mercredi 23 janvier 2013

guerre pour le Mali ? ou guerre au Mali ?


La prise de contrôle des agglomérations sahariennes du Mali par des « djihadistes » ou des « bandes incontrôlées » (les appellations varient depuis un siècle quand elles sont de plume française) et les opérations de reconquête menées par les troupes françaises, plus ou moins accompagnées par des éléments de l’armée nationale malienne sont – ensemble – un révélateur salutaire.

Bâtir l’avenir ne se fera pas à partir de l’une ou l’autre de ces irruptions étrangères. C’est d’une difficulté fondamentale, plus vive au Sahel qu’ailleurs en Afrique, qu’il s’agit. Mais celle-ci n’est pas forcément belligène.

Les espaces sub-sahariens, pour ceux compris dans l’ancien empire colonial français, ont été conquis par le sud-ouest à l’exception du Tchad. Les bases militaires étaient initialement maritimes. Le contrôle français de l’hinterland septentrional, à quelques années près et selon des statuts différents, était antérieur : l’Afrique méditerranéenne stabilisait le grand désert et le Sahara relevait d’un commandement militaire unique pour sa partie la plus complexe et pluri-ethnique : celui des « Confins » sis à Tindouf. Les découvertes  du potentiel minéral furent postérieures à ces prises de contrôle et les débuts d’exploitation : le pétrole et le gaz algériens, puis les phosphates en territoire espagnol furent presque contemporain des fins de souveraineté européennes. L‘uranium nigérien, le fer mauritanien sont même de mises en valeur postérieures. C’est dire qu’une vue d’ensemble politique et économique du Sahara n’a jamais été qu’un projet, notamment celui d’Organisation commune des régions sahariennes, morte-née entre 1956 et 1960, et a fortiori une analyse des terrains de parcours, des agglomérations et des échanges au désert et entre ses « rives » nord et sud. Il en est résulté pour les Etats indépendants un legs de la période française désastreux. Ceux de l’Angleterre et de l’Italie de la Libye aux Somalies et au Soudan ne le sont pas moins, ils continuent de générer les drames de la « corne » de l’Afrique et du Darfour. Mais ce qu’avait laissé la France et ce qu’avaient voulu les responsables de la première génération des indépendances en Afrique d’expression française ne s’était pas encore révélé, hors l’inimitié algéro-marocaine et la contestation fondamentale par Rabat de l’algérianité de Tindouf, voire de l’indépendance de l’ensemble mauritanien de l’Atlantique à l’Azawad vis-à-vis de l’empire chérifien. Inimitié manifestée par la « guerre des sables » en 1963 et fragmentation artificielle de l’ensemble mauritanien entre Français et Espagnols dès 1900, entre colonies de Mauritanie et du Soudan pendant toute la période française qui hésita à propos du Hodh et moins explicitement de l’Azawad. Il en est donc résulté des frontières de décision et d’habitudes françaises qui ne correspondent que partiellement à celles des populations. Il est vrai que la sédentarisation et des pratiques commerciales très différentes des époques caravanières ont permis aux administrés d’intégrer davantage ces frontières. L’ensemble était cependant fragile. Les dirigeants sahéliens de la première génération en avaient conscience qui décidèrent en 1968 d’une Organisation des Etats riverains du Sahara, aussitôt dotée d’importants projets de communications transahariennes, mais d’une exploitation commune désenclavant notamment le sud-ouest algérien il n’a été question que pour la seule possession anciennement espagnole qui selon les traités maroco-mauritanien devait économiquement rester indivise au bénéfice conjoint des deux nouvaux souverains : montage éphémère.

L’Europe, voisine, se crut longtemps quitte d’une part par les traités avec les pays d’Afrique, ces Caraïbes et du Pacifique, et d’autre part par le processus de Barcelone et les aides aux « ajustements structurels », l’ensemble justiciable de la fin des préférences euro-maghrébines et euro-africaines. De sécurité, il ne commença d’être question qu’au moment où l’Occident se trouva un substitut à l’ennemi soviétique : Ben Laden, Al Qaïda, l’Aqmi naquirent à point nommé. La crainte d’un intégrisme islamiste devint un enjeu autant de politique intérieure que d’interventions multilatérales : l’Algérie face au F.I.S., la Mauritanie et cet éveil, justifiées chacune dans leurs dictatures de la fin des années 1990 et des années 2000. La piste ne mène nulle part, car elle n’encourage qu’un penchant pré-existant dans le sytème atlantique et dans les Etats maghrébins : l’éradication d’un terrorisme sans frontière et sans socle étatique. La prise de contrôle des agglomérations du nord du Mali et le projet logique d’une descente des « djihadistes » sur Bamako étaient une première.

Ce qui les fait échouer n’est pas l’intervention française mais l’hétérogénéité des populations que ne peut réduire la pratique universelle au Sahel de l’Islam, selon des confréries rayonnant depuis le Sénégal et la Mauritanie. Ces populations sont de races, d’ethnies, de traditions diverses qui ne peuvent s’entendre que si la tutelle des unes sur les autres est légère, voire seulement nominale. Les arrangements à Bamako, à Niamey, à Yaoundé, à Ndjamena sont de cet ordre. Ils n’ont pas lieu d’être à Nouakchott car – si domination il y a – l’habitude a été inverse depuis la chute des empires du Ghana et du Mali : ce sont les nomades et les commerçants qui l’ont emporté sur les sédentaires, et les pratiques esclavagistes avec le métissage culturel intense que celles-ci ont généré ont certes créé des situations aujourd’hui intolérables humainement, socialement et économiquement, mais elles apportent à terme des équilibres et une identité consensuelle impensables, il y a encore peu d’années.

Autrement dit, l’irruption étrangère soit de « bandes incontrôlées » soit de troupes très organisées, mais toutes étrangères au Mali – au moins actuellement – est superficielle par rapport à des dialectiques, des problèmes et des évolutions apparemment sociales et ethniques, en réalité très politiques. Surtout si l’on entend par politique, le respect des droits de l’homme et l’invention locale de la démocratie, c’est-à-dire la participation de tous au pouvoir.

Les solutions de contrainte – celles des « djihadistes » de recrutement majoritairement hors du Mali, celles de l’ancienne métropole, seule à avoir la logistique et l’atavisme pour intervenir « en ligne » – déblayent mais ne construisent pas. Les « islamistes » ont démontré que les trêves ou modus vivendi entre Bamako et les Touaregs ne pas une administration solide ni cohérente pour le nord du Mali, soit les deux tiers désertiques en apparence de son territoire. Les Français démontrent – puisqu’ils sont seuls, malgré les résolutions onusiennes, les soutiens logistiques et financiers de quelques Européens et de quelques monarchies pétrolières, les conférences et comités d’Afrique de l’Ouest – que l’Afrique n’est pas davantage parvenue que l’Union européenne a avoir une politique et des organes de défense. L’Europe a connu l’atrocité de guerres « locales », celles de Yougoslavie, l’Afrique en connaît encore et depuis davantage de temps. Même si les Etats-Unis depuis une dizaine d’années s’implantent militairement au Sahara et au Sahel, même si la Chine conquiert économiquement et commercialement l’Afrique centrale et visent les ouvertures atlantiques du Sahel, principalement le port de Nouakchott avec sa pénétrante routière jusqu’au Mali, les responsabilités d’avenir en tous domaines restent euro-africaines.

Le test de la maturité africaine et de l’efficacité européenne est actuellement français.

La charte euro-africaine est le traité de Cotonou, novation des traités de Yaoundé et de Lomé s’étant succédés depuis cinquante ans. Elle est à revoir totalement – selon le bilan désastreux de la « mondialisation » économique et commerciale – pour ce qui est des relations entre entreprises et pour les grands échanges et investissements, mais elle a été rodée pour ce qu’elle prévoyait en défense des droits de l’homme et de la démocratie. Les tolérances, notamment françaises, ont violé ces dispositions qui étaient de nature à faire entrer dans les esprits dirigeants de l’Afrique d’autres mœurs. Un des effets immédiats des opérations françaises en cours est de légitimer – au moins temporairement – ces tolérances vis-à-vis de la Mauritanie et du Tchad. Ces deux Etats sont décisifs dans le dispositif militaire : fermeture de la frontière occidentale du nord-Mali, renforts ouest-africains de la part de la seule armée déjà encadrée par le France et ayant, du fait du voisinage libyen et des revendications souvent explicites de Tripoli, une certaine expérience de la guerre du désert. C’est à la France de comprendre que son expertise doit s’étendre et s’imposer jusqu’en politique intérieure. C’est aux Français à comprendre que la sécurité pérenne – les libérant d’une responsabilité pychologiquement délicate à exercer et internationalement difficile à justifier si les opérations tournent à l’occupation – dépend d’une réalité étatique sincère, donc la démocratie consensuelle, pratique. Chacun des Etats du Sahel en est là même si le Mali est seul en péril de mort immédiat.

Le fait que ni l’amitié franco-allemande, ayant généré depuis vingt ans une brigade mixte, ni l’évidente solidarité stratégique entre les rives nord et sud de la Méditerranée avec le prolongement saharien et sahélien du Maghreb si proche en migrations et en courants commerciaux, n’aient – jusqu’à présent – déterminé aucun appui physique à l’intervention française démontre que l’ « Europe de la défense » n’existe pas encore ni en pratique ni même en volonté politique… sans doute, la diplomatie française n’a pas été efficace. Elle a bénéficié de près d’un an entre l’arrivée des perturbateurs dans le nord du Mali et les résolutions des Nations Unies prévoyant, sans les organiser, leur destruction ou leur expulsion, et la mise sous menace immédiate de la capitale malienne, heureusement très excentrée, et elle n’a déterminé aucun des partenaires de la France, alors que la cause est parlante et précise. Les Etats-Unis pour des opérations douteuses ont su monter des coalitions soutenant leurs inavsions et leur occupation en Afghanistan et en Irak ; ils parviennent même à amener à leurs vues les Algériens pour organiser leur début de connaissance des affaires sahariennes.

               La France a donc une conversion à opérer vis-à-vis d’un héritage mental « françafricain » toujours prédominant et que risque de renforcer une vue simpliste de la question malienne, sinon sahélienne. Elle a un effort d’influence et de rayonnement vis-à-vis de ses partenaires européennes : c’était son art et son génie propres depuis la déclaration Schuman en 1950 jusqu’au projet de Constitution européenne très convenablement écrite sous l’autorité de Valéry Giscard d’Estaing, zélateur d’utiles consensus. Il est dit par les commentateurs parisiens que la guerre pour le Mali est la véritable naissance présidentielle de François Hollande. Mais l’enjeu n’est-il pas bien plus grand et bien plus complexe que de dégager quelques villes et voies de communications outre-Méditerranée et outre-Sahara, que de confirmer quelque prestige de l’ancienne métropole et de son chef du moment ?

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