Comment le régime mauritanien utilise les traditions esclavagistes
politique - Par Louise Dimitrakis -
Publié le 03 Jan, 2015
Condamnation à mort pour apostasie, refus d’appliquer la
loi sur l'esclavage... Le pouvoir mauritanien tolère de plus en plus des
dérives liberticides.
En Mauritanie, la condamnation à mort pour apostasie d’un
jeune homme de 29 ans le 24 décembre dernier enfonce un peu plus
le pays dans la répression, révélant les failles de la stratégie politique
du président Mohamed Ould Abdelaziz.
Opposant utile
Jusqu’à présent, la mécanique semblait pourtant bien rodée.
En faisant des militants du mouvement anti esclavagiste de "l'Intiative
pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie"
(IRA) et de son charismatique leader Biram Ould Abeid, l’ennemi public
numéro un, le chef de l’Etat était parvenu à modeler l’échiquier politique
en sa faveur. Trop radical pour être élu, privé du soutien des chefs
religieux et coutumiers et de l’appui d’un appareil politique structuré, Biram
Ould Abeid fut, un temps, un opposant utile au pouvoir d’Aziz. « Il avait
fini par devenir un faire valoir démocratique pour le régime qu’il dérange mais
qui le laissait pourtant s’exprimer » confie un diplomate
mauritanien. Pour le pouvoir, Biram le militant aguerri passé maître dans les
actions coups de poing avait par ailleurs l’avantage de phagocyter une partie
de l'opposition politique sans réellement constituer une menace.
Adoubé par les nations unies qui lui ont décerné le prix
des droits de l’homme, il a en effet mis l'opposition politique
traditionnelle face à ses faiblesses. C’est le cas notamment du
Rassemblement des forces démocratiques (RFD), grand parti d’opposition en
perte de vitesse et dirigé par Ahmed Ould Daddah. Les militants
abolitionnistes de l’IRA lui reprochent notamment de boycotter systématiquement
les élections et de ne pas mettre suffisamment l’accent sur la lutte
abolitionniste.
Rappelons que l’esclavage, encore répandu en Mauritanie,
n’y est interdit que depuis 1981 et criminalisé depuis 2007. En janvier
2014, l’Ong australienne "Walk Free" plaçait le pays à la tête
de son classement des Etats « esclavagistes » avec 150 000 esclaves
pour seulement 3,8 millions d’habitants, soit 4% de la population. La
forme la plus commune d’asservissement touche les populations noires largement
exclues des principaux postes de pouvoir contrôlés par les élites Maures
minoritaires.
Or, en laissant Biram se présenter aux élections
présidentielles l’été dernier et effectuer, dans un calme relatif, une tournée
dans le pays, Aziz a tenté de montrer l’image d’un président ouvert aux
critiques. Aujourd’hui, la condamnation à mort de Mohamed Cheikh Ould
Mohamed qui intervient un mois seulement après l’emprisonnement de plusieurs
militants abolitionnistes, dont Biram, dans la ville de Rosso au sud du pays
met en échec cette stratégie cosmétique qui ne s’est accompagnée d’aucune
mesure de fond. Pire, ces actes de répression mettent en lumière la
complaisance du président vis-à-vis des imams et des groupuscules
fondamentalistes qui font la promotion d’une lecture réactionnaire de l’islam.
Un régime rétrograde
Agé de 29 ans et originaire de Nouadhibou, capitale
économique du pays située au nord-ouest, Mohamed Cheikh Ould Mohamed
avait été arrêté et placé en détention le 2 janvier 2014 après avoir publié une
tribune jugée blasphématoire sur internet. Retiré quelques heures
seulement après sa parution, ce texte critiquait certaines décisions du
prophète au moment de la conquête de la Mecque. Surtout,
l’auteur accusait la société mauritanienne de perpétuer encore aujourd’hui un
ordre social inique, hérité de cette époque. Mohamed Cheikh Ould
Mohamed dénonçait particulièrement le recours à l’islam pour justifier les
discriminations contre certaines franges de la population comme les Haratines
(ces descendants d’esclaves noirs que les Maures blancs avaient arabisés pour
les assimiler à leur communauté) ou encore les « Moualamines »
(forgerons), une caste à laquelle il appartient justement.
Suite à son arrestation, des manifestants, quoique en
nombre limité, avaient défilé dans la capitale Nouakchott pour réclamer la peine
capitale contre lui. A cette occasion, le président Aziz s’était lancé dans un
véritable plaidoyer de l’islam lors d’un discours prononcé devant un parterre
d’habitants massés devant les portes du palais présidentiel. « (…)
Comme, j'ai eu à le préciser par le passé et le réaffirme aujourd'hui, la Mauritanie n'est pas
laïque. L'action que vous entreprenez aujourd'hui est le minimum à faire pour
protester contre ce crime contre notre religion sacrée et je vous assure en
conséquence que moi, personnellement et le gouvernement nous ne ménageront
aucun effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés.
Tout le monde doit comprendre que ce pays est un Etat islamique et que la
démocratie ne signifie pas l'atteinte aux valeurs et symboles sacrés de la
religion. »
Des propos qui ont suscité l'indignation parmis les
représentants de la société civile. « On assiste ni plus ni moins à la
montée d’un extrémisme religieux dans le pays et à son utilisation par le
pouvoir » avait déclaré dans un entretien à Mondafrique
le président de l’organisation "SOS Esclaves", Boubacar
Messaoud.
Cette position d'Aziz ne date pas d'hier. Deux ans
plus tôt en avril 2012, Biram Ould Abeid avait brûlé publiquement plusieurs
ouvrages religieux pour protester contre les interprétations archaïques de
l’islam et son instrumentalisation en vue de justifier l’asservissement d’êtres
humains. Les autorités avaient alors ordonné son arrestation pour atteinte à la
sureté de l’Etat. Aziz avait par ailleurs assuré qu’il appliquerait la charia
avec la plus grande sévérité.
Notre ami Aziz
Avec l’arrestation récente des militants
abolitionnistes et la condamnation à mort de Mohamed Cheikh Ould
Mohamed, le régime mauritanien montre une fois de plus son vrai visage. Celui
d’un pouvoir réactionnaire qui s'aligne sur les interprétations rétrogrades de
l’islam. Une position qui s'explique en partie par les craintes d'Aziz face
à la montée en force dans le pays du parti islamiste Tawassoul dont les
idées sont largement répandues dans les rangs de l’armée que dirige son rival
le chef d'Etat major Mohamed Ould Ghazwani. Le chef de
l'Etat redouterait-il une verision mauritanienne du scénario qui a
conduit à la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso ?
Quoi qu'il en soit, le parti Tawassoul, branche des Frères
musulmans en Mauritanie, constitue désormais une force politique
incontournable dans le pays. Arrivé en deuxième position lors des
élections législatives et municipales de fin 2013, il s'est hissé à la tête de
l’opposition nationale. Face à ce concurrent, le président a tout
intérêt à caresser l’électorat islamiste dans le sens du poil. Quitte à faire
preuve de duplicité vis-à-vis de ses partenaires occidentaux, dont la France, qui le présentent
régulièrement comme un allié privilégié dans la lutte contre le terrorisme
au Sahel.
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