vendredi 28 septembre 2012

pour une autre relation franco-africaine, la relation euro-africaine . 17.21 Juin 2010

                                                                                                      17 . 21 Juin 2010

  

Mauritanie : exemple de ce qu’il faut revoir
pour une vraie relation Europe-Afrique



Le Fonds européen de développement a plus de cinqante ans et l’association de l’Europe – originellement des Six – avec l’Afrique et par extension avec les pays des Caraïbes et du Pacifique, près de cinquante. Ce ne sont ni des vues stratégiques ni des calculs économiques qui ont inspiré les pères fondateurs, et même les principales métropoles concernées : la France et la Belgique. C’est un fort et noble sentiment de responsabilité. Les conventions de Yaoundé puis de Lomé – tandis que les Communautés puis l’Union s’élargissaient – ont correspondu aux souhaits, notamment africains. Le traité de Cotonou voici dix ans a doublement innové. Tandis qu’il faisait abandonner par les Européens au prétexte de l’Organisation mondiale du commerce et de ses règles « libérales » une vraie solidarité économique avec leurs partenaires du Sud, il énonçait des valeurs censément partagées entre tous les Etats associés quel que soit leur continent d’appartenance, et prévoyait de sanctionner les manquements. Le fonctionnement de ce partenariat intime n’avait pas de précédent dans l’histoire ni dans la géographie. Il était indépendant des organisations internationales soit d’ambition politique universelle comme l’Organisation des Nations Unies, soit de compétence économique ou financière comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

La décennie qui s’achève, a montré que les accords européens de désarmement douanier à convenir entre régions d’Afrique et l’Union européenne ne sont pas adaptés à nos partenaires, moins dotés que les Etats-membres, et sont dénoncés comme nuisibles sans que l’Union ait au moins invoqué les exceptions prévues par les traités, et permettant de négocier les échéances. Depuis la signature du traité de Cotonou, bien des mises en œuvre du processus de consultation et de sanction – pour raisons politiques : le plus souvent des coups dits d’Etat – prévu par l’article 96, ont eu lieu : Nigeria, îles du Pacifique, Haïti quand les catastrophes n’étaient que la dictature, et d’autres dont la République Islamique de Mauritanie quand fut renversée pacifiquement et inopinément celle qu’elle subissait depuis vingt ans.

Aujourd’hui, ce pays se présente à Bruxelles, apparemment devant un jury seulement économique et financier. Une « table ronde » avec les bailleurs de fonds a été organisée, par la Commission européenne à la demande du gouvernement mauritanien, pour se tenir les 22 et 23 Juin – demain et après-demain. Elle a été préparée la semaine dernière par la Banque mondiale en délégation à Nouakchott, et par le Fonds monétaire international, dont les experts ont séjourné en Mauritanie du 2 au 17 Décembre 2009 et rendu compte le 26 Février 2010 : une facilité triennale a été accordée le 10 Mars 2010, dont il est de jurisprudence que les bailleurs de fonds la regarde comme une caution technique. Mais la part politique de l’examen n’est en principe pas à l’ordre du jour. La décision du Conseil, en date du 25 Janvier 2010, « permet la reprise totale de la coopération ». Cette décision est fondée sur le processus de l’article 96 et sur deux accords propres à la Mauritanie : 1° un consensus entre « pôles » politiques nationaux, intervenu à Dakar l’an dernier et signé à Nouakchott le 4 Juin 2009, et 2° une lettre d’intention signé par le Premier ministre mauritanien, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf qui préside la délégation de son pays à la « table ronde » des 22 et 23 Juin, et le directeur général du Développement compétent pour la Commission.

Ces examens et ces textes lient le politique et l’économique.


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I – La question mauritanienne est d’abord politique


La situation macro-économique du pays est analysée par les différents observateurs et institutions de manière concordante. Si la Mauritanie pâtit de la sécheresse, d’une urbanisation socialement désastreuse et d’une véritable déception quant à son avenir pétrolier, son handicap principal réside dans son mode de gouvernement. Celui-ci n’est pas consensuel – les ouvertures et fermetures se succèdent à contre-temps vers des oppositions qui ont été manipulées pendant l’année putschiste autant par le pouvoir de fait que par la « communauté internationale » soucieuse de classer la chose – et il n’est même pas délibératif. Le président de la République commande en personne la garde présidentielle (dont il a été l’organisateur il y a plus de vingt ans et qu’il n’a jamais quittée physiquement) et s’est octroyé la fonction d’ordonnateur national des dépenses en la retirant – informatiquement – à la direction du budget, il y a quelques semaines.

Or, les deux questions auxquelles les représentants des bailleurs de fonds doivent répondre pour leurs mandants, sont très simples : les déficits budgétaires mauritaniens sont la conséquence d’un système où la masse salariale est beaucoup trop publique et où les transferts aux entreprises trop laxistes et volumineux – l’organisation bancaire est maffieuse pour les principales raisons sociales et elle subit en outre les manœuvres du pouvoir tendant soit à intimider physiquement les dirigeants, soit à asphyxier fiscalement et surtout inopinément les banques. Résoudre ces questions nécessitent un Etat impartial et convenablement organisé, fort de personnalités ayant le sens du service public. Cet Etat a failli exister dans les deux premières décennies de la Mauritanie indépendante : succès indéniable du président Moktar Ould Daddah et de ses co-équipiers. « Président des pauvres », soutenu explicitement par la principale fortune privée du pays, le général Mohamed Ould Abdel Aziz – qui n’a aucune culture économique et ne se sépare pas d’un ministre des Affaires économiques, sévèrement jugé par l’ambassadeur, délégué de la Commission à Nouakchott – ne peut résoudre les équations que lui proposent les bailleurs de fonds, et qui sont de bon sens.

L’examen des comptes et les projections d’avenir a peu de sens aussi bien pour les bailleurs de fonds que pour la population mauritanienne. Dans des pays aux économies développés, l’homme statistique correspond à peu près à l’homme moyen, et les circuits de redistribution peuvent s’analyser aussi bien que les modes de financement des divers déficits. Les ressources figurent aux budgets. La fiscalité des personnes et des entreprises n’est pas contractuelle, la direction du pays est délibérative et, au moins, déconcentrée. Rien de ces généralités rendant vraisemblables, puis applicables, les diagnostics ne se retrouve en Mauritanie. Pour des raisons qui ne sont pas – principalement – sociologiques, à l’instar de beaucoup de pays comparables, mais politiques : ce qui fait toute la particularité de la question mauritanienne. Cette question n’est pas financière, elle est politique et éthique.

Depuis son indépendance, il y a cinquante ans, la République Islamique de Mauritanie a vêcu davantage sous un régime militaire, avoué ou camouflé, que selon un régime consensuel (celui du président Moktar Ould Daddah : 1957-1978) ou démocratique à l’européenne (les quinze mois d’exercice du pouvoir par le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi). Depuis Juillet 1978, la dévolution du pouvoir s’est toujours faite – sauf en Mars-Avril 2007 – par la force.

La discontinuité du pouvoir politique à Nouakchott – et les improvisations de moyens faites par les militaires pour encadrer la population et se légitimer – ont eu deux conséquences.

C’est la « communauté internationale », principalement les bailleurs de fonds : Union européenne, Banque mondiale et Fonds monétaire international, qui donne une continuité aux financements et à la formulation d’une certaine planification budgétaire, économique et sociale, et rappellent le pays au respect des valeurs fondamentales en gestions diverses et en droits de l’homme. Ces partenaires, déjà recours financier du pays au lieu du tête-à-tête avec l’ancienne métropole française dans les deux premières décennies des indépendances africaines, sont devenus aussi des recours politiques pour les opposants à ces régimes de contraintes et de masques : depuis 2003, ce fait domine la vie politique mauritanienne et a amené les pouvoirs successifs à déployer des efforts de plus en plus précis, mais de plus en plus mensongers également… pour donner le change à ce que le population ressent ou attend comme un arbitrage étranger, faute de solutions nationales.

Des groupes privés nationaux se sont fondée selon de fortes individualités, liées familialement ou tribalement ou par corruption avec les tenants successifs du pouvoir politique. Nettement depuis le dernier coup, celui du 6 Août 2008, par lequel s’est auto-promu chef de l’Etat, le chef de la garde présidentielle depuis la création de ce corps destiné à sécuriser l’homme fort du moment, lui-même militaire, vis-à-vis de l’armée aux missions classiques – ce sont eux qui, sauf en prospection minière et en exploitation des richesses halieutiques, restées d’initiative et de financement étrangers, contrôlent les flux économiques, les marchés publics et la valeur ajoutée mauritanienne.

La « table ronde » avec les bailleurs de fonds a été souhaitée par le régime mauritanien (à la suite de péripéties complexes et dissimulées pendant onze mois, le général Mohamed Ould Abdel Aziz a été élu Président de la République, selon un scrutin pluraliste mais non contrôlé faute que l’Union européenne ait pu fournir son expertise en la matière – les délais étaient trop courts et le temps de la réflexion n’a pas été exigé). Elle a lieu dans une ambiance particulière. Pour les institutions économiques et financières s’exprimant en dehors de leurs compétences propres, « la stabilisation de la situation politique en Juillet 2009 » est un fait acquis. Pour l’opposition démocratique à Nouakchott, c’est tout le contraire et pour la plupart des organisations non gouvernementales nationales ou internationales, également. Le gouvernement ne s’y trompe pas, même si sa prise de conscience n’a qu’une quinzaine jours – elle date d’un entretien à Nouakchott entre le général Mohamed Ould Abdel Aziz et le ministre espagnol des Affaires étrangères. Il en est ressorti que faute de la libération de ses ressortissants, la présidence espagnole en fin de son mandat semestriel, n’est pas l’appui sur lequel comptait le pouvoir en place. Alors que pour les consultations d’identité et de bonne volonté démocratique dès la perpétration du coup militaire, la présidence française avait été décisive dans la contagion d’une tolérance aboutissant aux apparences internations actuelles.

L’exercice est donc, depuis trois semaines, l’occasion pour le pouvoir de se donner in extrêmis les apparences voulues, notamment en proposant – enfin – le « dialogue national inclusif » prévu par l’accord de Dakar. Occasion aussi pour l’opposition d’exiger des dirigeants nationaux une participation à la préparation – côté mauritanien – de cette table-ronde, et à la représentation du pays pendant cette table-ronde. Cette pétition n’est pas que démocratique. Seule, l’opposition – dont les personnalités de tête sont encore plus remarquables intellectuellement et moralement, qu’elles sont déterminées – peut exposer aux bailleurs de fonds et aux Etats-membres les habitudes réelles, les camouflages anciens ou récents, les comptabilités parallèles, les corruptions ces dernières années de certains des représentations d’institutions financières internationales avec le pouvoir en place, que la langue de bois gouvernementale n’exprimera évidemment pas.

L’ouverture à l’opposition n’a, en réalité, pas le moindre début d’application ; elle n’a été formulée qu’en tête-à-tête avec l’ancien Premier ministre du président renversé il y aura bientôt deux ans et n’a pas abouti à une préparation consensuelle de la réunion avec les bailleurs des fonds ni à un rééquilibrage de la représentation mauritanienne. Une série  de gestes médiatiques et la circulation d’autant de faux et de nouvelles controuvées ont rendu indéchiffrable la situation politique mauritanienne à la veille de la « table ronde ». Le blocage d’une législation émancipant du pouvoir politique les médias audio-visuels – en dépit de la lettre d’intention du 22 Décembre 2009 (laquelle avait coincidé avec le maintien en prison sans mandat de dépôt le directeur du plus important site électronique, alors d’opposition) – prend tout son sens. Non seulement l’Union et les bailleurs de fonds ne seront pas informés de façon concrète et fiable par la délégation mauritanienne – à la tête de laquelle a failli se placer le général Mohamed Ould Abdel Aziz, tant il ressent l’enjeu en financements et surtout en légitimation, comme décisif – mais les engagements éventuellement pris vont l’être à titre précaire, si l’opposition n’est pas associée à cet examen et à ces signatures. Quant à l’opinion nationale, elle ne sera conviée qu’à constater une légitimation internationale d’un gouvernement dont elle conteste et la capacité technique et la sincérité.

L’exclusion de l’opposition est grave. Pendant toute « l’année putschiste », celle-ci a été forcée d’acquiescer au processus de légitimation du fait accompli à mesure que la France – contrairement à son intérêt bien compris pour une relation adulte et transparente, donc via l’Union européenne – a choisi le putschiste contre le président légitime. Non sans débats intérieurs. Elle ne peut l’être à nouveau, du fait de l’Union et des bailleurs de fonds, car il serait contraire aux intérêts de ceux-ci et de l’Union de contracter, sans information complète et avec un partenaire, contesté chez lui, en moralité et en contrôle de la situation.

S’il a vite été trop tard pour reporter cette table-ronde –suggestion au directeur général Manservisi, il y a près d’un mois – il reste possible qu’après avoir entendu et questionné la délégation mauritanienne, selon son texte (pré-diffusé, sans respect des usages diplomatiques, à Nouakchott pour convaincre la population de la capacité rédactionnelle du pouvoir en place) et sa composition, les partenaires (dont l’Union européenne) articulent nettement qu’ils préfèrent attendre pour décider, que les Mauritaniens se mettent d’accord entre eux. Et que ceux-ci, à l’unission, le leur fassent connaître.

Aucune des législations ou des institutions souhaitables n’ont été mises en place, préalablement à la table-ronde. La libéralisation de l’information n’aurait pas qu’un impact politique : elle continue d’être refusée. Les présentations mauritaniennes, publiées avant la réunion, sont rédigées au futur. Le leit-motiv du putsch a été la « lutte contre la gabegie », mais en près de deux ans de pouvoir de fait puis de pouvoir reconnu, aucun redressement ne s’est opéré, sauf une mise en cause de personnes sur lesquelles il a fallu revenir. Les statistiques d’une croissance de 5% par an sont sans signification dans un pays à la population aussi démunie.

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II – Faire de l’économie le bras de levier politique



Le discernement de l’Union est entravé par au moins l’un des Etats-membres. Il n’est sain ni pour les autres Etats-membres ni pour la France elle-même de s’attacher à soutenir – notamment par la caution que produira la table-ronde si rien n’est conditionné ni vérifié – un régime mal fondé en légitimité et précaire puisque sa fin – souhaitée ou redoutée – ne peut se produire que par un nouveau coup militaire. Ce n’est ni efficace ni rayonnant.

L’argument « sécuritaire » mis en avant par le général Mohamed Ould Abdel Aziz se retourne contre lui rien qu’à mémoriser les événements de la décennie. Il n’a pas su empêcher une tentative de coup d’Etat en Juin 2003 au cours de laquelle ont péri le chef d’état-major national et son propre adjoint au commandement de la garde présidentielle : la rumeur est que le désordre engendré par cette tentative, lui a permis de prononcer lui-même à la liquidation de possibles rivaux. Il était chef de l’état-major particulier du Président de la République quand a eu lieu le massacre de touristes français en Décembre 2007, faisant décider que la course automobile Paris-Dakar ne se déroulea plus en Afrique. Il était pleinement au pouvoir quand des détachements de l’armée régulière sont tombés en embuscade en Septembre 2008 dans le grand nord et quand des ressortissants espagnols ont été enlevés sur un des axes routiers les plus modernes du pays. La visite du secrétaire général de l’O.T.A.N. à Nouakchott succède à une annonce de la découverte de nouveaux gisements de gaz, elle-même précédée de mise en demeure fiscale de certaines banques et d’une proposition de « partage du pouvoir » faite à l’un des chefs de l’opposition : elle n’a pas plus de sens que ces gestes, dont l’improvisation est attestée par le nombre et surtout le calendrier. Que de moulinets à quelque temps de l’estocade… 

Ce sont les dirigeants actuels du pays qui placent ainsi délibérément la question mauritanienne sur le plan politique – et celui de la sincérité –, et en font dépendre les financements. On peut y répondre par une argumentation, elle aussi politique, mais qui ne serait ni sommaire ni contrainte. L’argumentation de la démocratie, chemin aussi bien de la sécurité des personnes et des biens que de gestions contrôlables et contrôlées, accompagnées par des législations votées consensuellement selon les contingences du pays, et non pour satisfaire par de seules apparences les schémas internationaux.

Le pouvoir mauritanien attend – en effet – plus des bailleurs de fonds une caution politique à usage interne, que des financements d’investissements ou de programmes. La délégation mauritanienne doit donc être accueillie politiquement. Sa capacité à répondre des engagements qui lui seront demandés, dépend presqu’entièrement du consensus qu’elle parviendra ou ne parviendra pas à susciter dans le pays et dans l’opposition. Elle en est loin actuellement.

L’attentisme motivé que les participants à la réunion de demain et après-demain devraient signifier à une délégation mauritanienne, non représentative quel que soit son nombre et ses couleurs, sera un rappel aux engagements de dialogue et de démocratie, souscrits à Dakar l’an dernier, en échange pratique de la légitimation du fait accompli par un scrutin non contrôlé. Il sera aussi dicté par la sagesse. Plus de 1.500 millions de dollars, accordés au gouvernement précédent, n’ont pas été dépensés. Adressée le 25 Février 2010, au ministre des Affaires économiques et du Développement, censément ordonnateur national du Fonds européen de développement, Sidi Ould Tah, la lettre de l’ambassadeur Hans-Georg Gerstenlauer, chef de la délégation européenne à Nouakchott, est édifiante : elle veut « alerter sur l’urgence d’une reprise en main effectuve de la mise en œuvre des programmes en cours ». Augurant mal de la gestion mauritanienne du Xème F.E.D., le IXème n’a pas été ordonné convenablement : on manque toujours « de projets bénéficiant d’une politique sectorielle définie et d’un calendrier de mise en œuvre crédible ». Or, le pouvoir actuel est de facto en place depuis près de deux ans.

Le dispositif de lutte contre la corruption reste de la littérature. Pendant les dernières années de la dictature d’un autre militaire bénéficiant de scrutins truqués, il s’était avéré que la Banque centrale de Mauritanie avait deux comptabilités, l’une pour les bailleurs de fonds, l’autre pour un minimum de mémoire interne. Les recettes provenant de la pêche et aussi le peu qu’apporte le pétrole ne sont pas régulièrement budgétées ni publiées.

Le sursis à conclure aura un effet immédiat et certain sur la vie politique mauritanienne, et dans un sens positif. La légitimité du pouvoir en place ne peut venir de la force, sur le plan intérieur, et d’une tolérance désinformée, sur le plan international, et surtout européen – puisque l’Union est la référence pour la « communauté internationale » et puisqu’aussi l’Union européenne, modèle institutionnel ambitionné explicitement par l’Union africaine, a, de fait, une responsabilité dans l’assainissement des processus politiques en Afrique pour qu’enfin financements et partenariats profitent à tous. Et ne soient pas accaparés.

Le report de décision et la conditionnalité de celle-ci serait un moyen – pas étranger à la déclinaison des valeurs communes et aux procédures de l’article 96 du traité de Cotonou. Au contraire, la palette des instruments de persuasion par l’Union de ses partenaires africains s’enrichirait.

La pétition européenne pour la démocratie en Afrique est moralement fondée mais elle est mal dirigée institutionnellement. Les critères de gouvernement mis en œuvre pour évaluer les partenaires de l’Union sont calqués sur nos formes de démocratie, sur nos institutions et sur nos décisions par votation. Rien de cela ne fonctionne en Afrique, en tout cas en Mauritanie où les alternances au pouvoir ne s’effectuent pas, faute de patience, où les politiques s’usent pour des échéances électorales factices. Le mode habituel – en dehors de la force, mode le plus constant depuis 1978 – est le débat amenant le consensus avec comme conséquence l’association de tous à l’exercice du pouvoir. Ce qui ne signifie nullement des régimes unanimitaires mais un système de considération mutuelle et où le pouvoir a l’appétit de s’allier les opposants. Ce fut le régime fondateur du pays pendant plus de vingt ans : il fit l’indépendance du pays moralement et financièrement.

Les fonds pour l’investissement et le développement doivent être conditionnés par un « partage du pouvoir » qui demande autant au général Mohamed Ould Abdel Aziz qu’à ses opposants une belle maîtrise d’eux-mêmes

Un accord ne serait pas une décision anodine – il publierait que les valeurs de l’Union ne dirigent pas ses relations de coopération – , un sursis à décider serait en revanche exemplaire vis-à-vis d’un certain mode d’exercice du pouvoir en Mauritanie, vis-à-vis de pays et régimes analogues qui sont également partenaires de l’Union européenne, vis-à-vis d’un Etat-membre dont la capillarité avec l’Afrique n’est son intérêt et l’intérêt de l’Union entière, qu’inscrite dans une démarche transparente, communicative avec les autres Etats-membres et soucieuse de moralité et de légitimité.

On pourrait alors passer à la vérité et au plein emploi de la relation eurafricaine :
– inventer des institutions de gestion économique et de transparence financière qui n’ont pas de modèle européen puisque la sociologie et les étapes en cours de la transformation des modes de produire, de commercer et d’épargner est fondamentalement différente de celle des Etats-membres. L’exemple des élargissements de l’Union aux pays de l’ancien COMECON montre qu’une simple extension du modèle libéral ayant valu en Europe occidentale est souvent périlleux socialement et financièrement ;
– prendre enfin et sérieusement en compte la question des droits de l’homme qui se vit en Mauritanie en trois dossiers : deux hérités de la précédente dictature, le « passif humanitaire » (les massacres à motivation ethnique perpétrés en 1987 et surtout en 1990-1991) et le retour des déportés (fuyant les pogroms en Avril-Mai 1989 en conséquence des dramatiques incidents mauritano-sénégalais), et qui étaient en voie de solution pendant la courte période démocratique de 2007-2008 ; la persistance de pratiques esclavagistes malgré les législations de 1981 (ordonnance du 9 Novembre) et de 2007 (loi du 3 Septembre portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes) ;
– accompagner, éclairer et protéger avec précision les projections et les décisions d’un pouvoir tenant sa légitimité du consensus, et non des alternances au pouvoir familière à l’Europe et aux Anglo-Saxons mais pas du tout à des peuples et à des personnalités impatientes à juste titre. Il est anormal qu’une « sortie de crise » comme celle de l’été de 2009 en Mauritanie qu’a seule permise juridiquement et moralement l’abnégation du président démocratiquement élu deux ans auparavant mais renversé par le chef de son état-major particulier en même temps que de la garde rapprochée, dès qu’il voulut le limoger, n’ait pas été assortie d’une implication approfondie de l’Union qui en a l’expertise et le budget. Anormal qu’auparavant des contractations pour la mise en valeur des possibles ressources pétrolières et des certaines ressources halieutiques aient pu se faire au détriment de la Mauritanie, sans le conseil et le discernement – à titre gratuit – des experts de l’Union. Et pmeu compréhensible que l’Union soit, dans ses décisions de coopération avec des pays associés, subordonnée aux jugements et délibérations du Fonds monétaire et de la Banque mondiale, notamment, qui ne comptent pas parmi ses propres institutions.
– concevoir, négocier puis écrire ensemble une quatrième génération des accords A.C.P. après celles de Yaoundé, de Lomé et de Cotonou, à l’expérience des dysfonctionnements de la dialectique valeurs partagées/sanctions des manquements et selon l’évidente crise du désarmement douanier et du libéralisme mondial. Economie et politique étant vêcues comme le même état de manque ou de vie, dans chacun des pays associés à l’Union.

Une familiarité et une solidarité eurafricaine est d’intérêt commun. Face aux Etats-Unis et à la Chine, à des stratégies et à des financements qui ne sont pas politiquement désintéressés comme ceux de l’Union européenne celle-ci ne peut plus se permettre ni l’aveuglement ni le cynisme. Et les pouvoirs en place peuvent être amenés par l’Union européenne à considérer que leur propre pérennité – leur survie parfois même physique en la personne de leurs chefs respectifs – dépend de la mûe de comportements qui les isolent de leurs populations et désespèrent des élites contraintes au sur-place ou l’émigration. Ce découragement et cet exode sont prononcés en Mauritanie. Cette solitude du pouvoir aussi./.

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