : le militaire pour la France et les organisations sécuritaires « occidentales » au Sahara et au Sahel, le politique dans la norme africaine pour les partenaires étrangers de la Mauritanie, et pour ses concitoyens il est l’émule de son prédécesseur militaire le plus durable qu’il a renversé comme il a renversé le seul président démocratiquement élu (scrutin pluraliste à deux tours contrôlé internationalement de la confection des listes électorales à la transmission des résultats de bureaux de vote aux instances consensuelles de Nouakchott).

Le pur militaire ? c’est celui que la France officielle et ses « services » croient fréquenter sans égards particuliers puisque l’entretien de l’homme fort avec le président Sarzkozy est le seul moment marquant d’une soi-disant visite d’Etat et ne donne pas lieu à communiqué, ce qui n’a aucun précédent dans les registres et sites de l’Elysée, et que celui avec le président Hollande est lié à une longue hospitalisation pour chirurgie en France : pas de communiqué non plus, que des vœux et constats de bonne santé. Le montage semble avoir tenu uniquement à l’intéressé qui, dès le début de la présidence de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, est en relations avec les « services » français à qui, grâce à des actions terroristes « tombant bien », il démontre davantage que sa propre efficacité, puisque lui-même, les renseignements et la sécurité de la Mauritanie n’ont rien vu ni empêché, les lacunes et le manque de jugement du président en place. Le président Sidi, à la suite de l’attentat coûtant la vie en Décembre 2007 à quatre Français, sur la route dite de l’espoir qui est très fréquentée, et non loin d’Aleg, pays de naissance du Président, a en effet assuré à la presse internationale que la Mauritanie n’est pas un pays de terrorisme ni de terroristes. Une évasion spectaculaire de l’un des présumés meurtriers des Français, divers coups de main pendant la visite en Avril 2008 à Nouakchott de l’émir du Qatar qui, apeuré, repart plus tôt que prévu, achèvent la démonstration. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz est plus fiable, en matière de sécurité, que le civil et courtois Sidi Mohamed Ould Abdel Aziz. Le putschiste se conformera, une fois parvenu à la première place, aux souhaits de Paris : expéditions coordonnées au Mali, notamment quand Michel Germaneau est détenu en otage, présidence Sarkozy ; participation aux réunions sécuritaires, présidence Hollande et en toute occasion exposés sur l’unique thème sécuritaire, soutien aussi en relations internationales des opérations françaises en Afrique.

A regarder de plus près, la réputation a des fondements discutables. Enlèvement d’Espagnols sur la route, également très fréquentée, parallèle au rivage atlantique de Nouakchott à Nouadhibou. Semi-attentats dans la capitale. Diverses courses-poursuites de véhicules soi-disant AQMI dans le sud-est. Expéditions de mauvaise apparence juridique et politique en territoire malien.

Le chef d’un Etat africain dans la moyenne de ses homologues dont le plus grand nombre est devenu président par la force armée, ne défroquant qu’ensuite : l’amnésie internationale permet toutes les légitimations, les soupçons précis de corruption et de recels personnels ne sont pas que mauritaniens, la tolérance aux trafics de drogue ou aux abus de pouvoir soit par des réseaux mafieux soit du fait des forces militaires est courante. Le pays est riche en propositions d’exploitation de ses ressources minières et halieutiques, aucune chasse gardée n’interdit la pénétration économique, financière et politique, les intérêts français, européens, américains, chinois prospèrent et sont bienvenus. Les examens macro-économiques, même de complaisance (décalage fréquent entre les rapports de mission et les évaluations finales par le FMI et la Banque mondiale), voire des truquages statistiques (la double comptabilité à la Banque centrale pendant les dernières années de Maaoyia Ould Sid’Ahmed Taya) n’ébranlent pas les propensions à investir. En une vingtaine d’années d’ailleurs le pays a vu apparaître quelques grosses fortunes locales personnelles donnant à l’étranger à la fois des assurances quand au climat des affaires, et des interlocuteurs ou accompagnants pour des invstissements et prospections d’importance.

La démocratie de façade est plus soignée que sous le précédent régime militaire. Des états-généraux, des dialogues nationaux entendent appliquer des promesses écrites échangées avec la Commission européenne sur un « dialogue inclusif » avec les oppositions. La liberté des médias écrits et virtuels est totale. Les prisonniers de grande notoriété politique ou médiatique sont libérés par grâce présidentielle (Hanevy Ould Dehah, Biram Dah Ould Abeid) ce qui évite tout « déballage » en procès public. Pas de morts ni de blessés, sauf exception (le 4 Mars dernier) et si les manifestations, soit à caractère politique, soit en mouvement social, sont vivement réprimées, elles ne mettent pas en cause l’ordre public ni un calme général d’apparence. Le régime a même fonctionné jusqu’à l’automne sans dissolution du Parlement élu près de deux ans avant le putsch : le renouvellement tardif au regard de la règle constitutionnelle de l’Assemblée nationale et des municipalités a accru les majorités de complaisance, mais celles-ci étaient en partie sous influence des militaires déjà dans la période de sincérité démocratique.

Enfin vis-à-vis de l’Union européenne, il a la clé des accords de pêche qui importent décisivement à plusieurs de ses Etats-membres, et celle aussi des flux migratoires plus ou moins clandestins de l’Afrique vers l’Europe. Nouadhibou est – en économie, en trafics mafieux et en tentatives clandestines – un des points les plus sensibles de tout le continent.

La troisième silhouette me paraît la plus conforme à la vérité du personnage, mais si elle est qualifiée – le politicien – elle n’est pas très étudiée. Je la crois explicative, tant une fois constatée, elle précise des interrogations valant réponses.

J’entends par politicien le personnage, fréquent en France, de grand entregent pour parvenir, d’habileté pour demeurer ou progresser en place, de vif appétit pas seulement d’honneurs, et au total de courtes vues pour le pays, et de dévoiement de l’esprit, avec des apparences de modernité pour la communication et des équipements ralliant des suffrages pour aisément un bon et visible bilan. Mohamed Ould Abdel Aziz avec ses nouvelles voiries, ses électrifications, sa longue patience pour s’approprier un pouvoir dont il est n position d’observer le fonctionnement le plus intime pendant vingt ans (avec mise sur écoute du président dont il est censé assurer la sécurité et la relation avec les forces armées) est conforme au modèle.

L’homme fort de Nouakchott passe pour accumuler une fortune personnelle de plus en plus importante. Ely Ould Mohamed Vall en avait fait une, comme directeur de la sûreté nationale, sans doute par la connaissance des lacunes de certains de ses compatriotes acquise par ses fonctions. Quand il présida le Conseil militaire pour la justice et la démocratie, il n’eût pas pour lui-même la main trop lourde sauf dans l’attribution d’une filière téléphonique. Mohamed Ould Abdel Aziz est soupçonné de profiter directement de trafics, notamment de drogue. Même si les accusations de Noël Mamère n’ont pas abouti, pour beaucoup de Mauritaniens, c’est une certitude : l’enrichissement et l’avidité seraient le fond même du goût pour le pouvoir. Son prédécesseur, Maouyia Ould Sid’Ahmed Taya est à l’origine, par une tolérance lui donnant des alliés et des soutiens dans la sphère civile et pas seulement dans sa tribu ou sa parentèle, de la plupart des fortunes actuelles, mais lui-même ne s’est pas enrichi à titre personnel, on ne lui connaît ni investissements mobiliers, notamment en France, ni comptes secrets.

Coincidence ? ou lien de cause à effet ? chacune des périodes militaires correspond dans l’histoire moderne de la Mauritanie avec le réveil de deux maux endémiques. La période fondatrice n’en avait connu qu’un qu’elle traitait avec prudence mais détermination : la question des langues, principalement la place du français à perpétuer ou pas après la fin du régime qui l’avait introduite dans un pays de culture arabe dominant les langues vernaculaires des rives du fleuve Sénégal. Elle fait l’agitation des élèves et des étudiants avec parfois des heurts très graves au milieu des années 1990 et encore en 2010. En apparence, le pouvoir actuel reste neutre, mais ce qui constituait antan le tout de l’expression d’antagonismes possibles entre ethnies maure et noire – cela dit en langage simplifié – est depuis 1990 et des massacres dont l’ensemble est appelé « le passif humanitaire » d’une tout autre portée. L’enjeu grandit sous le régime actuel sans pour l’instant troubler l’ordre public mais en gagnant bien des domaines, de plus en plus sensible. La question noir-maure se pose à propos des recensements électoraux, à propos des pratiques esclavagistes persistantes – second mal du pays qu’avant 1978 on ne traitait que par incompétence judiciaire en cas de réclamation d’un esclave par ses maîtres – et même d’une interprétation religieuse les permettant. Dans les années 1960-1970, le clivages étaient binaires pour les dosages et chiffrages raciaux comme ils l’étaient vis-à-vis du parti unique de l’Etat. Le multipartisme sert le pouvoir en place en divisant les opposants. La montée en puissance dans les sphères politiques et administratives des haratines change complètement la relation maures-noirs dont l’artifice se démontre ainsi : une tierce composante de la population mauritanienne, peut-être la plus nombreuse, est doublement métissée, ethniquement noire et culturellement arabe. La contestation des persistances de l’sclavage mine l’unité nationale puisqu’elle a pris, par le personnage complexe de Biram Dah Ould Abeid, son porte-parole internationalement mais pas nationalement consacré, un tour attentatoire aux révérences et références religieuses. Tout se noue donc autrement que par le passé mais risque de déséquilibrer l’ensemble mental mauritanien.

Or, Mohamed Ould Abdel Aziz est personnellement impliqué dans chacune de ces questions. Le viol des législations adoptées nons sans peine à l’initiative de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et grâce au travail de persuasion de Yahya Ould Ahmed Waghf, est le fait notoire de certains de ses proches et de parents. La main-mise sur les recensements électoraux pour écarter du vote et de la nationalité les originaires du Fleuve tandis que son intégrés des Sahraouis est également son fait puisque l’ensemble des processus électoraux est à sa main. Un des éléments de complexité pour les issues de la crise malienne tient également à lui : son mépris pour Amadou Toumané Touré et même, pendant les premiers mois, pour Ibrahim Boubacar Keïta, et surtout ses attitudes successives à propos de l’Azawad et d’un positionnement éventuel de soldats mauritaniens dans le dispositif militaire multinational au nord de son voisin. Trafiquant les processus électoraux, ravivant les conflits raciaux, ne faisant pas suite au consensus formé par son prédécesseur démocrate pour régler « le passif humanitaure » autant qu’il st humainement possible, Mohamed Ould Abdel Aziz est enfin douteux pour le retour de ceux, originaires de la vallée du Fleuve, qui dans le drame du printemps de 1989, se sont réfugiés au Sénégal et au Mali.

Ces lacunes et ces mises en cause, notoires et précises, n’entament cependant son empris sur le pays. Comment tient-il ?

Les premiers éléments de réponse font une ambiance. Plus qu’aucun de ses prédécesseurs, l’actuel homme fort place des parents, très crûmement et en nombre, au Parlement et dans l’armée. Par un langage populiste et même des emprisonnements de quelques jours, il a intimidé dès sa légitimation électorale les principales fortunes du pays et surtout leurs banques. Sa rupture avec le financier du putsch et de la caution française qu’il obtint très vite : Mohamed Ould Bouamatou, est exemplaire de son émancipation matérielle personnelle.

Se précise alors la question de sa pérennisation et de sa sécurisation au pouvoir. Une alliance indéfectible entre deux officiers généraux : El Gazouani et lui. Une docilité inentamable d’un Premier ministre inamovible : Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Ces deux compagnons, très différents de caractère et aussi de position dans l’organigramme réel du pouvoir actuel, ne sont pas financièrement, familialement et tribalement désintéressés. Mais leur fidélité a été éprouvée. Par nos « services » à Paris, lors d’un premier séjour du général Mohamed Ould Cheikh Ahmed dit El Ghazouani, et par les circonstances (mystérieuses) d’un accident d’hélicoptère pendant la campagne présidentielle de Juillet 2009 : le chef d’état-major national pouvait ne pas secourir les naufragés du désert. Le Premier ministre, dès les premiers mois de son exercice, alors en complète illégalité, ne cachait pas son peu de goût pour rester ; il l’a surmonté. Tous deux, le militaire et le civil se sont montrés des intérimaires plus que loyaux pendant l’hospitalisation du maître en France en Novembre 2012. Loyauté, stabilité de ces deux appuis et soutien affirmé de l’ancienne métropole à la participation inconditionnelle des opposants à chacun des processus, en fait des défis électoraux. Les ingrédients essentiels ont fait leur œuvre depuis six ans et demi, mais ils n’auraient pas suffi.

Ce qui amène à deux nouvelles questions auxquelles il serait décisif de répondre.

Pourquoi l’armée dans son ensemble, et la « haute hiérarchie militaire » en particulier, soutiennent-ils sans jamais le mettre sous pression ou lui poser des conditions, le putschiste qui s’est d’abord imposé à ses pairs bien avant de se saisir du pouvoir grâce à eux. Des avantages matériels aux militaires et plus encore aux gradés ? Un régime de surveillance mutuelle au niveau des cadres ? En sorte qu’une conclusion par la force du système actuel paraît très peu probable.

Et quels sont donc la séduction, le charme qu’a pu exercer, qu’exerce Mohamed Ould Abdel Aziz sur les autres, sur ceux qu’il lui faut gagner ? Ne l’ayant pas rencontré personnellement, je ne parviens pas à pénétrer une mécanique intellectuelle ni une vision du monde, selon la situation de la Mauritanie actuelle, et une culture propre. Il semble que Mohamed Ould Abdel Aziz ait le don rare d’induire en confiance : devant lui, trompées, se sont inclinées des valeurs mauritaniennes sûres et des personnalités politiques chevronnées. Notamment Ahmed Ould Daddah, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, Messaoud Ould Boulkheir. Les opposants peuvent protester, mais ils n’ont pas “réussi”. Au contraire, même en discours de logique, en véritable trouvailles de présentation et de communication, Mohamed Ould Abdel Aziz empêche la réplique. Le putsch n’est qu’une « rectification », une considération par les militaires qu’il vaut mieux l’un d’eux pour conduire la nouvelle expérience démocratiques. Héritier de la jurisprudence de ses prédécesseurs militaires, Mohamed Ould Abdel Aziz s’oppose à toute forme d’islamisme politique et passe pour le protecteur cohérent de la religion.

Bertrand Fessard de Foucault,
jeudi 13 Mars 2014
 

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