lundi 24 mars 2014

esclavage - réflexion sur une enquête




Une image fondée mais partielle
peut occulter la réalité et empêcher le remède


La question de l’esclavage est très claire en droit du travail, en droit social dans les sociétés européennes et américaines. Elle l’est aussi en droit mauritanien à l’issue d’un long processus, 1° commencé en 1967-1969 pendant la période fondatrice incarnée par Moktar Ould Daddah (refus par l’autorité judiciaire de toute poursuite engagée par un maître contre son serviteur au titre de cette relation), 2° continué en 1981 par le régime militaire d‘alors abolissant laborieusement après un scandale public l’esclavage dans son principe (une jeune fille mise sur le marché d’Atar) mais ne réglant aucun des problèmes patrimoniaux et créant même les conflits fonciers dont sortiront entre autres les dramatiques événements de 1989, 3° enfin abouti en 2007 par le régime démocratique conduit par Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.

Il est certain que le renversement de celui-ci a valu aussitôt et de fait l’impunité de ceux qui ont persisté à ne pas observer la loi criminalisant ces pratiques, et a surtout fait considérer par les autorités policières comme lettre morte l’obligation faite aux tiers de les dénoncer. C’est l’emprisonnement de ces dénonciateurs, s’en prenant à des parents de l’actuel homme fort, qui a fait déborder le vase. Biram Dah Ould Abeid, bien plus récent avec l’IRA dans le combat abolitionniste mauritanien que Messeoud Ould Boubacar de SOS Esclaves, est ainsi monté en scène.

La question est cependant bien plus vaste et complexe que la mise en œuvre du droit ou que des incidents spectaculaires et même violents. Elle est nationale car elle contient un problème ethnique et un problème culturel. Ceux-ci sont occultés si la question n’est posée qu’en termes de société et de droit, quoique cette double interrogation soit légitime.

La Mauritanie est pluri-ethnique. Chacune de ses composantes a pratiqué et pratique encore l’esclavage. Mais le clivage binaire bien connu aux débuts de l’indépendance et donnant lieu à des statistiques distinguant les Noirs des Blancs, les originaires de la vallée du Fleuve et les « beidanes »,et définissant majorité et minorité, a fait place à une observation plus proche de la réalité. Les affranchis ou haratines sont généralement originaires de la vallée du Fleuve, donc de race noire, mais ont été acculturés et sont devenus hassanophones. Un métissage profond et réussi, même s’il peut être discuté dans son origine et aussi dans certains de ses effets acculturants. Le problème initial était de laisser une place suffisante à la minorité noire – rien que cela donna lieu à des débats passionnés et à de nombreuses occultations institutionnelles dès 1961 et sans solution que coutumières – mais se déplaça du politique au culturel : l’arabisation envisagée mais jamais totale du système éducatif et des expressions nationales, se heurta à un refus de la minorité, exigeant le maintien courant du français, hérité de l’administration coloniale. Ces conflits ne dégénérèrent pas grâce au prestige, à la modération mais aussi à une détermination de fond du président Moktar Ould Daddah.

Les régimes autoritaires ont surtout traité le problème en termes d’apparence : les langues de la vallée du Fleuve ont été promues et des carrières d’affranchis, de race noire mais de culture arabe, ont fait apparaître une nouvelle élite au gouvernement et dans les entreprises. Un Premier ministre en 2003, le président de l’Assemblée nationale de 2007 à 2014, candidat de poids à trois élections présidentielles successives. Mais ces apparences sont émollients parce qu’à la revendication culturelle et sociale, déjà clivante, vient s’ajouter un nouvel élément, propre à toutes les ambiguités et à toutes les récupérations : la mise en cause religieuse si l’Islam devait justifier ou tolérer l’esclavage.

Il y a donc deux séries de faits.

Les premiers que sont les pratiques esclavagistes, vérifiées et horribles. Et les seconds qui rendent sans remèdes les premiers.

Car les revendications culturelles, ethniques et les diverses voies d’équilibre ou de compensation en politique ont occulté les pratiques esclavagistes, en politique intérieure mauritanienne. Ces pratiques n’ont jamais été mises au premier plan ou au moins à pied d’égalité avec les revendications à tréfonds communautaristes. Ces dernières ont été le plus souvent ressenties comme attentatoires à l’unité et à l’équilibre de la nation, tandis que l’esclavage a été inoré dans ses conséquences sur la cohésion politique nationale. Aujourd’hui, la rupture n’est pas proche, mais elle peut se conjecturer. Les études, dénonciations, montées au pinacle des combattants de ces pratiques, quand elles sont le fait d’organisations internationales ou de chercheurs étrangers, présentent dans cette configuration deux très gravs dangers. Elles réduisent le pays à un problème appréhensible mais insoluble de l’extérieur. Elles grossissent ce facteur au point qu’il peut absorber toutes les autres revendications culturelles, ethniques et politiques, alors que le moyen de le traiter est constamment passé sous silence, et que ce moyen l’étranger – les Etats comme les chercheurs – peuvent aider les Mauritaniens à le mettre en oeuvre.

En effet, la racine aussi bien des questions et problèmes, que des remèdes est la démocratie, fondée sur le respect de chacun par chacun, autrement dit sur le respect des droits de l’homme par l’Etat aussi et surtout. Seul un Etat démocratique ou en cours d’invention d’une démocratie sincère et vécue dans des pays dont l’atavisme est la délibération et le plus souvent la liberté de parole et de discussion, peut résoudre la plaie sociale.

Or les organisations internationales et les ressortissants des Etats étrangers ont conforté depuis 1978 les dictatures militaires en Mauritanie, et confortent particulièrement l’actuelle. La caution française au putsch de Mohamed Ould Abdel Aziz a été achetée à Claude Guéant par le financier du coup (Mohamed Ould Bouamatou, depuis réfugié au Maroc). En focalisant l'étranger (qui ne demande que cela car celui ne lui coûte rien) sur une Mauritanie esclavagiste on fait oublier la Mauritanie sous régime militaire depuis depuis trente-six sauf une parenthèse de quinze mois dont il a été très vite admis que ce n’avait été qu’une parenthèse, une anomalie.

Le régime actuel dont la complaisance est certaine pour que soit lettre morte les législations anti-esclavagistes, ne subit donc pas la critique qui le meutrirait vraiment. La plaie sociale dénoncée semble si profonde qu’il est exonéré de toute responsabilité. Tandis que ce dont il est responsable ne lui est pas reproché. L’inconsistance de l’opposition n’est pas attribuée à la corruption morale sur laquelle se fonde le régime, les capacités sécuritaires de celui-ci ne sont que putatives et pas évaluées factuellement. Tout simplement parce que reconnaître la plaie dictatoriale, en avouer une des origines – la caution française auprès de l’Union européenne puis de l’Union africaine – serait couteux. Et serait aussi une révolution mentale – notamment pour la France, de plus en plus isolée de ses partenaires de l’Union européenne, dans la conduite de politiques africaines qu’elle avait su mutualiser quand se négocia le traité de Rome et qu’elle s’est ensuite réservée en la rendant de plus en plus occulte et contradictoire. Comprendre que les Mauritaniens, entre autres Africains et Arabes, sont capables de démocratie, première étape pour changer les sociétés. Préalable-même. Passer du cynisme, du soi-disant réalisme qui est toujours à très court terme à une coopération fraternelle pour inventer de nouveaux régimes politiques et économiques propres à l'Afrique.

D’autre part, réduire aussi la Mauritanie à n’être que « l’île aux esclaves », c’est ne pas la présenter dans une dynamique qui a su triompher jusqu’à présent de dialectiques mortifères, précisément ces pratiques, précisément ces dictatures militaires.

A sa naissance comme Etat indépendant et moderne, la Mauritanie était donnée pour artificielle et morte-née. En quelques années, grâce à un régime fonctionnant très collégialement et avec probité – celui de Moktar Ould Daddah – elle a affirmé sa réalité. Des crises terribles comme les événements d’Avril-Mai 1989, puis les « années de braise », imputables aux régimes militaires ne l’ont pas dissociée. Et aujourd’hui les tentations communautaristes ou l’exploitation des tabous religieux par le régime ne détruisent toujours pas la Mauritanie, ni dans son espérance d’un autre sort quotidien, ni dans sa pétition démocratique. Le putsch de 2008 a été le premier en Afrique a être aussitôt contesté et à le rester jusqu’à ce que l’étranger impose le subterfuge d’élections sans contrôle pour légitimer le fait accompli et surtout son auteur, parangon d’une sécurité sahélienne (il n’est d’ailleurs pas le seul de la région, cf. le général Déby) : c’est le déshonneur des censeurs et l’habileté du putschiste, ce n’est pas la carence mauritanienne. Face à ces responsabilités pratiques et morales de l’étranger, la Mauritanie à chacune de ses générations depuis l’autonomie interne et l’indépendance a su trouver les antidotes à ce qui pouvait la détruire. Le parti unique de l’Etat, s’il était étudié dans le fonctionnement réel qui fut le sien, illustrerait ce qui fut tiré des dispositions mauritaniennes pour des consensus et des délibérations de formes traditionnelles, et la démocratie non écrite et non décrite qui en résulta. Au contraire, les systèmes de légitimation électorale du pouvoir en place autant que les théories de l’alternance au pouvoir ont démontré qu’ils ne sont pas démocratiques et ne peuvent aller au fond des questions et problèmes. Rien qu’en quinze mois de présidence, le seul élu démocratiquement, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, a fait ce qu’en plus de trente ans les régimes d’autorité militaire n’ont pu même imaginer.

Depuis une vingtaine d’années maintenant, l’antidote à la violence sociale et aux clivages racieux semble la prise de conscience des haratines, plus à l’intérieur du pays que dans la diaspora. Ceux-ci n’ont pas cédé à la tentation communautaire que certains originaires de la Vallée du Fleuve depuis 1996 et surtout 1985 ont prisé. Ils ont su également ne pas rester prisonnier d’une assimilation à la seule classe de leurs anciens maîtres. Ils sont apparus pour ce qu’ils sont, ils apparaissent aussi pour ce dont ils viennent et ce sont eux qui sont certainement le plus capable de résoudre la question de l’esclavage, de même que ce sont eux qui décideront le plus pratiquement la démocratie. Il est significatif que le premier grand moment de concertation politique et de consensus, depuis les congrès du Parti du Peuple mauritanien et de ses devanciers de 1958 à 1978, ait été organisé par un hartani. Significatif que la contestation du putsch de 2008 ait été aussitôt porté par le président de l’Assemblée nationale, lui aussi un ancien esclave. Plus important et significatif encore, les grandes tentes maures se reconnaissent dans ces haratines de gouvernement, de parlement, de nationalisme aussi fier que réfléchi. En ce sens, le métissage à tous égards a pu produire du fruit. Gage pour l’éradication de l’esclavage.

Le moyen de changer la société – et tout autant de garantir la sécurité dans la région en tarissant les arguments du recrutement salafiste et « terroriste » – c'est d'établir un régime démocratique. D’autant plus que le pays en a la ressource humaine et la racine traditionnelle aisée à transposer.

Si la démocratie c'est le respect mutuel, de là tout naturellement l'éradication de l'esclavage. N'inversez pas les facteurs chronologiquement, car alors vous n'arriverez à rien, c’est mon dialogue presque chaque semaine avec Hanoune Diko et le site haratine en cours de réorganisation, et situant d’ailleurs, avec une agressivité inutile, l’escslavage dans la seule sphère arabo-berbère. Si le président Sidi était demeuré au pouvoir et venait d'être réélu pour un second et dernier mandat - règne de sagesse et de consensus - les dossiers brûlants seraient dans la sérénité en voie de se clore. La réélection de Mohamed Ould Abdel Aziz va au contraire renforcer ces impunités et ces corruptions qui permettent la perpétuation de ce que la recherche comme la diaspora haratine mauritanienne à l’étranger, dénoncent.

En conclusion et sur le sujet précis de l’enquête et du texte de Nicolas Bibeau et Thalia Bayle, les observations ci-après d’un ami peuvent être utiles, car elles sont portées de cœur et d’intelligence.

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From:
Sent: Friday, March 21, 2014 6:16 PM
Subject: Re: Notre enquête : Mauritanie, l'île aux esclaves (Première partie)

Citation -
J'ai lu ce texte et je suis très affecté par la facilité avec laquelle les auteurs font leurs certains amalgames, sacrifiant ainsi aux clichés et autres raccourcis en la matière. (1) S'il est indéniable que des pratiques esclavagistes existent toujours en Mauritanie et qu'il temps d'y mettre fin de la plus énergique des manières, il est en revanche fantaisiste d'affirmer que le pays abrite des marchés aux esclaves et autres endroits de traite des noirs. Face à la politique du déni entretenue par le pouvoir du général putschiste, l'amalgame porte préjudice aux victimes et renvoie la fin de leur calvaire aux calendes grecques. (2) Les "maures" désigne aussi bien les fameux arabo-berbères 'blancs' visés ici que d'autres, 'noirs' ceux-là ; souvent plus noirs de peau et d'origine ethnique que ceux qu'ils asservissent. En effet, si la plupart des esclaves est d'origine noire (on verra plus loin pourquoi), tous les esclavagistes ne sont pas, loin s'en faut, "blancs". Une simple enquête indépendante et objective, montrerait rapidement que les "maîtres" comptent davantage de noirs que de blancs, sinon plus en comptant les esclavagistes dans les ethnies pulaar, soninkée et ouolof, dont on parle peu d'habitude ! (3) L'esclavage en Mauritanie n'est pas d'origine islamique et ne peut, en aucun cas être imputé à cette religion, instrumentalisée pour sa légitimation exactement comme le christianisme le fut pour justifier la traite négrière. Une hypocrisie de clergé donc.Les maures n'ont pas amené d'esclaves avec eux ( d'Arabie ou d'ailleurs), ils ont copié cette pratique, en même temps que le système de castes, chez les populations autochtones dont les fameux nobles étaient pourvoyeurs d'esclaves en même temps que les razzias. C'est d'ailleurs, ce qui explique que la majorité des esclaves mauritaniens (qui comptent des "blancs") sont "noirs". Les marabouts ("blancs" et "noirs") ont trouvé les arguments religieux pour légitimer la pratique. Vouloir circonscrire ce phénomène honteux au seul espace maure mauritanien, relève donc d'un amalgame facile à confondre.(4) Enfin, parler de "système beydane" pour désigner les régimes autocratiques qui gouvernement la Mauritanie depuis le coup d'Etat de 1978, c'est aussi, un autre amalgame. Les juntes militaires qui se sont succédé au pouvoir ici ont toujours compté des officiers noirs, souvent à des postes de haute responsabilité (Chef d'Etat-major, ministre de l'intérieur, Directeur de la sûreté, ministre, officiers de commandement opérationnel, etc.) Ils sont coresponsables de toutes les injustices et exactions commises par ces régimes, que celles-ci soient de nature raciste, esclavagiste ou autre. L'ethnie maure(dont aucun recensement crédible n'atteste du caractère "minoritaire") n'est pas et ne saurait être rendue responsable du bilan de ces régimes. Le régime actuel  ne fait pas exception et le qualifier de "régime beydane" c'est insulter l'élite politique mauritanienne, de toutes les ethnies et de toutes les races du pays qui combat Mohamed Ould Abdel Aziz et sa démocrature.
Je suis entièrement d'accord avec vous : La solution de tous ces problèmes réside dans la démocratie. Seule elle permettra l'émergence d'une société mauritanienne égalitaire où s'expriment toutes les sensibilités, et d'un pouvoir issu de la volonté populaire, tourné vers la construction nationale.
Fin de citation.
----- Original Message -----
To:
Sent: Saturday, March 22, 2014 7:02 AM
Subject: Re: Notre enquête : Mauritanie, l'île aux esclaves (Première partie)

Je suis entièrement avec vous, mon cher …  C'est à croire que la Mauritanie est le paradis pour les "chercheurs" en mal de contre-sens : c'est vrai en politque intérieure, Moktar mésestimé et le régime d'alors plus encore : or il était consensuel, ouvert et évolutif, tandis que MoAA est soutenu et admis de partout. C'est vrai pour l'essence de la Mauritanie, soit n'existant pas à raison de sa diversité ethnique, soit faisant partie du Maroc.

Peu importe, il y a la réalité et il y a les Mauritaniens dont vous êtes insignement. J'ai le visage et la voix, la présence de beaucoup de vos compatriotes dans l'âme et à l'esprit. Vous êtes très nombreux, vous êtes majoritaires pour croire à votre pays et à son peuple, surtout composite et qui a montré sa fierté de vivre, tel quel.

Avec vous.

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