mardi 17 juillet 2012

celui qui revient - extrait de mon journal . juillet 2001

Ces notes, données à leur date, au Président et à Madame Moktar Ould Daddah, n'ont pas été retouchées.
Les propos mis dans la bouche des uns et des autres n'engagent que le narrateur



CELUI QUI REVIENT

notes de journal intime : 12 - 23Juillet 2001

extraites de mon journal « intime », ces notes sont ici en premier jet.







Dans le T.G.V. Vannes Paris & retour, jeudi 12 Juillet 2001

 06 heures  + J’entre dans une nouvelle vie, une nouvelle ambiance, avec de nouveaux points de repère…quoique ce soient les plus anciens. Il y a trente-six ans peut-être tout juste, n’étais-je pas au début de ma vie, commençant de me passionner pour un pays étranger dans une ville étonnante et étrange qui était devenue mienne, où je venais de regarder s’envoler la femme de mon premier baiser, où je commençais d’écrire une thèse de droit et de science politique que – de fait – je ne vais terminer d’écrire que ces temps-ci. L’homme qui m’introduisit à cette pratique des ensembles, les ensembles humains, les ensembles pluridicisplinaires de ce qui gouverne les hommes et les femmes, leur postérité et la conscience qu’ils ont de leur ascendance, rentre dans son pays et je l’y accompagne pour les premiers jours de cette fin d’exil. – Hier, à Kergonan, j’ai vécu combien me blesse en permanence l’inachevé de ma vie spirituelle ; j’ai vu qu’il me faut reprendre et réimplanter à neuf pour cette vie nouvelle des structures de prière. Je sais ces mois-ci que je dois également reprendre une vie intellectuelle plus soutenue et plus diverse : pas seulement mes écrits, mais renouer avec la lecture, sans doute aussi re-commencer à philosopher, penser, trouver, saisir, conjecturer, mettre au net. J’ai mis fin, plus rapidement que selon les formats habituels au cahier précédent. Je commence ici bien plus qu’un nouveau chapitre, véritablement un nouveau tome de ce journal.

Dans l’autre sens, trajet retour… le tangage se sent beaucoup plus. Il a plu cet après-midi sur Paris, j’ai couru, j’ai craint à chacune de mes étpaes un retour fl… tout en l’air. Arrivé à pas 09 heures 20 aux Invalides, je me heurte à porte close, grève inopinée des personnels des comptoirs de vente. Mon billet est là, mais inaccessible. Où ? Peut-être au 119 Champs Elsyées, mais je préfère retourner – métro direct – à Maine-Montparnasse : fermé également. Le 92 jusqu’à la rue de Bassano : l’agence des Champs-Elysée est fermé. Aller à Roissy-C.D.G. ? je cours à l’avenue Carnot, il est passé 10 heures 30. So je ne suis pas rue du Cherche-Midi à 13 heures, le consulat n’ouvrant pas le vendredi et réclamant 48 heures pour instrumenter, je devrai prendre le risque de m’envoler sans visa. Un accident sur le périphérique fait longer la Seine depuis la Défense jusqu’à Saint-Denis, je calcule que si nous arrivons là-bas après 11 heures 30, je ne serai jamais de retour à temps, même en taxi. Là-bas, devenu là, c’est l’information qu’une petite porte aux Invalides restait accessible, que mon billet a été émis et que je ne peux le prendre que là-bas. Il est près d’11 heures 30. Taxi, un Viet. Des embouteillages annoncés d’avance sur trois kilomètres avant la porte de la Chapelle, le périphérique jusqu’à Asnière, la rue de Miromesnil barrée depuis le boulevard Malesherbes, chaque tour de roue est aussi celui de l’aiguille des minutes. Je fonds… La billetterie à Roissy en panne, et je n’ai qu’une photo d’identité au lieu des deux requises. Mon billet était sur le point de disparaître puisque je ne me manifestais pas. Il est établi dans la seconde, je suis débité de quelques 9.700 francs. Hier soir, la situation de mes comptes telle que je peux la comprendre me donne un jeu de 25.000 francs. Du liquide boulevard Raspail, finamlement c’est à midi trente que je suis dans cet appaartement clos d’entre-sol, 89 rue du Cherche-Midi : les ambassades du Bénin et du Mali sont logées là. Celle de Mauritanie a encore la belle adresse de la rue de Montevideo, mais tout y paraît vide, sale, fatigué ; j’y avais été éconduit par une Marie-Hélène, tout à fait fiable comme secrétaire d’Ambassadeur, je connais… la photo officielle d’Ould TAYA est un gros plan-identité ; l’homme est lourd, sans expression, plutôt dur que mou, sans la prestance d’un Sadam HUSSEIN ; j’ai pu faire rire Mariem en décrivant mon impression sur ce visage. Lundi, c’était la petite foule dans le couloir et surtout le grand salon au bas plafond, mais des Africains tuant le temps plutôt que des demandeurs de visas. J’apprends que j’aurais pu être reçu vendredi, je laïusse sur mon ancienneté maurita nienne, le « beïdane » est de 1955, poli, aimable, de bonne mémoire et le SAKHO préposé à la réception des dossiers, qui est assis, a deux mois de plus que moi : on discute sur le nom du Commandant de cercle du Guidimakha à cette époque, un certain CIMPER ( ?), le nom me dit quelque chose. Mon dossier est pris, aucun rapprochement de date avec le départ de MoD, dont le nom n’est pas prononcé. De la routine et de la gentillesse, comme antan. Je paierai en reprenant mes pièces et donnerai aussi les photos manquantes.

15 heures 15 - A relever le courrier, me faire des œufs sur le plat et avoir des messages sur mon portable ; ceux d’Edith mardi, et un appel de la direction d’Afrique au Quai d’Orsay relayant un message de notre Ambassadeur à Nouakchott. Vient-on aux nouvelles ? Je ne peux évidemment rien dire. Je n’avais pas songé à cette exploitation de mon message, neutre ey sans allusion à MoD, que j’ai adressé avant-hier à notre attaché militaire, il est vrai sous couvert de l’Ambassadeur faute du numéro direct de télécopie. On me rappelle après que j’ai rappelé, une femme, un appel donc de THIBAULT ce matin, il vient de prendre ses fonctions. Ne pourrai-je retarder mon séjour en Maurfitanie, il coincide avec le retour très annoncé et officiel de MoD ; ma présence sur son vol peut faire croire à un appui de la France, alors que nos relations sont au meilleur avec TAYA, le Ministre est un ami du Président ou l’inverse… j’avais compris, en fait je suivais la relation que m’avait donnée Mariem d’un passage de VEDRINE à la télévision, que nos rapports étaient mauvais et ne s’amélioraient pas, que notre homme était rentré bredouille et mécontent. Donc, conseil répété et appuyé, ROISIN dans le coup, pour que je reporte un peu. Je feins la coïncidence et que les projets de date de MoD ne sont pas à ma connaissance assurés ; je dis aussi que nous n’avons fait aucune libéralité à l’ancien Président pendant son exil chez nous, et que par conséquent on ne peut le croire notre favori ou notre pion, mais je n’entre pas dans laq discusion du paradoxe que l’administration qui m’a vomi et avec laquelle je suis contraint de contunuer de ferrailler et de procédurer, est mal venue pour me faire connaître ses envies. Je n’ai aucun lien ni de reconnaissance ni de hiérarchie avec «  le Département ». Quant à l’intérêt supérieur de la France, je crois en être, dans cette espèce, le meilleur juge. N’importe, la France officielle jette tout masque, elle est pour TAYA et si le visa mauritanien m’est refusé, ce que je saurai lundi, on saura d’où cela vient. Sans précaution, je télécopie tout cela à Nice  [1] (il me semble vivre à mon niveau et à mon époque ce dont mon cher ami m’a confié la lecture, la relation du jeune Premier Ministre et de son si frêle Etat avec la France censée décoloniser), et reprends ma course contre la montre, arrivant à l’oratoire du Val de Grâce pour la lecture, Joseph, ses frères, l’émotion, puis l’évangile ; René est là, nous sommes avec l’aumônier tous trois seuls. La puissance dogmatique de l’ensemble préface-début du canon vaut un tome de philosophie, c’est si clair et si ouvert, dense et transparent pourtant. J’ai donc la joie que cette journée ait ce centre ou cette acmée. Dans le 91, que j’attends interminablement et qui va directement du Val de Grâce au terminus des TGV, j’ai en sus le compliment d’une octogénaire au visage agréable, éveillé et soigné ; après du bavardage, debout et serrés dans le couloir de l’autobus, elle conclut que je suis très beau. Il y a  longtemps qu’on ne me l’avait plus dit. Nouvelle course pour parvenir au bon niveau, puis faire tout un quai, accéder aux affichages ; je pousse comme un traineau à chiens dans l’obstacle, un opportun chariot et finalement j’ai cinq petites minutes d’avance, ou plutôt le train en a cinq de retard. Je décompresse. Le Monde est affiché dans les kiosques : « la défense du Président ». En fait, la couverture par les fonds secrets ne tient pas. JC les a thésaurisés après 1988 ? ce qui ne serait guère légitime, même si c’est légal sans doute ; et l’on ne dira pas que ROCARD ou BALLADUR lui en filait. On va donc vers une candidature JUPPE qui déjà se sentait passée une année de purgatoire en 1997-1998 ; mais celui-ci est en examen pour toute la gestion des emplois fictifs et les passe-droits, même aplanis et régularisés, concernant ses appartements parisiens, ressortiront en cas de sa campagne présidentielle. On en est là, tranquillement, le train ne donne pas la sensation de vitesse, le jour tombe sensiblement, pas un siège libre, je suis fatigué et n’ai toujours pas de réponse assurée sur l’équivalence de mes hectares en mètres carrés. - En diagonale devant moi, un autre écritoire : on peut entendre de la musique et travailler un texte présenté en plusieurs pages, c’est toujours Compaq mais l’écran beaucoup plus grand et le logiciel Windows 2000.

Vais-je à l’incident avec le Quai ? vers une réactualisation des prétextes pour, non seulement me maintenir au placard, mais s’opposer à mon éventuel recrutement à Bruxelles ? exactement comme la contestation de mes papiers d’Almaty aura été la plus forte et en fait la seule charge contre moi, autant en 1995 que pour me descendre aussi dans mon administration d’origine. + 20 heures

             Reniac, le soir du même jeudi 12 Juillet 2001

23 heures 30 + Au lit… pour la première nuit complète depuis trois ou quatre. Edith a aussitôt opiné qu’il fallait que je ne me dégonfle pas et que je ne change rien à mes projets. Josiane que je suis passé embrasser à sa demande, après lui avoir téléphoné ma bonne arrivée en gare de Vannes, tombe des nues quand je lui raconte comment je me suis fait virer de l’association que j’avais fondée. Accueil des chiens en deux temps : m’attendaient et sont venus à moi, Lapina et Sinus. Puis Kiwi sortant de la cuisine. Du temps à trois, et les repas commençant d’être servis, arrivant de je ne sais où mais fourbus, trempés et contents, Raïssa et Sacha. Raïssa qui préfère dormir à la cuisine où elle se fait papouiller par Kiwi à perdre haleine. Le message de la directrice adjointe d’Afrique était aussi à mon répondeur, ainsi qu’un de Claude. Il est seul pour ces jours-ci mais attend Isabelle et Bernard pour dimanche. – L’affaire du départ le 17… seul MoD a qualité pour me demander de ne pas partir avec lui ; j’espère qu’il ne le fera pas, ou alors qui croire ? quant à une explication, il vaut mieux n’en faire, de mon côté, qu’une fois dans l’avion vers Nouakchott, n’en pas trop dire et en fait l’adresser au seul interlocuteur que je puis me reconnaître, dans la position où j’ai été placé, VEDRINE… Texte à délibérer dimanche soir avec mes amis, en même temps que le dossier de presse que j’éditerai dans la chambre de Mohamedoun, en y amenant l’imprimante d’Edith.

Sur la « quatre-voies » vers Vannes, autour de 16 heures 15, le choix de Pékin par le C.I.O. dès le deuxième tour ; sur 105 votants, Paris n’en a pas quinze pour soi. Pari politique, qu’il fallait exprimer : toute manière ou occasion d’ouvrir la Chine est bonne. Les avis sont partagés là-dessus, mais personne ne donne le vrai dilemmme, ou la dictature, ou le chaos et les sécessions régionalistes partout. C’est toute l’histoire de ce pays qui présente pourtant ce dilemme. En regard de ce « réalisme », quelques 30.000 exécutions capitales par an, ce qui est immense face aux divers génocides ruandais ou bosniaques et même par rapport à la « shoah », car ces exécutions sont censés accomplir ce qui a été débattu en procès individuels, c’est-à-dire avec des textes de référence, des procédures et sans doute les rudiments d’une défense. La mise à mort par passion, par vengeance individuelles : une personne visée par une autre, par d’autres, ou bien des tueries en masse par racisme, par principe mais dans l’anonymat des martyrs qui ne sont pas ceux de leur individualité ou de leur histoire propre, celles-ci sont au contraire carrément, ouvertement niées et couverte par un princire supérieur, l’idée, la race… la religion, le sexe, l’anomalie. En fait, il n’y a pas de choix, que cela marche ou non, il faut vaincre ce qui génère la dictature, en fait ce qui nie la personne et toute altérité. Paradoxalement, c’est le marxisme posant en religion et en matrice universelles la dialectique, qui nie celle-ci puisqu’en dehors des acteurs censés en répondre, tout doit céder, mourir ou être asservi (ce qui est pire que mourir).
Le psaume III : nombreux… nombreux…nombreux. Il y a donc tout cet entourement haineux et négatif, il y a Yahvé (qui) me soutient et il y a moi : je me couche et m’endors, je me réveille, je n’ia pas peur de ces milliers de gens de toute part alignés contre moi. Et pourtant, en conclusion, tout étant rétabli, ce qui « reste » comme protagonistes du récit, ce sont ton peuple, ta bénédiction. L’accomplissement est collectif, général d’autant que Dieu frappe à la joue tous mes ennemis, mais à l’origine il y a bien cette démarche, cet appel au secours tout individuel, particulier.
  
Paris, le lundi 16 Juillet 2001

Bientôt 07 heures 50 + … et Méline. Le topo de la semaine Bélier : aventure voyages seront en exergue, mais  n’allez pas à l’encontre de vos intérêts, vous seriez le premier perdant.  Lion : ménager vos forces le mois d’Août sera…  en attendant  vous occuper de vous-même. Grand mal à m’éveiller et même àsituer où je me trouve et dans quelle époque de ma vie, puis la douche, l’expédition de mes télécopies vers Bruxelles me mettent en position pour la journée.
En marge, le bon enchaînement mauritanien : le revoir hier soii, la perception du papier qu’il faut faire pour les journalistes, la quaolité de présence de Mariem et le ton du dîner avec DAÏMANI me faisant oublier ma première déconvenue quand j’appris incidemment, à une heure d’y aller, que je ne serai pas seul à dîner avec eux. L’ingratitude est le privilège des Chefs d’Etat,, leur marque qu’ils le sont et le demeurent en eux-mêmes : l’entretien accordé à FONTAINE et non à moi, l’apparente recherche d’ « africains » pour la mise au net des mémoires telle qu’ils me l’on avoué avec simplicité à Nice, et ce soir donc… La réponse si dure du Christ aux disciples, et nous qui… mon calice vous le boirez, mais les places, il ne m’appartient pas de… alors même qu’ils sont confirmés dans leur vocation au martyre, ils n’ont aucune assurance d’une quelconque rétribution, ce qui veut dire mais à la réflexion seulement, que la question est tout autre : Dieu est en tous, et de mon cher ami j’ai à servir le retour et la mémoire, sans l’encombrer des égards ou de la reconnaissance que j’aurais attendues qu’il ait et manifeste pour moi. J’ai retrouvé la photo que j’ai fait tirer rue Saint-Jacques.
            
Ibidem, mardi 17 Juilet 2001

Méline…  journée délicate pour les Gémeaux. Bélier : une journée à prendre avec des pincettes, attention gérer vos humeurs ;   elles pourraient vite se transformer en disputes. Lion : chassez  impérativement ceux qui voudraient s’immiscer dans vos décisions et ce à n’impporte quel niveau. 06 heures 50 & 07 heures 50 +

. . . en vol de Paris C.D.G. à Nouakchott, 11 heures 40 + Le suspense de tout ce début de matinée, du fait de pannes ou incidents sur la ligne R.E.R. ; j’en dessertit une fois de plus le verre au cadran de ma montre. Edith a fait entièrement ma valise (me prêtant la sienne) et m’a accompagné jusqu’au contrôle des passeports ; pour disposer d’un chariot, j’ai laissé valise et sacoche à un Africain prétendant aller à Nouakchott, en fait, il allait à Bamakp, émotion de mon Edith. Pas d’affichage du point d’embarquement, appel d’une hôtesse, Mariem ayant donné mon portable. L’inquiétude d’elle, de MoD. Finalement un salon d’honneur, une charmante Valérie RIVORE qui essaiera de rattraper le paiement par Mariem de leur excédent de bagage, ma carte n’ayant pas été acceptée ni à leur hôtel ni à l’embarquement. Et puis tout se dissout, j’entre dans la séquence que j’ai attendue et voulue pendant plus de vingt ans ; je suis le seul – Européen ou Mauritanien - à être ainsi dans ce vol de retour. Présage que toutes mes intuitions – davantage que des souhaits – se réaliseront à terme ?
 Sur trois sites hier à partir de 18 heures, les médias pour MoD. Au premier point, R.F.O. j’arrive trop tard pour assister aux choses. Une bande des anciennes actualités est projetée en même temps que mon ami est interrogé. A la maison de la Radio, une certaine attente avec des questions « off ». Il en ressort, confirmation de la dernière liaison téléphonique depuis le salon à C.D.G. avec Azeddine, que nous allons atterrir dans l’inconnu ; sans doute, une foule chaleureuse, mais de combien de centaines, ou de milliers de personnes ? On vient paraît-il de l’intérieur. Ould TAYA à la coupée ? de sa part ce serait le parti le plus sage. Ne pas marquer qu’il y a eu rupture, tout jouer en réconciliation nationale. C’est un jeu auquel consent MoD à entendre celui-ci avenue Kennedy. Sans doute, en 1995 et en 1998, en a-t-il appelé à l’armée ! sans doute en Mars 2000, dernier contact (unique en fait en vingt-deux ans), a-t-il posé des conditions, qui revenait à une abdication programmée du Président régnant, mais aujourd’hui, il rentre sans conditions, et les militaires ne lui en posent pas non plus. Assurances verbales qu’il sera traité comme il convient et que les rattrapages de retraite et de loyer lui seront accordés. Ainsi, est-ce un jeu à armes égales. MoD revenu au pays, les militaires y étant encore, ce qui va décider entre les deux cours,  au sens du cours d’un fleuve, c’est bien le peuple. Dès tout à l’heure, on le saura, Ould TAYA à l’aéroport, c’est déjà la soumission. Sinon, la suite… imprévisible. MoD pour obtenir, davantage que ce jugement, une inflexion dans le sens de son legs de vingt-et-un de fondation, a lâché tout ce qu’il avait en sa possession et au-delà, notamment l’opposition manière Ahmed Ould DADDAH, il rentre libre de tout, sans conditions ni alliances et en soulignant que s’il a certes des échos, tous défavorables, ce qu’il se passe dans le pays, il attend pour juger d’y avoir vécu à nouveau. Autant, il est intraitable sur son propre bilan, autant il se garde de tenter et encore moins d’attaquer le bilan des « successeurs » ; au contraire, il se déclare fier de ce que, tous comptes faits et toutes analyses menées, la fondation a tenu le choc de tant d’événements déviants. Au total, il n’est certes candidat à rien, ce qui a une logique pas seulement eu égard à son âge ou à ce qu’on désormais d’anciens et historiques ses faits et gestes au pouvoir, mais en considérant que rien n’est rompu de ce qu’il fût ; en revanche, la politique à sa manière, il en fera, c’est-à-dire en sage qu’on consulte ou qui arbitre.

Des trois moments, l’entretien pour R.F.I. avec Mimouna est le plus poilitique, il est vrai que c’est le seul que je peux suivre, mais le plus émouvant est celui donné, ensuite, en langue arabe. Le journaliste, d’origine tunisienne, porte le texte de son interlocuteur, boît celui-ci du regard, de la bouche, de tout un visage où se lisent bonheur, admiration, respect, une adoration comme seuls les Français en sont incapables, la reconnaissance de l’événement et de l’homme, alors qu’on est en circuit fermé, en différé, dans une petite salle insonorisée sans décors qu’une table ronde et en bouquet aux longues tiges au ras des visages et des mains, les microphones. Manifestement, c’est cette sorte d’encouragement sans défaillance de quelque père ou grand frère, ou d’un moniteur très affectionné qui suit l’équilibriste, ou l’apprenti-nageur, la main à toucher la sienne, mais sans la prenfdre de manière que tout le mouvement soit et demeure celui de qui seul peut l’ccomplir, celui de qui seul dépend le sens que nous sommes en train de regarder, et petit à petit de vivre. Le retour d’un homme à l’Histoire, qui peut ramener là-bas un peuple, un pays dans l’histoire et dans sa propre mémoire. Rue Balard, le studio en appartement est d’une chaîne arabe indépendante, on retrouve une ambiance de complot et d’improvisation où seule la technique est bien préparée, le reste, la disposition des sièges semblent à imaginer. Un opérateur et le journaliste qui a un texte en deux pages d’arabe écrits gros et gras, des interrogations et peu de réponses, du moins des réponses en peu de mots.

Ses trois prestations, à voix intelligible mais lente et très basse, montre un homme au total peu diminué par l’âge et par la maladie en comparaison de celui qu’il fut, toujours discret, avare de paroles, ne donnant jamais de bons mots et ne parlant qu’en termes très simples mais définitifs. Bien sûr, debout et surtout à côté d’une épouse restée très grande et imposante de stature, il paraît frêle, il marche courbé, dort ou rêve la bouche ouverte, s’assied en décalant fortement une épaule ; un vieillard grand par ce qu’il porte et ce qu’il fût, mais physiquement petit et fragile. Mariem a peu vieilli, elle s’est épurée, elle admire sans doute son époux plus encore qu’aux premières années, mais elle souhaite un combat politique classique et notamment une réconciliation entre Ahmed et le Président : qui a laissé tomber l’autre ? le certain c’est que mon ami en veut à son demi-frère, ce qui indique qu’il garde les principaux réflexes d’un homme au pouvoir et qui aime le pouvoir et son exercice : ne pas être supplanté, ne pas être minoré ou oublié. Mariem parle bien avec sobriété et netteté ; elle s’est donnée beaucoup au pays, elle est donc heureuse d’y revenir. Divers aparte montrent que leur aîné, revenant avec eux bredouille de toute situation internationale ou française, n’en pouvait plus de l’exil et de ne oouvoir capitaliser ses parents, que Mariem appréhende le climat, le retour à la chaleur, à la précarité, au vent de sable. L’équipe française montée par Azeddine pour ces opérations de presse, montre un talent certain de ce dernier ; je l’ai eu à deux reprises à l’appareil entre ses dialogues familiaux. Le pouvoir local en sait sans doute plus sur son rival en légitimité que celui-ci sur lui, mais MoD a un principe qui demeure contemporain : l’amour du pays, un sens aigu du relatif et des possibilités de discernement d’autrui quelqu’il soit.
Je voyage, surclassé, à côté d’un homme d’affaires (adductons d’eau et irrigations dans l’ensemble de l’ancienne A.O.F.). Il est familier de la Mauritanie depuis le début des années 1980 et estime le pays en décollage depuis quatre ou cinq ans, où il avait atteint le plus critique et le plus bas. A l’un de ses précédents voyages, il était avec Ahmed qui s’est fait coffrer à l’atterrissage avec en conséquence une mise à sac de l’aéroport par les partisans de ce dernier. L’Australie prospecterait le pétrole « en mer » et les deux premiers forages sont encourageants. – 14 heures 45 de Paris, j’esquisse le schéma d’une récapitulation de ce qu’il me reste de la Mauritanie, après vingt-six ans sans y être plus jamais retourné.

13 heures 40 de Nouakchott + Dans une heure, on en saura beaucoup. J’ai sommeillé… et moi d’ici la fin de l’été, je saurai si je m’en tire. En fait, je ne doute pas d’en être tiré, mais comment ? – 16 heure locales : dans cinq minutes l’amorce de la descente, 31 ° et le ciel couvert ; atterrissage dans vingt-cinq minutes.

. . . à Nouakchott, l’hôtel Dar El Barka, 18 heures 40 locales + L’atterrissage, des hublots petits et éloignés (je suis au centre de la rangée, entre les deux couloirs) la sensation d’un paysage de neige. Une neige soufflée entre des végétations rares. Pas vraiment d’arbres. Bout de piste, roulé devant l’aérogare que je ne discerne pas bien, on débarque les premiers, la très haute échelle de coupée, MoD semi-porté, mais en bas quasiment personne, quelques militaires, une dizaine de bou-bous, Ahmed Ould DADDAH. Première étape dans le salon d’honneur beau et vaste, le portrait voyant de TAYA, nouvelle strate d’amis qui accueillent. Spectacle qui va se répéter peut-être une centaine de fois : des familiers, des parents, des gens sans âge, pas vraiment des vieux viennent donner l’accolade, restent figés, main dans la main, du petit vieillard frêle dont je ne sais les émotions ni les pensées, qui va beaucoup mieux qu’il n’était hier, et hier était beaucoup mieux que Nice. On me prend mon passeport, un crâne rasé, que je prends pour quelqu’un de la Sûreté, mais qui va se révéler de l’équipe d’Azedinne. Alors, quelque chose d’extraordinaire commence, qu’on ne peut aussitôt déchiffrer. On sort du bâtiment qui a la forme peut-être d’une immense tente, qui est beau, pour être devant deux voitures, je suis seul dans la seconde avec le type de tout à l’heure, un franco-algérien vivant au Congo, Yannick, deux bates de base-ball, et un pistolet. Azeddine, identifié non sans mal, dans l’accueil premier de son père, qui joue tous les rôles à la fois, courant entre les deux voitures, communiquant au portable, lui aussi armé, coiffure presque rase, barbe à peine esquissée au bas du menton, c’est le chef au sens pratique, c’est aussi l’organisateur des rencontres de presse d’hier soir, c’est enfin et depuis le début le négociateur de la rentrée de ses parents ici. En réalité, ce que je décris là n’est pas ce qui accapare l’attention, la vérité est une expropriation de soi, sans sentiment ni imagination, je ne suis plus que caisse de résonnance et que larmes, et je suppose que tous les protagonistes de ce retour vivent le même état indicible et si impérieux. Et peut-être aussi cette foule qui finit par s’identifier. Au départ, c’est ce qui pourrait être une lutte entre plusieurs rangées de personnes, costumes multicolores, tous traditionnels, maintenus au loin, très loin, et des policiers à casques énormes, pas très nombreux mais encerclant notre démarrage, courant autour des voitures et bientôt cernés par une foule qui grandit, qui court aussi et en même temps, le tout finit à mesure par se grossir d’un grand nombre de voitures prenant le cortège, le formant. Mon chauffeur-garde du corps- frère d’adoption du cadet de mes amis, lui aussi, joue tous les rôles, menace ceux qui grimpent à notre véhicule, crie et téléphone des recommandations. On est ainsi dans une cohue et un hurlement, augmenté bientôt des klaxons, un quart d’heure, une heure, du temps qui semble arrêté.
Nouakchott est méconnaissable. D’autant que je ne situe pas l’aéroport par rapport à la ville. Jadis, c’était une longue courbe laissant à gauche quand on quittait «  la capitale » la mosquée toute simple, petite et jeune, et à droite la route vers Rosso, et l’on était plus à un champ d’aviation qu’à quelque escale que ce soit. A présent, sur du jaune plutôt que de l’orange, ce sont des maisons sans cesse, peu ou pas de ces cadavres minéraux, ferreux ou animaux d’antan. On est longtemps dans le Ksar, les rues sont indiquées en deux langues, on passe devant la maison d’un parti, l’U.F.D. aux lettres peintes en bleu, ce qui peut signifier sans doute comme toujours le vert également, le parti d’Ahmed Ould DADDAH ? Une station d’essence mais sans piste, peu de magasins, les gens par deux ou trois au pas des portes, ou hommes ou femmes, sans mixité. Le ciel, les bou-bous, le sable, les murs à plus que hauteur d’homme, les maisons sont tous en camaïlleu d’ocre, de crème, de jaune. Je distingue les drapeaux de la Russie, de l’Algérie, plus tard de la France, ce ne sont que murs. De la maison personnelle de MoD, au nom de Mariem, et qui servait de « maison de passage » dans les années 1970, je n’avais qu’un souvenir de bel édifice relativement à la moyenne d’alors, mais isolé, sobre et sans végétation. Ce qui dépayse par rapport au souvenir, ce sont deux changement énormes et envahissants, sinon enlaidissants :  la végétation sans diversité et sentant l'artifice, sinon le parasitisme, elle a suivi les bâtiments et elle en est domestique ; le remplissage de l’espace au point qu’il n’y a pklus d’espace ni mental ni physique ou sur plan. Tout est occipé, approprié. Une inestimable, impalpable mais omni-présente propriété commune antan faisait de tous les habitants des égaux sur ces sables et sous ce ciel, là au désert en bord de mer, avec un roi unique faisant vibrer l’air et des horizons qu’on apercevait de partout, du centre et de la périphérié. Parce qu’elle était petite, presque dispersée, économe d’elle-même, la capitale paraissait d’échelle, était vécue comme tel historiquement et sociologiquement ; elle était par conséquent et naturellement à l’écoûte du pays, des gens.

Reste l’évaluation. Deux absences considérables qui ne sont pas aussitôt notées, tant le contraste a été grand et surprenant entre le quasi non-accueil à la coupée de l’avion et l’irruption soudaine de cette foule. Une foule de jeunes, de dix-vingt ans maximum, exubérante, qui ne sait pas collectivement qui elle est et pourquoi elle s’est formée, mais qui joue le rôle écrit pour une tragédie antique, il faut qu’il y ait foule, bruit et bigarrures, il faut peut-être qu’il y ait une âme existante, sans présupposé et qui doit être conquise et marquée, elle est venue là pour çà, sans doute s’est-elle composée petits groupes par petits groupes, voire personne par personne. Manifestement, tout est spontané. Pas de banderoles ni de panneaux, pas de barrières de sécurité ni même de service de sécurité qu’Azeddine et Yannick, leur pistolet chacun, et deux bates. Ouvrant un cortège qui s’est formé par gravitation, une camionnette, un camion, tellement chargé qu’on ne distingue plus ce que c’est : des filmeurs, des preneurs de sons, à encore un bout de rôle qui est nécessaire. Cela remplit tellement qu’on oublie qu’aucun membre de l’équipe au pouvoir, et pas TAYA lui-même, n’était présent par courtoisie ou par habileté. Si criante a posteriori, cette absence est délibérée, elle est un fait : on laisse MoD avec ceux qui l’accueillent ? Non, car il a fallu négocier le nombre de ceux qui seraient admis à lui rendre visite, vingt, pas plus de trente, de la famille (dixit Faisah, qui a été appelée pendant le trajet par Mouna, notre journaliste de la maison de la Radio, hier après-midi : l’ambiance mais aussi les détails). Négociation abstraite car autour de la maison à l’intérieur comme à l’extérieur de son enceinte, ce sont peut-être cinq cent personnes qui se pressent. La seconde des absences est plus frappante encore, celle des amis, des co-équipiers et des collaborateurs de l’époque. Mot d’ordre que seule la famille est acceptée, tolérée par les autorités, reçue et tamisée par le « service d’ordre » lui aussi familial ? Précautions ? Emotion ? Aucun n’est là, Ahmed, le demi-frère, a sans doute été ministre, mais il est là autant en frère qu’en chef de l’opposition, du moins dans sa pensée probablement, car il ne s’attarde pas ou n’est pas admis à s’attarder. Un jardin entouré de murs, à un carrefour, la maison au centre en deux bâtiments uni par une petite cour à patio, et derrière deux immenses tentes montées à la suite l’une de l’autre, sous lesquelles on est assis, nombreux mais sans excès. Il n’y a – le pays et son âme, la manière du Président toujours ? – aucune disposition d‘architecture pour paraître à une foule, la saluer, en être vu, ni à l’aéroport (que depuis l’avion ouvrant la porte avant), ni à la maison. Passé assez vite d’une grande pièce du bâtiment de gauche, à une plus petite de celui de droite, MoD ne semble plus devoir quitter celle-ci. Succession de portes qu’on ferme pour ne pas être envahi comme par la mer si une écluse restait entrouverte. Ce n’est ni défense ni crainte, c’est physiologique, et c’est très bien accepté par ceux qui en sont victimes et qui attendent, attendront et reviendront.

La longue descente de la passerelle, longue et à pleurer d’émotion, le vieil homme entouré et porté, c’est la première image d’aujourd’hui. Marche par marche, degré par degré, il doit pouvoir voir le sol, le sable, le ciel, le pays qui viennent et montent à lui. La seconde, encore plus belle et enveloppante pour le cœur et la réflexion, c’est dans ce qui doit être le grand salon ou la salle-à-manger, mon ami sur une chaise raide, un compatriote du sud, assis en tailleur à ses pieds et lui tenant littéralement la jambe, et se succèdent, un par un, sans insistance ni gêne, des hommes, des femmes, de la parenté, se courbant et s’asseyant ensuite seulement après qu’ils aient longuement embrassé celui qui est revenu. Il y a ensuite sur un des divans la dame devenue sans âge, parfaitement francophone, dans une mellafa arron, qui s’occupait des enfants, il y a Mariem, une sœur aînée ou cadette, il y a le cousin Ahmedou, il y a, qui a fait office de chauffeur de la voiture principale, un fils naturel d’Abdallahi Ould DADDAH, dont la reconnaissance a donné lieu à procès. Mariem, « la mienne », me souffe parfois les rapprochements à faire avec tel incident de famille qu’elle m’a déjà raconté. Le Président m’indique davantage, surtout pour plusieurs jeunes femmes, des diplômes et les capacités, des nièces. Cela dure sans durer, les instants sont si pleins, le silence est un murmure, on pleure, on loue, on se ressemble. Saurai-je ce que pense et vit mon ami ? Quand nous sommes dans la seconde pièce, petit salon, et entre les « audiences » limitées à une accolade, à l’étreinte des mains qu’on garde pour pouvoir laisser les yeux aller dans une sorte de vide, qui est tout simplement le présent et le lieu, ici, maintenant, j’évoque son père, les dialogues de 1934 ou de 1948, et je songe que peut-être c’est aussi la pensée de celui qui revient. Que l’événement ait lieu, pour lui, pour les siens, pour sans doute bien des Mauritaniens, qu’un vœu s’exauce et ce fut tant le mien, qu’à l’évidence ce n’était pas un souhait mais une prévision, une prophétie intime que je me répétais à moi-même, n’est-ce pas la promesse que d’autres vœux, d’autres souhaits, d’autres imaginations vont se concrétiser. Le plus dur, le commencement est fait, obtenu. De la providence ! C’est ce que je lui souffle à l’oreille, me tenant, comme le plus souvent aujourd’hui à sa droite quand je viens à lui, le temps où il est seul, statufié mais central. Il répond – très nettement :  peut-être ! Ce fut 14 heures 40… le mardi 17 Juillet 2001.

Presque 22 heures locales + Je suis au lit, un hôtel dans le quartier des Ambassades. Oui, Nouakchott méconnaissable parce qu’on n’y est plus nulle part, plus rien n’est vraiment mauritanien, or ce qui était mauritanien, avant même les hommes, c’étaient leur désert, leur végétation, de l’espace surtout, l’espace dominant le construit. Notant dans l’avion ce qui me restait du pays… je j’ai disserté que des abstractions et des constructions d’une dialectique d’une œuvre politique, d’une grande amitié. J’ai oublié le concret, le physique, les lieux, et même et surtout les gens, les bou-bous et le sable, le ciel. La quasi-absence de couleurs quand on arrive ou que l’on s’éveille. C’est aujourd’hui l’inverse de ce que j’ai connu, vécu, aimé à Nouakchott, de Nouakchott. Avec des enceintes pour chaque Ambassade, abritant manifestement bien plus qu’une Chancellerie et une Résidence. On peut être n’importe où en région sèche. L’hôtel, piscine et patio, mais produisant une impression de désert humain, en contraste douloureux avec l'entassement des concessions, propriétés, lotissements cernés de leurs murs respectifs. Je retrouve là ce que je vivais à mes débuts ici : l’isolement probable de ceux qui ne viennent qu’en relations d’affaires, cette sorte d’aimantation des regards et des imaginations provoquée par le passage d’une femme quand celle-ci est Européenne, c’est-à-dire vêtue moulante. La lourdeur de la chaleur, même si au thermomètre, elle ne dépasse pas ce que nous avons eu en France il y a quinze jours (et en Belgique). Le vent de sable nous est épargné, mais le sable reste suspendu dans l’air en quantité bien plus importante qu’en Europe : je le sens en me brossant les cheveux. Sensation qu’ici il faut constamment se défendre, s’inventer des structures tant au plan de l’hygiène et de la santé, que pour ne pas tomber en acculturation, ou encore ne plus concevoir de passe-temps, de faire-valoir, de dialectique des jours et des nuits que dans la b… Fascinant parce que pris en trop gros plan, et affiché en format plus grand que nature, le visage de l’homme actuellement au pouvoir. A l’aéroport, à la réception ici.
Bou-bou empesé et sans le charme de ceux très léger ou déjà habillé que j’ai en garde-robe depuis vingt-cinq ans, mais un seroual bleu ciel assorti, aux tours de jambes brodés : un d’Azeddine. Faïsah m’a fait les conduites ; les entretiens à R.F.I. sont passés ce matin, elle-même a donc été interrogée en cours de trajet par Mimouna et retransmise aussitôt, en à peine différé, mais elle ne s’est pas entendue. Elle est soucieuse de la santé et de la fatigue de ses parents, de sa mère surtout ; je propose Reniac et Crouesty, un petit mois, elle le souhaite vivement quant à elle. – Je reviens à la villa pour le dîner : sort juste du petit salon, aussitôt reconnaissable de visage mais horriblement marqué par ce qui a dû être une très longue, forte et douloureuse épreuve, Ahmed Ould MOHAMED SALAH . Il semble que la vie, plusieurs vies entières soient passées sur lui, la morphologie reste la même, les mêmes épaules, le même front un peu bûté, les mêmes joues qui peuvent être creusées, mais des tâches sur la peau. Ai-je croisé son regard ? Nous nous sommes embrassés, j’ai convenu de notre revoir. Il m’a paru marcher, se déplacer hors du temps, la pénombre, la petite foule y ajoutent.

MoD, comme je l’ai quitté, dans la petite pièce salon, qui n’existait pas dans les années 1970. Deux chaises nickelées à revêtement noir, deux canapés profonds au même revêtement, seul luxe un tapis de cuir peint jaune sur lequel est une peau de mouton abondante et blanche. Entrent et sortent, comme tout à l’heure Azedinne, Yannick en chemises et pantalons qui n’ont pas même pu prendre une douche, Faïzah en tenue traditionnelle mais les tissus sont aujourd’hui beaucoup plus légers, souples et variés, ramages rose, rouge et noir mais vaporeux. Le Président est assis et l’on se succède autour de lui, long sketche d’une vieille cousine connue pour son franc-parler, c’est presque une scène avec e nïzah en tenue traditionnelle mais les tissus sont aujourd’hui beaucoup plus légers, souples et variés, ramages rose, rouge et noir mais vaporeux. Le Président est assis et l’on se succède autour de lui, long sketche d’une vieille cousine connue pour son franc-parler, c’est presque une scène avec entrée et sortie, impatience et complicité du public, et le morceau de bravoure sur l’hypocrisie des gens, de leurs visites, de leurs baisers, il semble que cela vaille pour ce que nous vivons autant que pour les vingt sinon les cinquante ans écoulés. Mariem, une fois que nous sommes seuls, quatre à dîner en comptant Mohamedou, puisque Azeddinne et Yannick continuent de faire office de portiers, de gardes-du-corps et d’huissiers, avoue sa fatigue, la tension très haute à 16 ; elle a été médicamentée cet après-midi, c’est maintenant elle qui peut craquer et la perspective de la thalasso. à Crouesty et d’un séjour chez moi l’enchante d’avance. Une jeune parente s’introduit, est introduite, fait des massages à la nuque et aux bras de mon vieil ami. C’est lui qui semble ce soir le plus frais. Le mutisme qu’on pouvait prendre pour de la tristesse et des évaluations pessimistes ces derniers temps, à Nice, une quasi-ouverture à tout ce qu’apporte un destin et ce serait bientôt la mort et la fin, est aujourd’hui un signe fort : l’homme redevient un réceptacle qui écoute, qui classe, qui se tait et n’intervient pas. D’autant plus logiquement que les événements et les gens, maintenant, ne peuvent plus que venir à lui, à domicile, et si l’on peut écrire, jusqu’à se ranger sur un échiquier mental tout disposé à accueillir tout le présent, si nouveau soit-il. Rien de dérangeant au total dans cette journée. L’arrivée a été annoncée par rumeur à des horaires fantaisistes, selon Yannick ; et vers 17-8 heures, il y avait beaucoup plus de monde à l’aéroport qu’à 15 heures. Juste avant l’arrivée du courrier Air France, c’était en fin de matinée : le désert. Tout a donc été spontané et dans l’instant. La presse du régime avait imprimé hier un scenario qui n’a pas eu lieu : tapis rouge et les cinq anciens présidents rangés pour l’accueil, l’actuel venant aussi. Aura-t-on et comment ? la trace des délibérations au sein d’un système dont je ne connais pas l’organigramme ni les protagonistes, même de noms.
Les propos de table et le rituel des audiences de retrouvailles. Le maître d’hôtel d’avant 1978 est là, à nouveau, les larmes aux yeux, qui présente le méchoui, toque blanche du Fleuve et chemise verte. Mariem me dit, ce qu’elle ne pouvait savoir avant de le vivre : combien sa famille par alliance lui tenait, lui tient à cœur, et d’une manière peut-être encore plus forte qu’elle ne parvient pas à qualifier, parce que cela ne saurait vraiment se dire crûment, le personnel de leur domesticité, qu’elle considérait d’ailleurs, et traitait avec dignité et considération, le maître d’hôtel…l’énumération se perd dans l’émotion qui rend tout inaudible, indicible.
             Ibidem, mercredi 18 Juillet 2001

10 heures 45 locales + Tour du cadran dont j’avais besoin autant que les autres. La chambre est climatisée, confortable, donne sur la piscine, les bâtiments en L de cet hôtel (groupe ACCOR, création en 1986 – le Marahaba aurait disparu, l’Oasis a changé de nom) avec les murs crépissés ne sont pas laids, petit déjeuner international avec buffet. Il n’y a pas foule, il n’y a pas grand bruit  non plus. Du personnel en chemise et naturel, ni obséquieux ni désinvolte, j’apprends que la ville s’est dédoublée en une agglomération au wharf, que le problème de l’eau est réglé, mais les vieux paramètres demeurent : à Rosso, les moustiques ; le petit frère qui cherche depuis des années un visa pour la France, on dit davantage l’Europe ; le mariage tard sur indication familiale sauf enfant en route, lequel constitue une obligation d’union légitime. Comme « le retour » n’est pas évoqué, je n’interroge pas là-dessus. – Douche, l’eau chaude fonctionne bien, le ménage est bien fait et je me sens revenir dans mon corps : les émotions et la chaleur d’hier m’ont fait perdre quelques kilogs, je boucle maintenant mon « jean » sombre.
Ces huit jours…faire le tour des journaux locaux, tenter d’y obtenir des collections aussi rétrospectives que possible… le pélerinage de la Nouakchott que j’ai connue, qu’en reste-t-il ? les blocs, les villas, l’hôtel des députés, la présidence … évidemment, Dom MEUGNIOT, m’y faire mener un grand matin de bonne heure.

Midi + Passage de Saw MOUSSA, qui semble l’intendant des étages, et le superviseur. Abdoul KANE lui a parlé de moi. Je crois qu’il m’apporte les télécopies d’Edith… non, il passe vérifier. Je parle, nous parlons. Il était hier à l’aéroport, beaucoup, beaucoup de monde qu’on ne pouvait compter, c’est le Président, tout le monde est content et heureux, c’est tout de même notre Président, je l’aimais beaucoup, personne ne peut l’oublier. Quel page avait-il au moment du putsch ? Dix-huit ans ou huit ans ? Vous ne vous êtes pas rendu compte qu’il y avait beaucoup, beaucoup de monde, j’ai crié à en avoir les cordes vocales cassées, il montre son cou, il ne dit pas ces mots mais il montre son cou. Vous n’avez pas remarqué qu’il y avait beaucoup de monde. Et qu’il n’y avait pas d’officiels, vous l’avez remarqué, pas même de service d’ordre. Tout de même quand le Président est là, qu’il revient, même le président sdoit être là. Tout le monde a remarqué qu’il n’y avait personne. Peut-être un service d’ordre autour de la maison, mais pas plus. Cela s’est très bien passé. Oui, c’eût été habile qu’il soit là, maintenant tout lui sera plus difficile. Si je continue je vais pleurer, fait-il, comme je lui demande s’il m’apporte des télécopies, moi aussi j’ai la gorge nouée.

Evaluation : j’ignore le système local des medias. Il semble qu’il y ait floraison de journaux par rapport à autrefois, mais souvent éphèmères. Hier, un Cheikhna Ould NENI pour Nouakchott Informations paraissant depuis 1974. Dans les mains de Yannick, trois feuilles, mais remontant au 10 Juillet : «  le come back de Ould Daddah » en grand deux-tiers de pages, et à droite « Ould Taya au Tagant ». ce dernier mot est magique et révélateur. Il y a encore la brousse, la province, les régions, la Mauritanie de toujours… qu’on oublierait ici, mais un substratum qui n’est plus maîtrisé coimme il avait commencé de l’être autant par la sémantique (les régions par numéros) que par la moindre propension alors à s’agglutiner dans la capitale. Que pense-t-on, que sait-on ? La conversation courte que je viens d’avoir est intéressante pas par son contenu, mais par sa forme. On ne parle pas spontanément de l’événement, mais on a à dire…

17 heures + Sieste… Un certain rythme pris. Faïsah est venue me chercher à midi bien passé. Nous convenons d’un pèlerinage dans le centre ville, pour ce qui correspondrait le plus à ce que j’ai connu, et que de 1965 à 1975 je vis à peine changer, et aussi d’aller avec sa mère sur la tombe de sa grand-mère.

Le petit salon d’hier soir. J’y suis d’abord seul avec elle, qui se retire ensuite, puis la pièce se remplit, dialogues et aparte avec Mariem : elle me recommande la prudence dans les propos, les gestes et tout le comportement avec les femmes, les jeunes filles et tout ce qui, avec les hommes, pourrait avoir trait à la relation avec les femmes et la façon d’espérer ou de « faire » des enfants. De fait, je complimente spontanément les beautés que je croise. La civilisation est autre, quoique dans l’entourage de mes amis, ce soit de la Mauritanie traduite en français et donc avec quelque transposition des mœurs aussi. Faïsah me dit à un moment où je l’interroge sur les mémoires de son père, qu’elle a été passionnée par les chapitres sur l’enfance, de ces mœurs, la prière des enfants pour qu’il y ait des visiteurs, le bou bou si tardivement endossé, elle n’avait pas idée et on ne les rencontre plus. Il reste beaucoup de rite et d’abord le goût calme du silence, on s’étreint et s’embrasse avec émotion et larmes, puis l’on se fige. On est la tête à hauteur du cœur de celui qu’on vient saluer, on reste incliné puis on se met à l’écart. Il y a plusieurs cercles, il y a ceux qui n’ont qu’une entrée momentanée, il y a ceux qui peuvent demeurer, soit enfant, soit préposé à quelque rôle d’ambiance ou de service.

Ahmedou, le cousin-oncle gateau, quelques chameaux encore autour de Boutilimit, parfaitement bilingue, me propose depuis hier soir et me promet de m’emmener en brousse à mon prochain séjour ; c’est bien par une première incursion dans ce milieu autre que celui de la capitale, que j’ai commencé il y a trente six ans ma véritable acclimatation, c’était à El Mahsar, avec mon élève, ventripotent, nul en orthographe française et en rédaction, mais si naturel et brave : Ahmed Ould ELY EL KORI, il est mort il y a quelques années. Ahmedou, toujours lui mais que Mariem me recommande, avait en charge dans un bled dont je ne retiens pas le nom Mohamedoun qui fit sa première promenade à âne, et qui aussi refusa un fusil et de l’essayer aussitôt.L’intéressé approuve et persévère, jamais de fusil. Azeddine au contraire… sa naissance à Nouakchott tandis que MoD est en Finlande ou au Danemark, la tournée comme président en exercice de l’O.U.A. ; elle lui est annoncée en même temps qu’au Finlandais, il réclame qu’on ne fasse aucune festivité, son pays est si pauvre et doit tant s’épargner pour survivre. Témoignage d’un Mohamed Yahdih Ould AGHELA, fondateur de Chaab, qui sentant ve nir de mauvais temps, se mit end isponibilité dix-huit mois avant le putsch, se retira à Kaédi, fut sollicité devant témoins par HAÏDALLAH et finit par accepter de reprendre du service, mais seulement comme petit correspondant d’un chef-lieu de région ou de département. Dégommé de Premier Ministre en chef d’état-major, TAYA passa aussi à Kaëdi et voyant l’immensité des troupeaux et aussi l’abattoir, s’enquit de ce que l’on faisait des cornes des animaux : quand on s’intéresse à ce genre de choses, c’est qu’on n’est pas chef d’état-major. L’homme proteste de son dévouement à Mariem, avec qui il travailla dans je ne sais quelle commission ; il admet n’être pas actuellement dans l’opposition et que certaines choses sont positives dans ce qui a été fait depuis 1978 mais tout alors rappelait la référence et le bilan de MoD. J’essaie de le mettre sur les critiques que l’ont fit rétrospectivement à MoD ou sur les causes du putsch, mais le temps de son audience ou de son passage a passé. Il me laisse ses coordonnées. - Passe un avocat, le premier que je vois en complet-veston : M° Brahim Ould EBETTY. Il exerce depuis une dizaine d’années, chaque année plusieurs procès politiques, le dernier, il en a fait un descriptif qu’il a placé sur le net.
En marge des passages et salutations, et tandis que la télévision donne notamment des éphémérides du monde arabe, une visite de KHADAFI au Soudan ou des critiques envers PERES dont il ne semble pas qu’on discerne en lui le seul et ultime champion des colombes… je tente de dresser la liste des visiteurs « politiques ». La réalité, sollicitée et contrôlée, est différente de ce dont je pouvais hier soir me rendre compte par moi-même ; tout aussi significatif, l’accueil à l’aéroport, la marche au pas de là jusqu’à la maison patricienne de mes amis, devient un événement originel considérable, qui a engendré une sensation générale de bien-être et d’expression enfin libérée, alors qu’à peine auparavant on doutait et de l’événement et de son effet dans l’intimité de chacun. La réalité est donc que dans la foule censément de tous bords, ou bien d’une parentèle à cercles multiples, il y a bien eu beaucoup des amis d’autrefois, c’est-à-dire d’il y a vingt-trois ans. On ne compte donc pas Ahmed Ould DADDAH, on assure avoir vu (il faut que je recoupe entre Mohamedoun, Mariem, Azeddine, puis avec le Président), à l’aéroport Abdallahi Ould BAH, médecin, longtemps ministre à partir de 1971 mais qu’on peut considérer aussi de la famille. Venus hier soir et reçus : Abdoulaye BARO, Mohameden Ould BABAH, Mohamed Salem Ould MHAÏTIRAT, Hamoud Ould AHMEDOU (cité par le seul Président et qui était donc passé inaperçu) enfin Ahmed Ould MOHAMED SALAH que je croisais en arrivant  ; et ce matin, Abdel Aziz Ould AHMED, puis ceux que je viens de citer, notamment l’ancien directeur de Chaab et M° Brahim Ould EBETTY. Ahmedou indique aussi le chef des Smacides, une tribu petite et pauvre de l’Adrar, mais qui est aujourd’hui celle du pouvoir, de TAYA en particulier ; le visiteur est sociologiquement et psychologiquement leur chef hiérarchique, sa visite ne peut donc lui être reproché par quiconque. Soit… mais pour mon ami c’est Ahmed Ould SIDI BABA, un de ses anciens ministres.

A table, le pli est repris, BOKARRA passe, sourit, refuse le film ou la photographie, s’efface : heureux. Un autre passe les plats, stylé, la main gauche dans le dos. MoD, à mon étonnement se sert seul et commence de manger seul ; il y parviendrait sans doute complètement si Mariem ne venait à la rescousse, naturellement il n’est que carnivore et ne prend pas spontanément des légumes. Nous sommes dans la formation de Nice, cela m’émeut et je le fais remarquer. Mariem est diserte et précise, elle témoigne surtout, et c’est particulièrement sensible quoique sans pathos, de ce qu’elle est entrée sans l’avoir prévu ni délibéré dans un chemin ou une nature qui lui sont nouveaux : elle pardonne. Moussa, un cousin très proche, brillant étudiant et diplômé en philosophie. Ils sont certes pauvres à Paris au début des années 1980, mais moins que d’autres, et ont assez pour partager – expression qui est belle – et ils soutiennent et accueillent comme un de leurs fils, le jeune homme. A peine son cycle universitaire achevé, il rentre au pays… et au cabinet de TAYA. Il y a eu et donc il y aura Abdallahi Ould DADDAH. Traître deux fois. A la vérité, le demi-frère, descendant comme quatre autres de CHEIKH SIDYA par leur mère, n’a jamais compris ni pardonné la carrière longtemps fulgurante du Président. Evincé du Gouvernement par celui-ci qui voulut frapper sans distinction, malgré l’intercession pressante de Mariem : ministre du rang, il avait manqué d’égard ou avait eu envers son super-ministre Abdoulaye BARO des propos que seuls pouvaient expliquer, sinon excuser les appartenances ethniques et tribales, donc les anciens clivages, il a quelque chose à venger en 1978, le putsch ne le trouve pas au pouvoir et au contraire l’y ramène… Plus grave, il cherche à séparer les enfants des parents, et particulièrement de Mariem, une opération ressemblant à la déchéance de maternité ; les militaires, seul point indiscutablement à leur actif, perçoivent la division familiale et ce qu’il peut y avoir derrière de clanique, ils dépêchent un messager auprès de MoD et c’est l’envoi des enfants à Dakar. Nafi, la nourrice, se laisse, cette fin de matinée, où elle est là de nouveau et avec l’un de ses fils, interroger et filmer. Elle a rejoint les enfants dès le matin du pustch, elle rentrait juste de vacances, précisément à Dakar dans la nuit du dimanche au lundi. L’époque des enfances, le Président prenait le petit-déjeuner avec les enfants et avait du temps pour eux le soir ; le hassania est le premier parlé, MoD y tient beaucoup ; d’impression fugitive ou durable d’insécurité, d’un possible coup d’Etat, non jamais, avant qu’il se produise. Le coup de main du Polisario en 1976 ? un jeu pour les enfants qui ne voulaient absolument pas se mettre à l’abri. Les enfants amenés voir leur père dans l’exercice du pouvoir, par exempke lors d’un discours à l’Assemblée Nationale ; elle le croit et le dit, Faïsah et Mohamedoun, leur père aussi n’en ont pas souvenir.
Parfois, souriant, rajeuni d’une quinzaine d’années, heureux d’âme et l’exprimant de visage, centre d’une petite foule quand il entre en bou-bou blanc dans son petit salon aux murs encore nus ou transparent d’innocence et de sérénité comme nous nous mettons à table, Moktar Ould DADDAH se tient enfin droit quand il est assis, mais il marche encore courbé et inexpressif. Faïsah, ce matin venant me prendre, m’annonce une bonne nouvelle : les dix heures de sommeil de ses parents, elle et Azeddine sont à surveiller les progrès, la recouvrance de leur père ; Mohamedoun n’en avait pas douté, le retour au pays aurait une vertu, sa vertu forte ; lait de chamelle, dattes ici et parvenir à le convaincre d’une thalassothérapie ? Pudeur et aversion pour le sport ? Ce sera impossible, asure Mariem : il déteste l’eau quoique très propre, n’aime pas nager.

Le Président se retire le premier et seul, refusant le « digestif » qu’est le thé en trois tasses, les petits verres n’ont pas changé, mais la théière est d’émail bleu, taille règlementaire mais plus le charme d’autrefois. De même, une tente maure, il ne s’en fait plus en laine, seulement en toile et curieusement bigarrée, décorée à la moderne, dixit Ahmedou. Mariem, recoupant sa nièce par alliance, Aïchetou : de lieu de culture et de lecture, que le centre cutlurel français. Elle voudrait une librairie pour mettre à la disposition localement des étudiants, des jeunes des livres didactiques, pouvoir inviter des conférenciers, faire des table-rondes sans rien de politique naturellement. J’ajouterai, quant à moi, à ce projet, de l’édition de textes mauritaniens en arabe ou en français ; ainsi, Aïchetou n’a-t-elle jamais entendu parler et encore moins lu de Moktar Ould HAMIDOUN ; je pense aussi à mes propres travaux. Faïsah voudrait qu’on mette la main sur un trésor que dupliquerait l’Institut National de l’Audiovisuel en France : il y a une importante série sur MoD 1957-1978. Nous reparlons Crouesty, mémoires, séjour en Bretagne, urgent et nécessaire pour que Mariem se repose, propice à ce que nous terminions la re-lecture du manuscrit tel que je l’ai ré-ordonné mais de manière à ne pas donner l’impression d’être venu ici pour repartir. Elle pensait qu’ils reliraient une ultime fois les passages déjà travaillés à Nibce et pourait avancer les douze restant, mais se reprend : vous préfèrerez sans doute participer à cela, et le faire avec lui. J’acquiesce, de fait mon ami se sent à la fois plus libre d’expression mais davantage contraint à la performance et à fournir un réel travail quand nous sommes ensemble mais seuls sur son texte. Le Dr. Bocar Alpha BA s’annonce, et le Président étant à la sieste, congratule Mariem et ne reste pas. Je le salue, il n’a que très peu changé depuis 1965. Quand j’arrivai en Mauritanie, il venait juste d’être déchargé de son portefeuille aux Finances, après avoir été plusieurs années l’homme à tout faire et de confiance. Je retrouve aussitôt une gouaille paysanne, presque normande ; il habite en face, est parfaitement disponible parce qu’il a consenti une fois pour toutes à ne pas s’organiser, sinon pour ce qui est des lieux aménagé pour lui faciliter fuites et retranchements, plusieurs petits salons habilement séparés les un des autres. Lui, Ahmed Ould MOHAMED SALAH, Abdoulaye BARO, Mohameden BABAH et Abdallahi Ould BAH doivent être de mes témoins pour une histoire orale du passé et aussi une réflexion sur la grandeur et la chute… du régime et de celui qui l’incarnait.
Temps de plier bagages. Une partie de mes affutiaux est resté dans le petit salon, la porte est fermée sur le patio, mais la clé dans la serrure, j’ouvre, pénombre grise et dorée, au centre de la pièce, seul absolument, le Président assis et décalé comme aux mauvais moments de Nice, dort la bouche ouvert mais les yeux clos. Il est entendu que la sieste lui est nécessaire mais qu’il ne se couche pas. En bras de chemise, avant-bras et mains nues. – Cette centralité mentale et topgraphique dans la maison, et maintenant, peut-être, dans toute la Mauritanie de 2001 saisit d’autant plus, paraît irréelle que l’homme est silencieux, et qu’il est seul, sauf ses lecteurs quand aura paru son livre, à savoir et pouvoir dire ce qu’il sait, ce qu’il a fait vivre aux autres, ce qu’il a, dans l’exil, compris d’une œuvre la sienne et celle de deux ou trois générations. N’a-t-il pas ménagé les anciens, ne s’est-il pas gardé ses contemporains d’âges, n’a-t-il pas constamment aspiré au pouvoir les « jeunes cadres » revenant de l’étranger ? Un homme aussi frêle physiquement à mesure qu’il a vieilli, mais il le parut dès son expatriement en France d’Octobre 1979, aussi silencieux, aussi prudent a su – paradoxalement – faire vivre un pays en dialectique, en aventure, en mouvement pendant plus de vingt ans. Il semble, c’est à confirmer par l’histoire orale, puis par les documents que je parviendrai à tirer des armoires locales ou/et françaises, que les vingt-deux ans qui suivirent, les quelques cinq ou six chefs qui lui succédèrent sans compter les Premiers Ministres ou les chefs d’état-major ont été tout le contraire : la platitude de la censure, des emprisonnements, le huis-clos de la Constantinople ottomane ou de la Byzance millénaire pour des discussions qui n’ont rien fait bouger. Si le pays change maintenant, c’est une dynamique qui ne doit que peu ou rien à la politique ni au vouloir des actuels tenants du pouvoir. Mais beaucoup à une dynamique économique et à la volonté spontanée des jeunes générations de ne pas entrer dans les querelles des anciens.
Si MoD est le personnage dialectique et gravifique de ce que nous vivons ces heures-ci, dans son entourage immédiat, mais sans doute dans le for intérieur de beaucoup de Mauritaniens – quoique ni la télévision,  ni la radio ni aucun média imprimé n’ait encore rendu compte de la journée d’hier… le personnage actif est le fils cadet Azeddine. C’est plus que singulier. Le négociateur depuis un an des conditions un temps politiques, puis désormais uniquement pratiques, financières notamment (il me propose, au moment de me reconduire à mon hôtel, l’équivalent de 500 francs en ouguya pour que je ne sois pas démuni). L’organisateur de la journée d’hier, le service de sécurité, le protocole familial arbitrant entre qui fera partie ou ne fera pas partie des vingt-trente-quarante, l’introducteur à chaque instant des visiteurs qu’il évalue ou dont il sait l’intérêt, c’est aussi celui qui veille au repos des parents, au tempo des demi-journées. Je souhaite aller à Toujidine dès demain matin, c’est lui qui m’y conduira, histoire de parler aussi, ce qu’il voulait hier soir que nous fissions ce matin ; c’est lui qui en fait est le chef pratique de la famille, toute révérence gardée et sans cesse réitérée pour sa mère et pour son père. A celui-ci, si j’examine les photos de la période noir-et-blanc de 1960-1965, il ressemble malgré une tête plus forte, plus marquée aux tempes et aux pommettes des joues, malgré le crâne presque rasé et un port de barbe différent. Comme son père, il brunit ou s’éclaiurcit suivant l’ambiance et suivant l’heure de la journée. Il comprend que son frère aîné cherche ses marques, sa place dans l’organigramme, son avenir professionnel. Devant l’hôtel, je dis mes projets : l’Europe, la librairie-édition avec Mariem, la société d’intermédiation et d’études avec Mohamedoun. Il m’a accordé sa confiance dès nos téléphones, où je m’insérais entre les échanges avec ses parents à Nice et encore hier matin à C.D.G. De lui, comme d’Ahmed Ould DADDAH, son oncle, je veux aussi avoir la réflexion et le témoignage, ce sont ceux de l’avenir. Hier soir, devant son père, quand nous sommes autour de la petite table ronde dressée pour le dîner auquel par discrétion ? respect pour son père, sa mère, son aîné et moi ? ou pour quelque autre raison plus profondeur et tenant à sa responsabilité en chef de tout ce qu’il se passe et se passera ici, depuis qu’y est rentré le Président Moktar Ould DADDAH… il dit avoir appris de lui tout et d’abord d’avoir à apprendre par lui-même. Ni le savoir ni le goût ni les lois de la politique, en morale et en pratique, universellement ou localement, le « père-fondateur » n’a  voulu le léguer en bloc ou l’imposer, le présenter seulement à ce grand jeune homme d’apparence rude mais qui se confie si soudainement, avec tant de clarté et sans jamais, pourtant, fléchir. Simplement et efficacement, il ne s’est pas opposé à ce que son fils, se découvrant et se formant, prenne peu à peu la place qui est aujourd’hui si forte, évidente. Quel sera cet homme, comment est-il intellectuellement, quelle est sa vie intime ? S’il est nécessaire pour lui, je crois que je le saurai. Un des premiers éléments est sa capacité de susciter des concours, des amitiés étant enfant, une garde rapprochée devenu adulte : ainsi, Christophe organisateur et zélateur de l’après-midi parisienne de presse, lundi, est-il aussi à la tête d’un réseau de quelques trente téléphones, dont un journaliste accrédité à l’Elysée, pour déclencher l’éventuelle nouvelle d’une arrestation de mes amis à leur arrivée ou ensuite ou de quelque inquiétude qui leur serait causée maintenant ; ainsi Yannick, condisciple à Nice, véritable enfant adoptif pour MoD qu’il appelle affectueusement « Da » comme Mariem et les enfants (ses parents, couple mixte franco-algérien, travaillent à Pointe-Noire ; lui-même semble avoir participé aux opérations de Sassou N’GUESSO, et devoir à celui-ci armes et habitudes des questions de sécurité ; il cultive manifestement la ressemblance avec Azeddine, même crâne rasé quoique d’encore plus près, regard noir inquisitif, mise stricte et sobre, sombre) ; ainsi Abdoul KANE (apparenté à Elimane Mamadou KANE) et qui est le fils du propriétaire ou du gérant de ce monotel où je suis logé. Cet entregent rejaillit sur toute la famille qu’il agrandit de membres adoptifs.

Est-ce à dire que je vais de plus en plus résider et me fixer ici ? je ne peux encore le prévoir. Ce qui m’importe à cet instant, c’est d’être là… Aurai-je pour l’immédiat la plume, le souffle, l’intuition et la patine de MALRAUX pour raconter ce que nous vivons en ce moment et le situer dans un ensemble historique où ce pays est une véritable exception ? Comme l’Egypte de NASSER ou l’Afrique du Sud de MANDELA, la Mauritanie signifie beaucoup qu’elle-même ou que son poids spécifique ; elle a quelque chose à la fois d’apréhensible, simple et de très symbolique, significatif qui donne à l’observateur de cœur et d’intelligence – que j’espère être, ainsi que mes futurs lecteurs – une vue rapprochée de l’Afrique, de l’Islam, du développement et de leurs contraires respectifs en ces débuts de nouveaux siècle et millénaire. Maire de mon village ou député de Vannes, j’eusse pu ajouter le complément pratique nécessaire dans une pénurie à laquelle on ne s’acharne pas à porter remède : les consommables médicaux et hospitaliers, les livres… recevant la visite de Mme SALL à qui elle transmit le Croissant rouge qu’elle avait fondée, elle apprend de celle-ci que l’organisation fut dans les faits dissoute en 1986 alors même que son animatrice devenait expert consulté officieusement mais constamment à Genève, pour l’Afrique de l’Ouest entière : la Mauritanie sur le point d’être le siège d’un relais régional de l’organisation mondiale. N’importe le point où nous sommes aujourd’hui, tentons quand même. – Témoignage vif et incident d’Ahmedou sur l’éducation primaire, ceux qui ne rejoignent l’école que tardivement en ayant d’abord fait leur étude coranique, le par-cœur qu’expose et explique mon ami dans ses mémoires, rattrapent aisément dans le Livre saint fait réfléchir, ouvre des horizons, a sa richesse intrinsèque d’accès à l’universel. Jamais, je n’ai entendu pareille thèse chez un chrétien : savoir la Bible, l’avoir travaillé, l’avoir entendu commenter serait, est une clé de formation et d’ouverture intellectuelle, également sinon surtout au sens le plus profane, le plus moderne. La familiarité avec un texte décisif, est ce qui structure un esprit. (Le régime nazi, sous lequel était offert aux jeunes mariés, un exemplaire de Mein Kampf, avait cette intuition pédagogique, peut-être également les « maoïstes », mais eux comme les marxistes-léninistes faisant obligation des dizaines de tomes dans la bibliothèque de chaque dirigeant en Union Soviétique, cela finissait par faire décoratif, n’ont pas résisté à la durée ou aux conséquences de ce qu’ils inculquaient ou véhiculèrent…).

20 heures 45 + Dormi une heure, appelé Faïsah vers les 20 heures 15  sans doute dormait-elle aussi ? elle fera partie de la visite à Dom MEUGNIOT demain matin. L’horaire choisi ici met la nuit noire bien avant les neuf heures du soir. – Lectio divina : il n’y a de signe de Dieu, de preuve de Lui, que Lui-même ! Je suis avec toi. Et voici à quel signe on reconnaîtra que c’est moi qui t’ai envoyé : quand tu auras fait sortir d’Egypte mon peuple, vous rendrez un culte à Dieu sur cette montagne. C’est l’épisode du buisson ardent, la curiosité de Moïse, donc sa disponibilité intérieure, sont son premier trait de caractère, il le tient il est vrai de sa mère adoptive, la fille de Pharaon écartant les roseaux et découvrant le panier. Il est dans le moule des patriarches : me voici… d’ailleurs Dieu se présente comme un Dieu familial, le Dieu de quelqu’un connu et révéré de celui, faible humain, à qui Il s’adresse. C’est bien ce que dit Jésus : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. A vrai dire, l’évangile et la mission du Christ sont la démarche inversée de celle de l’Ancien Testament. Dieu ne se révèle plus par référence aux pères de ceux auxquels Il s’adresse ; Dieu se révèle à tous par son propre Fils et Celui-ci traite tout par référence à son propre Père. Mariem tout à l’heure, en aparte : pour le Président, mourir dans son pays, mais pour moi consacrer ma conversion en mourant en terre d’Islam…– Ce soir, convention de ne pas dîner tard et de se coucher au plus tôt pour que le Président récupère encore davantage, et que nous-mêmes puissions partir tôt pour Toujounine.

23 heures 05 + Le calme et son volume. Le patio sans plus personne, le jardin avec la routine des portiers et des semi-surveillants. Hier soir, mes premiers « moutons », deux trois ; à midi, qu’un seul, de poil noir, attaché court, qui m’a fait pitié, autant qu’un chameau baraqué et dont le sort est probable, à moins qu’il s’agisse du chamelle pour le lait du Président. Nous dînons à cinq, Faïsah nous ayant rejoint, la conversation est franco-centrique ; les dons de pédagogue de Mohamedoun selon Faïsah revisant son bac. ou en deuxième année de sciences juridiques, les différences entre les IVème et Vème Républiques. Elle était assez longtemps chez Clarins, si elle reprenait dans cette brache, ce ne pourrait être qu’à partir de Nouakchott maintenant ; elle souhaite que Mohamedoun soit apprécié et le voit aux Nations-Unies ou dans quelque délégation mauritanienne. Mon affaire avec le Quai revient. Panne à plusieurs reprises, le fusible de la petite salle-à-manger sautant ; jamais autant d’appareils en fonctionnement ensemble, les climatiseurs, le grand salon a giorno et un rhéostat pour la pièce où nous dînons. Le Président n’est que viande, frites s’il y en a mais pas de petits pois. Je fais honneur aux mangues que personne ne touchait, la partage pour Mohamedoun et en épluche une part pour mon ami, qui apprécie. Venue improviste de Mariem, l’aînée de ses sœurs, certainement vieillie, mais toute sa tête ; elle arive entourée de jeunes parentes et de la plus jeune des sœurs de MoD. Mariem, « la mienne » va au salon. Image d’une grande beauté, celle de la Visitation, la cadette et l’aînée se respectent mutuellement, chacune ayant du sacré dans son personnage : on est sur l’un des canapés, très semi-allongés et renversés (la position qu’avait ma mère à la fin de sa vie, sans percevoir son propre déséquilibre statique), les voiles amenés bas sur le front en visière, on se parle à peine, on se regarde, on est là. Le Président est ensuite parmi elles, s’assied sur un siège droit. On défile avec introduction par l’un de ses neveux ou cousins, annonçant un à un celui qui vient, se casse en deux, prend les deux mains du cher sage dans les siennes, passent celles-ci à son front une fois la salutation-bénédiction donnée, puis on se retire presque à reculons. Un garçonnet de quatre-cinq ans est lui aussi présenté, intimidé mais sans mimétisme. MoD est en blanc, le cheveu très blanc. Je ne l’ai tiré de son mutisme à table qu’à propos des rêves, s’il s’en souvient : oui, mais très rarement. Parler lui cause-t-il de la difficulté, de la fatigue ? Je ne m’habitue pas à cette fragilité, cette vulnérabilité, cette semi-dépendance qui appelle une grande vigilance et des soins délicats, des égards qu’il me semble qu’on pourrait avoir encore davantage. Mariem me fait signe que sa belle-sœur a voulu m’identifier, un Européen, certes Yannick, mais un autre, l’autre ; il me faut la saluer mais de loin, je le fais, la vielle dame est souriante, perspicace. Ici, combien ont les traits tirés, qui est « stressé », tendu ? personne malgré l’émotion, l’âge des anciens, le surmenage d’Azeddine. Ces salutations, ces marques de respect, ce silence constant, enveloppant, perceptible en tant que tel ont évidemment quelque chose de monastique, mais en plus dense, des siècles, des millénaires passent dans cette manière d’honorer et d’être honoré. Je quitte mes personnages, le lieu. Dehors, j’attends, Yannick est finalement celui qui me reconduit ; réunion de famille, enfants et Mariem-mère pour organiser et composer des délégations de visiteurs demain ; économiser le père. Que celui-ci soit le vieux et Mariem la maman, tels que j’en rapporte les appellations de la rue et du jardin, est autant de compliments. On ne reçoit pas ici le passé, on reçoit « le » Président à qui l’on doit tout, ceux passés aux usurpateurs quelque temps : Ahmed Ould SIDI BABA ou Abdoulaye BARO disent, à ce que je crois comprendre dans ce qu’on me rapporte et la totalité de ce qui est échangé avec celui qui revient ne doit pas faire quatre lignes, combien ils sont fiers d’avoir été de ses collaborateurs et ministres. Et l’on reçoit sa propre famille, hier, ce que l’on voulait savoir, c’étaient sa santé, ses enfants, si la maman, elle aussi revenait. Vérification faite, il y a deux balcons, et les fenêtres du rez-de-chaussée ont un dessin qui maintenant me revient : déjà vu, naguère.

A sortir de cette chambre, presque fraîche même avec l’accoutumance, on ressent dans le couloir un type de chaleur qui n’est pas d’Europe ; en France, il fait lourd, ici il fait épais, et en rentrant tout à l’heure, le froid de la climatisation. – Yannick repart en début d’après-midi, me laisse ses coordonnées à Pointe-Noire, MOREAU, une femme ayant épousé un pilote civil, il situe bien, mais il s’agit d’une Isabelle dont il est possible qu’elle soit belle, mais ce n’est pas ce qui la caractérise ; je veux lui faire retrouver Béatrice. Son nom, né à Saintes, AOUSTIN, breton s’il en est. Il me faut adresser une carte postale à Fatima. – La beauté encore : les sœurs d’Abdoul, une Zenobou avec qui Faïsah s’entretient devant l’hôtel en venant me prendre pour le déjeuner, une Khadijetou encore plus belle de visage et en pantalon européen, à la main de son frère ce soir quand je fais un peu attendre la fille de mon ami. Cette sérénité, ce repos du visage et des traits, qui ne sont que de morphologie et non de détresse, de fatigue ou d’âge. – Tout aujourd’hui, l’absence du pouvoir en place, tant dans nos conversations que de sa part : il ne se manifeste pas. Les compliments que j’entends quant aux émission de R.F.I. s’adressent à Mariem ; on ne commente pas les dires plus étendus et très politiques, en fait, du Président. Que lui disait-on et confiait-on quand il était « le » pouvoir ?
 
Ibidem, jeudi 19 Juillet 2001

07 heures + J’étais éveillé dès 04 heures et n’ai pu ensuite que somnoler, avec un rêve récurrent qui maintenant m’échappe. Tout à l’heure Dom MEUGNIOT et tout aussi significatif un trajet plus éveillé dans Nouakchott puis alentour immédiatement. Ahmed Ould DADDAH, pour qui j’ai de l’attrait, m’aurait organisé deux rendez-vous de professeurs universitaires : proposer trois cours, l’histoire de la Mauritanie sous occupation française, l’histoire de la fondation avec Moktar Ould DADDAH, la naissance de la Mauritanie à l’économie moderne. Cours magistraux avec polycopiés et discussion de documents, table-ronde à la suite de chaque cours. Tâcher d’avoir cela quinze jours ou trois semaines par trimestre. – Lectio divina : la liturgie veut mettre en rapport la toute puissance divine (son plan d’action pour émanciper son peuple de la férule égyptienne) avec la mansuétude du Christ (je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos). Dieu se qualifie et se présente selon sa relation de sollicitude avec nous. C’est un appel, va chez Pharaon, fais ceci et je ferai cela. Viens…venez, le texte d’aujourd’hui et la conclusion de l’Apocalypse ; le thème du repos dans la Bible qui est la félicité par apaisement, par aboutissement. Les lieux sont des proximités de Dieu ou un éloignement par rapport à Lui, la montagne pour un culte, et ne valent pas en eux-mêmes, mais par leurs propriétés : la terre qui ruisselle de lait et de miel.


11 heures 20 + Petit déjeuner avec Azeddine, aller-retour à Toujidine, nous en ramenons jusqu’à l’Evêché, Dom MEUGNIOT. Je ne pense pas à faire tourner à temps le magnétophone à notre petit déjeuner et il eût d’ailleurs été réticent que nous commencions ainsi, mais sur la route du retour ayant mieux ajusté l’optique de mon caméscope, j’enregistre la conversation de mes deux amis. Je suis alors en plein dans mon « métier » et mon talent, qui ne me sont pas reconnus par les tenants de la profession (le Quai et sa hiérarchie, ses sous-produits et la contrainte qu’ils font peser sur les esprits, les bonnes volontés jusqu’à émollier les talents et les personnalités) : mettre en relation ceux dont je sais que la rencontre sera profitable à chacun et apportera un plus à la réflexion commune. – J’avais appelé Edith en me levant, qu’elle ne s’inquiétât point de ne pas m’avoir puisque je partais tôt. Elle m’appelle tandis qu’Azeddine et moi petit-déjeunons : Méline conseille la prudence et la discrétion.

Je suis donc avec le cadet de MoD et l’organisateur de ce retour. Nous sommes vis-à-vis, du thé nature pour lui, au lait pour moi, un œuf dur tandis que je prends du melon, les petits pains et croissants, chacun, avec du beurre. Il est grand, droit, athlétique, les yeux noirs ni inquisiteurs ni flous. Quel étonnement de l’entendre se décrire lui-même comme un garçon n’ayant pas fait grand chose, ayant tâté d’un peu tout au point de vue scolaire et universitaire mais sans goût ni continuité : il ne sait ni qui il est ni ce qu’il aimerait faire. 1992, il a vingt-et-un ans et revient au pays, la famille l’attend, la politique le prend. Titiller le pouvoir, voir sa réaction, si possible être emprisonné, faire parler de soi ; il écrit des articles, il bouge beaucoup et fait la navette. Mais le pouvoir s’en f… habilement, ou avec mansuétude. D’emblée ou assez vite – c’est ce qu’il poursuit de son récit tandis que nous traversons Nouakchott sans que je me repère, sauf à passer la mosquée des débuts, puis le carrefour où sont indiqués bilingues sur des panneaux modernes, Boutilimit et Rosso – il est hostile à Ahmed, son oncle. Raison première et principale, celui-ci nuit, a nui à la famille ; pourtant, dans sa propre enfance, il voit cet homme beau, élégant et mince qu’il ne peut qu’admirer, mais transplanté à deux mois des élections présidentielles depuis la Banque Mondiale, le « technocrate » qui ne connaît plus son pays, on est en 1992, est pris par des connaisseurs et des routiers de la politique locale ; on a voulu un poids lourd pour « challenger » TAYA. Mais Ahmed n’apporte rien de spécifique à son nom, il n’est que le frère, le petit frère de Moktar…même l’écart d’âge qui permettrait une entente, moyennant de la patience chez le plus jeune et une certaine abnégation chez le plus âgé, n’est pas, en l’espèce, une ligne de conduite et de conciliation possible. Le sujet est donc – là - vite épuisé. De même, m’étant étonné que Faïsah ne soit pas là, alors que c’était convenu, son frère me répond qu’il l’a laissée dormir et ne la croyait pas de la partie. Nous sommes entretemps repassé par la maison familiale ; personne encore debout, que l’un des deux chameaux puisqu’ils sont deux, film qui sera flou (je n’ai pas démonté l’entier de ma lentille bêtement ajoutée ce matin en partant ; je m’en suis aperçu à temps, c’est-à-dire pour arriver chez Dom MEUGNIOT), mais c’est la dispute entre frère et sœur ou bien se fait-elle par téléphone ? Faïsah, selon le cadet, ne supporte pas le rôle qu’il joue et l’emprise qu’il a par conséquent, et seul, sur les événements. Une mûe en 1998, il comprend alors que la politique ce n’est pas cela, qu’il lui faut être habile, prudent, qu’il lui faut des réseaux à l’intérieur et à l’extérieur, de l’argent, il s’organise, mais constate vite que personne n’a vraiment confiance en son destin, des amis et des relations sont là et contribuent même à cet effet de réseau, mais par amitié non par prémonition ou foi, tous sauf un : Christophe. De celui-ci, j’ai eu vite la bonne impression lundi et notamment de sa capacité à bien s’entourer et à bien monter ce qu’il avait à faire ; je lui fais épeler son nom et les premières lettres pouvant être une particule, je le questionne, il répond et sa dénégation est explicitement un regret. Christophe est de ceux qui veulent arriver, mais pas pour eux-mêmes ni au sommet, mais au service d’une cause qui a un nom de personne ; avec Azeddine, manifestement il a trouvé.

Le fils s’attendait à de grandes émotions mardi, mais hormis un bref instant où il pleure, il a tellement conscience de ce qu’il faut accomplir et boucler maintenant que son père est là, descend de l’avion, s’assied entouré de la petite foule dans le salon d’honneur, est emmené vers les voitures, puis vers la maison et de pièce en pièce, de salutations en bénédictions, de minute en minute, d’heure en heure si continues et denses que le temps n’est pas pris pour le changer de chemise -, que lui, jouant et tenant tous les rôles en même temps, et chacun de ces rôles est décisif, il tient, résiste, dure et aboutit. S’il a tellement longtemps intimement douté de lui, il vient d’achever là un chef d’œuvre. La mûe de 1998 lui fait prendre les voies de l’habileté : autant son père est situé par les militaires, et plus encore maintenant qu’il est de retour, que son état de santé et d’âge est connu, autant le fils échappe désormais aux calculs et aux positionnements, puisqu’il ne nargue plus et est sorti résolument du court terme. Les navettes avec la France, un long séjour en Libye déplaisent et inquiètent. Cocasse, dès qu’il s’absente, pluie d’appels téléphoniques, surtout d’étudiants en France où il est censé être quand on ne l’a plus en vue ni à Nouakchott ni à Paris. Un membre du cabinet présidentiel, pas vraiment encarté, s’approche alors de lui et lui propose la tranquillité, il aura ce qu’il veut, on le lui donnera ; c’est avec ce contact que se noue et aboutit, dans la forme de cette semaine-ci, la négociation du retour. Mais hier soir, le registre a changé, il a été approché par quelqu’un de très supérieur dans la hiérarchie. Le pouvoir qui n’a pas compris l’un des scenarii possibles de l’arrivée : y être présent, s’annexer la circonstance, prendre l’initiative d’un schéma dans lequel on renoue les bouts dispersés d’une grande et belle chaîne, va maintenant se montrer de biais, inquisiteur ; ce qui est l’aveu pire de la faiblesse car c’est bien manifester là qu’on n’a pas de plan. L’initiative reste donc à MoD, à son fils, au temps et au peuple.

Azeddine me donne son analyse en deux étapes. Nous roulons maintenant sur la «  route de l’Espoir » ; c’est entouré de maisons basses, sans échange, toutes aussi jaune-plat que le sable, des stations à essence, quelques commerces, rien n’a changé par rapport au type de vie péri-urbaine que j’ai connue ; parfois un espace délimité par des tamaris, papiers et cartons se prenennt aux arbres et aux barbelés, chèvres, gens accroupis, de la misère et le va-et-vient d’une vie quotidienne. Des ânes attelés parfois deux à deux trottinent, trainant un type de charrette local qui semble unique et très répandu. Des voitures « de tourisme », pas d’autobus ni de grands camions. On tourne à gauche, on entre dans du sable, on double une dizaine de chameaux maigres, on se renseigne et cherche une bonne dizaine de fois. Pour lui, il y a la misère, les gens sont très pauvres, l’armée elle-même et surtout est mécontente, elle crève la faim tandis que quelques officiers sont nantis et corrompus. C’est explosif… Sur la route de retour, je filme le moine et le fils, nuques et mains, en premier plan du paysage mouvant de la chaussée, des véhicules qu’on croise ; j’entrevois mon seul repère, enfin, la présidence très au loin et peu après « les blocs » méconnaissables, tant on a construit autour. Dom MEUGNIOT en plus concis, et plus construit, donne avec prudence et dilection un texte de première main attesté par ses presque dix ans ici. C’est en Juillet 1992 qu’il s’est établi, en louant à un officier des douanes qui faisait le transitaire pour Caritas, une maisonnette sans étage, bâtie dans la végétation que permettent les détournements et branchements clandestins sur la conduite apportant l’eau d’Idini à la capitale. Alors il a commencé de comprendre et de vivre ici, à Atar, presque dix ans, il était dans une  bulle avec les ssœurs, les militaires. Il a choisi la solitude, qui ne signifie pas et qui localement ne peut ni ne doit être l’isolement. La terre d’Islam puisque depuis sa très petite enfance, les quatre-cinq ans vécus alors au Maroc, il en éprouve l’attraction. La petite chapelle, dans laquelle nous sommes entrés tour à tour, a les deux fenêtres grillés et obturés par du tissu pendant couleur des murs ; de décoration qu’une croix latine, que l’agrandissement de Marie-Madeleine au tombeau, celle de Solesmes, et la reproduction d’un porttrait de la Vierge en mosaïque byzantine. Un coffret de Mederdra tient lieu de tabernacle. Il regrette de célébrer la messe tourné vers l’ouest, en opposition avec l’orientation islamique, et craint d’être provoquant quoique Dieu soit partout, devant et derière nous, au-dessus de nous ; Azeddine écoute aussi bien in situ que dans la voiture.

Rien ne peut plus s’expliquer ni se comprendre, sans la persistance du fait énorme et universel ici : la tribu, le tribalisme, personne ne peut s’identifier sans référence à la tribu, et les différentes fonctions sociales au niveau de l’économie et de la politique nationale sont réparties entre tribus, telle a le pouvoir réputé politique, telle la justice, telle un type de commerce. Les Oulad BOU SBA tiennent le commerce de première nécessité, le sucre, le riz. L’évidence est rétrospectivement que la politique de MoD était de changer ces références, d’abolir et d’empêcher ces ré-accaparements apparemment modernes mais qui perpétuent l’esclavage, le clivage énorme, abrut entre des très riches et une immensité, une multitude de pauvres. Les pauvres ne peuvent s‘en sortir, des rémunérations de 50.000 UM seraient un minimum, très rarement atteint, et pas signifcatif puisque celui qui gagne quelque argent a tant d’autres, familiers, parents, parasites à soutenir. Economie sociale de survie. Ousmane est payé 18.000 pour le fisc et les assurances sociales, masi touche beaucoup plus, quoiqu’il ne travaille guère, mais c’est l’homme de confiance. Azeddine écoûte et questionne ; obsession, les hartani. Il est convaincu, et l’on est convaincu maintenant en Mauritanie, qu’ils constituent la majorité, vont-ils se révolter ? s’organisent-ils ? Mon moine qui a déjà fait allusion à cette éclosion rapide et partout des mosquées, alors qu’il n’y en avait aucune il y a vingt ans, qui y sent se développer un langage agressif et voit par les fonds arabes, notamment par l’investissement et l’organisation de l’Arabie saoudite, la prise en mains des jeunes à 13-14 ans pour un endoctrinement le plus dur, répond que la condition servile est dans les esprits, ainsi Ousmane qui répète avoir conscience de n’être qu’un chien, que tout est organisé pour que le système dure. Les « beïdanes », les blancs sont acharnés pour que soient absolument éradiquées toutes tentations, toutes tentatives de personnalisation ou de révolte. Sans compter la question des gens du Fleuve. Les « événements » de 1989 ont été terribles et sont inoubliables, ils marquent encore. Nous laissons Abba Yakoub à l’Evêché y traiter ces affaires ; je reviens demain accompagné de Faïsah, la messe et repartir avant le déjeuner, que ne peut m’offrir mon moine. L’attaché militaire avait délégué sa fille pour porter une lettre de peu de mots, j’étais censé arriver dans quelques jours sans date. Dom MEUGNIOT avait bien pensé que je serai dans l’avion du Président, je lui raconte la démarche du Quai d’Orsay…

Cette rencontre – mon moine et le cadet de MoD – me comble. Celui-ci trouve enfin sur place un mentor et un confident qui a du recul, qui n’est affilié à rien, qui est souverainement indépendant dans la démarche et dans le jugement, tout en vivant au cœur de la pâte et des ferments ; je ne peux lui apporter ce que va lui donner Dom MEUGNIOT en politique locale, probablement en structures de pensée économique et philosophique aussi, avec la touche de l’imprévisible disposition que Dieu fera de cette amitié. Moi, je ne peux apporter à cet homme jeune et, d’un certain point de vue fait déjà, que le passé, l’œuvre paternelle dite en termes scientifiques et documents à l’appui. Jamais son père ne lui a raconté sa propre vie, ne répondant qu’aux questions et le plus souvent très brièvement. Que Moktar Ould DADDAH dès son arrivée en France ait montré le même détachement, la même sérénité – on était alors en Octobre 1979 à quinze mois seulement du coup d’Etat – qu’aujourd’hui le passionne et l’étonne. Parlait-il, comment était-il ? Je mentionne l’existence des bandes enregistrées à l’époque, des récits linéaires d’une grande traite, parfois un quart d’heure de développement continu que je n’interrompais pas ou que je poussais.  Soudain, la famille était à Qatar en 1997, son père lui dit : tu as enfin compris, et d’un coup lui donne bien plus que sa confiance de père à fils, mais la confiance que ce fils est un homme, est en train de devenir un homme de capacité. Il m’a appris à apprendre par moi-même. Il m’a aussi donné ce qui fut le plus fort et le plus paradoxal de ce moment-là, qu’il est devenu un homme, un homme politique parce qu’il m’a fait comprendre que la politique, c’est cela la manipulation. Mon père a manipulé pendant vingt ans. J’ai explicité aussitôt comment, quant à moi, j’entends cette expression dans la bouche de Moktar Ould DADDAH : ne dire la vérité que par étapes et selon des moments choisis et préparés, faire foi dans un tréfonds de l’homme et par la manipulation parvenir à ce que ce niveau de conversion et d’émancipation mentales soit atteint. Rien, dans les paroles publiques d’Azeddine ni dans les différents moments de nos converstations de ce matin, ne m’a montré de différence d’optique et d’abord des questions par rapport à ceux pratiqués par son père. TAYA a pour excuse de son système qu’il n’a pas d’alternative (bien entendu, c’est un renversement de situation qu’il ne souhaite pas et qu’il ne favorisera pas) ; personne à la place ni en face, puisque ce ne fut pas Ahmed… mais si ce devenait Azedinne ? quant à la politique menée, elle est obérée du péché d’origine, le manque de légitimité. On a donc pris appui sur ce que l’on pouvait et qui n’était pas le fait du régime à remplacer : le tribalisme.

Je sens soudain que je suis fatigué, qu’il fait chaud, je remarque le silence, la climatisation s’est arrêtée. Je vais « siester » en attendant le déjeuner pour lequel on viendra me chercher. Faire venir ici JOBERT quand un minimum sera en place.

16 heures + Re-au lit, douche et climatisation aidant. On est entré dans une phase tranquille ; on a enfin atterri. Plusieurs signes : sans se donner le mot, chacun des enfants a dit aux parents qu’il ne les voyait pas assez depuis leur retour. Mariem est tout simplement heureuse sans texte, réminiscence ou position à tenir ou à oublier ; elle est la mère de famille qui a réuni son monde, elle est l’épouse qui a mis son mari en sécurité et là où il le faut pour le moment.Le passé sera géré à nouveau et plus tard, l’avenir est encore trop lointain de quelques semaines ou mois sans doute. Etre heureux sans projet ni mémoire. Signe le plus fort, le Président rit ; une des sœurs ou belles-sœurs très cadette, replète et gaie, véritable none flamande dont le téléphone portable a la sonnerie d’un cantique de Lourdes ; elle arrive, riant à pleurer ou pleurant de rire et d’émotion, elle s’empresse pour masser le cou, les bras, le crâne tandis que l’on continue de manger. Aujourd’hui, l’excellence d’un poisson au riz. Le Président sale beaucoup trop. Il est acquis qu’il ne parle jamais à la cantonnade ou en propos de table, ni même en cercle, c’est du tête-à-tête ; le bouche à oreille est d’ordre pratique. Il veut le temps, le lieu et le sujet ; un isolement certain. Nous l’aurons ensemble, lui et moi, avant mon départ ; encore cinq jours francs car le mardi 24 je n’aurai à quitter mes amis que vers les 21 heures. Yannick censé partir maintenant pour une correspondance à Abidjan vers Pointe-Noire apprend et se voit confirmer que l’appareil est en panne à Dakar : Air Afrique n’aurait plus que quatre avions. Je n’ai pas encore remercié SPINETTA ; je compte surtout que c’est une piste alternative de repêchage professionnel (et pourquoi me faire donner la tâche de remettre à flot Air Afrique ?). Signe donc, pas seulement que le Président rit – évidemment sans s’esclaffer, c’est un sourire qui semble descendre des yeux jusqu’aux lèvres puis y remonter en y ajoutant un pétillement, la vie affleure de nouveau, mais les mains restent de posture anormales ; du moins, ne tremble-t-il que par rares instants, tenir des couverts trop étroits pour les gestes qui lui sont commodes. Il se laisse installer dans un fauteuil noir à accoudoirs et piètements chromés, réglable, avec un tabouret pour les jambes. Des décennies, il aura résisté aux propositions d’une installation plus agréable pour sa sieste qu’une chaise roide. Il se laisse faire, j’évoque CHURCHILL et aussi les siestes de MENDES FRANCE alors même que celui-ci est Président du Conseil si densément parce que pour si peu de temps. Presque étendu, soudain béat de plaisir et de confort, l’enfant accompli. On est autour, l’antiquité de nouveau qui retrouve ses images, ses modèles, ses façons d’organiser un groupe et une heure.

A table, des propos surtout roulant sur la France ; parce qu’on parle des photos, que j’ai prises, on évoque FOCCART qui avait pris celle des deux derniers très jeunes encore. Mes amis, Mariem, Mohamedoun opinent très défavorablement sur l’homme qui a eu du sang africain sur les mains, selon eux, et qui, de manière patente, a mal écrit sur le Président, « sur nous ». Yannick, veillant sur la famille qu’il a contribué presque autant qu’Azeddine à réunir, puisqu’il a assuré celui-ci, me demande mes pronostics sur les présidentielles françaises, je donne ma manière de comprendre et souhaiter les choses. A mon arrivée, la table mise - ronde – dans le petit salon de l’intimité et de la pénombre, les journaux étaient lus, en version arabe par un neveu Ahmed Ould BOUBAKAR ; Mariem me montre un encart rouge d’une version française. Les lettres de créance de THIBAULT étaient précisément reçues le jeudi 12 ; la chronique signale l’exceptionnalité de la chose, délai ultra-rapide et mise en exergue par le fait qu’aucunes autres n’étaient reçues ce jour-là, indication s’il en est d’un retour à la normale des relations franco-mauritaniennes. Je ris, il suffit d’arrêter le communiquer à un retour, pour que tout prenne son sens, on s’est hâté en fonction du retour de MoD ! et moi, dans ce petit cirque, on m’eût voulu caniche, faisant le beau, ruban à la queue et aux oreilles, changeant mes dates, manquant tout et manquant à mes amis. Il est convenu que je n’approcherai pas l’Ambassade ni ne ferai aucun signe, y compris à l’attaché militaire « pour n’embarrasser personne ».

Nous convenons Mariem et moi de travailler ensemble avant le dîner. Choses à voir avec vous. De mon côté, il m’apparaît plusieurs choses. Aucune tactique d’opposition au jour le jour n’est viable ni productive ; c’est de stratégie qu’il s’agit, il convient en réapprenant les desseins fondateurs et l’histoire de leur réalisation en grande partie de recréer par la rumeur, par l’étude, par de la publication scientifique, par tous moyens divers dont chacun aura son public et ses véhicules, une alternative. Celle-ci trouvera son homme ; sera-ce Ahmed mieux encadré, plus aimé ? sera-ce un tiers en attendant Azeddine ? ou Azeddine après encore plusieurs années de maturation et de l’aspiration au changement et à l’équilibre, et du jeune homme lui-même ? Dans la pratique, créer un site internet, mettre au plus tôt sur pied une structure de librairie et d’édition localement. Apprivoiser le pouvoir, faire se ré-entendre Ahmed et Azeddine, faire parler de temps en temps le Président pour que tout se fasse comme mûrit puis tombe un fruit. L’ambiance mentale qui doit être créée, c’est de rendre à ce peuple la confiance que ses problèmes sociaux et économiques peuvent être réglés dans l’ordre, la justice et non par une multitude de contraintes, de simplisme et – au vrai – de pauvretés, intellectuelle des uns, pécuniaire et d’avenir pour le plus grand nombre. Mais entre le neveu et l’oncle, si le Président ne s’implique lui-même en dégageant les lignes d’intérêt commune, la chose sera difficile : Azeddine présente à son père un Cheïdi, qui sert le thé et m’avait abordé hier, disant son intérêt et sa mémoire en politique. Il aurait souqué pour Ahmed pendant dix ans et n’était payé que minablement, entre autres marques d’ingratitude ou de dédain.

Photos et film des animaux « domestiques » à l’attache, quiconque ne donne pas de lait dans la gent animale ne sert plus à l’heure de l’automobile et de l’avion, que de viande sur un plat. J’ai intensément pitié. Mohamedoun qui refusait le fusil, dixit son oncle hier, n’ose s’approcher des chameaux, crainte d’être mordu, et pas beaucoup plus des « moutons » ; ces petites bêtes à jolies cornes sont attentives, et l’une d’elle, puis deux autres se laisseraient approcher et caresser, interpeller. – Chez Dom MEUGNIOT, naturellement, Sloughi, délicieuse, charmante, au beau regard jaune d’un chacal attentif et bon (s’il en existe, mais oui…), le museau et le poil de Kiwi. Un fils, dit Zozo, est au contraire craintif ; il ne se laisse approcher. J’ai fait ainsi la connaissance des lieux dont sur le moment, pris par sa grandeur et par ce qu’a de cyclique et circulaire ma destinée mêlée à celle de Dom MEUGNIOT ainsi qu’à celle de MoD, je n’ai pas ressenti l’extrême pauvreté, l’exiguité, l’absence surtout de vue et de perspective au sens le plus optique, topgraphique du terme. L’âme n’a donc ici ses dimensions qu’en prière, qu’en rêve, qu’en recomposition de l’univers, à commencer par celui des sens. Rencontre aussi d’Ousmane, ainsi que du fils du propriétaire, toujours à survenir quand le religieux a de la visite. – Finalement, les choses se sont passées au mieux entre le frère et la sœur, celle-ci a été fâchée d’avoir été ainsi oubliée, mais elle loue la bonne foi du fautif, souligne qu’il ne ment jamais. Affaire classée… Reste à nouer mes contacts avec Ahmed, lequel aurait à me faire rencontrer deux universitaires. Et puis, après demain, il me faudra commencer la série de mes entretiens avec les anciens ministres et collaborateurs. Trait final et beau, Mohamedoun me dit, tandis que je photographie les caprins et que je lui demande de nous trouver des notices sur les formes de sociétés ici : je ne pouvais laisser mes parents seuls, sans garde-du-corps et sans soutien. Cette vérité devait être dite et je la rappellerai, il y a du sacrificiel là, mais du conscient et du voulu, en sorte que lui aussi déclare, juge sa mission accomplie. Ce qui reveindra d’ailleurs à laisser à Azeddine une intimité que celui-ci n’a pas encore eue, avec leurs parents tandis que l’aîné trouvera à s’employer, peut-être même en dehors du pays. Ces jours-ci, je l’ai senti, sans qu’il en paraisse triste, si souvent en arrière de la main, ne serait-ce que du fait qu’il n’y a pas pour lui la complicité des deux cadets avec leur bande d’amis, ce que marque la disposition à table : la « formation niçoise » est le rite, et l’on ajoute, ou s’ajoutent sur invitation pressante, le plus souvent lamienne, Faïsah hier soir ou Azeddine tout à l’heure, mais ceux-ci se lèvent, les appels sur leur portable respectif. Mariem leur proposant de manger en même temps que nous, mais faute de place et de couverts, avec la main… Qu’Azeddine, je crois, propose que le cercle soit plus large si précisément l’on mange à la main, l’évidence est dite que le Président préfère les couverts, le couvert et les sièges. Je me trouve au multiple et complexe enchevêtrement, pour ce qui est de la surface des mœurs et des comportements, de traditions et de générations qui ne sont pas concurrentes, qui souhaitent se compléter, assumer mutuellement et cherchent encore l’espace et le temps où elles y parviendront. Mariem et le Président, grands-parents, tout sera calé et aura eu sa place. Solidarité, vibration commune et ensemble, mais le geste et le mot, dans la pudeur, le respect ambiants, dans cette sorte de promiscuité permanente avec des cercles plus larges de l’élément familial, font défaut. On s’aime en profondeur, on se respecte et s’entre-admire mais maintenant il faut du temps, il va falloir du temps. Le Président, pour le moment, décante et enregistre ; il va quelque temps avoir la protection des apparences, rétablir ou maintenir sa santé, assumer son rôle familial ; la politique ré-apparaîtra doucement, en demi-teintes. Moktar Ould DADDAH ne crée pas le moment, mais il sait le discerner et l’analyser, pour alors y participer et, avec une simplicité jouxtant la souveraineté, en expliquer le sens. Donc et finalement : signer. J’ai la conviction que ce scenario, en lui, a déjà commencé de se dire et de s’essayer. Bien entendu, c’est du pays, de la Mauritanie intégrale qu’il s’agit.


. . . à la maison familiale, 19 heures 40 + En marge d’un moment de travail avec Mariem et de la suite des visites familiales rendues au Président et auxquelles elle doit quelques apparitions.
HAÏDALLAH est venu quelques minutes, à 18 heures 30. Une vingtaine de personnes l’accompagnaient. Selon MoD, les salutations d’usage et l’excuse demandée de n’être pas venu à l’aéroport, car il s’attendait à ce que les autres y soient… Allusion brève à la conversation de Oualata. Le Président a remercié simplement de la visite et des salutations tout s’est passé si vite qu’on n’a pas même eu le temps de passer les rafraïchissements dont on improvisait la préparation. Faïsah qui me l’annonce en venant me chercher avec retard à l’hôtel et s’en excusant, dit l’avoir trouvé bien plus grand encore (de taille) qu’elle ne s’y attendait. Elle ne réalisait pas que ce genre de visite ou d’événement pouvait m’intéresser. J’ai retrouvé mon ami, seigneurial, rajeunissant de jour en jour, le visage complètement détendu désormais, assis sur sa chaise de rite. C’est lui qui m’a donné la teneur de l’entretien, et y ayant réfléchi, m’a indiqué avoir oublié dans la liste des visiteurs du premier soir :  Sidi Ould CHEIKH ABDALLAHI, Ely Ould ALLAF…
Mariem revient, repart. Elle finit par trouver exagérées les remerciements et marques de reconnaissance pour ce qu’elle a fait et donné, pour ce que le Président et elle ont fait : certes, nous avons fait le pays, mais tout de même. Je lui confie qu’en fait, on en vient à se demander  Je dis aussi ce qu’il s’est passé ce matin avec Azeddine, puis entre celui-ci et Dom MEUGNIOT. Je lui laisse l’argent français dont elle peut avoir besoin à un retour inopiné. Elle accepte les accréditifs vers les éditeurs et vers les médias que je lui propose. Nous en venons aux statuts de l’association : elle voit essentiellement la composition et l’écriture de l’histoire du pays, de façon à insérer l’œuvre du Président dans une dialectique d’ensemble, rassembler les documents et recueillir les témoignages, financer des bourses, j’y ajoute l’édition ainsi qu’une vigilance quant à la sécurité morale et physique du Président, ce que nous transformons en soin de son image.

. . . au lit, à l’hôtel, 23 heures 30 + Nous ne parvenons pas à nous coucher tôt, Yannick converse, se détend mais n’a pas son avion à temps pour la correspondance d’Abdjan sur Pointe-Noire ; réparé l’avion a fait demi-tour à Dakar en bout de piste. Précarité sinon très faible existence des moyens modernes de communication en Afrique.
Dîner en formation niçoise, à quoi se joint Azeddine, longue conversation de celui-ci en aparte avec sa mère qui fond en larmes. Je suis en face du Président, Boccara a pris le pli de couper la viande et de préparer l’assiette. Ne buvant plus que de l’eau depuis mardi soir, je m’en porte aussi bien, le vin n’étant ni disponible ni présent, je n’y pense pas même… Le Président ne parle pas pour les petites choses, mais il répond à ma question sur la santé et la robustesse de son père : bonne et grande, mais il n’a pas connu les mêmes épreuves, ni semble-t-il si je prolonge cette phrase, d’épreuve tout court. Les déplacements à Saint-Louis ? en camion. Une dérive de la conversation qui s’est mise, je ne sais comment, sur le Brésil l’intéresse. Il venait de m’écouter longuement sur mes impressions physiques du parcours de la capitale d’ouest en est ce matin. Mariem a une visite ou quelque chose à faire en fin de repas (viande avec croquettes de pommes de terre et haricots verts, à ces derniers, le Président ne touche pas), il tient à rester à table, Mohamedoun est là aussi. Tierno BAKAR ne suggère rien en lui, mais nous voici sur le Chérif HAMALLAH, son inhumation à Montluçon, la thèse d’Alioune, primée à l’UNESCO dont il a été enseuite fonctionnaire, et il nous apprend que né à Tichitt, le grand homme était incontestablement mauritanien, d’où une demande de transfert de ses cendres, adressée à DG via FOCCART. Le Mali se mit de la partie, et d’un commun acord avec Modibo KEÏTA, les deux pays cessèrent leur commune revendication. MALAÏNINE alors. Il est né à Nema et pour échapper à la pénétration française – le Sultan bleu – il se réfugia en Seguiet El Hamra, monta ensuite jusqu’à Marrakech, faillit être proclamé Sultan et mourut de sa belle mort à Tiznit où il est enterré. Manifestement, mon ami a pris plaisir à cette conversation, d’abord d’une attentive et inquisitive présence (les formes du nationalisme, ou son mouvement au Brésil), puis en y participant quand la balle est revenue en Mauritanie. Il apprécie de quitter cependant quelques moments son pays, ou de sortir du champ des visitations et salutations diverses, ou de s’extraire des marques de sollicitude un peu autoritaires de Mariem (« en avant, la musique »), lui faisant abandonner sa chaise ou le poussant vers leur appartement, la nuit et du repos. On est en plein dans mes projets de cours et mes obligations morales de rédaction sur ce pays et son histoire. Programme de demain dont les alternatives lui sont présentées par Azeddine : la mer ou la campagne, il se fait beaucoup d’avoir en brousse immédiate sa maison d’étét, voire même son logis pour la nocturne, hors de Nouakchott où l’on respire mal et où la climatisation fatigue et énerve. Celle-ci, sans être indispensable comme autour de Manaus au Brésil, est en ce moment nécessaire. Ce sera la campagne en famille, la brousse pour vous, Bertrand commente Mariem. La mer eût été intéressante aussi, le tour de ville plus tard. Mariem n’est pas même sortie de la maison dont elle ne reconnaîtra pas l’extérieur. Dans les années 1970, rien autour et le désert jusqu’à mes bâtiments ; elle aussi préférait cette disposition de l’habitat. La prolifération commença avec la sécheresse, mais MoD avait pris cela en mains, craignant par-dessus tout le bidonville. – Le dîner avait commencé sur les animaux, appelés par l’état dans lequel avait été mis la maison, entourée de vaches et chèvres par un des « Présidents » (LULE ?) d’à peine un an de « pouvoir ». On en est à cinq chameaux, qu’on a soignés et désentravés. En quittant les lieux, je vois les hautes silhouettes sobres et nobles. Les chèvres et moutons sont abreuvés mais pas nourris, on s’en préoccupera demain ; en fait, on va les distribuer, avec une part pour l’aumône, ou bien les donner à Ahmedou.

De retour ici, les journaux, cinq, dont aucun ne semble muselé. Ils sont édifiants. Le fait d’abord que l’événement n’est colporté et commenté que quarante-huit heures après ; il n’y a en réalité pas de presse, pas de propagande non plus, le vide politique. Les articles sur MoD, des entretiens avec Azeddine, des photos de chacun de la famille, l’ensemble est favorable, mais l’unanimité est faite sur la faiblesse physique et l’âge de celui qui revient. On conjecture sur les mémoires, sur le rôle de conseils, sur un voyage à Boutilimit ou en Adrar, mais les choses son rédigées dans un français si approximatif qu’il est souvent cocasse et l’on ne sait ce qui se veut humoristique ou problématique et ce qui est du mode affirmatif. Les articles sur la « préparation » du voyage de TAYA au Tagant valent une histoire de vingt ans, ce ne sont que luttes d’influence, de personnalisation de chacun des éléments de l’accueil et du séjour, on honore pour être servi et le « président » n’est qu’un simulacre de pouvoir ; localement, il n’en a pas. En fait, c’est le vide politique mais qu’à ce vide s’adosse, puis s’oppose quelque compétiteur apportant densité, autorité et solutions… « justice et paix ». Jusqu’à mardi, on tournait autant le dos à la politique qu’à l’histoire, maintenant l’histoire revient, un Mohamed Fall Ould OUMERE l’écrit très bien : parent de l’ex-émir ?


Ibidem, soir du vendredi 20 Juillet 2001

Inhumation de Marie-Françoise, prévue pour avoir eu lieu cet après-midi à Montréal. Le bonheur triste d’avoir pu lui parler et d’avoir discerné son sourire et – pour elle aussi – un certain bonheur de me revoir, ré-entendre une dernière fois dans nos versions humaines et terrestres. + 23 heures juste.

Une journée d’une très grande densité et d’une continuité égale. La matinée avec Dom MEUGNIOT et les chiens, la petite cour, les tamaris ou autres arbres que je ne sais pas nommer, le parapet sur lequel on s’assied. Il est comme hier en pantalon kaki et chemise de corps, à la curieuse enseigne (discrète) de Montgomery. Faïsah est censée me déposer seulement, les choses se passent avec naturel et chacun assis à une place qui s’offre sur le muret, tandis qu’Abdoul et Sidi conversent et que les chiens viennent parfois aux genoux du moine ou le plus souvent sommeillent à l’ombre, c’est un long texte qui commence avec Faïsah, et bientôt pour elle ; j’enregistre et filme, la Mauritanie comme l’érémitisme y ont, je le sens aussitôt, la chance d’un exceptionnel document. Dom MEUGNIOT revient sur son expérience locale, l’histoire de son installation depuis Juillet 1992 après une interruption en France de presque deux ans ; il était parti d’Atar juste avant les événements de 1989 qu’il a senti venir.Là-bas entre les sœurs et les militaires, il était dans une bulle et ne voyait pas le pays comme il le pratique depuis maintenant dix ans ici. Il mêle l’histoire de sa vocation, les points tournants de celle-ci, son propre noiviciat, puis la décision-conversion en 1959 à Chateauneuf de Gaillore ; il y a le devoir de Dom Robert, il y a, quant à lui, ses tropismes littéraires, l’atavisme familial qui est de lectures nombreuses et toujours constructives, attentives (son père récitant le latin, lisant Xénophone aperto libro, ayant plusieurs livres assimilés par semaine, des livres partout – il ne parle que rarement de sa mère, pas aujourd’hui). La philosophie, KIERKEGAARD, un néo-Kantisme, la mise en place par le thomisme, il ne peut plus écrire : goût de la perfection, rejet du papier le lendemain ou dès qu’il y a du recul par rapport au moment où cela fut couché sur le papier. Il semble que ce ne soit pas ce à quoi je parviens peut-être ces temps-ci, du moins au désir de quoi j’arrive maintenant : penser, élucider, concevoir complètement avec d’écrire, forcément sans fioritures ni effets, qu’instrumentalement, le fruit de ce qui a été mis au point. Chateauneuf, il y vient dans des circonstances intérieures qu’il ne dit pas mais où beaucoup semble en cause, un Jésuite dont il a gardé  les notes de retraite en cinq jours lui fait saisir la décision. En principe, on repart dès le dimanche, il est prié de rester et au débotté de donner le cours de métaphysique aux terminales, le profsseur ayant décédé. La religieuse ou la laïque chargée de lui syccéder assiste au cours. Puis controverse de longues heures avec lui, c’est le débat du fidéisme, c’est-à-dire du dualisme. Une foi d’une part et l’intelligence de l’autre, il la convertit intellectuellement au point que celle-ci peu après tiendra tête au Cardinal DANIELOU sur ce même sujet. L’Islam qu’il esquisse en sociologie, l’énigme d’une sorte de pétrification du progrès, de l’apport et de l’acquis notamment scientifique au XIIème ; sa thèse des intelligences géniales mais dont les unes sont mimétiques et les autres intuitives donc imaginatives et créatrices. Faïsah écoûte, assimime, enregistre et parfois réplique et rétroque. J’aurai moi-même, à dire : l’observation d’Ahmedou sur ce qu’a d’éminement structurant l’étude du Coran et sa mémorisation intégrale quelque temps, et ce qu’il en résulte en performances scolaires par la suite et le rattrapage par les jeunes qui ne rejoignent qu’après cette « école » celle du système éducatif général, me poursuit. Quant au « retard » de l’Islam, ou au séisme de l’expédition de BONAPARTE en Egypte, il y a d’une part le fait culturel et militaire de la prépondérance ottomane à partir des XIIème-XIIIème en Islam, et pour ce qui est du Xxème siècle les ravages du colonialisme et ensuite des nécessaires simplismes de la décolonisation, et comme s’il n’y suffisait pas ; la perpétuation de la question israëlo-arabe, juste sur des lieux-saints et à proximité immédiate de tous les pôles millénaires de la civilisation arabo-musulmane. Il y aurait à colloquer, écrire, étudier, documenter. Les poliiques nationales et les correspondances internationales sont évidemment le remède ; peut-être aussi l’émergence de grands « saints » et « docteurs » en Islam, et enfin un dialogue constructif entre musulmans, chrétiens et juifs. Quoique Dom MEUGNIOT, à qui je ne fais pas part de ces pensées, récuse le simplisme d'une sorte de référence commune en comportement : les gens du Livre. Discussion sur l’imprégnation culturelle des générationsmédiévales ou d’autrefois dans les paroisses, le par-cœur autant qu’en Islam. Mais historiquement, le christianisme est prêché avant que ne soient mis en exergue les Ecritures et que soient rédigés les évangiles. Soit… Dissertation sur les structures de mal dans une société, une civilisation.
Faïsah ayant pris congé, ne serait-ce que pour se reposer, et moi voyant passer l’heure et notamment celle de célébrer la messe, notre conversation continue : les soucis d’argent du Père, notamment parce que des remboursements de Sécurité sociale ne viennent pas, que les cotisations pour les ermites sont les plus élevées dans le système ad hoc monté par les religieux, que surtout Abba Yakoub donne et prête sans compter, ou en ne comptant qu’ensuite. C’est un long récit sur celui qui est l’un de ses personnages centraux, la personnalité-test, un Sidi Mohamed, converti au protestantisme, brouillé ou presque avec son père surtout parce qu’il a dilapidé tout ce qui a été à sa portée, et qu’enfin il a épousé la femme que convoitait son géniteur. Thibault, le jeune coopérant, lui paye un taxi qui périclite, l’invite en France ; Dom DUPONT, l’Abbé de Solesmes, le fait recevoir par le Pape, photo. A priori, fils gâté et inconsistant, l’homme n’aurait rien pour plaire tel que le dit Dom MEUGNIOT ; il m’est pourtant intensément sympathique, image autant de la Mauritanie que de toute jeunesse. Son cadet lui prête de l’argent via le moine, pour à la fois être remboursé lui-même certainement et pour forcer son frère à la rigueur. Chronique des démêlés avec l’évêque dans laquelle mon moine n’a pas toutes les raisons : l’homme ne lui est pas sympathique, aussitôt intronisé il a renversé les usages et fondations de Mgr. de CHEVIGNY ; son ressassement d’être fils d’ouvrir fait dire soudain au religion, en réunion du presbytérium, et moi, alors, fils de bourgeois je n’ai plus qu’à m’écraser ! Silence, Abba Yakoub continue, si on n’a plus même le droit à la litote. Bref, Dom MEUGNIOT est convaincu que son âge et sa santé sont des leit-motiv pour une action de sape de l’évêque afin que son rappel soit obtenu. Je n’ai pas à ce moment-là glissé - ce qui avait été évoqué auparavant et devant Faïsah et qui avait conduit à divers récits et aperçus sur le monachisme, la vocation, les structures mentales et psychologiques du monde dans lequel vit et qui habitent également le moine, pris dans ce qui peut lui paraître totalitaire – que peut-être il est à laisser à d’autres la responsabilité de son propre départ de Mauritanie. Ce serait d’ailleurs un paradoxe qu’il s’y soit établi quand je n’y viens plus et qu’il en parte quand je m’y ré-établis, mais que de tendresse entre nous, si différents que nous soyons. L’évidence est qu’Emmanuel pourrait remplacer nombre pour nombre Dom MEUGNIOT, moyennant une transition et une sorte de site érémitique à la disposition de la congrégation de Solesmes, se fonderait en Mauritanie sans essaimer mais rayonnant de toute la force d’une sorte de contrainte divine formant celui qui arrive là, prendre la suite d’Abba YAKOUB.

Enfin, Azeddine ; j’ai hier enregistré-filmé leur conversation en voiture, dans le retour vers Nouakchott. Pour lui, pas de doute, le jeune homme raisonne comme il n’a jamais entendu un mauritanien le faire, c’est la thématique de Moktar Ould DADDAH, et selon déjà quelques sondages qu’il a pratiqués depuis mardi dans son environnement, c’est l’homme du futur, c’est-à-dire le futur Président de la République… Dom MEUGNIOT formule ce que je sens, et j’ai encore davantage d’arguments que lui, pour le croire. La suite est poignante, ce sont les hésitations-peurs-envies du moine qui sent que partir à la mi-Octobre après avoir donné une retraite à Keur Moussa, pour ses deux opérations (« raclage » de la prostate et remise en état de sa mauvaise hanche), la projection donc impossible d’un calendrier ensemble, sauf à réaliser son fantasme d’une route-psychanalyse de Toujounine à Nema, où nous rejoindrions – mon propre souhait – Mariem et les enfants, faisant pèlerinage à Oualata. Puis, dans les derniers quarts d’heure, sa chambre, l’affiche encore plus belle que la pose pour le petit fascicule de Prions en Eglise de Mars. Et surtout la messe, infiniment plus belle et signifiante, en deçà même de la liturgie. Le moine passant la coule, l’étole, allumant la bougie ; la lecture que je donne, Sloughie venant à ses pieds et partant toujours à l’instant où autrefois étaient renvoyés les catéchumènes. L’évangile : et il y a ici plus grand que le Temple, les mains du prêtre élevées pour la prière, le latin magnifiquement dit, une ressemblance qui frappe dans la dévotion et la silhouette, de dos, un peu voûtée : le Pape actuel. Les intentions de la Mauritanie tout entière au memento des vivants, Marie-Françoise à celui des mots, la communion sous les deux espèces, la joie au baiser de paix, la pale qu’il me montre et que les moniales d’Argentan lui ont offerte : dans la flamme d’une cartouche de Commandeur des Croyants, Dieu est amour.

Le retour avec Faïsah, la route de l’Espoir en ses premiers kilomètres à l’heure des affluences autour des mosquées, les prédilections de famille qu’elle peut avoir, qu’elle doit ne pas montrer. L’extraordinaire finesse du résultat chez cette jeune fille d’une confrontation et d’un mariage de civivilisation, de culture et de mœurs, compte tenu aussi de ce que chacune des rives qui l’entourent, sa mère et son père sont eux-mêmes, toutes questions de cutlures et d’origine mises à part, très différents l’un de l’autre. Cette succession des pans d’immeubles, ayant au maximim un étage, les ânes trottinant, souvent martelés en rythme de leur marche. Ce sont deux paysages aussi topiques l’un que l’autre, en venant et en repartant ; dès qu’on quitte la route, la verdure, les visages, les enfants, les chèvres et chevreaux, peut-être les seuls animaux heureux quotidiennement (avant la casserole) tandis qu’ânes, moutons, châmeaux à la tâche ou à l’attache, au pays de la soif, sont à faire pitié. Il est vrai qu’ici, à ce que je vois du « goudron », la misère vraie se cache, la détresse physique, le drame moral, la sous-culture, la sous-hygiène. Le long de la route des deux côtés, une vie de commerce, de sieste selon les heures : quelques établissements scolaires privés, des pharmacies et stations-essence, beaucoup d’épiceries et petit bazar, une bonne dizaine de mosquées. Aucune « grande surface », aucune vitrine fermée et réfrigérée. Le bou-bou et la mellafa sont partout, personne en pantalon et chemise, ou à l’européenne. Peu à peu, les repères des grands bâtiments publics, nous passons chaque fois devant l’E.N.A., les états-majors, le Marahaba passé au groupe Mercure, la mosquée originelle, celle du Maroc ou de l’Arabie saoudite, énorme dos de tortue bosselé et étrange, non sans allure. – Déjeuner avec la jeune fille, passages des hommes : Azeddine et Mohamedoun, celui-ci revenant de la prière. A l’étage des enfants, sur le palier des photographies magnifiques d’une vie « normale », Moktar Ould DADDAH rayonnant à la naissance de son premier, lui-même encore très jeune, en veste brune mao sans chemise, puis en bou-bou bleu comme son cadet, celui-ci lui se tenant derrière lui et lui tenant le cou. Les deux poses pour les deux garçons sont chacune prémonitoires, enfin, étonnante, insolite et exceptionnelle, Mariem dans une explosion de bonheur, d’extase et même de plaisir de vivre et de vivre l’instant comme la durée, visage pris en contre-pplongée. La petite photo en noir et blanc, du très jeune Président collier de barbe très noire, à son bureau, de trois quarts, plus parlante que celle de face prise quelques années plus tard ; c’est la première qui donna le change sur la ductilité du jeune Chef d’Etat. Nous sommes, les enfants, Yannick, et Ahmed – j’ai beaucoup d’attirance pour ce très beau jeune homme, réservé, racé, de grande distinction et qui semble le lecteur d’arabe du « vieux » - à regarder version noir-et-blanc faute du bon canal, le film-video de l’arrivée.

La « badie ». Pour la énième fois la route de l’Espoir, les boutiques, le champ de pauvreté, pas d’affichage du portrait officiel, les types d’officines et les mosquée, toujours à droite ce champ délimité de grillages et de tamaris poussiéreux, les sacs en plastique transparent bleu, les boîtes de conserve. Ce qu’il n’y a pas : dans la capitale, les cyber-cafés et le marché des portables, ici des comerces tout du long, les gens siestant ou causant, encadrés exactement par leur porte ou des fenêtres ; tout est ouvert, peu de grilles, rien de vraiment fermé, au contraire de Nouakchott-même où l’on circule entre des murs… alentour les chevreaux, les enfants, qu’on ne voit pas de la route. Les changements de couleur des sols, réminiscence des sorties des villes du Kazakhstan, notamment vers le sud-ouest et Turkestan. Passée la station Elf, des contrastes saisissants se succèdent, des dûnes d’un orange profond, des rags gris clair. On bifurque à gauche juste avant le poste de « douane ». C’est, l’ambiance des tournées des années 1970 quand on prend le rag, puis qu’on louvoie vers les dune, secoués par les cahots qu’on voit arriver. Depuis le départ de la maison familiale, avec le cérémonial qu’induit à la fois les soins et le respect dont on entoure «  le père », frêle, présent, muet, se laissant faire, les yeux ouverts et impassible dans une silhouette, un visage dont il me semble que sa personnalité et son rayonnement sont détachables, nous sommes en quatre voitures. Une camionnette ouvre le convoi, je suis dans la troisième voiture, les bates de base-ball et le pistolet, toujours Yannick et son art de la protection rapprochée. J’aurais voulu que le Président fut aussitôt installé à l’avant comme autrefois, le bras à l’air, et le aouli noir qu’il porte avec dilection sur le boub-bou blanc, flottant un peu. Il n’a pas opté pour la barbe finalement. On arrive, ligne basse de formations dunaires, trois tentes, un espace délimité de peut-être trois cent mètres de côté par un grillage, trois ou quatre petits bâtiments en dur, une dérivation de la conduite d’Idini ; la tente, selon ce que m’a donné à attendre Ahmedou, décoration interne et murs, c’est joli et gai, quoique sobre, mais ce n’est plus le tamis du soleil par une épaisse tenture tissée de laine de chameau. Chaque fois l’installation et l’extirpation du Président, son installation d’abord sur des coussins et à terre, plus tard juché sur une chaise le séparant trop de nous et de la conversation qu’on a tendance à mener en dehors de lui. Sa sœur, âgée et cassée, pathétique de dignité et d’une sorte de témoignage d’un passé autant familial que millénaire, attend immobile. Moktar Ould DADDAH reste là, on est silencieux, une des nièces le masse au cou, la sœur et une autre parente chacune à l’un de ses bras, ou à ses mains, à ses pieds. On touche, on retient, on soigne, on murmure et l’on se tait. L’instant et l’endroit y portent invinciblement, naturellement.
Le rythme de la soirée nous fait changer d’univers, alors que déjà passer de Nice à Paris avait été un bouleversement, puis de Charles-de-Gaulle à Nouakchott, aéroport-maison familiale ou hôtel. La méditation est générale, on boit de l’eau ou des jus, et une sorte de structuration dont je n’ai pas l’habitude se fait, et de notre groupe se scindant en aparte, et du temps qui s’écoule tandis que la lumière décline sans qu’on perçoive autrement la venue de la nuit que par un voile permettant de regarder un soleil blanc au-dessus de la ligne des dûnes, et qui s’efface plusqu’il ne disparaît ou se « couche ». C’est l’heure de la marche au-dehors que Mariem souhaite pour son mari, c’est l’égaiement par groupes, la prière solitaire d’Azeddine entre deux des petits bpatiments, et sans qu’aucun l’ait voulu l’alignement permettant manifestement au père de voir le fils. La prière est ensuite vécue dans la petite enceinte de la « mosquée », marquée au sol par des briques grises. Le Président a été assis sur une chaise au côté de la tente, dans la direction rituelle, et s’incline en même temps que tous, Mariem et deux femmes sont sur sa ligne. Je filme, de derrière, puis quand viendra une seconde prière, celle de la nuit noire avant le départ, je réfléchirai plus que je ne prierai-même : quelle différence de fond peut-il y avoir, sinon un fort bâti culturel, entre Dom MEUGNIOT, seul dans mon regard et celui de Dieu disant sa messe, en coule blanche, et ces hommes et femmes dont on entend que le silence que ponctue et musicalise les « Allah » profonds et gémis du meneur de la prosternation musulmane. Evidemment, ce sont les mêmes hommes, le même Dieu. D’Ali-Cheikh qu’a évoqué Dom MEUGNIOT ce matin – « prie pour moi car plus on approche de Dieu, plus on est blessé ! »  – Moktar Ould DADDAH n’a entendu que des échos contradictoires. Ce descendant de Cheikh MALAÏNINE aurait quitté la Seguiet-el-Hamra pour le Tiris el Gharbïa, puis la zone des combats et des embuscades Polisario, pour s’établir, dès avant le pustch à Atar, où il ferait des miracles et serait devenu une des autorités religieuses les plus considérables du pays, sinon de l’Islam contemporain…) ; le nom et le fait sont connus du Président quoiqu’il ait eu un premier mouvement de dénégation ; il ne l’a pas rencontré lui-même. Nous mettrons Dom MEUGNIOT là-dessus dimanche, puisque le Cheïkh dédaignant le talibé qui lui amenait le moine n’eût de soin, de conversation et de regard que pour lui.
Tandis que la lumière se retirait, le ré-égaiment par couples, et mes allées-et-venues au robinet pour abreuver un âne, d’une beauté et d’une tendresse à craquer. L’animal pleurant sa solitude à notre départ, et à plusieurs reprises, son besoin – probablement d’eau – quand nous arrivâmes ou que nous quittions la tente principale. En principe, ce seraient dix litres par jour ; e récipient, moderne petite cuvette comme en auraient mes chiens, en métal, doit faire le litre au moins. Il y met le museau et aspire sans apparemment un mouvement, d’un trait c’est bu. J’ai fait six fois le trajet. Au dîner éclairé sans prévision par des lampes de poche (plats de viande bouillie et riz, ou de viande grillée avec frites, fruits, dates avant, pendant et après), la conversation est très vite « utile » (Maouloud le chercheur, Abdallahi Ould DAH l’avocat, l’autre Abdallahi le consultant). On parle généalogie des Ahekl CHEIKH SIDYA, on évoque une traduction en arabe, critique et annotée, des ouvrages de Paul MARTY : ce serait un lien à établir avec Maouloud qui DEA en droit ou en histoire, ainsi qu’en informatique, collationne documents écrits et édités ou mémoire orale d’une manière exactement celle que je pratique et veut étendre. DAH, l’avocat qui pourra doubler utilement celui dont j’ai fait la connaissance avant-hier ou mercredi, s’agissant des droits de l’homme, devrait me chercher les statuts de sociétés, il semblerait que le droit reste inspiré du français, la différence essentielle étant les zones d’ombre dans la pratique. Quant au consultant, avec lequel les cartes ont été échangées dès le premier soir, il y a toute l’expérience des affaires qui serait utile : il a été le directeur des placements locaux et des recherches de financements extérieurs dans une banque publique dédiée aux petites et moyennes entreprises, et travaille maintenant à son compte. Moment charmant, juste avant le dîner, une fillette en mellafa bleu, nous nous abordons, elle parmi d'autres enfants, et elle parle un excellent français. Par une des nièces du Président, Maïmouna, lui écrire le sens de ce qu’elle voit et lui offrir un ou plusieurs livres pour son âge. Puis la conversation devient générale : le français semble courant pour presque toute la petite assemblée, nous sommes une petite vingtaine d’adultes, sous le regard de Moktar Ould DADDAH, trop haut placé sur une chaise. L’anecdote des enfants que visite Kim Il Sung, le jeu des persécutions et moqueries entre eux, semble-t-il à la limite du supportable pour ces âges ; le décès, accident d’auto, au volant de son Alpine sur une route sénégalaise de Philippe SENGHOR (l’enfant unique de la seconde femme de l’ancien Président) ; PEYREFITTE, MARCHESSIN aussi sur eux, les erreurs manifestes de « classement » de Mariem pour des Français aimant les catégories sans définir vraiment celles-ci que selon la routine des étiquettes (communiste, P.S.U. ?), mais mieux vaut passer pour gauchiste que d’être placé à l’autre extrêmité du spectre. Nous rentrons dès la prière nocturne. La route de retour, pas de Noirs dans l’avenue interminable que forme la route de l’Espoir très bien éclairé par une ligne médiane de lampadaires projetant de la lumière jaune ; dans les boutiques encore ouvertes, pas de portrait officiel de qui que ce soit, cela ne me frappe qu’à présent. Dans la capitale, le silence, moins d’éclairage et personne dehors. Un accident ou bien le souhait du Président ; nous bifurquons par l’avenue de l’Indépendance, je reconnais enfin l’Hôtel des Députés, l’Assemblée Nationale (devenue le Sénat), la Présidence précédée d’un immense espace vide qui lui enlève toute proportion et surtout sa majeste et sa centralité quelque sobre et si simple de volume quelle ait été originellement ? ce qui serait un pérystile ? puis ce sont les cyber-cafés, quelques magasins pour classe aisée et européanisée, les murs du « quartier » des Ambassades… Rituel inverse, le Président est extrait de la voiture et sur-entouré, rentre chez lui, patio, puis petit salon. J’ai attendu dehors, silence. Comme j’avais assisté-médité-contemplé tandis que se faisait la prière de nuit, tout à l’heure, là-bas. Au ciel, moins clair qu’à Reniac, le même signe qu’au-dessus de mes arbres vers le sud et la rivière Penerf, le grand S en forme d’hippocampe, alors, me rappelait – constellation du Scorpion – la femme que j’avais choisie pour vivre ce que maintenant je vis, et qui, dans ma vie, n’est plus.

Reste la fleur des questions… tandis que je suis ici à écrire la courbe et les tableaux de cette journée. Certes, la perfection de ces retrouvailles familiales et le pathétique du couple de MoD et de Mariem, marchant ensemble à contre-jour du soleil disparaissant ; l’air libre recouvré, le milieu natif à nouveau, les racines qui reviennent. Car il y a évidememnt deux phénomènes historiques dans l’affaire : la mémoire vivante revient à un peuple, mais le milieu vital est enfin rendu à un homme qui a donné sa vie à une tâche sans compter les années de son âge physique autrement qu’en termes d’Histoire nationale, ni l’usure personnelle, ni les obstacles. Certes, ce que nous vivons depuis cinq jours, inoubliable, décisif, inimaginable encore mardi matin… Mais maintenant, ou très bientôt : sa chaise, l’isolement au sien de la foule et de la promiscuité, l’étrangeté dans l’intimité, le déphasage… car nous ne renouons pas avec le passé, nous entamons une nouvelle époque où le risque est aussi patent d’une existence claustrée à tous égards et qui n’est certainement pas celle qu’il souhaite, et qui est encore moins celle qui peut produire du changement, le changement en Mauritanie. Comment faire et être avec MoD ? en parler avec lui, avec Mariem. Avec chacun, puis ensemble, les choses s’expliqueront et se mettront en place. La tâche des mémoires, monter l’association, programmer des déplacements, oui ! Mais aussi, sinon surtout une vie quotidienne lui rendant à tous égards son autonomie intime, personnelle, et pas seulement la liberté de son for intérieur, laquelle ne l’a jamais quitté.  – C’est également nécessaire pour son entourage « politique » et intellectuel que Mariem, ses enfants et moi constituons, chacun selon notre talent et le rôle que les circonstances nous ont assignés, et que le Président a voulu depuis les années 1950 par son mariage, jusqu’à, en ce qui me concerne, la permission donnée ces jours-ci que je les accompagne pour le voyage retour et à leurs premiers jours ici. Nous risquons tous de tomber dans le tribalisme : la société de consultants à monter en famille, le corps des recherches historiques à mener de la même manire et ainsi de suite, y compris la relation avec Ahmed Ould DADDAH, qui commande une bonne part des orientations du père et de son cadet, mais qui n’est pas toute la politique ni toute l’opposition en Mauritanie. Y compris dans mon travail de chroniqueur et de compilateur : le Président, moi-même enfermés par la famille, alors qu’il faut, au moins pour ce qui est de moi, aborder les divers cercles du dehors, celui des anciens collaborateurs, celui enfin du régime actuel. Renverser le régime en changeant les conditions mentales d’exercice du pouvoir, une autre relation avec le pouvoir. En fait, avoir le concours du régime et de son chef pour une chute imperceptible à mesure qu’elle s’opèrera ; ne dater puis manifester celle-ci que le changement accompli. Eviter que cela soit par une prise de position entre les factions militaires ; deux étapes probablement, la mise au point du processus électoral et constitutionnel, puis l’élection et l’instauration proprement dite du nouveau chef et de son cours. Je vois les choses dans les cinq ans au plus. L’absence de dialectique historique depuis 1978, dont ne peut tenir lieu une succession de règnes éphèmères, puis de révoltes, d’émeutes et de compromissions (avec Israël en tant qu’Etat belligène au Proche-Orient,et avec le tribalisme, principalement), mais aussi l’absence d’alternative, les torts sont partagés entre les usurpateurs et les contestataires. Il y a même la question latente quoique d’intérêt seulement rétrospectif : pourquoi le Président n’est-il pas revenu, plus tôt, en pleine force physique, sans crier gare, quitte à courir le risque de la résidence surveillée jusqu’à un rétablissement inéluctable et en grand. Question latente de ceux qui ignorent le passé mais l’évoquent en âge d’or, dont leur enfance et maintenant leur maturité a été privé, faute que le fondateur soit revenu à temps ?
Seconde question : le parcours futur d’Azeddine, la culture littéraire et religieuse qui probablement lui manque, une ultime épaisseur à acquérir, sans aucunement perdre une jeunesse qui me semble aussi réfléchie que celle du Président à pareil âge, la spontanéité d’expression en plus, quoique sans logorrhée. Il s’agit de préparer un homme d’Etat, la campagne présidentielle elle-même sera un jeu magnifique, mais un jeu, il est taillé pour, je l’y accompagnerai. Peut-être mon troisième âge et ma propre vieillesse, entre le père et son cadet, à vivre établi ici. Edith me rejoignant, navette de l’un et de l’autre avec Paris, l’Alsace et la Bretagne, de multiplres fondations qui n’en formeront qu’une, l’éthique qui ne va pas sans esthétique ni dialectique. La constellation du Scorpion…ne sera que l’expression de ce qu’il y a d’itinéraires dans une vie, nombreux, mais de fondation qu’une seule.


Ibidem, samedi 21 Juillet 2001

Je ne m’éveille que maintenant. Hier soir, j’ai structuré ce que je voulais noter mais la fatigue m’a empêché de rédiger. C’est encore plus net ce matin : il me frappe que du temps s’écoule, que MoD risque de s’enliser, qu’il y a à faire au lieu d’un narcissisme collectif. Certes les expressions et débordements d’affection sont nécessaires, irrépressibles et doux. Plus vitaux encore, les éléments d’une réinsertion et d’une réacclimatation qui confinent au physiologique et peuvent le transformer ou le maintenir. Cette confidence au passage de Mariem : il est à moitié guéri. J’essaierai, ne serait-ce que par ces notes qui vont demeurer entre eux, de le le lui faire sentir, mais je ne fais sans doute que mettre en forme ce qu’elle vit et sent, et je crois le Président encore tout à fait d’attaque intimement pour réagir par lui-même. Un retour à l’autonomie physique intime, un déploiement de sa capacité di’nvestigation, d’emmagasinement et de régurgitation intellectuelle. L’écrivant ainsi, je vois le sourire qui peut l’écairer quand d’intuition on a dit ou écrit ce qu’il tient à dire ou à signifier. Donc du travail à se répartir : la formation d’Azeddine, le fils et le père s’y attelant communément, sans doute une  tournée systématique, discrète, une tournée de formation et d’information à travers tout le pays, toutes ses classes sociales, tous ses milieux, tous les projets en cours que ceux soient de l’ordre matériel, urbanistiques, économique ou d’ordre mental, affectif, culturel, religieux, sans doute aussi quelques mois de perfectionnement, de mise à nouveau en langue, en culture et en science religieuse. D’autres pouvant un temps s’occuper de ce à quoi le retour de son père, « du père » a montré qu’il excelle : l’organisation, le rayonnement personnel sans ostentation, la souplesse et la discrétion dans la négociation. Mais le Président doit tisser un réseaux de palpeurs, de propagateurs de la rumeur, un réseau d’informateurs ; il doit bouger mentalement, se déplacer partout mentalement et dès que possible physiquement, quoique à dose homéopathique tant pour sa santé que pour ne pas se mettre, lui et le pouvoir actuel, en impasse, celle d’une confrontation. Laisser macérer ce qui deviendra circonstances, événements, décisions. Quant à moi, je dois être l’élément qui pratiquement réédifie la mémoire collective par sa base scientifique : les cours universitaires ici, des publications en France. Cela suppose une mise en place locale, mais probablement un soutien financier français, qui ne peut être qu’hors cadres et prévisions. L’obtenir ainsi que par apprivoisement l’accès aux papiers de ces trente dernières années. Un entretien avec ROISIN, directeur d’Afrique, pourrait tenir dans ce sens ; il restera à faire que l’Ambassadeur ne soit ni humilié ni maître Jacques : affaire encore de diplomatie.
Lectio divina [2]: Jésus n’est pas un tendre agneau, ou un innocent né de la dernière pluie, il échappe aux Pharisiens dont les desseins sont maintenant évidents. Mattieu puise dans «  le cinquième évangile », citant abondamment Isaïe pour donner le portrait dialectique et historique du Christ tandis que la Genèse rapporte l’origine du culte et de l’événement les plus fondateurs et anciens, la Pâque, une nuit de veille en l’honneur du Seigneur. Tout est précis, les prophètes ont décrit à la ligne et à la lettre le rôle et la physionomie du Christ ; l’Ancien Testament situe au possible les événements et la mise en route : de la ville de Ramsès en direction de Souccoth, au nombre d’environ six cent mille sans compter les enfants. Une multitude disparate les accompagnait, ainsi qu’un immense troupeau de moutons et de bœufs… Maintenir mes structures intellectuelles malgré les érosions, les accaparements, le climat physique et mental quand je suis en Mauritanie, est une nécessité que je ne peux oublier, qui s’impose… qu’il en soit de même dans ma vie spirituelle, où que je sois. – Téléphoner à Dom MEUGNIOT et selon que je vois ou non un politique cet après-midi, y aller…D’ici là, il surseoit à sa messe ; demain, en revanche, arrivant à 19 heures, nous la célèbrerons certainement ensemble.
09 heures 10 +

Changement de chambre (passé de 236 à 233) – Ce journal après la douche. Le petit déjeuner tout à l’heure… il est heureux que le bou-bou, la mellafa se maintiennent si universellement, la chaleur, une certaine ambiance appelée par quoi font troubles le regard des Européens entre eux, dès qu’il s’agit d’une femme. Silhouette de mes compatriotes en pantalon et chemisier moulant, ou à la piscine ; même la disgrâce devient appel, sans doute involontaire. Vêtements, donc… Appelé maintenant Faïsah : nous irons probablement au cimetière avant le déjeuner, et c’est Ahmed qui se chargerait du rendez-vous avec Bocar Alpha. Visite ce matin à son père d’un représentant le plus proche de l’Emir du Tagant (lequel, sur place, c’est le successeur d’Abderrahmane Ould BAKAR, reçoit « l’autre »). De « mon temps », la coupure entre l’intérieur et la capitale n’était pas ce qu’elle est physiquement aujourd’hui, au point que c’en est oppressant, puisque, autant sinon plus que le climat, c’est bien la vie traditionnelle et dans l’intérieur du pays, c’est-à-dire du désert ou dans le Chemama, qui impose de fait l’urbanisme et le type de vie à Nouakchott. A vrai dire, la capitale était démographiquement négligeable jusqu’à la fin des années 1960 et la politique autant que la sécurité avait naturellement l’ensemble du territoire pour champ. On pressent maintenant que les questions de maintien de l’ordre dominent l’administration de la capitale, que le reste du territoire est résiduel et n’a de fonction politique que de constituer une sorte d’appel possible à ce qui dégènèrerait à Nouakchott. L’autre évidence que je ne me formulais pas avant hier soir mais qui devient l’évidence d’un fait majeur : pas de Noirs ou très peu, qui soient visibles dans la rue à Nouakchott et le long des premiers kilomètres de la route de l’Espoir. Midi +

. . . chez les Moktar Ould Daddah, 16 heures bientôt + Je suis à imprimer dans la thurne de Azeddine, aussi expert en informatique courante que dans le reste. J’ai donné pain, restes de poulet et frites, piqués dans le couloir de l’hôtel aux moutons, puis voulant dialoguer, camescope au poing avec le jeune chameau, j’ai réussi à lui flatter l’encolure mais à recevoir un bon coup de museau. Je n’ai pu filmer l’émotion de ce matin, la venue de Mariem sur la tombe de sa mère : 26 Octobre 1902 . 3 Septembre 1974. Celle-ci pratiquante mais très ouverte d’esprit, lui fit observer quand elle lui fit part du projet de son mariage, mais il est musulman ! elle ne se plaisait pas à Nouakchott, la voici pourtant inhumée là, les Mauritaniens ayant voulu qu’elle ne « repartît » point du pays, et c’est avec seuls et non avec ses compatriotes qu’elle conversait volontiers ; son visiteur assidu était l’oncle Abdallahi Ould Bebi, affectionné aussi de Mohamedoun à ce que je comprends. Quand, encore jeune, elle mourut subitement, Mariem venant la voir un petit matin tôt la trouva morte, quelque chose d'irréparable s’acomplissait ; sa fille, déjà sevrée d’un père peu connu et pratiqué, se retrouva seule d’une certaine manière. J’ai promis dans ce moment et devant cette tombe d’être le morceau de France parfois nécessaire en compassion et en confession culturelle intime. Mariem l’a accepté. Elle n’avait pas parlé à sa mère d’une conversion pas encore accomplie mais déjà en gestation ; comment cela eût-il été accepté ? Le certain, j’entends alors Faïsah, est que les enfants sont heureux et fiers de leur mixité, française et mauritanienne. Très certainement, c’est une part de leur indépendance sociale et mentale qui a là sa racine.

C’est le petit-fils de l’émir que le Président a reçu, mais le voici, qui, pour accueillir BA Bocar venu le visiter, s’est levé avec une spontanéité et une liberté du mouvement physique surprenant Mariem. Je vois ainsi une seconde fois l’ancien ministre, il a le verbe et la conviction aisés. Je sais qu’il y eût un grave différend entre le Président et lui, au sujet de l’indépendance budgétaire vis-à-vis de la France en 1964, j’y fais allusion, ce qui démarre un texte bien dit sur l’époque, puis sur la «  contre-épreuve », le mot est de lui, dès ses premières retrouvailles avec Moktar Ould DADDAH mercredi. Médecin, cadet du Président, c’est lui qui le soigne l’été de 1954 ; appelé de Bordeaux où il est plongé dans une thèse qui le passionne, il est ministre cumulant plusieurs portefeuilles, et notamment celui des Finances en 1963-1964 ; c’est aussi lui qui conduit la délégation convenue auprès de NASSER pour l’établissement des relations diplomatiques. Je sens le Président heureux, les beaux bou-bous bleus de chacun, le visage apaisé et le sourire qu’il a. A table, le Président précise avoir aussi reçu la visite de Sidi Bouna, ancien Ambassadeur à Moscou, puis de la Ligue arabe notamment au Brésil ; je me souviens maintenant de mes entretiens avec celui-ci et que je lui passais mes papiers pour qu’il les reprit à son compte pour ses autorités. – Personnage non négligeable et particulièrement efficace : Ahmed Salem CHADLI qui me prend les rendez-vous politiques que je souhaite (demain, toute la journée y sera consacré : Abdoulaye Baro à 10 heures, Bocar Alpha Bâ à 15-16 heures, Dr. Abdallahi Ould Bah à 17 heures, Ahmed Ould Sidi Baba à l’hôtel à 19 heures). Il me confie tandis que je me relève de l’assaut du camelin Que j’avais provoqué… tout le monde est ici content, parce qu’au temps de Moktar, il n’y avait plus tribus, ni de haratine. Aujourd’hui, le pouvoir est distribué, réparti, le pouvoir des haratines, le pouvoir de chaque tribu, rien ne se fait, ou plutôt cela va sûrement finir par tout éclater, comment et quand ? et qu’en sortira-t-il ? – Début de conventions pour le courrier, du DHL pour le retour des photos et de la video. au nom de Faïsah (un F. qu’on prononce presque comme un V.). Leïla organise une soirée traditionnelle pour moi, lundi soir. Ce soir Birgit à dîner, son talent à créer ces tapis muraux ; je vais lui en commander deux, jumeaux ou presque pour Dom MEUGNIOT et moi avec en centre la reproduction de la cartouche « khalifale ».

Etape, je donne ces notes au Président et à Mariem : leur donner les images prises dans l’immédiat puis méditées avec recul. Eléments de leurs propres réflexions.


Ibidem, suite du samedi 21 Juillet 2001

. . . chez les Moktar Ould Daddah 17 heures 30 + Vacarme et klaxons dehors ; je crains  un cortège pour le retour de TAYA, ce qui relativiserait beaucoup et abîmerait nos propres images. Non ! c’est le Sénégal qualifié  Nairobi pour la coupe du monde de foot-ball.

. . . au lit, chambre 232 à l’hôtel, 23 heures 30 + J’ai remis en mains à Mariem mes notes et propositions de courrier. Douche et retour chez Dom MEUGNIOT, accompagné de Faïsah et d’Ahmed, celui-ci entrant seul chez le Père. Nous parlons ensuite sans propos notables que la mise au point de dates pour que nous fassions la route de l’Espoir en rejoignant Oualata. C’est la messe, aussi émouvante et prenante qu’hier, Sloughie y assiste entièrement, je photographie et filme le Père avec elle et c’est un commentaire de la rencontre sous le chêne de Mambré rapprochée de l’évangile de Marthe-et-Marie. Les enfants d’Abraham, que nous sommes tous, seraient donc une meilleure expression que celle des gens du Livre. La foi si productive de fruits concrets ; celle si pure d’Abraham produit le fils de parents séniles. Puissance de la nuit quand nous sortons de la chapelle, le resserrement des lieux la rend plus noire encore ; Sidi Mohamed fait alors apparition, je ne veux pas le gêner en sachant trop de son histoire, n’est-il pas métissé lointainement de judaïsme ce qui expliquerait sa conversion ? Nous ne communiquons pas. Arrivent alors Ahmed et Faïsah, bloqués dans les embouteillages de fin de semaine pour les « badie » et autres options des gens aisés pour dormir hors la capitale ; à la déception du père et de Sidi Mohamed, elle ne reconnaît pas le condisciple de son petit frère ni d’elle. – Au retour, je l’interroge sur la prière musulmane ; celle-ci, cinq fois par jour, invariablement commence par les versets du Coran. Les variantes ne sont qu’au fil de la journée, le nombre de prosteernations et donc le plus ou moins long du recueillement. Toute prière, même et surtout improvisée selon celui qui prie ou qui ajoute au minimum prescrit, ne peut être qu’une reprise de versets coraniques ; il ne peut y avoir d’expression inventée ou personnelle, comme le christianisme en a été inondé avec bonheur mais aussi parfois, surtout aujourd’hui, avec lourdeur. Et il n’y a pas la commodité et le véhicule divin-humain des Psaumes. Education religieuse avec leur père, tous trois ensemble, une fois par semaine. Sauf Mohamedoun, les enfants ne se sentent pas au point en arabe, ni même en culture religieuse. Leur père, et ce doit être structurel en Islam, a répugné au commentaire ou à la traduction, alors qu’il lui manque, à elle, parfois des mots. Elle admet, tout en voulant ne pas parler à sa place, qu’Azeddine, s’il veut suivre le parcours qu’il a choisi (elle ne dit pas lequel, mais il est devinable, la politique, sans qu’elle en dise non plus le niveau) doit se mettre à un certain travail d’approfondissement. Je mentionne Abdallahi Ould BOYE, qui serait le plus indiqué. A table, l’évoquant, j’apprends du Président qu’il enseigne à Djeddah, a été souvent invité aux Etats-Unis et s’est mis au français. Et, du coup, nous apprenons que par un de ses fils, il a cherché à rencontrer « celui qui revient » depuis mardi. – Mariem, avait-elle eu le même réflexe associatif que moi ? en entendant la rumeur et les kkaxons vers cinq heures. Le long de la route de l‘Espoir, un terrain de foot, et une petite affluence.

A table, MoD et Mariem reçoivent Brigitte, épouse d’Ahmed Ould DADDAH ; on a déjà servi. L’épouse que je félicite aussitôt pour ses tapis muraux et à qui j’annonce commande avec le motif arabe en cartouche de la fameuse pale, est en fait à présenter les excuses de son époux ; le dîner quoique dérivant un moment sur la nullité, le manque de réflexion et de culture, de pensée, des dirigeants actuels et presque sur le « portraituré », n’est politique qu’au sens d’une préparation du terrain, l’époux est en retard d’avion, mais ne semblait pas invité. D’ailleurs MoD se tient un peu de côté par rapport à sa belle-sœur. Celle-ci donne des éléments pourtant intéressants ; pendant une quinzaine d’années Ahmed et elle ont vécu de ce que leur a rapporté la vente de leur maison à l’Ambassade d’Irak ; ils ne vivent plus que très modestement mais confortablement. Leur fils aux Etats-Unis et à se marier avec une libanaise rencontrée ici quand elle était enfant. Aujourd’hui, l’ancien candidat de toutes les oppositions contre les militaires vit de l’aide d’autrui. Mariem est ouverte et chaleureuse, mais ne commente pas, et MoD écoute silencieux. Les enfants m’ont fait savoir à mesure ce qu’ils pensent des politiques ; évidemment les actuels n’ont droit pas même au commentaire, mais Ba Bocar est éreinté, s’il n’était pas corrompu, il s’est bien rattrapé ! tandis qu’Abdoulaye BARO aurait mis en garde le père d’Abdoul sur sa trop grande fréquentation des enfants de Moktar. L’autre lui aurait répondu que bien élevés, ces enfants sont fréquentables pour eux-mêmes… Je sais que MoD, à l’époque où son ancien ministre avait repris du service avec « les autres », ne lui en voulait pas et comprenait les nécessités alimentaires. Même jugement lapidaire d’Azeddine sur Ali CHEÏKH. Je crois être en situation psychologique avec lui de pouvoir lui écrire quelques conseils, et notamment celui de n’avoir d’évaluation des personnes, des lieux et des faits que directement et par un abord personnel, quitte à ranger les rumeurs comme des faits et des paramètres d’utilisation de ce qu’il aura compris et jaugé par lui-même.
Emotion, la conversation est venue, que je pensais, à mon initiative, n’être qu’incidente, sur Germain LAROCHE. Mariem le tient en haute estime, sa délicatesse, son éducation. Il avait abandonné la coiffure et vivait de son art, peintre allant vers l’abstrait et exposé dans plusieurs pays européens. J’ai dit combien il m’avait paru droit et confiant, mais que je regrettais comme un péché majeur de n’avoir pas répondu – je ne dis pas pourquoi : en fait, la peur plus vis-à-vis de moi-même que de lui… - à une ou deux correspondances de lui. Il est mort affreusement, du SIDA, juste pendant les obsèques du roi Hassan II. Mariem l’eut au téléphone, presque en marge descérémonies, et à cinq heures de mourir, et le lui disant ainsi, Germain regrettait, les sachant dans la gêne, de n’avoir pu ni ne pouvoir les aider vraiment. Questionné par Mariem, le Président dit préférer rester ; c’est manifeste, il souhaite autour de lui, le mouvement, sa curiosité atavique d’enfant maure conscient qu’au-delà de la dûne… Je lui demande ses préférences de séjour s’il y avait lieu de ne pas résider officiellement à Nouakchott : la réponse est immédiate, Chinguetti ou Tamchakett, je ne lui demande malheureusement de développer ses raisons. Je l’y ferai revenir, et puis, surtout, je compte sur un grand moment avec lui d’ici mon départ. Mais son goût de voyage d’où qu’il ait à partir est tout aussi affirmé. La présence de Brigitte m’empêche d’évoquer mes rendez-vous du lendemain. L’arrivée d’Abdallahi (consultant indépendant) ouvre une discussion à propos des Mémoires dont il ne semble pas qu’il ait beaucoup parlé autour de lui : Faïsah demeure dans la passion avec laquelle elle a lu les pages sur l’enfance traditionnelle. Elle tient à l’évidence, non pas à un mixage rendant méconnaissables les composants, mais bien à une forte bi-origine, sinon bi-identité, tout à fait française, et tout à fait mauritanienne. Comme son père, elle a le sens de ce qui est distinct et le goût de marier les différences dans le respect intégral de chacune. Mariem expose le travail fait par le Président puis ce qui a été établi pour le quasi-définitif en Juin à Nice.
Chronique quotidienne de ma situation au monde… Cela me pèse plus le matin, les femmes européennes au petit déjeuner, à la piscine, à vrai dire deux ou trois, ou bien quand sont évoqués avec pudeur et mesure la vie de mes jeunes amis ou celle de Yannick, toujours là, avec sa supérette de Pointe-Noire qui en une semaine peut péricliter. Le mariage mixte, son exotisme, son exigence, sa complétude à terme mais en fruit de foi et de ténacité, d’un vrai courage. Brigitte, Mariem… le goût que j’eus d’Hélène, davantage rétrospectivement que pendant… puisqu’en présence l’un de l’autre tout semblait aller de soi, y compris une certaine réserve à tous égards puisque nous avions tout le temps, la vie devant nous, y compris pour les enfants. Je comprends de plus en plus profondément ce qu’est le mariage mixte, et j’en ai contracté le goût depuis bien plus longtemps que je ne le croyais à mesure des années : mes rencontres dans chacune de mes affectations, mon entente moyennant la francophonie de ma partenaire et de réelles communions au Portugal, en Grèce et surtout en Autriche, Maria, Isabelle et Beatrix. Le mariage exotique donc, ajoutant une dimension supplémentaire de curiosité, d’annexion, de pénétration autant d’un pays, de ses traditions, mœurs et atavismes que d’une âme individuelle. Dimension qui compense et de beaucoup ce qu’il peut y avoir de malentendu sur les mots signifiant différemment suivant les mœurs et les nationalités ; mais n’en va-t-il pas ainsi entre générations. J’eusse aimé la Rusie d’Hélène, une Russie qu’elle ne connaissait guère que par ses parents à Almaty et maintenant par les quelques cercles de son existence quotidienne à Saint-Pétersbourg. Vie qu’elle a manifestement choisie très vite, sans rester fixée le moins du monde sur la France et les Français, que ce soit moi ou ceux qu’elle côtoie par sa situation à la médiathèque du Consulat général. Si elle avait voulu, depuis six ans quitter la Russie, elle en avait le vecteur par mariage, avec moi ou d’autres. Jadmire son ancrage, et si elle m’avait épousé, j’aurais encouragé et prisé cet ancrage. – Remontant à ma chambre, je suis accompagné d’Abdoul, l’ami des enfants de MoD et de Mariem et le fils du propriétaire de l’hôtel. Ils vont sans doute passer au groupe Accor. Salutations de Zénobou, qui m’a fait des prix à sa boutique. Le portrait magnifique au pied de l’escalier intérieur : jeune africaine noire au teint presque clair et rose, de jolies mains, des yeux magnifiques, un voilage rose précisément la mettant en valeur, c’es la sœur aînée d’Abdoul décédée il y a cinq ans pendant l’accouchement de sa fille ; la petite est métisse, ainsi dit Abdoul,  car elle est de père maure. Il en est fier. On va de subtilité en subtilité, ou bien on apprend ici la base du monde. Le primat de la relation de l’instant et avec l’instant. D’une certaine manière, bâtir de la mémoire est en appeler à une dimension peut-être universelle de l’esprit et de l’affectivité chez l’être humain, mais cette dimension peut se trouver enfouie, perdue, jamais sollicitée, tandis que le relationnel, l’interdépendance, l’échange au sens premier du terme, des gestes, des objets et enfin du sang, de l’hérédité signifient concrètement et importent. On ne les prend ni pour une richesse ni pour un devoir ou une incitation à la générosité ou à la prudence : on les admet et on les vit. On est opeu réflexif. Mais on est très observateur, très reconnaissant quand on a été deviné et accepté à mi-mot. Ce ne sont évidemment pas les complexes, les avarices et les racismes constants en Europe, surtout de version française. Il y a manifestement de l’intérêt et des égards pour le nouveau venu, pour l’étranger. On est ouvert.


Ibidem, dimanche 22 Juillet 2001

Les données qui chaque jour s’enrichissent et s’emboîtent. A vrai dire,  les institutions, l’esprit public d’une part l’ambiance physique de cette capitale, si dérangeante pour moi, puisque les mêmes lieux me refusent leur visage familier, donc aimé, d’antan, et d’autre part la position mentale et politique dans laquelle je me trouve, par association au destin du père-fondateur dont je ne verrai jamais l’âge ou le vieillissement, si forte est l’empreinte de son caractère et de son œuvre, sont évidemment autant d’éléments différenciant le présent que j’analyse du passé que j’ai dans la tête et en documentation. Mais fondamentalement, je m’en aperçois, ils ne changent pas un fonds demeuré intangible. C’est la même réflexion à mener qu’il y a trente ou cent ans sur la légitimité ou pas d’intervenir dans les arrangements et comportements locaux, sur la possibilité ou pas de faire une vie politique à l’occidentale où les institutions, les apparences, la norme écrite dans la vie publique, commerciale, financière autant que dans les relations sociales et familiales. Pourtant, ce qui pouvait paraître, sinon artificiel, du moins volontariste, il y a trente ou quarante ans, apparaît maintenant que la copie est bâclée, mais existe pourtant, comme beaucoup plus réel. Ces pays, la Mauritanie sont donc mûres pour des vies démocratiques, pour des investissements économiques assortis des institutions fiduciaires et des formations professionnelles qui vont avec, puisqu’on peut faire et vivre le modèle médiocrement et qu’on n’a pas eu le choix. Bien ou moins bien, mais tout de même ce qu’on appelle la civilisation moderne ou occidentale, celle des banques, des Etats, des cartes d’identité. On peut discuter du bienfait de cette importation, mais sur place ce n’est pas ressenti ni en termes d’importation, ni en termes d’adaptation du dehors pour le dedans et du dedans pour intégrer le dehors. La communication n’est qu’interne : le portable… mais les déplacements restent ce qu’ils étaient il y a trente ans, la voiture, l’avion, lui-même plus aléatoire que la route.

En même temps, il me semble qu’il existe une distance désormais immense, et qui ne tient pas qu’aux années écoulées, entre le moment et les moyens de la construction politique nationale de Moktar Ould DADDAH, et le laxisme, le vrac juridique et urbanistique d’à présent. Il faut que j’élucide en quoi consiste ou ce qui me fait ressentir cette distance, ce décalage. Peut-être parce qu’aujourd’hui la société, la politique, l’économie me semblent, à toute première vue, bien plus déstructurées, incohérentes qu’avant-hier. Moktar Ould DADDAH et son époque, qui n’étaient ni le portable ni la capitale de peut-être cinq cent mille habitants, avaient suscité et formé un noyau social et intellectuel bien relié aux mœurs traditionnelles et à l’ensemble de la société, qui intégrait en pratique et dans le discours le moderne et le traditionnel, on ne vivait pas un conflit mais un effort, un avenir non agressif et presque à portée d’une génération. L’organisation naissait en même temps que les besoins qu’on en avait ; cela valait au plan international, pour l’administration locale et surtout pour ce délicat appareillage des langues, des cultures. En faisant de la religion un élément d’union nationale, le pouvoir politique disposait du même coup d’un certain outil de pénétration des esprits et de la société, et d’un langage modérateur. Le système actuel est disloquant et accentue des autonomies et des indépendances de pans entiers de la société et de l’économie ; en pratique, on est dans un régime de politique zéro puisque le pouvoir n’a aucune compétence que de se défendre lui-même d’éventuels compétiteurs. Du moins, c’est ce que m’inspirent ce que j’entends en commentaires divers et ce que je vois dans les rues de Nouakchott ou le long de la route de l’Espoir.

Une approche scientifique de l’existant ou de ce qui fut fait. C’est le pari que je fis dès mon arrivée ici en Février 1965, en partie du fait que j’admis aussitôt que la société traditionnelle et le fin fond des esprits me demeureraient inaccessibles intellectuellement et linguistiquement. Il se trouva qu’une approche résolument documentaire, moderniste, dialectique rendait compte exactement du système mental et du projet politique d’alors : celui de Moktar Ould DADDAH et de ses compagnons et de son épouse. Faire de même aujourd’hui m’est doublement impossible parce que le dessein des tenants du pouvoir n’est sans doute pas appréhensible selon le matériau écrit ou audio-visuel, et parce que ce matériau-même je n’y aurai accès que le régime tombé ! Ce qui périme toute discussion ou jugement de valeur sur le réflexe colonial d’assistance et en même temps le besoin de médiation pour accéder et comprendre dans lequel se trouvaient à leur arrivée et se maintinrent nos administrateurs. La discussion d’aujourd’hui est autre. Du temps où je venais ici, je pouvais m’interroger sur l’application des habitudes françaises de rédaction et d’expression, d’analyse dans un contexte qui pouvait s’y prêter mais y perdait peut-être en vérité. Ce furent tout l’effort mais aussi l’ambiguité des mises en forme de Mariem ; elle était sans doute la seule à pouvoir les faire, y compris ce film récapitualtif d’une histoire et de bilan de quinze ans qu’elle monta et commenta elle-même, ou presque, selon ce qu’elle me rappelait hier soir. Ces tâches laissées à des Mauritaniens, auraient-elles été faites ? La faiblesse des rédactions de presse que je lis depuis mardi ne résolvent pas la question, car en 1965 et en 1975, on avait progressivement atteint un niveau très acceptable d’orthographe, de rédaction et de résentation.

. . . chez Abdoulaye BARO, en l’attendant, 10 heures 45 + Le plongeon prolongeant ma dissertation ci-dessus. La voiture (une camionnette) de l’hôtel m’emmène à la banque la plus repérable et connue, l’Union Mauritanienne de Banques ne semblant pas exister. Contrairement à mon attente, ni la carte de crédit, ni le chéquier sur la France n’ouvrent de possibilité de toucher du liquide ; seule manière jusqu’à ce qu’un hypothétique swift n’installe ici des lecteurs de cartes magnétiques, une mise à disposition. Ce sera donc bon pour la prochaine fois. On en est au strict Moyen-Age où ne fonctionnent que les « travellers ». Il est question du marché parallèle, le taux des banques étant plus élevé et celui de la Banque centrale n’étant qu’indicatif ; j’évoque le Brésil, et aussi, lisant la carte de visite de mon interlocuteur, mon ancien compagnon de 1965, dans notre virée estivale : Mohamed Fall Ould LEMRABOTT, à qui je lui dis de transmettre l’expression de mon amitié et de mon souvenir. Je lui donne d’abondance des nouvelles avec de la sauce propagande, puisqu’il m’interroge sur la santé du Président. Il ne commente pas et ne s’aventure en rien sur le présent. L’évidence est le clivage entre les installés et le menu peuple. Des timbres-postes, qu’à la poste centrale, qui n’a pas changé de place : l’avenue de l’Indépendance, proportionnellement devenue une ruelle, a gardé ses bâtiments d’origine, que je reconnais. Ce qui me semblait faire pérystile devant la Présidence, le fera peut-être mais avec un immense jardin public, le hangar aux archives est toujours là, mais bien peint et ouvert de fenêtres avec persiennes grises. La Présidence est flanquée d’un énorme gâteau gris, d’apparence et de proportion soviétiques, les bureaux ou le palais présidentiel, la demeure privée restant celle de MoD que les autres, en tout cas l’actuel « portraituré », occupent successivement sans vergogne. On me vend les timbres, il n’y a pas la monnaie pour les billets de mille ouguyias ; la postière que mon chauffeur aborde n’est pas celle devant laquelle suivant la pancarte on fait queue pour les affranchissements, j’ai d’autant plus vite ce que je veux moyennant quelques haltes de sa part, aller-retour, de palabres, elle aussi doit faire admettre qu’elle dérange les circuits. Elle parle volontiers du Président, dit qu’il est aimé et qu’on est content de son retour, qu’on ne le dit pas, peut-être, qu’on ne s’exprime guère mais que c’est bien le sentiment général. Elle est du Fleuve, née en 1957 et me doit donc le respect, on rit et on se sent bien ; à mes côtés, mon chauffeur avec lequel j’ironise sur le bon temps toujours mieux que l’actuel, rétorque que c’est mieux aujourd’hui, il pense confort et apparences matérielles du progrès.
La mosquée construite par les Saoudiens n’a pas laide allure. Elle donne sur des rues commerçantes, des banques, des instituts de développement ;  les voitures sont en épis, plus d’hommes que de femmes dehors, on est en bou-bou universellement et c’est satisfaisant à voir. Le pays, le climat, le niveau de vie rendraient lamentables et fatigués aussi des tenues à l’européenne. Je commence de comprendre le principe : sans plan d’urbanisme qui soit de réalisation manifeste et qui expliquerait la ville, on a maintenu l’existant originel, qu’on a un peu restauré, flanqué de quelques annexes, et l’on a ensuite comblé les vides. Ainsi, la chambre de commerce, jouxtant la poste et la banque centrale, les ministères d’origine, l’hôtel des députés, l’ancienne Assemblée Nationale, et « le » hangar historique, sont restés tels quels ; la direction de la Fonction publique est à son emplacement des années 1970. Cette strate historique est évidemment bien plus variée de style, moins ostentatoire et de dimensions bien plus restreintes modestes à l’image que voulait donner du pays un Président réaliste, sobre, n’ayant rien à démontrer que « nos réalités » pour l’extérieur, tout en en appelant à l’intérieur à transcender la plupart des habitudes. Il ne me sera pas impossible à lire ainsi les choses dans cette ville qui m’est nouvelle, de retrouver mes anciens repères. Exemple : les villas, dont le mur extérieur baignait dans le sable copieux et rouge, sont maintenant entourées d’un mur et ont donc un jardin extérieur doublant le patio, mais elles n’ont pas bougé, non plus que les « blocs » peints de couleurs différentes de l’origine, sur-entourés de constructions parasites, eux non plus n’ont pas bougé. Mais les fenêtres sont grillées. De la Présidence ancienne, on défile aussitôt par une succession des Ambassades, désormais mitoyennes, Etats-Unis, Espagne, Allemagne, à double ou triple enceintes de murs, avec des antennes, des paraboles, des postes de garde et sas ; manifestement, c’est le système de « compounds », tout le personnel d’origine vivant dans le même vase clos, ce qui doit donner lieu à toutes les formes de dictature hiérarchique et d’échangisme sexuel, et bien entendu à un crible des visiteurs et à une sorte d’autisme vis-à-vis du pays qu’on ne connaît que par la mise au net écrite et télégraphiée des rumeurs, ou des renseignements censément de bonne source, en tout cas achetés…
Abdoulaye BARO a tout simplement sa maison sur le derrière de celle des MoD. On ne peut pas plus proche. J’y arrive avec une petite demi-heure de retard. Il n’est pas là. Vaste salon, cinq divans-canapés le long des murs, on ne fait pas cercle ici, on fait cour ! Un meuble vitrine de quatre mètres de long peut-être sur deux de haut, pratiquement rien sur les étagères ; aux murs de très pauvres et petits encadrements. Environnement de nièces… l’une m’accueille, mon ami est partie chez sa fille ou chez sa sœur qui doit « voyager » demain, elle-même a épousé un Sénégalais qui est aux Nations-Unies-Vienne, où elle se plaît. Du retour de MoD, elle n’a aucune idée, n’ayant pas regardé la télévision. Une autre passe. Je m’installe à mon écritoire, on converse dehors en langue vernaculaire. Au petit déjeuner tout à l’heure, c’était un coq vantant, racontant, soupesant, évaluant, prêchant le travail et la modernité à deux commensaux, riant parfois, ne parlant pour ainsi dire pas. Tous du fleuve. Le chauffeur de l’hôtel se dit du Trarza, il est en fait du Fleuve, à dix kilomètres du lac R’Kiz.
Un colonel entre, les cinq étoiles (les galons ne sont que pour « la garde ») ; de menus propos, la pédiâtrie car, breveté parachutiste, il est médecin. Je parle de Claude à Gao et à Tessalit en 1958-1960. Et le retour du Président ? Pour nous, militaires, il est interdit de dire et de penser quoi que ce soit, ce retour est inaperçu, mais – à titre personnel, je puis vous dire que – c’est une bonne chose. Il ne va pas plus loin, et ne pouvant pas me savoir «  de la famille » ne m’interroge pas. Compatriote du Fleuve, apparenté d’Abdoulaye puisqu’il le sait chez sa fille, à préparer le voyage de celle-ci. Il ressort, est au téléphone portable, fait allusion à Mme SALL, à propos du département de pédiâtrie, je ne sais quel exercice du 27 au 9. Je préfère cette disposition des choses, non triomphaliste, qui va exiger de la ténacité, de la patience, pour faire un peu de vent, puis remonter ce vent et enfin aboutir à un dessin exact des côtes du pays à conquérir. Il est pour une bonne part inconnu, et ne sera de nouveau familier que décapé. Du moins, la matière première et les mentalités de base se découvriront. La Mauritanie ne peut se permettre des institutions sans prise sur le développement, le mouvement, la vie et les esprits ; elle n’est pour l’instant équipée que pour le tribalisme et le silence. Avec un placage de quelques technologies : la télévision câblée, le portable, mais un système bancaire qui n’admet pas la carte de crédit…
La télévision… JC et le G 7 ou 8 me rejoignent. Ce ton sentencieux d’un homme crispé à sa fonction et à son immunité, pour sortir des banalités et des truismes… Usure de ce type de réunion, 20.000 policiers mobilisés à Gênes, la rue en ébullition ; les téléspectateurs et les opinions, dans la simplification des commentaires nous prenant pour des c…  Retourner à l’esprit et à la forme du début, une réunion d’amis, et non une citadelle assiégée où des maîtres du monde délibèrent du sort de tout et de tous. La saisie de cinq grammes d’uranium très enrichi, à Paris. Un trafic à partir de l’ex-Union Soviétique pour approvisionner Irak-Iran et autres demandeurs. – Tandis que j’attends un homme que j’ai tutoyé, avec qui j’ai pris des douches au seau qu’on renverse à Tidjikja lors du Conseil national de Mars 1970 mais qui aujourd’hui se cache et se dérobe, j’en apprends ainsi davantage sur le régime et sur les personnes, je suis agressé par la télévision française, nos éphémérides lamentables (l’état sanitaire des commissariats et des prisons en France, une usine d’incinération bâtie dans l’axe et à la vue du château de Vaux-le-Vicomte…).

. . . en attendant chez lui, le Dr. Abdallahi Ould BAH, 17 heures 45 + Maison jouxtant celles d’Abdoulaye BARO et donc voisine, elle aussi, de la mission familiale de MoD. A nouveau, le rite des canapés-divan : il est ici encore plus impresionnant, puisque l’on entre chez le maître des lieux absent de son cabinet comme d’ici (un parent âgé dans un coma diabétique), par une cour sans la moindre plante, puis un couloir à ne pas se croiser, ouvrant sur des petites pièces cuisine et autres à gauche, sur deux pièces plus vastes à droite, tapis et coussins sur lesquels rient une dizaine de filles et fillettes, un second salon, en fait le premier quand on arrive, où je me trouve maintenant et qui n’a strictement de décor que le tapis au sol et huit canapés à l’identique, mais la porte par où s’introduire, s’ouvre à peine coincée par le tapis. Une jeune cousine s’asied quelques instants, puis un Abdallah Ould ABOUBECRINE me tient compagnie, tandis que je suis à cet écritoire. Je l’interroge, magnétophone tournant, acteur de rien, très enfant en 1978, il a vu et entendu, et me donne une synthèse intelligente et plaçant à peu près des réponses à toutes mes questions, sans que j’ai à formuler celles-ci.


Dans la nuit du dimanche 22 au lundi 23 Juillet 2001

. . . au lit, de retour au Dar el Barka, 01 heure 15 + Dom MEUGNIOT raccompagné chez lui par Ahmed au volant, Mohamedoun à l’écoûte et aux questions, et moi complètement absorbé par la récapitulation des trois entretiens de ce jour, accueilli par Sloughie, sautant le mur mais empestant la charogne. Visite des lieux pour Mohamedoun, re-départ : le Père souhaite être à l’aéroport avec moi, le courrier et aussi un certain creux que je viens de mettre dans sa vie par ma présence chez lui, dans son cadre, en quelques heures il m’a tout donné, les deux messes, ses secrets de parcours de vie, sa relation à ce pays et à un des archétypes de celui-ci, Sidi Mohamed, inclassable dont on ne sait s’il est dense, sauteur, en chemin ou en chute libre ; en retour, s’il est possible je lui ai donné mon cher Président, la femme de celui-ci et surtout leurs trois enfants. Le dîner, le Président s’y montre émouvant au possible, digne, vrai quoique si souvent muet et souffrant certainement de ne pouvoir davantage intervenir ou répondre. Chacun de ses enfants a sa pudeur et sa discrétion particulière ; Azeddine n’assiste pas au repas, tient à notre tête-à-tête, me l’a encore répété avant le dîner ; je compte lui écrire une épître à Nicomaque, mais probablement en ayant testé son père là-dessus, le principe et le texte par une télécopie préalable. Les thèmes sont déjà battus depuis Nice, avec quelques appendices, Ahmed Ould SIDI BABA professeur de latin à Lakanal, ce qui explique combien il m’est apparu « vieux Français » ce soir à la terrasse d’ici. Et la théorie de la bande de contact autour du 20ème degré de latitude de Nouakchott à Djibouti, contenir l’intégrisme. Enfin, le fait que je ne savais pas : le rôle joué par M° WADE dans les pogroms côté Sénégal en 1989. Des images exceptionnelles de sens et de rayonnement : les accolades à l’accueil et au départ du Père que lui accorde le Président.

L’axe de la journée est chacune de mes trois rencontres et la somme de celle-ci. Chaque conversation mérite une mise au net intégrale de l’enregistrement magnétique. L’ensemble est saisissant. J’y mets en place intimement des éléments de lecture de la période 1957 à 1978 que je n’avais pas ou qui n’étaient que latents en moi ; j’y apprends tout des successivités militaires ; je place mieux le début de mon analyse du présent et des perspectives. En fait, deux anciennetés se qualifient : celle de MoD et de ses vingt-et-un ans de « règne », celle des militaires, de leur dictature ou de leurs tentatives successives d’une durée à peine supérieure (vingt-trois ans dont déjà dix-sept ans d’Ould TAYA : je ne  fixe pas bien encore le début de son « règne » à lui, 1984 ou 1986, en tout cas en coincidence voulue du « sommet » de Bujumbura). Aucune des deux n’est plus possible telle quelle aujourd’hui, laquelle est la matrice de l’avenir ?

Abdoulaye BARO n’a pas changé de visage ni de silhouette. Le poil est blanc ; il a 69 ans. Son profil me retient, c’est d’ailleurs ainsi qu’il me parle : nous sommes côte à côte. Naguère, c’était le regard presque doré et animal, triste et humoristique, aujourd’hui c’est un homme pensif, qui parle sans hésitation. Se livre-t-il totalement et pour la première fois depuis 1978 ? A lui comme à tous, trois questions : le fonctionnement du pouvoir jusqu’en 1978 et le pourquoi du putsch ? Les successions militaires, l’évaluation du régime et des personnalités, ce que signifie le retour de Moktar Ould DADDAH ? Les événements de 1989. – Pour lui, l’évidence est que la suppression du comité permanent du Parti a privé le régime et le Président de la seule instance qui soit à la fois de concertation, d’ouverture totale de chacun des participants, et de décision. Des affaires militaires ou de sécurité, il n’avait pas organiquement connaissance. On n’en parlait jamais. Le Bureau politique était devenu une assemblée d’une cinquantaine de membres où les adversaires de MoD étaient patents, sinon majoritaires : Cheikhna Ould MOHAMED LAGHDAF menait la danse, avec BNEÏJARA qui avait succédé à Ahmed à la Banque centrale, Ismaël Ould AMAR en était. Il est évident que les militaires n’auraient rien fait sans des avals et des contre-assurances à l’intérieur même du pouvoir ; étrange, les approvisionnements en essence de l’armée à Zoueratte donnaient lieu à autorisation gouvernementale de réquisition d’une partie du tonnage acheminé par le train minéralier. Une autorité pour une grande quantité fut demandée l’avant-veille du putsch. Lui-même sentait un climat mauvais s’établir, s’être établi, il n’en parlait pas ; que des affaires de sa compétence au Président. L’incident avec Abdallahi Ould DADDAH tient simplement à ce que celui-ci, au prétexte d’engagements pris avec des institutions  bailleuses du Fonds d’urgence et pour des stocks en nature, refusa, sauf ordre écrit, de fournir les chameliers venus faire la beauté de l’accueil d’un Chef d’Etat. Abdoulaye s’y prit à deux fois, s’en ouvrit à MoD, lequel s’en étonna autant que lui, il y eut l’ordre écrit, que l’autre ne voulut pas exécuter ce qui le faisait se virer lui-même. Ensuite, dit mon ami, un itinéraire individuel, commençant par l’enfermement de toute l’équipe gouvernementale dans la maison privée de MoD, que celui-ci a réintégré. Puis transfert au camp du génie pendant plusieurs mois avec alternances de périodes douces, puis dures et quasi-affamement. Sortie dès la prise de pouvoir de BOUSSEIF. La mort de celui-ci, certainement accidentelle, puis que pour se faire valoir un gradé dans l’aviation voulut piloter lui-même, manqua deux fois l’atterrissage, puis rata décisivement sa troisième tentative. Nouvelles mesures d’intimidation, puis assignation à Chinguetti jusqu’en Avril 1981, après laquelle, se sentant en totale insécurité, il passe au Sénégal, est reçu par DIOUF dont il est promotionnaire et celui-ci le case pour quatre ans à l’UNESCO-Dakar. Pour la suite, et notamment 1989, nous nous reportons à un entretien ultérieur : 1989, j’étais acteur.
Sur la question du Sahara par laquelle il avait commencé, il estime que la guerre est survenue sans qu’on l’ait prévue ni préparée, d’ailleurs la précipitation des choses surprit tous les protagonistes et tient à la mort de FRANCO qui n’aurait sans doute vu de perspectives que dans l’indépendance, et qui le faisait savoir à l’Algérie. Les choses trainaient en longueur et les pourparlers à trois depuis 1969 n’engageaient personne. Que le Polisario ait choisi comme adversaire principal la Mauritanie est paradoxal puisque ce fut, pour lui, remettre le territoire aux seules mains marocaines. L’ambiance du pustch et toutes les suites depuis plus de vingt ans tient à l’absence de capacités politiques des militaires, par formation. Vous ne vous en étonnerez pas, puisque vous-même avez eu votre pustch en 1961 : la bêtise. – Comment at-t-il vécu ? Même réponse que Brigitte pour elle et Ahmed. L’investissement immobilier, il a pu louer la maison qu’il avait fait construire et habitait, et encore maintenant, il a deux maisons mitoyennes, dont l’une le

Bocar Alpha BA prend les choses de loin et selon son propre parcours. Lui aussi est voisin du Président, juste en face. On entre dans une cour intérieure couverte et spacieuse comme une entrée de piscine à l’antique, le salon est vaste, on ne retient de sa décoration, mais il ne frappe pas par la nudité des murs ou des vitrines, la pice est coupée dans sa longueur par un canapé adossé à des meubles, et je suis dans un autre. L’homme aime parler et théoriser, reconstituer, non sans complaisnce, des dialogues. Il apporte pourtant beaucoup. La détestation dont il fut l’objet, il était partisan que l’Etat restât distinct du Parti, il caractérise Mohamed Ould CHEIKH par une fidélité à se faire tuer pour MoD, alors qu’il lui fut proposé à plusieurs reprises, et notamment par SOUEÏDATT de prendre le pouvoir (1965 ?), celui-ci voulait mettre en selle Ahmed-BABA MISKE et l’y soutenir ; il proposa à mon vis-à-vis de signer une pétition en sa faveur quand celui-ci fut rappelé de Washington, réponse logique, un politique s’il a à se défendre doit le faire lui-même. La cause de la chute tient à une montée en puissance des Kadihines à qui le Président et plus encore Mariem prêtèrent l’oreille jusqu’à être circonvenus, l’entrée des « jeunes cadres » dans le pouvoir, et jusqu’à occuper tout le pouvoir, était faire entrer les loups dans la bergerie. Eut-on continué sur la ligne fondatrice qu’on aurait duré et fait bien davantage. Il explique longuement son rôle quant à l’admission de la RIM à l’O.N.U., ses relations avec Sekou TOURE et Modibo KEÏTA, le rôle que joua la camaraderie à William-Ponty dans la fondation du R.D.A. et en quoi SENGHOR, allé directement à Louis-le-Grand en France se coupa de tout un mouvement d’esprits qui était l’unanimité en Afrique de l’Ouest ; rôle aussi dans la rencontre de MoD avec NASSER depuis une conférence à Dar-es-Salam où l’on remplaçait Claude CHEYSSON. Du pustch, il a une vue intéressante, il rentra de Dakar à Nouakchott dans la nuit du dimanche au lundi, aprit les barrages par son chauffeur, fut amené à la Chambre de Commerce par Cheikhna, une soixante de politiques étaient là et prié de rédiger une motion de soutien à SALECK, ce qu’il refusa ; une déclaration que litrait intégralement ce dernier conviendrait mieux. SALECK, tremblant de peur, les yeux papillottant d’émotion et de fatigue fut exhibé vers 17 heures par Cheikhna, accepta tout ce qu’on lui demandait et la séance continua sans lui, Cheikhna l’ayant fait disparaître à tempspour qu’il ne s’effondrât point. D’où la rumeur que Bocar était l’un des instigateurs du coup. Plusieurs comparutions à la direction de la Sûreté où se succédèrent à l’époque Yahya Ould MENKOUS et MOÏCHINE. Dialogue avec un ministre de l’Intérieur sur de graves accusations qu’il annéantit avec humour, on était au temps de HAÏDALLAH ; vous êtes pro-marocain, vous êtes pro-sénégalais, vous êtes pro-français, tout cela est grave. Les événements de 1989 sont à la charge de TAYA, il est possible que JIDDOU alors ministre de l'’ntérieur et dont l'apparition à la télévision dakaroise fut scandaleuse : quelques cadavres… pensait renverser l’homme régnant. En fait, latente depuis 1965-1966 et l’entrisme des « jeunes », c’est la pétition d’arabité qui déséquilibra progressivement le dessein de MoD jusqu’en 1978 et explique une bonne part du cours des choses depuis maintenant une quinzaine d’années. Je compte le ré-interroger, cette fois, sur un passé plus lointain : médecin à Boutilimit de 1951 à 1956, il connaît à fond les conditions de formation mentale et familiale de MoD, a la plus haute idée des parents, père et peut-être même davantage mère, de celui-ci. Et puis la lutte des partis et tendances sous la colonisation et jusqu’en 1965, il est capable de me l’éclairer à sa manière.

Ahmed Ould SIDI BABA fait bien partie de la génération entré au gouvernement et au Bureau politique en Juillet 1971, mais il ne fut pas signataire de la lettre du début de l’année. Directeur de l’E.N.A. il objecta aux autres, directeurs d’administrations centrales, qu’une telle manière de faire les faisaient revenir à des mœurs d’étudiants. Il était opposé au Parti unique, voulait la démocratie pluraliste, la croyait possible, reçut avec les autres des débuts de « garanties » dont la suppression de la démission en blanc et l’élection à toutes les instances directrices du Parti, notamment fédérales. Il revint constamment à la charge, eut une conversation sur le sujet avec MoD, qu’il avait fait précédée d’une exploration avec Ahmed Ould DADDAH, celui-ci et ensuite le Président lui opposèrent les mêmes arguments et le même refus. Il y eût un début de débat au Bureau politique, où il intervint le dernier, la séance alors aussitôt close ce qui n’était pas dans l’habitude de MoD. Homme très secret, pouvant laisser croire à l’explicite de sa pensée, alors que celle-ci évoluait ou était même parvenue à la conclusion, à la décision contraire : pour ce qui est du multipartisme et de la démocratie, ce fut certainement le cas. Symptomatiquement, les plus ouverts à cette mutation étaient MOHAMED SALAH et Abdoul AZIZ SALL. Pour mon interlocuteur, venu avec son fils jusqu’ici, rôle muet mais attentif (il a été reçu à l’E.N.A.-Paris, après D.E.A. puis en Amérique un M.B.A. – curieux visage de surdoué et d’autiste à la fois, chafouin et gêné d’exister physiquement, tout au contraire de son père au visage franchement français, énergie paysanne ou militaire), il fallait en 1978 répondre à l’aspiration de tous au changement, rendre un espoir : la mutation institutionnelle par une démission en bloc des gouvernants et l’institution d’un Premier Ministre, ce qu’il proposa au Président, lequel lui demanda s’il prêcahit pour son saint  ou le lui fit comprendre. SIDI BABA proposa Abdoul Aziz SALL pour la fonction… Les dix-huit premiers mois du pouvoir militaire furent dans cette euphorie du changement. Un progrès économique même puisque la guerre fut virtuellement terminée. La question du Sahara ne fut jamais débattue en Bureau politique ni au Gouvernement avant le début de la guerre, c’était l’affaire du Président, de Hamdi et de MOHAMED SALAH. Elle était mal posée, on ne pouvait avoir revendiqué en 1957 d’immenses zones, et ensuite faire le jeu de l’Algérie en maintenant celle-ci dans le dialogue avec le Maroc. La seule alternative était de savoir si le Maroc récupèrerait « son » Sahara en termes d’hostilité ou d’amitié avec la Mauritanie. En 1977, il était évident qu’on perdait et qu’il fallait trouver une sortie. Il la demanda en Conseil des ministres après un exposé de Hamdi, à quoi MoD répondit : que propose l’oracle ? De même que SIDI BABA apprit par la suite que MoD pensait à instaurer la démocratie et le multipartisme juste au moment où survint le putsch, de même le Président aurait été en contact avec le Polisario par l’entremise du Mali. Quoiqu’il en soit le régime était usé d’une part, et d’autre part tout à fait décalé, l’angélisme, une sorte de bienveillance constante en politique comme si un esprit de famille pouvait tenir lieu de classe politique, n’étaient plus de mode ou suffisant pour répondre des gens et des événements. Les 95 % du peuple étaient au silence tandis qu’on gonflait en traitant avec eux les Kadihines (littéralement, les nécessiteux), les baassistes, les « flam » ( ? gens du Fleuve), etc. BOUSSEIF avait certainement des vues pour un vrai changement, mais pas pour un rétablissement de MoD, une libération, son installation dans le pays, pas davantage. Dans les régimes autoritaires, le pouvoir perdu ne se retrouve jamais faute de gens pour y contribuer ; l’alternance et les retours au pouvoir ne peuvent se faire que par les urnes.
Portraits des successifs : SALECK, le néant ; HAÏDALLAH ? rigoureux, naïf, pas du tout fait pour l’emploi. Reproche majeur : Polisario. Il fut renversé manifestement par les Français le poussant à aller au sommet de Bujumbura contre son intuition et son sentiment, TAYA prit le pouvoir par la force mais sans mal. L’homme serait fin, patient, aurait beaucoup des qualités de MoD. D’une manière générale aucun des « Présidents » successifs ne fut un homme d’argent. Ouverture politique, établissement de la « démocratie globale » à partir de 1991. Il ne dit rien d’Ahmed Ould DADDAH, sinon que tous les partis, et pas seulement celui du pouvoir, fraudèrent. La grande perspective est le recenbsement enc ours, l’établissement enfin d’un véritable état-civil avec cartes d’identité en cours de distribution : on pourrait à terme parvenir à des élections sincères, sinon perdurera le schéma qui était déjà celui du Parti unique. Un parti du pouvoir avec des alliés ou pas, et des oppositions multiples, les extrêmes d’autrefois. Il fait partie de la majorité présidentielle, un ministre de son parti, mais non lui-même, fait d’office entre 1992 et 1998, partie de l’équipe en place. Ce fut CHEIKH MALAININE, ensuite candidat des oppositions en 1998 et avec lequel il a rompu toutes relations, tête vide ou folle ; qu’il sot en prison pour cinq ans n’émeut pas mon vis-à-vis. Celui-ci réputé chef de la tribu régnante et proche du pouvoir, l’est donc en effet, sans se cacher les vices du système. Maire élu d’Atar, première étape d’un retour à des institutions électives en Mauritanie, il a fondé l’association des maires et la ballade dans toute l’Europe et aux Etats-Unis, déjà une ouverture. Lui et Hamdi Ould MOUKNASS acceptèrent d’être minsitres sans portefeuille aux quatrième et cinquième rang de la hiérarchie gouvernementale. Le Premier Ministre n’existe pas plus que dans la Cinquième version non-cohabitante. Dans ce contexte, le retour de MoD est une excellente chose, TAYA n’a pas voulu tirer la couverture à lui en allant à l’aéroport, et c’est bien. De ce retour, il est question depuis que TAYA est au pouvoir, plusieurs ouvertures via les ministres des Affaires Etrangères de la fin des années 1980 et début de 1990. La maison proposée à Abdallahi Ould BAH car on n’avait pas de mandataire de MoD qui ne répondait pas aux approches des ministres. L’embarras de ce dernier, d’ailleurs, lui aussi à la tête d’un parti, mais pas du bord de celui de Sidi BABA. Les conditions posées l’an dernier firent à Nouakchott le plus mauvais effet, quand on est au pouvoir, quel intérêt a-t-on à ce qu’un lointain prédécesseur revienne ou pas ?
Questions adjacentes : il est le frère de Deye Ould SIDI BABA. Conférence de Tanger, prestige de Mohamed V, hyper-culture de son frère, arabisme, la nationalité arabe de la Mauritanie ne pouvais se marquer que par l’association avec le Maroc. Ambiance au néo-colonialisme, fondation de la Nahda. Jamais question d’intégration, mais des liens privilégiés. L’Emir du Trarza ne vit que l’arabisme. Pas d’allusion à Mohamed El Moktar Ould BAH. Horma Ould BABANA faisait grande impression, éloquence et persuasion, nationaliste, ce fut un moment l’homme le plus en vue au Maroc. Il rentra au pays vieilli et diminué, muni d’un passeport diplomatique par MoD. Mohamed SALAH, un de ses « compatriotes » d’Atar, il n’en fait pas le portrait et affirme que dans des régimes comme ceux de la Mauritanie depuis ses débuts, il n’y a jamais de numéro deux. – de façon plus subtile, et en même temps plus habituelle, c’est l’analyse de la « complexion mauritanienne », à laquelle il n’a jamais été fait appel, qui n’a jamais été atteinte et qu’il faut susciter. Suivent de nombreux traits propres aussi à expliquer le complexe sénégalais devant ces seigneurs, même si ce sont des Maures sales et pouilleux dans leur boutique au Sénégal. Complexe de supériorité du territoire ayant eu la capitale de la Mauritanie et de l’A.O.F. Les événements de 1989 sont essentiellement dûs à ces relations à la fois très intimes, mais jamais de réelle acceptation mutuelle. Les torts sont du côté des Sénégalais, de DIOUF quant aux mesures d’expulsion. Il y eut, reconnaît-il, des choses horribles de part et d’autre, on voulut à Nouakchott rendre ce qu’il s’était passé à Dakar. Mouvements de foule incontrôlables, mais les Sénégalais ont des médias que n’a pas la Mauritanie et une caisse de résonnance en Europe. On n’a donc pas parlé des 250.000 réfugiés mauritaniens dont la plupart étaient de vrais Sénégalais, établis depuis des générations au sud du Fleuve ; ré-absorbés par le système tribal, à Nouakchott ou dans le pays, ils n’ont posé aucun problème au Haut-Commissaire aux réfugiés. Il a donc la thèse inverse de celle de BocarAlpha ; proche d’une partie des démonstrations de MoD selon lequel la langue arabe étant celle de l’Islam, elle est forcément celle des Noirs aussi, il n’a pas du tout les récurrences sur les alliances et mixités ethniques de ce dernier, encore moins l’idée axiale que la Mauritanie doit se faire avec les deux ethnies. Il parle avec une assurance d’homme libre dont la position, plus sociale au sens traditionnel ici que professionnelle et politique au sens moderne, est telle qu’il a participé à chacun des pouvoirs successifs. Mais comme cela lui paraît évident, il ne le commente pas, alors que Bocar Alpha a la pétition de sa naissance : une élection au Fouta et il aurait battu à place couture SENGHOR.
SIDI BABA, plus encore que chez Bocar Alpha où ce n’était qu’un jugement ou une explication de l’extérieur, témoigne d’une franche opposition avec Mariem. Chargé de la Culture et de l’Information, il fonde la plupart des instruments et institutions concentrées ou décentralisés qui manquaient mais il veut une presse libre mentalement, notamment Chaab ; ce qui est aller, a priori, contre le monopole du Parti, en institutions et en discours. Classé « jeune cadre », il diffère donc d’autres et atténue le jugement de BocarAlpha : le groupe circonvenant Mariem et par elle MoD, ou directement ce dernier dans son souci d’élargir constamment, n’est pas du tout monocolore ni monolithique.

De ces trois récits, je retiens d’abord la valeur intellectuelle des personnes, leur autonomie dans l’exposé des faits en sorte que journalistes ou diplomates ont avec eux le matériau d’une mémoire orale et de confrontations des thèses et des faits, qui ne semblent aps avoir été mobilisés. Je le saurai quand j’accèderai aux archives diplomatiques françaises. Chacun ancien ministre, et en liberté de langage avec le Président d’alors, a une analyse assez différente des causes du putsch mais que tout converge pour montrer un Moktar Ould DADDAH qu’on avait progressivement isolé, s’en rendait-il compte, et qui en somme, en méthode et en durée, avait fait son temps. Personnalité archi-respectée, intègre au possible mais qui n’était plus sans doute à la hauteur d’un nouveau défi. Une fondation a nihilo, ce qui présente des avantages et des facilités rétrospectivement, attendait sa suite. Aucun n’évoque son rétablissement dès que sa chute a plus de quelques jours de date, même Abdoulaye BARO évoque son départ volontaire aux fins de négocier avec ceux qu’on a identifiés pustchistes. Aucun n’a la notion de légitimité présente à l’esprit ou sur le bout de la langue. Aucun n’analyse  ni même n’évoque le retour au tribalisme, aucun ne prévoit de coup de chien, alors que les sans-grades à qui je fais dire quelque chose depuis mardi, eux, n’ont de texte que sur le carcan tribal dont MoD les avait débarrassés ou presque. Enfin, aucun des trois ne s’arrête à la paupérisation, à la misère, à la « question haratine », alors qu’elle est certainement l’essentiel en éthique, en démographie et que parler de démocratie sans une certaine libération des classes basses ou serviles n’a pas de sens. Aucun des trois n’est donc surtout rétrospectivement dans le fond de la dialectique de MoD et dans ce qui pouvait justifier, sinon même exiger, le système du Parti unique au commencement du nouvel Etat. MoD en fait grandit en originalité, si – prenant du recul par rapport à l’entrainement de conviction que produit chacun de mes interlocuteurs, dans son moment – on voit que le poliyique est premier au sens qu’il définit des priorités et crée des institutions, celles-ci n’étant pas des fins en elles-mêmes (la « démocratie globale » selon SIDI BABA et probablement le pouvoir actuel). Dans le cas de la Mauritanie, le tribalisme est considéré soit comme un instrument de maintien de l’ordre et accessoirement du pouvoir en place quand on le flatte (occupation française, actuel système, celui d’Ould TAYA), soit comme l’institution dont l’éradication commande tout le reste : la libération des esprits et une démocratie élective réelle. Là où l’on parle de pluralisme au sens d’organiser des élections libres et des alternances au pouvoir par la diversité et la spontanéité des partis, on oublie que c’est sans sens ni prise s’il n’y a pas des personnes affranchis au minimum. MoD ne voit pas le pluralisme comme un bien en soi, il voit les personnes, chacune conviée à la conversion par les circonstances, les faits, le raisonnement et la « manipulation » telle qu’il s’en ouvrit à son cadet, et la Mauritanie bi-ethnique n’est que duelle, elle n’est pas multiple ni définie par des multiplicités sociales ; elle est regardée historiquement et géographiquement comme appartenant à deux mondes à la fois. La sociologie découle de cette double appartenance, elle non plus n’est pas première. Il est clair que ces notions, sans tomber dans des débats de sémantique ou de théories, doivent être rappelées ou éclaircies ; elles divisent les équipes entre elles et séparent manifestement le cours actuel de celui antérieur à 1978. Aucun enfin ne parle de syndicalisme, de religion, d’influences de l’étranger. Aucun ne présente les événements ou les successifs circuits du pouvoir en fonction ou en dépendance du développement économique. Seul, Abdoulaye intègre la S.N.I.M. dans son regard sur le putsch, mais plus à titre de la personne de son dirigeant du moment, que selon une dialectique « marxiste ». Lutte des classes et course au profit et au monopole ne sont pas ici des grilles de lecture, du moins pour ceux que j’interroge ; elles le furent pour les Français écrivant sur le pays. On a donc deux manières de voir dont aucune n’est vraiment capable de répondre de toute la réalité.


Nouakchott toujours, lundi 23 Juillet 2001

. . . chez Moktar Ould DADDAH, 16 heures + Les alternances de vide à combler à l’improviste, ce matin, Ely Ould ALLAF ne vient pas et le rendez-vous universitaire est reporté à ce soir : je mets au point mes notes ci-dessus – ou la presse : déjeuner auquel vient participer Ahmed Ould DADDAH, brillant, fin, très Maure et physiquement plus du côté d’Abdallahi Ould DADDAH que du Président. Il me dit la qualité d’Ely Ould ALLAF, neutre et technicien au gouvernement, retiré de tout ensuite mais sachant prendre position et l’exprimer depuis. La conversation va de la Mauritanie à la France, du passé à maintenant, avec beaucoup de traits. Brigitte est là, je conçois avec elle toute une séquence mettant en notoriété accrue ses productions et l’amenant sur le marché de Saint Sulpice si elle réussit à relver le défi de la chapelle de Dom MEUGNIOT. Mohamed Ould MAOULOUD Ould DADDAH, s’annonce en coup de vent que je devais voir demain matin puis cet après-midi. Il me tutoie, me remet si bien, mieux même que je ne fus, que j’en suis ému, c’est de très loin et de tous les proches parents ou familiers, ou collaborateurs du Président, le plus… intelligent, à la mesure de la culture française tout en étant un expert de l’enracinement mauritanien et arabe. D’un mot, il nous remet à Octobre, à aller chez lui éventuellement, me voit porteur d’un gros livre et lui-même à travailler sur les trois premiers siècles suivant l’Hégire en Arabie orientale, tout en ayant depuis des décennies son projet sur la Mauritanie-même. Quel génie, et quel inclassable ! que MoD sut toujours atteler au moment et sur le polint nécessaires, quitte à admettre son errance et sa jachère le reste du temps.Un homme de premier plan, passer quelques jours avec lui, comme aller voir sur place Mohamed Ould CHEIKH sera inappréciable. Le putsch, intuitivement et selon ce qu’il sait, c’est l’œuvre de BOUMEDIENNE. Le retour du Président, il n’y était pas mais il a ses témoins, l’accueil et l’événement sont exceptionnels. Le pouvoir feint de ne rien voir ni remarquer. On verra. Je remarque la beauté de ses yeux bleus, l’émacié de son visage très brun le rend pathétiquement expressif, présent comme quelqu’un de déjà mort et entré dans l’éternité… Et puis, ce soir, saisir vers 17 heures 30 MOHAMED SALAH venant aux nouvelles, et avant puis après Abdallahi Ould BAH que j’ai au téléphone, et me témoigne avec effusion une affection que l’éphémère et le lointain de nos relations ne méritaient pas autant. Le Président demain, à 11 heures avec l’espérance de n’être pas aussitôt interrompus. Auparavant, 08 heures, chezAhmed Ould DADDAH.
Faïsah, discrète car elle ne m’en a pas parlé en me reprenant à l’hôtel tout à l’heure a reçu du ministère des Finances où elle était convoqué, le décret concernant les avantages concédés aux anciens Chefs d’Etat. Mariem me montrera ce texte. D’une certaine manière, le Président est placé au rang commun, ce qui est choquant étant donné la précarité de ses succeseurs et surtout la précarité, sinon l’absence de leur légitimité propre. Elle me met brièvement en garde contre Maouloud, gentil garçon mais bavard comme toute sa famille ; son père, très cadet du Président, Yakoub ( ?) aurait il y a quatre ou cinq ans été proche de la prostitution auprès de TAYA sans égard à son propre nom. Me méfier, plus que du bavardage, une trahison possibles. Je comprends depuis notre arrivée ici et elle me fait comprendre explicitement, que le crible, à travers les embrassades et les émotions familiales, est difficile à secouer. La gent politique, je la distingue assez bien, aucun n’est rétrospectivement totalement dans la ligne gardée encore aujourd’hui (ses Mémoires) par Moktar Ould DADDAH ; pour ma propre crédibilité et l’universalité de mes rencontres, la nécessité est l’étanchéîté des cloisons et la protection des propos recueillis et enregistrés tête-à-tête. La famille, je sais que seul le couple présidentiel et leurs trois enfants, sont à garder dans la totalité de la confidence. – Evidence de la difficulté extrême de travailler, d’être à soi, ou d’être à ce que l’on a choisi de faire, ou à qui l’on a donné une rencontre, à l’exclusion de toutes autres sollicitation, visite our urgence, sans compter le matériel…

(à suivre – et à compléter pour ce qui est d’ « avant »)

Bertrand Fessard de Foucault





[1]  pour faire tenir ma domiciliation mauritanienne, en cas de recoupement, j'ai avant-hier fait prévenir Dom MEUGNIOT par notre attaché de Défense à Nouakchott, suivant le message ci-après. J'allais vous télécopier avant de reprendre mon T.G.V. breton (je suis ce soir - autour de 22 heures - à Reniac et jusqu'à dimanche matin), qu'au consulat général, maintenant 89 rue du Cherche-Midi, tout s'est jusqu'à présent bien passé pour ma demande de visa : aucun rapprichement de date avec la vôtre, et je ne me suis remarquer que par par ma bonhomie et mon ancienneté "mauritanienn" (discusion sur le nom du Commandant de cercle du Guidimakha ayant délivré l'acte de naissance en 1943 ou en 1955 de l'un de mes deux interlocuteurs... Quand j'ai été appelé par la directrice adjointe d'Afrique au Quai d'Orsay... j'ai d'abord cru qu'on souhaitait m'interroger sur vous et vos intentions, vos dates confirmées, etc.... je me serais naturellement dérobé en invoquant le devoir de discrétion en amitié. Ce n'est pas du tout de cela qu'il s'est agi, mais du message de notre Ambassadeur là-bas, nouvellement en fonctions et craignant que mon arrivée par le même vol que le vôtre puisse faire croire en Mauritanie à une bénédiction de la France... J'ai feint la coincidence mais dit que je ne pouvais changer mes dates. Il m'a été dit alors que les relations franco-mauritaniennes sont au meilleur, que le Ministre (VEDRINE) est au mieux avec le Président (je uppose qu'il s'agit du portraituré de la rue de Montevideo, et non de vous...) et l'on a réinsisté.
Je ne sais trop comment l’Ambassadeur à Nouakchott a fait le rapprochement avec mes anciennes fonctions au Quai, puisque mon message, dont copie jointe, n’a aucun renseignement autobiographique. En tout cas, si je devais lundi en retournant chercher mon passeport et le visa, me voir ce dernier refusé, nous saurions d’où cela sera venu, ce qui est un comble, mais c’est symptomatique d’une ambiance, toute à votre honneur, qui explique qu’à mes messages vous concernant et adressés au meilleur niveau français, on n’est pas répondu./.

[2]  - Exode XII 37 à 42 ; psaume CXXXVI ; Matthieu XII 14 à 21


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