vendredi 17 août 2012

éditorial d'Ahmed Ould Cheikh pour Le Calame n° 846 - deux lectures


Après que j’ai lu l’éditorial dans Le Calame ° 846 www.lecalame.info

Cher Ahmed, je vous lis avec grand intérêt, et le président Sidi aussi, je le présume.

Votre thèse au conditionnel passé aborde le fond du sujet - apparemment pour la rétrospective - mais aussi pour l'avenir.

Plusieurs choses cependant me viennent à l'esprit et ce n'est pas nouveau mais vous avez le talent de les faire systématiser et d'abord l'élection de 2012 qui serait probablement revenue à Ahmed Ould Daddah s'il avait su accepté sa défaite du 25 Mars, quoiqu'il soit probable qu'alors le président sortant - le président Sidi - aurait recommandé Messaoud Ould Boulkheir qui lui-même a manqué ou manque un destin à la Mandela alors que la cause des haratine et la question de la persistance des pratiques essclavagistes est au centre de la dynamique mauritanienne, pour le meilleur, je le crois.

1° l'affaire égyptienne ne fait que commencer et la comparaison peut ne pas devenir exemplaire. Je suis très inquiet de ce que les Américains sont là en tiers, et manifestement à préférer l'armée à l'élu démocratique. La question d'Israël empoisonne tout. L'affaire du Sinaï - un peu comme celle de la patrouille assassinée (opportunément pour le putschiste) en Septembre 2008 - a été semble-t-il le provocateur de la décision de Morsi : affaire si peu claire et avec peut-être une complicité entre Israël et les militaires égyptiens, que le nouveau président a décidé de trancher. Le président Sidi, en début de mandat, n'a pas eu ce révélateur de l'obscurité dans laquelle se mouvaient les ex. et futurs putschistes.

2° le président Sidi a le sens du bien commun et le goût du consensus, hérité de Moktar Ould Daddah et fruit de ses propres convictions et pratiques religieuses et spirituelles. Pas plus que le président Moktar, le président Sidi n'est un guerrier et comme celui-ci il a tendance à faire confiance jusqu'à motif explicite de défiance. Moktar aurait pu étouffer dans l'oeuf le putsch du 10, qui devait d'ailleurs avoir lieu le 8, et il était mis en garde depuis une dizaine de mois. Sidi aurait pu renvoyer tout le monde, fort de l'élan donné à sa victoire s'il ne le laissait pas retomber avec les mois et les lassitudes. Ni l'un ni l'autre ne l'a fait, mais - ce que je vois notamment dans de nouvelles archives diplomatiques françaises sur 1978 que nous pourrons publier en Juillet 2013 si Dieu nous prête vie à tous... - les militaires félons ne sont pas seuls en cause. Les civils - s'étant d'ailleurs publiquement avoués comme "le groupe des 22" à partir des 11-12 Juillet 1978 - ont été décisifs dans le putsch de 1978 parce qu'ils ont encouragé, motivé, désisolé et et cautionné les militaires. De vieilles haines et rancunes : Bocar Alpha Ba et Cheikhna, même si ces deux personnalités ont embrassé Moktar en 2001 et l'ont alors fréquenté, surtout le premier... leurs vidages respectifs, et des nouvelles : Bneijara, genre vizir Iznogoud de la bande dessinée que vous connaissez peut-être (je n'ai pas encore rencontré le personnage qui a été décisif de 1978 au printemps de 1981 : la tentative des regrettés Kader et Ould Sidi) qui voulait bien plus encore que la Banque centrale. Civil déterminant dans la crise de Juin-Juillet 2008 et déjà très hostile à la suite du discours de Juin 2007, fondant tout le mandat du président Sidi : donc Ahmed Ould Daddah. Sa fidélité à Sidi aurait désarmé MoAA. J'aime et admire Ahmed pour beaucoup de raisons et il a l'envergure et l'intelligence d'un chef d'Etat, mais il est hérissé de défiance, joue dans le secret et il a certainement une vue fausse de Sidi, venant sans doute de la période où l'un et l'autre jouèrent des rôles très importants mais différents pour les grandes décisions de révision des accords avec la France, frappe de la monnaie nationale (Ahmed chef de la délégation à Paris), nationalisation de Miferma, financement des guelbs pour lesquels Sidi est tête de file). C'est un fait que sans la caution implicite d'Ahmed Ould Daddah et du RFD dès les premières et jours du putsc, la position de MOAA aurait été encore plus difficile, car elle l'était au début.

3° d'un entretien radio (RFI) en Septembre 2008 entre le nouveau ministre de la Justice (ou était-ce celui du président Sidi s'étant traitreusement maintenu, je n'ai pas cela en mémoire), Messaoud et Ahmed Ould Daddah, j'ai retenu qu'Ahmed comme Sidi étaient "candidats" des militaires, ou pouvaient l'être, selon Messaoud... Je laisse au président Sidi soit avec vous soit dans son livre le soin de préciser sa relation avec les militaires avant le 25 Mars

4° supposons Ahmed Ould Daddah élu. Aurait-il maintenu Ould Boubakar ? Nous n'en avons jamais parlé. Je reste interrogatif. Les militaires voulaient le pouvoir. Ils avaient repris dans leur charte - CMJD puis HCE - la thèse de 1978, les forces armées détentrices de la souveraineté nationale et dernier recours. Doctrine énoncée d'ailleurs par Maaouyia, ministre de la Défense en Septembre 1978 pour la presse et que l'on comprenne bien. Ely a certainement tenté de trouver des arguments pour maintenir le provisoire en 2006-2007 et sa pétition sur la démocratie par l'alternance au pouvoir est très, trop Sciences Po. MoAA à l'en croire a toujours voulu le pouvoir. Ils ont laissé le président Sidi à peu près tranquille jusqu'au départ de Zeidane, celui-ci parlera-t-il un jour ? était-il aussi en dialogue avec les militaires et donc pour ceux-ci un gage ?

5° la question de "l'islamisme". Elle structure les dernières années Maaouyia, Ely reste sur la même ligne. Or, le président Sidi opère la rupture : le grand changement tenté en Mai 2008 c'est l'ouverture à Mohamed Ould Mouloud, le MND et les marxisants, une gauche intelligente et structurée mentalement, et à Jamil Ould Mansour, l'islamisme de gouvernement. Cela, les militaires ne l'acceptent pas. D'une manière troublante, la chute du président Moktar s'inscrit dans une séquence où la mise en oeuvre juridique de la Chariâa est décidée en Bureau politique mais très contestée (seul cas où le Président ait été virtuellement en minorité, il est vrai dans la "sale" ambiance de révocations et de sanctionsde quelques vingt-cinq personnalités civiles corrompues et fraudeuses) et avec un semi-conflit avec la Jeunesse du Parti. Cela motive d'ailleurs l'opposition civile et la jeunesse progressiste. Je suis en train d'enquêter enfin sur la réalité et l'effectivité d'un prononcé de discours par le Président, à la permanence du Parti, censément le 9 Juillet, discours justifiant l'application de la Chariâa. Autrement dit, Moktar Ould Daddah condamné pour islamisme plus encore que pour une guerre perdue ou impopulaire... et renversé plus par les civils que par les militaires.

Voilà, cher Ahmed, Monsieur le Président et bien cher Sidi, ce que me suggère l'éditorial 846.

Vous savez chacun mes sentiments à votre égard

Et un correspondant me fait part de sa propre lecture du même éditorial :

Je suis d'accord avec Ahmed, sauf sur deux points :
(1) le Président Sidi n'a pas été "coopté" par l'armée pour barrer la route au candidat de l'opposition". La vérité est qu'une partie de l'armée l'a soutenu alors qu'une autre, par le même opportunisme, a soutenu AOD. La nuance, c'est le cas de le dire, est de taille et mérite d'être prise en compte dans l'analyse des événements pour se libérer de l'égocentrisme d'une partie de l'opposition selon lequel AOD est le "gagnant naturel" de toute élection présidentielle depuis 1992 et ne le perd que par "complot", "fraude massive", etc. La réalité est beaucoup plus complexe à mon avis.
(2) Le Président Sidi n'avait pas besoin de "jouer à l'ingrat" (expresion sans pertinence en politique) pour se donner les coudées franches pour gouverner le pays. Il avait juste besoin d'un peu de réalpolitik. Ce dont il a fait largement preuve à mon avis, mais à sa manière  : Ayant obtenu moins d'un quart des votants au premier tour et négocié, dur, avec certains de ses adversaires au second, il a accédé au pouvoir avec plus d'un épine au fauteuil pourrait-on dire : un premier ministre hier encore un rival et dévoré par l'ambition, une armée divisée en deux et, qui plus est, n'acceptant de quitter le pouvoir que "théoriquement", une majorité de singletons, aux ordres d'un militaire, d'un homme d'affaire ou d'une chancellerie étrangère chacun,des caisses de l'Etat vides, une administration désorganisée et déboussolée par le changement démocratique et un challenger au second tour pas fair play du tout. Pouvait-il, dans ces criconstances, s'attaquer au mal du pays qu'il connaissait et maitrisait le moins : l'armée? L'excellent Ahmed a omis un si important : Si Sidoca avait bénéficié des mêmes circonstances que Moursi... 

Cela dit, bien des collaborateurs du Président Sidi - dont moi-même - étaient favorables à un coup de balai dans la grande muette au tout début du mandat. Aurait-il cependant permis d'éviter une rébellion du Commandant du Basep ? Pas sûr. MOAA n'est pas Tantaoui, comme AOD n'est pas Chaviq etc...

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