C’est un plaisir de faire écho au dernier
venu des commentateurs de l’histoire nationale mauritanienne, Ould Bedreddine,
juste trente ans après le « 12-12 » – j’en avais connu l’heureux
bénéficiaire, dans l’antichambre du Président, dont il était alors l’aide de
camp et il m’avait, très gentiment et consciencieusement, expliqué la
difficulté qu’il rencontrait lors de chaque voyage officiel de Moktar Ould
Daddah à l’étranger, pour obtenir au petit-déjeuner de celui-ci du lait
tiède… Le colonel Maaouyia Ould
Sid’Ahmed Taya devint ensuite exceptionnel à deux titres : à quelques mois
près, il a failli égaler la longévité au pouvoir du père fondateur mais en
l’employant tout autrement, pendaison d’originaires de la vallée du Fleuve un
28 Novembre, massacre de militaires par d’autres soldats selon l’ethnie,
pogroms et déportation en masse, rupture des relations diplomatiques avec le
Sénégal et reconnaissance d’Israël, arrestation de son prédécesseur la veille
d’un scrutin présidentiel (le dernier pour lui) et au lendemain du même
scrutin, et d’autre part, ce qui est moins antipathique, il n’a jamais dit de
mal de son grand prédécesseur au point que des collaborateurs de premier rang
de celui-ci : Abdoulaye Baro et Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi purent
croire que…
J’admets tout à fait qu’il a existé une
excellente littérature d’opposition en Mauritanie : celle du M.N.D. aux
temps fondateurs (l’imprécateur du 28 Novembre dernier l’a-t-il relue ?
elle a de la cohérence), et celle de Conscience
& Résistance après « les années de braise », mais l’ensemble
ne vaut pas le recueil vécu par le pays-même des allocutions parfois
dramatiques, parfois si heureuses – le 10 Janvier 1966 ou le 28 Novembre 1960 –
et des entretiens donnés par le président Moktar Ould Daddah – celui du 6
Décembre 1974, particulièrement. Et évidemment ses mémoires [1],
entièrement de sa plume, ce qui n’a pas encore son pareil dans toute l’Afrique.
En revanche, les relectures de ce qui fut
ne tiennent pas. Il m’est donc revenu que le 28 Novembre dernier, le florilège
des accusations s’est enrichi. Enumérant maintenant celles-ci, j’ai la
curiosité ou l’orgueil d’en susciter peut-être d’autres dont l’idée ne serait
pas encore venue à des thuriféraires d’un genre subtil. Comment louer un
pouvoir en place qui n’a d’histoire que la sienne [2]
et maintient de fait l’impossibilité d’enseigner celle du pays depuis
l’indépendance [3],
autrement qu’en s’en prenant, dans la mémoire et l’affection des Mauritaniens,
à son seul concurrent.
Premiers dans l’ordre chronologique, le
M.N.D. et plus particulièrement les Kadihines… dont a fait partie le héraut
auquel je veux répondre. Analyse marxiste ingénieuse mise en parole et en livre
par certains Français [4] :
Moktar Ould Daddah, laquais du capitalisme international de la petite
bourgeoisie. A preuve ? la nationalisation de Miferma en Novembre 1974,
tellement exemplaire que la majorité des Kadihines rallia le Parti du Peuple
mauritanien et son secrétaire général pour le congrès d’Août 1975.
Juillet 1978 … « les forces armées, dépositaires en dernier recours de la légitimité
nationale, conscientes de leurs responsabilités ont pris le pouvoir, ou plutôt
ont repris le pouvoir à ceux qui l’ont lâchement spolié pour sauver le pays et
la nation de la ruine et du démembrement, pour sauvegarder l’unité nationale et
défendre l’existence de l’Etat ». La théorie et la pratique sont
nées d’une armée de coup d’Etat, détenant à elle seule au profit d’une partie
de sa hiérarchie… la souveraineté nationale. A l’exception des quinze mois de la présidence de Sidi
Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, c’est ce qui inspire les institutions et la vie
politique mauritaniennes depuis trente-cinq ans. Le colonel Mustapha Ould
Mohamed Saleck commente – ce que reprendra à peu près le général Mohamed Ould
Abdel Aziz, trente ans après : « les institutions républicaines étaient
bafouées, le pays était arrivé à la banqueroute. L’ancien gouvernement s’était
montré incapable de faire face à cette situation. Notre entreprise répond
fidèlement à la volonté profonde du peuple de voir ériger des nouvelles
institutions démocratiques librement choisies par lui. Nous respecterons la
volonté populaire »
Novembre 1980, une juridiction
d’exception condamne Moktar Ould Daddah, par contumace, aux travaux forcés à perpétuité
pour inconstitutionnalité de la guerre du Sahara faute que l’Assemblée
nationale ait été consultée (par le Président ou par le colonel
Boumedienne ?) et pour recel à titre personnel et dilapidation de
l’économie nationale.
Puis de coups en coups, d’abord
en instabilité chronique de 1978 à 1984, puis toujours de coups en coups de
1984 à 1991, les régimes militaires sont si riches d’événements violents que le
passé de paix et l’exercice débonnaire du pouvoir deviennent hors sujets ou
incompréhensibles, enfin c’est la « démocratie de façade » et les
« partis-cartables » [5]
cache-sexe encore aujourd’hui de la dictature. Il n’y a plus même de
comparaison possible.
Sauf changements de rôle par
nouveau coup militaire. A Jeune Afrique
en Novembre 2005, le colonel Ely Ould Mohamed Vall assure que le Parti unique
de l’Etat a servi d’exemple au P.R.D.S. et ironise sur la vocation de la Mauritanie à être le
trait d’union entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche, ce qui revient à
s’asseoir entre deux chaises, selon l’ancien directeur de la sûreté nationale
pendant vingt ans : renseignements généraux, en effet.
Mieux encore, dès son coup
d’Août 2008, le général Mohamed Ould Abdel Aziz entendant mettre fin à la
gabegie – il en est toujours là depuis six ans – assure que celle-ci dure
depuis cinquante ans, soit depuis 1958 et l’exercice du pouvoir par Moktar Ould
Daddah. Il se réclame pourtant de ce dernier, dès l’année suivante pour sa
campagne présidentielle en abusant d’un cliché privé [6].
Maintenant, c’est l’attaque
frontale. Ould Bedreddine, oublieux de la
qualité des analyses de ses anciens partis et secrétaire général de l’U.F.P.,
un des espoirs du F.N.DU. reproche au président-fondateur – le 28 Novembre
dernier – d'avoir "accepté
l'indépendance octroyée par la
France" et "omis
de saluer la mémoire des résistants à la colonisation dans son discours"
d’alors. Selon ce qui m’est rapporté de lui, il amplifie le rôle du syndicat
des enseignants arabisants et de la
Nahda, auxquels il prête des velléités indépendantistes à la Sékou Touré
"courcircuitées" – toujours selon lui – par Moktar Ould Daddah.
Acceptons le procès que menaient seuls jusques-là les militaires et leur régime
d’autorité. Et informons-nous.
« Moktar
est l'homme des Français » ? certes coopté par l’administration
coloniale et le parti majoritaire, l’U.P.M., et surtout par le sénateur Yvon
Razac et le député Sidi El Moktar N’Diaye, qui ne souhaita pas former le
premier gouvernement, dit de la
Loi-Cadre en Mai 1957, Moktar Ould Daddah s’entoure personnellement de la jeunesse
nationaliste de l’A.J.M. dont certains comme Mohamed Ould Cheikh sont
d’ailleurs suspects pour l’autorité française. Il force le parti majoritaire à
accepter au gouvernement les ténors du parti d’opposition (l’Ente mauritanienne
de l’ancien député Horma Ould Babana qui vient de faire allégeance au Maroc).
Il fait affirmer au congrès d’Aleg, en Mai 1958, avant donc le retour au
pouvoir du général de Gaulle, la vocation de la Mauritanie à
l’indépendance. S’il fait opter pour le oui au referendum de Septembre 1958,
c’est en réaffirmant ce droit. Seul de tous ses pairs en Conseil exécutif de la Communauté, présidé à
l’Elysée par le général de Gaulle, il dénonce les essais nucléaires au Sahara
et la poursuite de la guerre en Algérie. Seule des Etats africains d’expression
française, la Mauritanie
proclame son indépendance sans avoir signé au préalable d’accords de
coopération. Seule, elle le fait hors la Communauté. Alors
que le concours financier français reste indispensable tant que Miferma n’est
pas en régime d’exploitation, Moktar Ould Daddah condamne l’ancienne métropole
à propos de son conflit avec la
Tunisie pour Bizerte. Et dès que sont en vue les nouvelles
ressources fiscales, il se passe de « la subvention d’équilibre ».
En Novembre 1963, Moktar Ould Daddah, chargé
unanimement au Bureau politique national, de résoudre la crise qui vient d’y
éclater, part étudier le système guinéen et en fait alors une appréciation
telle que le nouvel ambassadeur de France, le très brillant et important
Jean-François Deniau, lui est envoyé pour le « débarquer » (c’est
Léopold Sedar Senghor qui l’en avertit). Le Président abat la carte dès la
remise des lettres de créance, cherchez mon remplaçant vous êtes libre !
Télégramme diplomatique étrange du lendemain du putsch de 1978, dont
l’ambassadeur Removille s’est plus tard excusé après du Président : le
gouvernement est en train de se former et « la situation va redevenir normale » ! enfin ? En Mai
1965, ne pouvant admettre en tant que président de l’O.C.AM., nouvelle
appellation de l’ensemble des Etats anciennement territoires d’Outre-Mer
français, admettre dans l’institution l’assassin de Lumumba, il en sort. Modibo
Keïta l’avertit que les Français cherchent à l’abattre.
En Juillet 1972, c’est la demande de révision des
accords de coopération. Dans la négociation, le marché est proposé par la France : un compte
d’opération au Trésor français pour la future monnaie nationale à certaines
conditions, dont le maintien du décanat du corps diplomatique et certains
accords de défense. Refus de Moktar Ould Daddah. Réflexe de dignité nationale
qu’il aura aussi bien avec Boumedienne à Béchar en Novembre 1975, alors que ce
dernier oubliait la militance du Mauritanien pour l’indépendance algérienne…
Sans doute, le général de Gaulle et Valéry Giscard
d’Estaing manifestèrent la plus grande estime personnelle pour le président
fondateur. Fut-ce au désavantage de la Mauritanie ? défendue du Maroc en 1957-1958
et de l’Algérie (les Jaguar) en
1977-1978.
Pas patriote ? la Nahda, pro-marocaine dans
son expression indépendantiste, quoiqu’elle s’en soit soit défendue, l’aurait
été davantage ? ou les partisans de la Fédération du
Mali ? autant dire des f auteurs d’éclatement de la Mauritanie. D’ailleurs,
la Nahda fut la
plus fervente des formations politiques de 1960-1961 pour vouloir et fonder la
fusion des partis existants (la « table ronde », direction politique
collégiale du pays de Mai à Décembre 1961 investissant d’ailleurs Moktar Ould
Daddah comme candidat unique à la première élection présidentielle en
Mauritanie) et ce sont ses chefs, très notamment Ahmed Baba Ould Ahmed Miske
qui organisèrent les premiers le Parti du Peuple mauritanien, ses organes, sa
permanence… institutions d’ailleurs mimées par les militaires jusqu’en
2005-2006 compris. Pour Jean-François Deniau, la Nahda était pratiquement au
pouvoir en Juin-Juillet 1965 quand la Mauritanie quitte donc l’O.C.A.M., reconnaît la Chine populaire et qu’est
écouté par le Chef de l’Etat le mémorable discours que prononce en fin d’années
scolaire Mohameden Ould Babbah, arabisant s’il en est et pourtant l’ultime
ministre de la Défense
du régime fondateur, agressé à propos du Sahara – que de plus en plus, à
l’étude de tout ce que je lis en documents diplomatiques des années 1960-1970
ou en rapports des organisateurs du Territoire civil entre 1903 et 1914, je
crois fermement : mauritanien.
Pas patriote ? Celui qui constamment ouvre le
Parti unique et son organe de décision : le Bureau politique aux
générations montantes ? Celui qui s’adresse à ses compatriotes du Tiris El
Gharbia et de l’Azaouad (quitte à partir de 1963 à militer pour la décision
fondatrice de l’Organisation de l’Unité Africaine : l’intangibilité des
frontières héritées pour le meilleur ou le moins bon de la colonisation) ?
Celui qui salue, dans ses mémoires, le Chérif Hamalla en tant que l’un des plus
illustres nationalistes mauritaniens ? Celui qui reçoit à sa table, en
1976, Horma Ould Babana qui pourtant armait au Mali quinze ans auparavant ses
possibles assassins ?
Témoignage personnel – mais qui ne serait pas
recevable pour le négationniste, puisque je suis français de naissance ? –
de Moktar Ould Daddah que je place aussi haut dans ma vie et dans l’histoire
contemporaine, que le général de Gaulle, j’ai appris que la sainteté existe en
politique et qu’elle est même nécessaire. La Mauritanie a reçu de
Dieu et l’a vraiment cultivé, l’exceptionnel privilège d’être fondée et
incarnée comme elle l’a été. Ne pas le reconnaître, c’est –
accessoirement ? – se priver d’un grand allié pour le combat de la
démocratie à rétablir et à réinventer.
[1] - Moktar Ould Daddah, La
Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 659 pages)
disponible en arabe et en français
[2] - l’Agence mauritanienne d’information A.M.I., numérisée depuis le 1er
Janvier 2001, ne commence ses archives qu’à compter du 6 Août 2008, 11 heures
du matin – la censure sur le passé a été établie dans les huit jours et n’est
toujours pas levée
[3] -
l’actuel colloque de l’U.P.R. sur le thème de « la généralisation de
l’enseignement pour une école républicaine » va peut-être y
remédier ?
[4] - mon
ami Francis de Chassey, professeur au lycée de Nouakchott en philosophie dans
les années 1960 et 1970 : il s’en excusa ensuite auprès du président
Moktar Ould Daddah
[5] -
expression du plus illustre défenseur des droits de l’homme en Mauritanie, M°
Brahim Ould Ebetty qu’évidemment il ne fallait pas voir élu bâtonnier de
l’Ordre des avocats
[6] - que
j’ai pris pendant la dernière grande tournée du Président dans l’intérieur du
pays : la Ivème Région,
à Maghta-Lahjar - il orne la couverture
des mémoires de Moktar Ould Daddah dont Mariem Daddah dut forcer la modestie
pour qu’il accepte cette illustration
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