Une image fondée mais partielle
peut occulter la réalité et empêcher le remède
La question de
l’esclavage est très claire en droit du travail, en droit social dans les
sociétés européennes et américaines. Elle l’est aussi en droit mauritanien à
l’issue d’un long processus, 1° commencé en 1967-1969 pendant la période
fondatrice incarnée par Moktar Ould
Daddah (refus par l’autorité judiciaire de toute poursuite
engagée par un maître contre son serviteur au titre de cette relation), 2° continué
en 1981 par le régime militaire d‘alors abolissant laborieusement après un
scandale public l’esclavage dans son principe (une jeune fille mise sur le
marché d’Atar) mais ne réglant aucun des problèmes patrimoniaux et créant même
les conflits fonciers dont sortiront entre autres les dramatiques événements de
1989, 3° enfin abouti en 2007 par le régime démocratique conduit par Sidi Mohamed Ould
Cheikh Abdallahi.
Il est certain que le
renversement de celui-ci a valu aussitôt et de fait l’impunité de ceux qui ont
persisté à ne pas observer la loi criminalisant ces pratiques, et a surtout
fait considérer par les autorités policières comme lettre morte l’obligation
faite aux tiers de les dénoncer. C’est l’emprisonnement de ces dénonciateurs,
s’en prenant à des parents de l’actuel homme fort, qui a fait déborder le vase.
Biram Dah Ould Abeid, bien plus récent avec l’IRA dans le combat abolitionniste
mauritanien que Messeoud Ould Boubacar de SOS Esclaves, est ainsi monté en
scène.
La question est
cependant bien plus vaste et complexe que la mise en œuvre du droit ou que des
incidents spectaculaires et même violents. Elle est nationale car elle contient
un problème ethnique et un problème culturel. Ceux-ci sont occultés si la
question n’est posée qu’en termes de société et de droit, quoique cette double
interrogation soit légitime.
La Mauritanie est
pluri-ethnique. Chacune de ses composantes a pratiqué et pratique encore
l’esclavage. Mais le clivage binaire bien connu aux débuts de l’indépendance et
donnant lieu à des statistiques distinguant les Noirs des Blancs, les
originaires de la vallée du Fleuve et les « beidanes »,et définissant
majorité et minorité, a fait place à une observation plus proche de la réalité. Les
affranchis ou haratines sont généralement originaires de la vallée du Fleuve,
donc de race noire, mais ont été acculturés et sont devenus hassanophones. Un
métissage profond et réussi, même s’il peut être discuté dans son origine et
aussi dans certains de ses effets acculturants. Le problème initial était de
laisser une place suffisante à la minorité noire – rien que cela donna lieu à
des débats passionnés et à de nombreuses occultations institutionnelles dès
1961 et sans solution que coutumières – mais se déplaça du politique au
culturel : l’arabisation envisagée mais jamais totale du système éducatif
et des expressions nationales, se heurta à un refus de la minorité, exigeant le
maintien courant du français, hérité de l’administration coloniale. Ces
conflits ne dégénérèrent pas grâce au prestige, à la modération mais aussi à
une détermination de fond du président Moktar Ould Daddah.
Les régimes
autoritaires ont surtout traité le problème en termes d’apparence : les
langues de la vallée du Fleuve ont été promues et des carrières d’affranchis,
de race noire mais de culture arabe, ont fait apparaître une nouvelle élite au
gouvernement et dans les entreprises. Un Premier ministre en 2003, le président
de l’Assemblée nationale de 2007 à 2014, candidat de poids à trois élections
présidentielles successives. Mais ces apparences sont émollients parce qu’à la
revendication culturelle et sociale, déjà clivante, vient s’ajouter un nouvel
élément, propre à toutes les ambiguités et à toutes les récupérations : la
mise en cause religieuse si l’Islam devait justifier ou tolérer l’esclavage.
Il y a donc deux
séries de faits.
Les premiers que sont
les pratiques esclavagistes, vérifiées et horribles. Et les seconds qui rendent
sans remèdes les premiers.
Car les
revendications culturelles, ethniques et les diverses voies d’équilibre ou de
compensation en politique ont occulté les pratiques esclavagistes, en politique
intérieure mauritanienne. Ces pratiques n’ont jamais été mises au premier plan
ou au moins à pied d’égalité avec les revendications à tréfonds
communautaristes. Ces dernières ont été le plus souvent ressenties comme
attentatoires à l’unité et à l’équilibre de la nation, tandis que l’esclavage a
été inoré dans ses conséquences sur la cohésion politique nationale.
Aujourd’hui, la rupture n’est pas proche, mais elle peut se conjecturer. Les
études, dénonciations, montées au pinacle des combattants de ces pratiques,
quand elles sont le fait d’organisations internationales ou de chercheurs
étrangers, présentent dans cette configuration deux très gravs dangers. Elles réduisent
le pays à un problème appréhensible mais insoluble de l’extérieur. Elles
grossissent ce facteur au point qu’il peut absorber toutes les autres
revendications culturelles, ethniques et politiques, alors que le moyen de le
traiter est constamment passé sous silence, et que ce moyen l’étranger – les
Etats comme les chercheurs – peuvent aider les Mauritaniens à le mettre en
oeuvre.
En effet, la racine
aussi bien des questions et problèmes, que des remèdes est la démocratie,
fondée sur le respect de chacun par chacun, autrement dit sur le respect des
droits de l’homme par l’Etat aussi et surtout. Seul un Etat démocratique ou en
cours d’invention d’une démocratie sincère et vécue dans des pays dont
l’atavisme est la délibération et le plus souvent la liberté de parole et de
discussion, peut résoudre la plaie sociale.
Or les organisations
internationales et les ressortissants des Etats étrangers ont conforté depuis
1978 les dictatures militaires en Mauritanie, et confortent particulièrement
l’actuelle. La caution française au putsch de Mohamed Ould Abdel Aziz a été achetée à
Claude Guéant par le financier du coup (Mohamed Ould Bouamatou, depuis réfugié
au Maroc). En focalisant l'étranger (qui ne demande que cela car celui ne lui
coûte rien) sur une Mauritanie esclavagiste on fait oublier la Mauritanie sous
régime militaire depuis depuis trente-six sauf une parenthèse de quinze mois
dont il a été très vite admis que ce n’avait été qu’une parenthèse, une
anomalie.
Le régime actuel dont
la complaisance est certaine pour que soit lettre morte les législations
anti-esclavagistes, ne subit donc pas la critique qui le meutrirait vraiment.
La plaie sociale dénoncée semble si profonde qu’il est exonéré de toute
responsabilité. Tandis que ce dont il est responsable ne lui est pas reproché.
L’inconsistance de l’opposition n’est pas attribuée à la corruption morale sur
laquelle se fonde le régime, les capacités sécuritaires de celui-ci ne sont que
putatives et pas évaluées factuellement. Tout simplement parce que reconnaître
la plaie dictatoriale, en avouer une des origines – la caution française auprès
de l’Union européenne puis de l’Union africaine – serait couteux. Et serait
aussi une révolution mentale – notamment pour la France, de plus en plus isolée de ses
partenaires de l’Union européenne, dans la conduite de politiques africaines
qu’elle avait su mutualiser quand se négocia le traité de Rome et qu’elle s’est
ensuite réservée en la rendant de
plus en plus occulte et contradictoire. Comprendre que les
Mauritaniens, entre autres Africains et Arabes, sont capables de démocratie,
première étape pour changer les sociétés. Préalable-même. Passer du cynisme, du
soi-disant réalisme qui est toujours à très court terme à une coopération
fraternelle pour inventer de nouveaux régimes politiques et économiques propres
à l'Afrique.
D’autre part, réduire
aussi la Mauritanie à n’être que « l’île aux esclaves », c’est ne pas
la présenter dans une dynamique qui a su triompher jusqu’à présent de
dialectiques mortifères, précisément ces pratiques, précisément ces dictatures
militaires.
A sa naissance comme
Etat indépendant et moderne, la Mauritanie était donnée pour artificielle et
morte-née. En quelques années, grâce à un régime fonctionnant très
collégialement et avec probité – celui de Moktar Ould Daddah – elle a affirmé
sa réalité. Des crises terribles comme les événements d’Avril-Mai 1989, puis
les « années de braise », imputables aux régimes militaires ne l’ont
pas dissociée. Et aujourd’hui les tentations communautaristes ou l’exploitation
des tabous religieux par le régime ne détruisent toujours pas la Mauritanie, ni
dans son espérance d’un autre sort quotidien, ni dans sa pétition démocratique.
Le putsch de 2008 a été le premier en Afrique a être aussitôt contesté et à le
rester jusqu’à ce que l’étranger impose le subterfuge d’élections sans contrôle
pour légitimer le fait accompli et surtout son auteur, parangon d’une
sécurité sahélienne (il n’est d’ailleurs pas le seul de la région, cf. le
général Déby) : c’est le déshonneur des censeurs et l’habileté du putschiste,
ce n’est pas la carence mauritanienne. Face à ces responsabilités pratiques et
morales de l’étranger, la Mauritanie à chacune de ses générations depuis
l’autonomie interne et l’indépendance a su trouver les antidotes à ce qui pouvait
la détruire. Le
parti unique de l’Etat, s’il était étudié dans le fonctionnement réel qui fut
le sien, illustrerait ce qui fut tiré des dispositions mauritaniennes pour des
consensus et des délibérations de formes traditionnelles, et la démocratie non
écrite et non décrite qui en résulta. Au contraire, les systèmes de
légitimation électorale du pouvoir en place autant que les théories de
l’alternance au pouvoir ont démontré qu’ils ne sont pas démocratiques et ne
peuvent aller au fond des questions et problèmes. Rien qu’en quinze mois de
présidence, le seul élu démocratiquement, Sidi Mohamed Ould
Cheikh Abdallahi, a fait ce qu’en plus de trente ans les régimes d’autorité
militaire n’ont pu même imaginer.
Depuis une vingtaine
d’années maintenant, l’antidote à la violence sociale et aux clivages racieux
semble la prise de conscience des haratines, plus à l’intérieur du pays que
dans la diaspora.
Ceux-ci n’ont pas cédé à la tentation communautaire que
certains originaires de la Vallée du Fleuve depuis 1996 et surtout 1985 ont
prisé. Ils ont su également ne pas rester prisonnier d’une assimilation à la
seule classe de leurs anciens maîtres. Ils sont apparus pour ce qu’ils sont,
ils apparaissent aussi pour ce dont ils viennent et ce sont eux qui sont certainement
le plus capable de résoudre la question de l’esclavage, de même que ce sont eux
qui décideront le plus pratiquement la démocratie. Il est
significatif que le premier grand moment de concertation politique et de
consensus, depuis les congrès du Parti du Peuple mauritanien et de ses
devanciers de 1958 à 1978, ait été organisé par un hartani. Significatif que la
contestation du putsch de 2008 ait été aussitôt porté par le président de
l’Assemblée nationale, lui aussi un ancien esclave. Plus important et
significatif encore, les grandes tentes maures se reconnaissent dans ces
haratines de gouvernement, de parlement, de nationalisme aussi fier que
réfléchi. En ce sens, le métissage à tous égards a pu produire du fruit. Gage
pour l’éradication de l’esclavage.
Le moyen de changer
la société – et tout autant de garantir la sécurité dans la région en tarissant
les arguments du recrutement salafiste et « terroriste » – c'est
d'établir un régime démocratique. D’autant plus que le pays en a la ressource
humaine et la racine traditionnelle aisée à transposer.
Si la démocratie
c'est le respect mutuel, de là tout naturellement l'éradication de l'esclavage.
N'inversez pas les facteurs chronologiquement, car alors vous n'arriverez à
rien, c’est mon dialogue presque chaque semaine avec Hanoune Diko et le site
haratine en cours de réorganisation, et situant d’ailleurs, avec une
agressivité inutile, l’escslavage dans la seule sphère arabo-berbère. Si le
président Sidi était demeuré au pouvoir et venait d'être réélu pour un second
et dernier mandat - règne de sagesse et de consensus - les dossiers brûlants
seraient dans la sérénité en voie de se clore. La réélection de Mohamed Ould Abdel Aziz va au contraire
renforcer ces impunités et ces corruptions qui permettent la perpétuation de ce
que la recherche comme la diaspora haratine mauritanienne à l’étranger, dénoncent.
En conclusion et sur
le sujet précis de l’enquête et du texte de Nicolas Bibeau et Thalia Bayle, les
observations ci-après d’un ami peuvent être utiles, car elles sont portées de
cœur et d’intelligence.
----- Original Message -----
From:
Sent: Friday, March 21, 2014 6:16 PM
Subject: Re: Notre enquête : Mauritanie,
l'île aux esclaves (Première partie)
Citation -
J'ai lu ce texte et je suis
très affecté par la facilité avec laquelle les auteurs font leurs certains
amalgames, sacrifiant ainsi aux clichés et autres raccourcis en la matière. (1)
S'il est indéniable que des pratiques esclavagistes existent toujours en
Mauritanie et qu'il temps d'y mettre fin de la plus énergique des manières, il
est en revanche fantaisiste d'affirmer que le pays abrite des marchés aux
esclaves et autres endroits de traite des noirs. Face à la politique du déni
entretenue par le pouvoir du général putschiste, l'amalgame porte préjudice aux
victimes et renvoie la fin de leur calvaire aux calendes grecques. (2) Les
"maures" désigne aussi bien les fameux arabo-berbères 'blancs' visés
ici que d'autres, 'noirs' ceux-là ; souvent plus noirs de peau et d'origine
ethnique que ceux qu'ils asservissent. En effet, si la plupart des esclaves est
d'origine noire (on verra plus loin pourquoi), tous les esclavagistes ne sont
pas, loin s'en faut, "blancs". Une simple enquête indépendante et
objective, montrerait rapidement que les "maîtres" comptent davantage
de noirs que de blancs, sinon plus en comptant les esclavagistes dans les
ethnies pulaar, soninkée et ouolof, dont on parle peu d'habitude ! (3) L'esclavage
en Mauritanie n'est pas d'origine islamique et ne peut, en aucun cas être
imputé à cette religion, instrumentalisée pour sa légitimation exactement comme
le christianisme le fut pour justifier la traite négrière. Une hypocrisie de
clergé donc.Les maures n'ont pas amené d'esclaves avec eux ( d'Arabie ou
d'ailleurs), ils ont copié cette pratique, en même temps que le système de
castes, chez les populations autochtones dont les fameux nobles étaient
pourvoyeurs d'esclaves en même temps que les razzias. C'est d'ailleurs, ce qui
explique que la majorité des esclaves mauritaniens (qui comptent des
"blancs") sont "noirs". Les marabouts ("blancs"
et "noirs") ont trouvé les arguments religieux pour légitimer la pratique. Vouloir
circonscrire ce phénomène honteux au seul espace maure mauritanien, relève donc
d'un amalgame facile à confondre.(4) Enfin, parler de "système
beydane" pour désigner les régimes autocratiques qui gouvernement la
Mauritanie depuis le coup d'Etat de 1978, c'est aussi, un autre amalgame. Les
juntes militaires qui se sont succédé au pouvoir ici ont toujours compté des
officiers noirs, souvent à des postes de haute responsabilité (Chef
d'Etat-major, ministre de l'intérieur, Directeur de la sûreté, ministre,
officiers de commandement opérationnel, etc.) Ils sont coresponsables de toutes
les injustices et exactions commises par ces régimes, que celles-ci soient de
nature raciste, esclavagiste ou autre. L'ethnie maure(dont aucun recensement
crédible n'atteste du caractère "minoritaire") n'est pas et ne
saurait être rendue responsable du bilan de ces régimes. Le régime actuel
ne fait pas exception et le qualifier de "régime beydane" c'est
insulter l'élite politique mauritanienne, de toutes les ethnies et de toutes
les races du pays qui combat Mohamed Ould Abdel Aziz et sa démocrature.
Je suis entièrement d'accord
avec vous : La solution de tous ces problèmes réside dans la démocratie. Seule
elle permettra l'émergence d'une société mauritanienne égalitaire où
s'expriment toutes les sensibilités, et d'un pouvoir issu de la volonté
populaire, tourné vers la construction nationale.
Fin de citation.
----- Original Message -----
To:
Sent: Saturday, March 22, 2014 7:02 AM
Subject: Re: Notre enquête : Mauritanie,
l'île aux esclaves (Première partie)
Je suis entièrement avec vous, mon cher … C'est à croire que la Mauritanie est le
paradis pour les "chercheurs" en mal de contre-sens : c'est vrai en
politque intérieure, Moktar mésestimé et le régime d'alors plus encore : or il
était consensuel, ouvert et évolutif, tandis que MoAA est soutenu et admis de
partout. C'est vrai pour l'essence de la Mauritanie, soit n'existant pas à
raison de sa diversité ethnique, soit faisant partie du Maroc.
Peu importe, il y a la réalité et il y a les Mauritaniens dont
vous êtes insignement. J'ai le visage et la voix, la présence de beaucoup de
vos compatriotes dans l'âme et à l'esprit. Vous êtes très nombreux, vous êtes
majoritaires pour croire à votre pays et à son peuple, surtout composite et qui
a montré sa fierté de vivre, tel quel.
Avec vous.
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