Notes de lecture
Faut-il passer des heures à lire un livre et à en rendre compte au risque – qui m’a été représenté par plusieurs personnalités notoires ou gens de science éprouvée – de donner de l’importance à qui n’en aurait pas autrement ? alors que chacun saura quoi en penser et corriger de lui-même ?
J’ai deux raisons pour cet investissement. La première est qu’on ne sait jamais où peut aller une rumeur dans le désert qu’on a cherché à faire puis à maintenir depuis 1978, pour tenir lieu de mémoire et de fierté nationales mauritaniennes. La seconde est qu’il manque aux bonnes volontés quelques exercices méthodologiques quand elles cherchent à transformer ce désert en jardin luxuriant. Un roncier prolifère et endommage le peu de pelouses que la rigueur climatique a permis de créer. Ou bien avons-nous affaire parfois à une ruse démoniaque nous faisant croire au défrichage enfin mais ne substituant enfin au vide qu’un mélange où s’enchevêtrent le comestible et le poison ?
Enfin, il ne faut pas juger d’un livre par son auteur, mais d’un auteur par son livre, si l’auteur importe. Ce dont les Mauritaniens sont déjà juges, me semble-t-il.
En revanche, lire un essai sur La Mauritanie et ses présidents de 1958 à 2008 (Panafrika – bp 16.658 Dakar-Fann www.edpanafrika.com – Silex / Nouvelles du Sud = achevé d’imprimer en Novembre 2009 . 239 pages . conclu le 22 Juillet 2009 soit à la publication des résultats de la récente élection présidentielle) ne peut que passionner un ami du pays, depuis quarante-cinq ans, et bien en retard dans ses projets de publications dont un abrégé d’une histoire réconciliée de la Mauritanie contemporaine 1903.2010. Comparer les méthodes et les résultats. Pour ma part, j’ai bénéficié des archives de la présidence de la République Islamique de Mauritanie et des anciens cercles (couvrant la période 1903 à 1975) et d’entretiens confiants avec le président Moktar Ould Daddah, ses principaux coéquipiers, sa femme Mariem qu’il admirait, puis ses successeurs putschistes sauf le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya (impossible à joindre à Doah malgré mes efforts) et le général Mohamed Ould Abdel Aziz (qui ne répond toujours pas à mes demandes de le rencontrer). Ce que je publierai dans un proche avenir aura été, au préalable, relu par des correspondants internet que l’année putschiste m’a fait connaître ou retrouver, ou par d’éminents et fidèles amis autant qu’acteurs d’hier et de maintenant. En histoire politique surtout contemporaine, il y a les documents – source de rigueur et aussi de questions – et il y a la mémoire – témoignage mais aussi mesure d’un rayonnement quand il s’agit des personnes et alternatives d’interprétation quand il s’agit des faits.
Je lis donc plume en main M° Mohamed Lemine Ould El Haycen, que je crois n’avoir jamais rencontré. Je décide d’emblée de n’être indisposé ni par l’invraisemblable style ni par les diverses fautes à l’édition ni par les inconséquences de l’ortographe de plus en plus marquées à mesure de la rédaction, laissée manifestement telles quelles par l’auteur puis l’éditeur … fidèlement, je les conserve quand je cite l’auteur [1]. Je suis seulement mené par mon avidité de connaître le jugement d’un Mauritanien sur d’autres Mauritaniens, puisque l’étude porte – non sur l’histoire d’un peuple face à ses paramètres permanents, à ses voisins, ses partenaires et aux circonstances, avec ou sans le secours de ses dirigeants – mais seulement sur ces derniers. J’espère ainsi continuer d’accompagner mes compatriotes d’adoption dans la remise à l’honneur et à la pratique, de leur legs national.
Les erreurs initiales sur le fond et pour les faits
Le propos est donc de présenter les présidents successifs, mais d’emblée, El Haycen commet deux erreurs. D’abord l’amalgame (p. 10) de « ces hommes simples mais exceptionnels qui avaient créé un etat moderne fondé sur une superstructure morale et philosophique avec un balisage clair et transparent… ces hommes qui nous ont gouverné, civils et millitaires ». ensuite, et souvent dans tout son livre, une erreur sur la France et sa politique vis-à-vis de la Mauritanie : (pp. 9 & 10) il étudie la colonisation dans le contexte de l’après-seconde guerre mondiale, alors que les structures et les manières de l’administration dominante datent de bien avant. Ce qui le conduit à présdenter (p. 11) : « les premiers dirigeants de la Mauritanie, tout en prenant le train en marche, car la création du pays était plus une initiative française que la leur à l’instar de tous les Etats africains ». Non ! l’initiative française – concernant la Mauritanie – était l’O.C.R.S. voire un Sahara français, ce qui dépeçait la Mauritanie d’une part et la dissociait des évolutions africaines en général vers l’autonomie et l’indépendance. Les fondateurs ont au contraire dévié le train puis fait tête à queue.
L’auteur commet la même erreur d’appréciation à propos du Sahara (p. 69) : « ceux qui l’avaient encouragé dans cette voie périlleuse étaient allés jusqu’au bout de leur limite permissible, comme la France qui avait lancé ses jaguars dans la bataille et avaient exposé du coup ses ressortissants expatriés travaillant dans les mines de fer du nord du pays à la vindicte du Polisario ». C’est tout le contraire, la France a trainé les pieds et Valéry Giscard d’Estaing a reçu les putschistes de 1978 dans les huit jours de leur coup : les enlèvements d’otages et l’impasse diplomatique n’étaient pas goûtés à Paris, surtout pendant une campagne pour le renouvellement de l’Assemblée nationale française.
La mise en scène des débuts mauritaniens est bâclée : (p. 14) Moktar Ould Daddah, au prénom mal orthographié, avec une persvérance qu’avait dénoncée une circulaire de l’intéressé dès l’été de 1957, n’apparaît d’abord qu’à propos des études de l’auteur et sans doute de la bourse qu’il avait obtenue. Pas du tout selon ses titres historiques. L’histoire est d’emblée mal documentée pour ses débuts (p. 15) : « la Mauritanie avait connu à partir de 1957, la mise en place de l’Etat Mauritanien avec des institutions chargées de préparer en collaboration avec la France l’indépendance du pays, qui sera proclamé le 28 novembre 1960 sous une tente, à Nouakchott, ville créée pour la circonstance ». Non ! … la Loi-Cadre (23 juin 1956) et plus encore ses décrets d’application (4 Avril 1957) veulent au contraire, par l’autonomie de gestion, éviter l’indépendance. C’est le Conseil de gouvernement qui se réunit sous la tente (le Calame du 16 Juin 2009, chronique anniversaire du 12 Juin 1957), l’indépendance, elle, est proclamée dans le « hangar » qui servira à l’Assemblée nationale, puis au Centre de formation administrative future Ecole nationale d’administration, enfin aux Archives nationales. Et Moktar Ould Daddah est initialement vice-président du Conseil de gouvernement et non vice-Premier ministre, le Gouverneur français du Territoire, présidant le Conseil. Il n’est pas mis en orbite « une décennie auparavant » – s’il l’avait été, il eût été élu sans difficulté à la place de Souleymane Ould Cheikh Sidya pour la place restant libre dans les institutions parisiennes : membre de l’Assemblée de l’Union française, alors que Sidi El Moktar N’Diaye est le député du Territoire et Yvon Razac en est le sénateur. Sidiel n’est pas « débarqué », mais il démissionne de lui-même de la présidence de l’Assemblée nationale parce qu’il en désaccord avec la majorité de celle-ci optant pour le régime présidentiel [2], puis du Parti – mais il est réintégré en 1966 (Le Calame du 8 Avril 2008, chronique anniversaire du 5 Avril 1966) à un moment de péril pour l’unité nationale et consacré responsable politique de sa propre région pour le Parti. « Cette pratique d’éjection des compagnons » (p. 16) n’a jamais été celle de Moktar Ould Daddah.
Sidi El Moctar N’Diaye est présenté comme « le fondateur de la République » (chapitre III pp. 17 et ss). Non, il ne l’est pas. Politiquement et juridiquement, spirituellement, le fondateur est Moktar Ould Daddah suscitant à trois reprises le consensus : pour intégrer l’opposition précisément à Sidiel et au parti majoritaire, dans le gouvernement qu’il forme (le 20 Mai 1957) au lendemain d’élections triomphales (30 Mars 1957), puis pour faire adopter, au congrès d’Aleg, un programme indépendantiste, et enfin pour adopter la position mauritanienne au referendum sur la Communauté franco-africaine. Mais le mérite de l’ancien député du Territoire à l’Assemblée métropolitaine, qui demeure le président de l’Assemblée locale, reste immense : il calme le jeu après la mandature de Horma Ould Babana, il cautionne et protège, vis-à-vis de certains de ses compatriotes et vis-à-vis des Français, Moktar Ould Daddah à ses débuts. Surtout, il ne fait jamais sécession ou œuvre explicitement hostile au contraire d’autres proches des premières heures.
Erreur aussi psychologique que factuelle d’El Haycen, même s’il laisse sentir sa proximité avec Sidi El Moktar N’Diaye et une sympathique estime pour le grand parlementaire. L’Union Progressiste Mauritanienne (p. 18) est fondée en Février 1948 (Le Calame du 12 Février 2008, chronique anniversaire des 16-20 Février 1948) par l’ensemble des notables excédés par le vibrillonnisme d’Horma Ould Babana, voire par son nationalisme ; pas du tout une machine pour le député prétendûment fondée en 1950 à la veille de l’élection à l’Assemblée nationale. Sidiel est porté par ces notables et par l’administration au scrutin du 16 Juin 1951. Quoique se référant parfois aux mémoires de Moktar Ould Daddah [3], El Haycen se trompe pour le choix du drapeau (p. 18) : Sidiel n’est pas l’auteur du drapeau, il n’y participe même pas, mais un comité informel réunissant autour de Moktar Ould Daddah, Ely Ould Allaf, Ahmed Bazaïd Ould Ahme Miske et Mohameden Ould Babah [4].
Ces erreurs commises, l’auteur entreprend de donner son appréciation de chacun des chefs d’Etat successifs – avec ou sans guillemets, mais il n’a pas une manière uniforme pour les présenter. Le portrait de Moktar Ould Daddah est donné directement ou occasionnellement dans tout le livre. Celui de son tombeur est elliptique [5] et ceux des colonels Mohamed Khouna Ould Haïdalla et Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya sont éludés. Le premier est étudié selon son bilan, le second selon ses responsabilités dans la succession des drames ponctuant son long règne, et surtout dans sa manière de gouverner avec toutes les conséquences pour ce pays.
Je reconnais volontiers qu’à défaut de méthode et d’information, et bien qu’il ne sache pas, pour présenter un personnage, distinguer en psychologie, explication et bilan, El Haycen a souvent des intuitions justes. Mais elles sont encore plus souvent gâchées soit par des contre-sens, soit par des lacunes faussant les perspectives, soit par des monstruosités : celles-ci voulues ?
Moktar Ould Daddah . 1957 - 1978
Ainsi, discerne-t-il que Moktar Ould Daddah a su « créer dans l’esprit des mauritaniens, après beaucoup d’efforts et d’imagination un discours cohérent et rénovateur, mélange subtil entre l’islam, la rationalité cartésienne de source occidentale puisée dans sa formation de juriste dans les universités françaises et le pragmatisme teinté de mysticisme oriental et des influences du nomadisme saharien, apanage de sa société traditionnelle basée sur les segments contemporains du compromis, de l’entente et de la solidarité. » (p . 30 ) Ainsi, retient-il que – non le fondateur, il ne reconnaît pas ce titre de Moktar ould Daddah – mais « le bâtisseur de la République » (chapitre IV pp. 29 et ss) – « avait su en véritable entraineur d’équipe choisir des hommes remarquables, cultivés, honnêtes et patriotes, qui avaient impulsé avec lui la Mauritanie à un niveau désormais incompressible d’existence et de respectabilité, qui avait résisté stoïquement aux coups répétés des régimes militaires essentiellement rétrogrades et contre-performants pendant des des décennies, immunisant le socle du pays contre les érosions de la médiocrité, les inepties de l’insuffisance et les fantasmes de l’irresponsabilité » (p. 33). Le premier président : « un homme humble et aimable ». Ainsi même, lui accorde-t-il des points décisifs (p. 40) : « le Président Moctar initia une voie intermédiaire judicieusement conçue entre le refus de la sopumission humiliante voire dégradante pour le pays et le rejet de la confrontation frontale, violente et destructive qui lui avait réussi merveilleusement ». Moktar ould Daddah (p. 39) n’est donc pas mal caractérisé : « politicien et diplomate chevronné, qui se retrouve très à l’aise avec ses pairs étrangers non pas seulement africains et arabes dont il se démarque souvent par sa personnalité débordante de dynamisme et de vitalité, sa vate culture, mélange de tradition et de modernité, ses origines maraboutiques y contribuant certainement de manière substantielle ». Ainsi, comprend-il bien certains des atouts initiaux du fondateur (p. 21) : « ce puzzle d’expériences de Moctar, agrège forcément une connaissance multiforme et sereine du pays, de ses hommes et de leurs traditions, tant la somme numérisée de ce vêcu lui offrira l’éclairage et la traçabilité nécessaires aux prises de décisions adéquates dans un environnement parfois d’une extrême délicatesse, sinon souvent hostile ». Il conclut même – et positivement – par le point qui sans doute importait le plus à Moktar Ould Daddah (p . 110) : « il était arrivé dans la pratique à cnvaincre les mauritaniens qu’un ministre est d’abord nommé pour servir la Répulique et ses citoyens et non un trbu ou une ethnie, avec leur faisceau de relations complexes, rétrogrades ».
Mais El Haycen ne parvient pourtant pas à dire l’exceptionnalité de Moktar Ould Daddah dans l’histoire contemporaine, il ne l’admet pas et il commet deux contre-sens. Le premier porte sur la pratique constitutionnelle de Moktar Ould Daddah, en grande partie parce que – paradoxalement – ce juriste étudie plus minutieusement les chartes militaires que les Constitutions de 1959 et de 1961 et surtout qu’il ignore totalement le Parti du Peuple et son fonctionnement interne, si évolutif, et sa fonction de consensus et d’intégration constante des oppositions. « Ce que je regrette profondément, c’est que le Président Moctar après avoir pris le pouvoir en Mauritanie avec le soutien massif de Sidel Moctar qu’il avait mis en orbite auparavant, s’est retourné brutalement, une fois son pouvoir consolidé contre lui en l’éliminant de la présidence de l’Asemblée Nationale par un stratagème simpliste qui consistait à faire signer aux députés une démission en blanc au préalable, ce qui les fragiliseraient en leur enlevant leurs libertés d’expression et d’actions et ferait perdre au Parlement ses prérogatives pour devenir une simple chambre d’enregistrement du pouvoir exécutif. Cette pratique anti-démocratique sera fatale pour l’avenir politique de la Mauritanie » (pp. 22-23).
Il ne dit pas la gestation de l’unicité de parti, qui a été consensuelle, pas non plus les évolutions internes dans la vie du Parti du Peuple mauritanien, pas davantage le fonctionnement des congrès aux niveaux de la nation et des régions, ni, pour ce qui est du contrôle et du débat parlementaire, ce qu’il se passa d’un bout à l’autre de la période fondatrice en groupe parlementaire. L’évoquant de ce point de vue tronqué, il ne comprend donc pas du tout la question du Sahara, du strict point de vue du fonctionnement des institutions : « le rôle du Parlement sous le régime du Président Moctar a été anéanti et probablement son existence aurait épargné au pays des secousess inutiles comme l’aventure du Sahara » (p. 62) et il reprend même (p. 68) l’argument du procès de Rosso, celui d’un viol de l’article 44 de la Constitution de 1961, faisant condamner Moktar Ould Daddah, opar contumace, aux travaux forcés à perpétuité. « Hier comme aujourd’hui, beaucoup de personnes d’horizon divers s’interrogent sur les véritables motivations et les raisons réelles de l’engagement du Président Moctar au Sahara, une énigme non éclairicie jusqu’à nos jours ». Insinuer qu’un referendum en Mauritanie sur le rattachement ou pas de tout ou partie du Sahara administré par l’Espagne aurait permis d’éviter la guerre, c’est ne pas connaître les circonstances dans lesquelles celles-ci a été imposée au pays et à son chef, c’est ne pas se souvenir des unanimités parlementaires après l’accord de Madrid, c’est n’avoir pas la moindre idée de la tonalité des réunions de cadres et de militants en 1974, qui entendirent et discutèrent les compte-rendus présentés sur la question par le secrétaire général du Parti.
Ne comprenant ni le fonctionnement des institutions, ni la question particulière du Sahara, El Haycen doit trouver quelque chose. Une affirmation – pas même une interrogation, qui, à elle seule, détruit toute prétention scientifique et fait douter de sa bonne foi : « ainsi, le président Moctar marqué par l’usure du ouvoir de 20 ans entre 1958 et 1978, auquel il faut adjoindre le poids de l’age qui provoque une décroissance des aptitudes et un ramollissement des facultés, n’était pas dans le meilleur de ses états, pour optimiser ses décisions surtout quand il s’agissait des équations conflictuelles avec des variables inconnues ou irréductibles, qui ont échappé à sa détermination et à son contrôle au départ » (p. 69)
Les Mauritaniens, anciens ministres, anciens collaboratreurs, anciens militants, ainsi que tous les témoins oculaires, les pairs survivants en France et dans le monde attestent du contraire. Mais il y a aussi le simple bon sens qui semble avoir fait défaut à l’auteur, en l’occurrence.
– portant en bonne partie le poids psychologique d’une guerre imposée et qu’il avait été impossible de prévoir, le Président était naturellement fatigué, qui ne l’aurait été ? mais seulement dans les derniers jours de Juin. Il y a eu de 1975 à 1978 assez de congrès du Parti et de réunions du Conseil national pour qu’un moindre faiblissement de la forme physique et surtout intellectuelle du Secrétaire général du Parti, eût été remarqué aussitôt par les participants et relevé par la presse internatiuonale, notamment Le Monde, jamais tendre pour Moktar Ould Daddah. Témoignage que j’ai enregistré : ses deux derniers ministres de la Défense parlant ensemble avec moi en Juillet 2001 sur les circonstances et les causes du putsch de 1978 – Mohameden Ould Babbah et Abdallahi Ould Bah, ce dernier étant médecin généraliste – détaillent la présence politique, intellectuelle et physique du Président. Bien évidemment, pas le moindre handicap psychologique ou neurologique ;
– si le Président avait été dans l’état prétendu par l’essayiste, comment expliquer qu’il rédige de sa main, sans archives, le premier jet de ses mémoires à partir de 1983 : « une décroissance des aptitudes et un ramollissement des facultés » encore plus grands cinq ans après 1978 l’en auraient rendu incapable. Nous avons passé – magnétophone tournant – une semaine en Décembre 1979 à l’hôpital de sa convalescence à Toulon, plusieurs heures par jour. Sans aucune chronologie ou dates sous les yeux, Moktar Ould Daddah m’a donné ses pré-mémoires, lumineux de dialectique et de présence ;
– s’il est vrai qu’à partir de 2000 une maladie de type parkinson rendait sa marche pénible et son élocution – qu’il a toujours eu lente et méditée – encore plus lente, en revanche la présence d’esprit, la netteté intellectuelle et le courage moral étaient intacts : les enregistrements et mes notes sur quarante ans montrent qu’il n’y a pas eu de faiblissement. Tandis que nous relisions à trois, Mariem, le Président et moi, son texte initial distribué en chapitres (c’est là toute ma contribution), je passais une heure ou deux après le dîner avec le Président pour compléter verbalement des lacunes dans le texte écrit (ainsi le chapitre sur les décisions révolutionnaires ou le chapitre sur l’économie), et nous faisions ensemble les notes de bas de page. Qui des « successeurs » du fondateur a écrit des mémoires de sa main – le manuscrit détenu par la Fondation en constitue la preuve, ratures comprises – et lequel a fortiori y aurait travaillé jusqu’à quatre-vingt-quatre ans ?
– le régime du Parti unique de l’Etat et le tempérament du Président imposaient de multiples réunions en Bureau politique national, en Comité permanent, en Conseil des ministres : pas un témoignage selon lequel Moktar Ould Daddah aurait faibli à la dernière époque. Jusqu’en 1974, les tournées de prises de contact le montraient, épuisant tout le monde, collaborateurs ou militantss, en réunion de cadres du soir à l’aurore. J’en ai suivi, et précisément sur le Sahara ;
– les décisions qui seraient le fruit d’un délabrement mental du Président sont précisément celles qui font référence : la monnaie, la révision des accords avec l’ancienne métropole, la nationalisation de Miferma. Un malade aurait-il pu les imposer ? ou plutôt en convaincre et en faire délibérer positivement tant de collaobrateurs, de responsables, de militant ?
– si le Président avait été si diminué comment aurait-il tenu face à Boumedienne à Béchar, et n’aurait-il pas – aspirant au repos commandé par son prétendûment lamentable état de santé – cédé et tout cédé à l’Algérie, à la France, au Maroc ?
El Haycen manque donc son essai, en ne saisissant pas ce qu’est le legs de Moktar Ould Daddah et en quoi étudier la personnalité et l’œuvre de ce dernier est forcément une étude différente, par nature, de celle de tous les autres, présidents avec ou sans le titre, se successant à sa suite. Il le manque aussi en ne sachant pas décider entre la responsabilité du peuple ou la responsabilité de son dirigeant du moment ou de l’époque (p. 38). Il sait dire « ces valeurs que nous avons perdu aujourd’hui, étaient hier l’honnêteté intellectuelle, l’intégrité morale, le patriotisme, le respect de l’autre, qui devaient dominer la perception de chacun d’entre nous et sa conduite… bref, un effort sur soi et pour tous » (p. 39) mais il refuse d’en affirmer l’origine historique moderne. Sans doute parce qu’il commence d’écrire son livre en 2005-2006 à la chute de Sid’Ahmed Taya [6], il sait dire que « c’est l’anti-Moctar qui s’était installé dans le pouvoir et dans la durée, sécrétant des cxlichés, des habitudes, des comportements pernieux, que nul le pouvait imaginer il y a 3 décennies dans notre pays, mais qui devenait une réalité incontournable qu’on devait subir au quotidien dans notre vie et qui avaient façonné une certaine Mauritanie ou nos raisons et nos sentiments ne pouvaient pas se retrouver ou coexister en harmonie » ( p. 71) Mais il ne connaît pas Moktar Ould Daddah, à qui il prête à celui-ci un comportement personnel tortueux, « Moctar utilisant avec bienveillance et sans parcimonie le carnet d’adresses fourni de Sidi El Moktar entre autres le contact avec Maître Boissier-Palun pour effectuer un stage davocat dans son cabinet à Dakar … c’était non seulement un éminent juriste mais il se doublait d’un homme politique qui pouvait rendre de précieux services à l’occasion car il en était en même temps président du Grand Conseil de l’Afrique Occidentale Française … ce panel de futurs états indépendants sera par la suite une ossature sur laquelle le Président Moctar tissera avec beaucoup de doigté une toile d’araignée ou se construira une connexion tentaculaire à géométrie variable entre les articulations des Etats et les complicités des pouvoirs traditionnels et religieux dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest » (p. 27)
Ayant ainsi traité, souvent avec désinvolture, la période fondatrice – sans la caractériser comme telle – l’auteur paraît davantage doué pour une analyse du tempérament national avec des formulations et des intuitions justes – mais abstraites – que pour la rigueur d’une étude historique.
Les périodes suivantes présentent certes moins de contre-sens ou de contre-vérités explicites, mais elles font l’impasse sur des points historiquement si décisifs qu’ils constituent cette mémoire qu’El Haycen voudrait aider.
Le lieutenant-colonel Mustapha Ould Mohamed Saleck
1978 - 1979
Le 10 Juillet 1978 : « coup d’Etat militaire de Moustapha O. Saleck » (chapitre V – pp. 73 et ss) ne donne lieu qu’à un récit très partiel : des détails sur ce qu’il se passe à Zoueratt (pp. 78 & 79) pas inintéressants, quoiqu’omettant la S.N.I.M., mais accessoires puisque le théâtre principal est à Nouakchott. Sur celui-ci, rien ne correspond avec ce que m’a dit Mustapha Ould Mohamed Saleck, le 23 Avril 2006 (publié par Le Calame les 8.15 et 22 Juillet 2008), ni avec le récit donné par Hammat Athié à Nouakchott Infos., ni avec ce que m’a dit Mohamed Khouna Ould Haïdalla, les 1er 5 décembre 2005, propos encore inédits. L’oubli d’Ahmed Ould Abdallah est une lacune considérable, d’ailleurs dans le texte, le R.F.D. n’est qu’U.F.D.).
Mais le diagnostic sur la première période putschiste est juste (p. 83) : « le départ précipité du pouvoir du colonel Moustapha o. Saleck, mettant fin à un bref intermède prometteur d’une durée de 11 mois et 2 jours, pour un calvair sectaculaire de trois décennies qui avaient malmené et hypotéhqué gravement l’évolution du pays et son avenir. Ainsi, l’unité des officiers du 10 juillet s’était lézardée rapidement, ouvrant la voie aux tractations et aiux compromis entre les diverses tendances qui étaient apparues au sein de l’institution de l’armée ». Juste également, l’appréciation sur l’importance du commandant Mohamed Ould Jiddou (p. 82 & p. 73) et, au fond, la remarque, que les plus valeureux ou intellectuellement brillants des offciers de la première époque, vont faire défaut et disparaître de mort violente : « cette cohésion perdue par l’armée sera lourdement aggravée par le départ de valeureux officiers, comme celui du colonel Mohamed O. Abdel kader exclu du comité militaire par ordonnance n° 79-159 du 6 juilletb 1979 et du décès tragique par accident de voiture du commandant Jiddou o. Saleck, le 2 décembre 1979 » (p. 97)
.
Il est cependant peu excusable qu’El Haycen n’introduise aucune discussion sur la légitimité de ce premier coup militaire. Ainsi, l’auteur manque-t-il de caractériser le lien existant ou faisant défaut dans l’ensemble de ces cinquante ans.
Les colonels Ould Louly et Ould Bouceïf, traités par prétérition
Plus étonnant, il s’en tient (p. 93) à une simple photo du colonel Ould Louly, sans rien indiquer sur celui-ci, quoiqu’il ait été « président ». Et est-ce parce qu’Ahmed Ould Bouceïf n’était « que » Premier Ministre, ou parce qu’il n’a présidé aux destinées du pays que six semaines, que rien !!! n’est dit sur lui, sur son étoffe, sur son arrivée aux commandes alors qu’il n’est pas putschiste et qu’il critique ouvertement le pustch, ses projets et plans. Rien n’est dit sur son prestige, sa valeur morale et son autorité. Une simple indication des circonstances de l’accident à Yoff (p. 95) et El Haycen ne sait pas traiter la signification de ce moment tournnat : si Ahmed Ould Bouceïf avait vêcu, l’histoire changeait, et le fait qu’il ait été coopté hors du cercle des putschistes signifiait l’échec morale de ceux-ci, et donc leur illégitimité, même à leurs propres yeux. Il est d’ailleurs caractéristiques que leurs deux lignes principales de clivage portaient l’une sur le sort à réserver à Moktar Ould Daddah, et l’autre sur l’attitude à avoir à propos du Sahara. On ne pouvait à l’époque mieux avouer que la référence demeurait bien la personne et la politique du fondateur.
Pas davantage de discussion sur l’apparition du poste et de la fonction de Premier ministre, sinon l’évocation pour Ahmed Ould Bouceif de « son gouvernement probablement le meilleur de tout l’après- 10 juillet sur 28 ans, de par la consistance, la moralité et le niveau intellectuel conséquent de ses minitres, ainsi que leur crédit sociopolitique et leur image respectable aux yeux de l’opinion pulique Mauritanienne » - « côté militaire, les membres du gouvernement étaient d’une grande intégrité morale doublée d’une grande expérience, je soulignerai deux noms, qui ont marqué chacun à sa manière, l’histoire et l’évolution ultérieure de ce pays, l’un sortant, était ministre chargé de l’administration de la défense, il s’agissait du lieutenant-colonel Maouya o. Sid’Ahmed et l’autre entrant au gouvernement le Lieutenant-colonel Mohamed Khouna o.Haydalla comme ministre de la défense » (p. 91)
Le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla
1979 - 1984
L’étude de la période dominée par Mohamed Khouna Ould Haïdalla (chapitre VI - « Haydalla à la conquête du pouvoir » – pp. 95 et ss) commence par l’exposé des circonstances de l’élection d’Ould Haïdalla, « désigné en apothéose » (p. 103) et son mécanisme juridique (p. 98 et ss.). L’auteur note justement « la première et dernière fois qu’une élection militaire s’était produite en Mauritanie suivant des modalités transparentes, même si les candidatures n’avaient pas été plurielles » ce qui est corroborré par mon propre entretien avec Mohamed Khouna Ould Haïdalla. El Haycen dit bien qu’ « il avait commencé par redéfinir ses prérogatives… à forger une équipe dirigeante et à improviser plus que définir les objectifs d’un programme global très ambitieux. Il était sincère, entier, débordant de vitalité, de dynamisme et en véritable chef militaire, il était partout et sur tous les fronts sans hésiter sur les sacrifices ni reculer devant les obstacles et les défis » (p. 103)
Disposant semble-t-il, mais sans qu’il en définisse l’origine, d’une relation personnelle avec le président d’alors et aussi du témoignage de l’un de ses fidèles, Diop Mamadou, l’auteur sait présenter un bilan du gouvernement Haïdalla, en intentions et en réalisation (p. 110 et ss.) : « expérience judiciaire, politique des pêches, réforme foncière, abolition de l’esclavage, protection de l’ordre monétaire ». Pourquoi n’avoir pas tenté cette présentation-explication-bilan pour la période fondatrice ? Remarques et questions sont d’ailleurs intéressantes : le contrôle d’Etat es qualité dans le comité militaire alors qu’il est confié à civil (p. 107), l’émergence graduelle de Maaouya, sans que les causes en soient suggérées (p. 106), l’élimination du commandant Dahane [7]« dont les raisons demeurent inconnues » (p. 107)
Mais le chapitre 1979-1984 est aussi déséquilibré et incomplet que celui consacré à 1978-1979 : rien sur les relations avec le Maroc, sauf à propos de La Guerra (p. 97), rien sur les complots, par exemple l’arrestation de Mustapha Ould Mohamed Saleck, sauf allusion autobiographique (p. 14), il en aurait été l’avocat défenseur en même temps que de Sid’Ahmed Ould Bneijara, rien sur la tentative sanglante des colonels Ould Sidi et Ould Ba Abdel Kader.
Le colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya . 1984 - 2005
La période d’exercice du pouvoir par le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya (chapitre VII – « Le coup d’Etat de Taya du 12.12 1984 » – pp. 133), son règne, est « le plus long de l’histoire politique de la Mauritanie mais aussi le plus complexe et le plus agité dont les résultats sont contestés et contestables, en tout cas douloureux pour la majorité écrasante des mauritaniens » (p. 133). La qualification est exacte mais pas le record de longévité qui est détenu par Moktar Ould Daddah : vingt-et-un ans et dix semaines, au lieu de vingt ans et presque neuf mois.
La relation de l’auteur avec Ely Ould Mohamed Vall, commandant la 6ème région et acteur principal du 12-12 est indiquée (révélée ?) : « j’avais demandé à 3 reprises et avec insistance à Haydalla (sauf erreur ou lecture trop rapide, il ne dit pas à quel titre il avait cette influence auprès de Haïdalla) de le nommer à cette responsabilité militaire, pas, parce qu’il était mon ami ni qu’il me l’avait demandé, mais j’avais l’intime conviction qu’il était le plus indiqué, tant sa conduite et son sens de responsabilité autant professionnelle que morale à l’époque me paraissait d’une grande évidence justifier une telle promotion et le prédisposer à assumer cette charge de confiance, que tous les colonels de l’armée nationale convoités à ce moment-là … en quittant la présidence, je me rendis à la Chambre de commerce ou travaiollait en qualité de conseiller, mon ami Moulaye o. Bouamatou pour sitoter un thé avec lui et j’en profite pour lui filer l’information de l’arrivée imminente d’Ely à Nouakchott qui est un cousin à lui comme commandant de la 6ème région » (p. 135)
Ce qui fait réfléchir sur la gestion de l’armée et le rôle d’un comité militaire quand le chef de l’Etat est un militaire lui-même putschiste – l’influence par l’Etat et non par autre chose ? Quant à ce qui tend à caractériser la vie nationale mauritanienne, El Haycen a sa réponse – cynique ou naïve ? (pp. 135-136) : « avec le recul du temps l’amitié d’unhomme public, notamment les chefs d’état dans les pays Africains et arabes, est la chose la moins recommandable, pour ne pas dire la plus abmonable qu’un hopmme sincère et honnête peut avoir sauf dans l’hypothèse où il se livrerait à des trafics d’influence pour s’enrichir ou faire du lobbying comme c’est malheureusement le cas le plus souvent »
Mais si « les crises du pouvoir de Taya » sont énumérées (p. 139), il n’y a rien sur l’attractivité du « maire du palais » pendant la période Haïdalla, et plus encore à son passage à l’exclusivité du premier rang, puisque des collaborateurs de premier plan du président Moktar Ould Daddah s’y trompent : Abdoulaye Baro et Sidi Ould Cheikh Abdallahi, par exemple, et que le fondateur, lui-même, laissent juges ceux-ci. L’étude de « l’épuration des officiers de l’est » (p. 141) fait observer que « Maaouya était catalogué comme un sympathisant de M.N.D. : mouvement national démocratique d’où sa proximité avec son inamoile directeur de cabinet Louleid oul Wedad et ses amis, membre actif de la nébuleuse de gauche ayant opté pendant longtemps à la clandestinité politique, mais qui avait joué un rôle décisif avec tous les pouvoirs en place, que beaucoup de mauritaniens n’avaient pas appréciés ». « La tentative de coup du 8 juin 2003 » (p. 142-143) est davantage traitée à propos du coup réussi le 3 Août 2005 : « cette tentative spectaculaire avait brisé le mythe de sa pussance, la pérenité de sa baraka dont il cultivait les vertus protectrices en distillant intelligemment aux autres, plutôt le sentiment de résignation et d’inertie, plus payant que les tentatuves de changement par la force qui ne seraient qu’illusion suicidaire sans lendemain pour ses instigateurs » El Haycen revient donc sur son appréciation très antérieure d’Ould Taya qui était initialement positive. « En fait, il n’avait plus l’intention de quitter le pouvoir lui-même, prisonnier de ses contradictions, de ses fantasmes, ; de ses turpitudes, de la cristallisation du front intérieur contre lui, allant des islamistes aux mouvements de tendance arabes et africains, engageant le pays inexorablement dans le tourbillon de l’œil du cyclone avec le durcissement alternant avec les réactions de plus en plus musclées des opposants . . à son habitude, Taya avait préféré l’attaque éclaire avec en prime ses facteurs de surprise et de spontanéité, qui lui avait toujours réussi et porté ses fruit en neutralisant ses adversaires le premier, mais qui dénote un trait de caractère propre au personnage, qui n’apprécie pas les grandes concentrations de troupes, exigeant une grande capacité d’organisation et la gestion inextricable de l’intendance du matériel et des hommes, mais surtout un effet de groupe et d’entrainement propice aux machinations, complots et aux coups d’état » (pp.172-173)
« L’épuration des négro-africains » (p. 148) fait mentionner le capitaine Ba Abdel Khadouss (déjà impliqué contre Mohamed Khouna Ould Haïdalla en Juin 1982, ce que l’auteur m’apprend mais sans référence ni récit). Grave est l’évocation lapidaire et simpliste du mouvement des F.L.A.M. (p. 151) « qui fera une mobilisation internationale, impliquant les israëliens dans ce conflit, en mettant à leur sertvice non seulement sa logistique diplomatique et financière, surtout en Afrique où ils ouvriront des bureaux dans les principales capitales, mais lanceront dans la bataille le poids, l’expertise et l’influence du lobby juif et noir américain, qui feront un redoutable tandem pour la circonstance, acculant taya à des concessions substantielles en faveur de ses adversaires ». Mais rien n’est dit sur le manifeste d’Avril 1986, sur les liens avec celui des « 19 » en Janvier 1966, rien du passif humanitaire n’est vraiment qualifié, rien des massacres n’est daté ni caractérisé. Enfin, les deux cibles – civile puis militaire – visées par le régime, ne sont pas distinguées. Les rafles de Septembre 1986, le soi-disant complot d’Octobre 1987, les assassinats à Jreida fêtant sinistrement le vingtième anniversaire de l’indépendance ne sont pas stigmatisés ni mis à charge de l’inamovible président du Comité militaire de salut national…
« La co-responsabilité de la Mauritanie et du Sénégal » (p. 152 à 160) dans les dramatiques événements du printemps de 1989, donne lieu à une dissertation, sans les faits et sans la relation entre les présidents mauritanien et sénégalais, Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya et Abdou Diouf. Le rôle d’Abdoulaye Wade, alors dans l’opposition, n’est pas dit. Le dossier des déportés et des réfugiés n’est pas constitué. Une réflexion sur le prurit qui en découle, et augmente encore les conséquencers du passif humanitaire n’est pas entamée.
L’essai d’El Haycen ne présente ces lacunes considérable. Ses velléités sociologiques, jamais systématisées, mettent à la charge du peuple ce qui est défaut des dirigeants. Il ne propose pas d’analyse structurelle de la vie politique mauritanienne : rien sur le fonctionnement du parti unique de l’Etat avec Moktar Ould Daddah et de simples généralités sur les partis politiques (p. 161) pendant la seconde période de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, et ne présente encore moins les acteurs autres que le principal, durable ou éphémère. Ayant évoqué le discours de François Mitterrand à La Baule [8], les visites de Michel Vauzelle, puis de Roland Dumas à Nouakchott (p. 162), l’auteur ne donne qu’une dissertation moraliste : « tous les partis politiques ont été infiltrés par des éléments proches du pouvoir » (p. 164), « la politique ferme et sans tendresse de Maaouya alternant l’emploi de la carotte et l’usage du bâton va consacrer la domestication progressive de la classe politique, devenue au fil des ans coopérative avec son système et sans ambition en vue, qui puisse inquiéter son pouvoir suffisamment bien gardé » (p. 165)
Paradoxalement, l’essai sur les présidents mauritaniens ne donne que des aperçus de psychologie collective mais très peu du caractère de chacun des « princes régnants » : rien sur la manière de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya d’exercer le pouvoir, rien sur l’influence qu’eurent sur lui la mort de sa première femme et son remariage, rien sur les processus de la première « transition démocratique » et les travaux constitutionnels de Mai-Juin 1991 [9], rien sur les procès à partir de 1992 ni sur les processus électoraux, ni sur l’émergence d’Ahmed Ould Daddah à partir de l’élection présidentielle de Janvier 1992 (Le Calame du 29 Janvier 2008, chronique anniversaire du 24 Janvier 1992) – ni sur le retour d’exil sur père-fondateur (17 juillet 2001)) ni sur les émeutes de la faim (21 et 22 Janvier 1995 notamment).
Pour El Haycen (p. 165-166) « une seule personnalité combative d’envergure exceptionnelle était sorti du lot … Messaoud o. Boulkheir au parcours exceptionnellement atypique … le fruit de son engagement politique avait propfité aux classes dévaorisées … ce qui est déterminant dans son combat, c’est son courage à prendre des positions sur les problèmes sensibles de notre temps, sans pour autant se conformer aux positions officielles de l’Etat, toujours unilatéraliste » . Ce n’est certes pas faux, je puis en attester notaamment selon nos entretiens passionnants pour moi, plusieurs soirs de suite en Avril 2006, mais d’autres personnalités – à la faveur des procès plus encore que des scrutins – montent sur scène. L’inter-action, comme sous Mohamed Khouna Ould Haïdalla, entre les circonstances et les réactions dans l’exercice du pouvoir, n’est pas étudiée : elle distinguerait souverainement la période de Moktar Ould Daddah de toutes celles qui suivirent car la fondation s’est caractérisée par une appropriation des événements, dès le 20 Mai 1957, puis par leur maîtrise jusqu’à l’imprévisible chantage algérien de Béchar qui ne pouvait appeler que la réaction d’une dignité méconnue et d’un honneur à défendre, bien plus encore que le patrimoine saharien putatif (Le Calame du 18 Novembre 2008, chronique anniveraire des 10-14 Novembre 1975).
Le colonel Ely ould Mohamed Vall . 2005-2007
La transition démocratique (chapitre VIII – « le coup d’Etat du 3 Août 2005 du colonel Eli o. Md Vall » – pp. 171 et ss) n’est étudiée que succinctement. Simplisme et ignorance du juriste (p. 171), il est question de « la nouvelle constitution mise en place par le C.M.J.D. » alors qu’il ne s’agit que d’une révision constitutionnelle, adoptée certes par referendum mais concoctée dans le secret [10]. Le pouvoir du colonel Ely ould Mohamed Vall n’est pas caractérisée et la question, rétrospectivement la plus importante, qui est celle de savoir s’il était manipulé ou pas le chef du B.A.S.E.P. n’est pas abordée. Là encore, l’auteur banalise ce qui serait significatif, et le personnage principal du moment ressemble aux premiers putschistes, d’avant le 12-12. « Le colonel Eli avait donné le meilleur de lui-même pour la réussite de la transition et ses objectifs ciblés, mais qu’il ne pouvait pas aller au-delà en réponse aux attentes citoyennes, eu égard à son sens du respect de l’ordre établi, produit de sa culture professionnelle durant 20 ans qui l’empêchait de bouleverser de fond en comble le système antérieur comme l’exigeait la situation et l’intérêt du pays » (p. 175)
Diagnostic d’échec ? mais à quel propos : une prise du pouvoir ? une implantation pérenne de la démocratie en Mauritanie ? « La mise en place de la transition » (p. 179) aurait été obérée dès le coup : « le partage de la responsabilité morale et politique de toute l’œuvre du régime précédent alors que par le passé chaque régime avait assumé la sienne, seule … est-ce un style nouveau, un excès de langage, une erreur ou une volonté délibérée de justifier ou de couvrir son ancien patron, seul l’intéressé peut donner l’explication et la réponse adéquate » . Paradoxalement, pas de commentaire de sa candidature à l’élection de 2009, pas plus qu’il n’y en avait eu pour celle de Mohamed Khouna Ould Haïdalla à l’élection de 2003. El Haycen ne prolonge pas la trajectoire de ses amis.
Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi . 2007-2008
Les quinze mois de tentative démocratique (chapitre IX – « L’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi » – pp. 187 et ss) sont décrits en des termes qui correspondent à l’analyse courante des soutiens du coup du 6 Août 2008.
La discussion – possible et nécessaire – de cette analyse n’est pas ouverte, or l’ambition initiale était l’accompagnement d’un peuple adulte dans sa recherche des outils de la maturité. Aucune des nombreuses assertions et insinuations à l’encontre du seul président élu démocratiquement lors d’un scrutin pluraliste en Mauritanie, n’est établie factuellement : « cette élection de Sidi a été le fruit véritable d’un travail de l’institution militaire bien conçue et articulée théoriquepent d’une partie du C.M.J.D. ou du moins de sa direction, qui avait vu en lui éventuellement un allié peu encombrant, qui serait très coopératif avec eux, car l’homme âgé de plus de 70 ans, donc moins tonique dans son verbe et ses idées s’il en avait encore, moins virulent dans ses actions s’il les entreprendrait, que ses candidats concurrents Daddah, Haidalla, Messoud et Zein, ayant en dénominateur commun un caractère impulsif, une probité intellectuelle certaine, que certains peuvent contester mais qui demeurent difficilement contrôlables ou manipulables ar une tierce personne ; pouvoir ou autre, ce qui exclue leur choix comme cheval de bataille. Cependant ceux qui se sont hasardés à minimiser la personnalité de Sidi ont eu pour leur frais, car leur calcul et leur projection sur ses aptitudes, ses capacités de réactions ou de nuisance se sont révélés erronées. Ce Président au tempérament très calme, bien éduqué, bien formé, qui apparemment n’a pas la chance d’achever ce qu’il entreprend, sera élu, en apparence régulièrement du fait de l’expertise de certains chefs de la transition en matière de manipulation, héritée du temps du régime antérieur » (p. 187-188)
Quoique soit controversé le soutien du candidat Sidi (p. 189) « la neutralité de l’administration était perçue comme un événement majeur » sans aucun doute (p. 190). « La politique du président Sidi o. Cheikh Abdallahi » (p. 191) n’est pas analysée, même en simple énumération des éphémérides, à propos notamment des réfugiés. Le grief fondamental est donné (p. 192-193) : « je pense que l’une de ses missions essentielles de sa qualité de Président civil élu pour la premlière fois depuis lus d’un quart de siècle est qu’il n’avait pas assez compris ou sous-estimé peut-être, était d’accompagné le retour définitif des militaires dans leurs casernes qu’ils avaient désert depuis le 10 juillet 1978 pour camper dans la vie civile du pays oendant 30 ans au prix coûteux de coups d’état successifs . . . je crois sincèrement que le Président Sidi n’avait pas compris cette donne essentielle, incompréhension qui avait pour conséquence l’exclusion immédiate des militaires de la décision politique, qu’il avait confié sans raison valable aux anciens ministres de Taya dont ils sont les tombeurs de leur régime, qui en toute logique allaient se retourner tôt ou tard contre eux pour les éliminer … il avait cru que la nomination aux grades de généraux de Mohamed Abdel Aziz et de Mohamed Ghazwani était une gratification suffisante pour acheter leur silence ou une bonification pour leuir complicité, en lui donnant carte blanche pour agir comme il le voulait, non seulement pour procéder à la mise en place de son parti pour se perpétuer au pouvoir en préparant sa réélection en 2012 mais aussi de ramener en force tous les hommes de Taya avec leur expérience dans le maquis politique pour renforcer son régime. Sa dérive totalitaire, sa gestion catasrtrophique de l’économie du pays, l’instrumentalisation du parti ADIL pour consolider son régime dans la durée, l’intrusion massive et abusive au sein de l’appareil de l’Etat des mmebres de sa famille, de ses amis et de ses alliés, avaient fini par confirmer dans l’esprit de tous les maueitaniens son incapacité à gouverner le pays, avec un sens minimum de responsabilité et d’équité pour tous ses concitoyens, qui les avait poussés vers la mouvance de la majorité parlementaire qui se mettait en place contre lui ; il avait tué l’espérance de changement … sa vision politique et le choix des hommes en charge de la responsabilité du pays, étaient probablement les plus stupides et les plus criants de toute l’histoire de la Mauritanie … le Président Sidi assume entièrement la responsabilité de l’échec de ce retrait des militaires du pouvoir vis-à-vis de la nation » (p. 206)
Le jugement en histoire ne doit intervenir qu’en conclusion, et pour être complètement informé, il doit pénétrer autant que possible les situations vêcues. La rétrospective n’est pas une discipline. Aucune réflexion sur la solitude du nouveau Président de la République, la dérobade de presque tous les démocrates. Au contraire, une minutieuse énumération des décisions « déconcertantes » (p.207) telles que le limogeage de Zein Oud Zeïdane,, la gestation de l’A.D.I.L.), les incapacités (p. 208) et les abus présidentiels : voyages, nominations, sa fille, son frère, la première dame (p. 209). Les insinuations sont graves, sinon diffamatoires : même les putschistes n’ont pu mener l’enquête en sorte de saisir une Haute Cour qu’ils avaient pourtant fait constituer [11].
L’énoncé de « la chute du Président Sidi » (p. 210) est le décalque de l’argumentaire pustchiste. Sidi Ould Cheikh Abdallahi a failli parce qu’il a « préféré l’arme la plus simple mais la plus danegreuse qui consistait à dcapiter san seffort par un simple décret rédigé de nuit … tous les chefs de corps … cette mesure suicidaire dénote un sens élevé d’irresponsabilité à la limite de la légèreté et de l’aventure… cette démarche quasi-démentielle en ruptyure avec les pratiques d’état respectables… sa décision brutale et infamante d’éliminer sans concession les chefs militaires de cette manière, qui s’ajoute à son acharnement de circonscrire l’autonomie législatif » (p. 213)
Après avoir pris à son compte l’argument de la guerre civile en cas de nominations ou de mutations déplaisant à quelques-uns dans la hiérarchie militaire, le livre s’achève sur « l’espoir de renaissance » (p. 216) : « Prions pour que notre actuel Président de la République Mohamed o. Abdel Aziz, patriote, intègre, entier et sincère, fort de l’extraordinaire légitimité populaire consacrée par l’élection présidentielle du 18 juillet 2009 et de la caution internationale qui l’avait accompagnée, puisse exécuter avec foi et détermination son programme politique, en restant loin des attitudes de ses prédécesseurs aux multiples visages » (p. 224)
Le général Mohamed Ould Abdel Aziz . 2008-…
Mohamed Lemine Ould El Haycen qui, avec franchise, dit sa relation privilégiée avec les colonels Ould Haïdalla et Ould Mohamed Vall, motive sa prière par un portrait de l’actuel président (chapitre X – « L’émergence du général Mohamed o. Abdel Aziz » – pp. 197 et ss)
Surprenante ? ou seulement adroite ? la présentation du putschiste tend à établir le désintéressement d’un personnage qui pourrait être au pouvoir depuis bientôt sept ans, s’il ne se l’était pas approprié après avoir maté les mutins des 7 et 8 juin 2003, s’il n’avait pas cédé la place à Ely ould Mohamed Vall le 3 Août 2005, s’il avait empêché l’élection du 25 Mai 2007… Politique fiction ? l’acte de naissance serait donc la confrontation avec le commandant Hanena pour compte de tiers (Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya) : « un parcours d’officier classique jusqu’au 8 Juin 2003 comme tous les officiers en temps de paix …mais se distinguera de tous en croisant les armes avec une rébellion militaire musclée qui fera quelques morts et plusieurs blessés menée par le commandant Hanena dont le courage et la détermination ne peuvent être catalogués qu’hors de pairs » (p. 197) . « En fait, sans complexe ni calcul, disons de bon cœur et spontanément, il avait cédé par deux fois le poivoir d’abord, à un militaire plus âgé et plus ancien dans le grade que lui, sur les baïonnette de ses fusils même s’il était difficile de s’y asseoir dessus, puis à un civil au terme d’un processus électoral, riche en couleur et en rebondissement, dont il avait fini par en avoir le ticket gagnant, plus par un concours de circonstance favorable, produit des dérives et des calculs d’épicier contre performants de ses prédécesseurs que par des manigances opérées par ses soins. Je crois que son étoile a été éclairé par sa sincérité et sa bonne foi… » (p. 199) « C’est la première fois dans l’histoire contemporaine des coups d’état, qu’un officier en prenant pour lui tout seul tous les risques de se retrouver au poteau d’exécution en cas d’échec, ce qui était sur sur et certain, connaissant la détermination et le jusqu’auboutisme du patron de l’ancien régime, remettait grâcieusement sur plateau non pas d’argent mais d’or les attributs du pouvoir à autrui, fusse-t-il un ami brillant, un parent remarquable ou un tiers crédible. . . renonciation du colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, dès le début à la présidence, aux motifs respectables même s’ils n’avaient pas été rendus publique eu égard aux caractères secrets des parties » (p. 201)
D’une certaine manière, le putschiste serait né par désintéressement politique, mais l’homme d’Etat aurait mûri selon son sens de l’observation, que n’avait pas Ely ould Mohamed Vall « une véritable force d’inertie plus orientée vers la conservation des lieux et méthides de son prédécesseur » (p. 201), malgré sa position puique « le futur Président de la Transition était censé avoir eu le loisir et le temps d’observer les clichés des évènements pendant deux décennies passées à la tête de la Sûreté Nationale, formidable observatoire des contradictions internes du pays, des distorsions des articulations sociales, des dysfonctionnements de l’Etat » (p. 201) .Tout au contraire, « le Général Mohamed avait longtemps observé de son coin du BASEP d’une part l’arrogance des acteurs ppolitiques du pouvoir public… et d’autre part un peuple appauvri, victime du mépris de ses dirigeants et la duplicité malveillante de son élite » (p. 217)
D’où une attitude politique, dispensant de toute réflexion sur le fait-même du putsch : « le Général Mohamed a compris d’où vient l’oriogine du mal et s’est engagé à procéder à son éradication systématique dans un proche avenir, en passant bien sur, part une mobilisation active et judicieuse des revenus des ressources du pays au profit d’un peuple, sujet constamment de privation » (p. 219). « Le Général Mohamed a eu l’extraordinaire besoin de partager les soucis quotidiens, les préoccupations permanentes de ce peuple » (p. 220). Présentation intellectuelle aussi, qui dispense d’analyser programme politique et dessein à long terme. « Cet officier s’était révélé de fil en aiguille, au gré du temps et des péripéties des événements comme une force tranquille, déterminante, fondée sur la patience, la retenue et la pondération, qui préfigue la naissance d’une intelligence politique exceptionnelle qui séduira par la suite une majorité écrasante de son peuple, a qui il restituera la confiance et l’enthousiasme perdues » (p. 198)
Non pas l’exposé d’une politique ou un bilan, mais un contact avec le peuple. Ainsi est exposé le slogan de la campagne présidentielle : « le président des pauvres » : « la politique du Général Mohamed est exactement l’opposée de celle de ses prédécesseurs, qui avaient la particularité de prendre de la distance par rapport aux besoins réels des populations, laissées pour compte au soin de leur débrouillardise das une univers brutal, mercantiliste et asocial. Le général Mohamed avait improvisé un nouveau style du poouvoir fondé sur les rencontres et discussions avec les citoyens, les visites improviseés dans les quartiers déshérités, les hôpitaux, les écoles, les centres de commerce, les entreprises, aux termes desquelles, il prenait instantanément les décisions sur place, pour parer au plus urgent des besoins d’une population en détresse, qui n’avait jamais vu leur Président qu’à la télévision. Ce full-contact avec le chef de l’état a été bien perçu… En fait, le Général Mohamed développe des concepts simples et des idées accessibles à tous les mauritaniens, avec conviction, énergie, surtout avec sincérité, c’est là, sa force au départ et sa spécificité à l’arrivée, qui font la différence avec certains de ses compères, qui se perdent dans le superflu ostentatoire de leur fonction et les sentiments de surélévation par rapport au peuple qui avait fini par se lasser de leurs comportement qui frisent en permanence le ridicule de leur vision et l’irresponsabilité de leur conduite » (p. 218). Conclusion : « le Général Mohamed a réinventé en mauritanie le rêve du possible et d’un monde meilleur, l’espérance d’une vie décente et honorable pour tous et l’espoir retrouvé qui illumine le sourire, qui nous avais abandonné depuis plusieurs décennies devant l’avancé inexorable surtout du détournement des biens plublics, du déclin du crédit et de l’autorité de l’Etat. Aussi, ses méthodes de prises de pouvoir de manière pacifique que la façon de le concevoir suivant les règles de l’art basées sur le principe du consensus, de la concertation élargie et la défense de l’intérêt national, au service d’un peuple meurtri… » (p. 217).
Le point commun entre le Général et Mohamed Lemine Ould El Haycen réside dans une succession partagée des mêmes déceptions que leur causent les prédécesseurs du putschiste, obligé de l’être à tant de reprises… Mohamed Ould Abdel Aziz a été limogé le 6 Août 2008 par celui qui l’avait promu général et l’auteur, recommandé au président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, par les notables de tout le Dakhlet Nouadhibou et au-delà, ne fut cependant pas nommé par celui-ci à ce qu’il convoitait, ne laissant pas non plus un grand souvenir au Président de la République.
Prophétique enfin ? l’analyse des précédents coups militaires met en relief l’exceptionnalité de celui qui mit fin, le 3 Août 2005, à une dictature de plus de vingt ans. Pour la première fois, l’attentat ne fut pas perpétré par le chef d’état-major national. Cette institution ou cette base d’action avait été affaiblie systématiquement « en injectant les taupes et l’argent nécessaire » tandis qu’avait été mis en place le BASEP « comme force de contrepoids et de dissuasion d’une grande efficacité psychologique » (p. 200). L’auteur justifie ainsi qu’aujourd’hui, le Président de la République en place, ne se soit pas nommé un successeur pour sa garde prétorienne et que celle-ci n’ait à sa tête qu’un adjoint… et en relevant les deux principales énigmes du coup manqué le 8 Juin 2003, il fait réfléchir à l’avenir : circonstances du décès du chef d’état-major national à l’époque et raisons d’un tête-à-tête que voulurent les mutins avec le bataillon d’élite…
Recevant ainsi autant d’éléments de réflexion sur l’actualité immédiate et les structures du pouvoir politique de maintenant en Mauritanie, le lecteur pardonne à l’auteur de ne rien dire sur le coup-même du 6 Août 2008, la date n’est même pas donnée ! rien des négociations de Dakar (à rebondissements du Mai au Juin 2009), de la problématique des dates du scrutin – pourtant décisive si l’observation du processus électoral avait dû être sérieuse en 2009 – et d’être assez simpliste pour caractériser la pression internationale, pourtant émolliente, sur la mise en place du régime.
Comme à propos de 1978, El Haycen ne donne pas de réflexion sur la légitimité, sur l’Etat de droit. A aucun moment de son essai n’apparaît le décisif concept des libertés publiques, encore moins d’expression. Il n’inventorie pas les contraintes mauritaniennes, l’économie n’est pas étudiée pour ce qu’elle doit ou pas à la direction politique de l’Etat. Il ne tient pas compte non plus de ces institutions non écrites mais qui font la Mauritanie et aident les Mauritaniens à formuler leur consensus : ces journées de concertation reprises, du 25 au 29 Octobre 2005, des congrès naguère du Parti du Peuple Mauritanien [12], et que tenta le régime de fait, pour sa fondation en forme d’ « états-généraux de la démocratie » (28 Décembre 2008 au 6 Janvier 2009). Quoique juriste entre autres formations, il n’examine ni la viabilité du régime parlementaire ni la sincérité de l’ensemble des fonctionnements supposés démocratiques malgré leur mise à l’épreuve de Novembre 2006 à Juillet 2009.
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Au total, Mohamed Lemine Ould El Haycen avait une louable ambition : donner un outil, mais ce qu’il produit est une version impressionniste de l’histoire contemporaine de la Mauritanie et il impose ses propres lacunes au lecteur. Plus grave, il ne donne pas les repères et les références permettant de hiérarchiser les différents successeurs de Moktar Ould Daddah et même celui-ci par rapport au bien commun national mauritanien. Enfin et surtout, sa plume trop hâtive donne aux Mauritaniens une image d’eux-mêmes – que je crois fausse – et qui les condamne au paternalisme sinon à la démagogie. De tels défauts de fond empêchent donc le travail d’El Haycen – plus encore que ses lacunes de forme et de méthode – d’être conclusif. Ce qui conforte l’ambiguité de la perception donnée de la période fondatrice et de ce qu’elle constitue comme legs et bien commun. Une manière scientifique de présenter le demi-siècle mauritanien eût consisté à présenter – tranquillement – l’état des faits et l’état des questions, à distinguer explications personnelles, suppositions de ce qui est déjà établi. Pour la commodité de ceux qu’il invite à l’accompagner, il aurait dû traiter chacun des présidents – sans ou avec guillemets – selon le même plan, les mêmes questions et, au lieu de se présenter lui-même, il aurait dû indiquer ses références, si elles sont intangibles ou leurs fondements précaires s’il les reconnaît telles, en sorte que les comparaisons puissent s’établir factuellement et éthiquement. Une bibliographie discutée et un rappel chronologique auraient été bienvenus : l’auteur aurait mieux daté lui-même son seul souvenir vêcu du président Moktar Ould Daddah, lors d’une de ses inaugurations des installations de Miferma. Témoignage (p. 34) d’ailleurs touchant : « Le Président Moctar était, sous ses airs sérieux et réservé, un homme plein de tendresse, qui avait le sens de la repartie et de l’humour. Je me glissais souvent dans sa délégation lors de ses déplacements dans notre ville ou à plusieurs reprises, son épouse Marième prenait affectueusement par la main le gamin dégourdi que j’étais. Je me souvenais surtout de sa première visite, lors de l’inauguration du délmarrage des activités de la mine de fer, exploité par la société Miferma ancêtre de l’actuelle Snim, juste, après la première fête de l’indépendance du 28 novembre 1960, alors que je venais juste de débarquer de ma tendre brousse de Taziazt ou j’avais passé mes 6 ans dans le giron protecteur de ma mère. »
Là réside d’ailleurs le paradoxe mauritanien contemporain, qui est celui de certains des compatriotes et contemporains du Président : les trois putschistes de 1978 et dont le plus habile régna jusqu’en 2005, furent successivement et dans leur ordre d’apparition au pouvoir, ses propres aides-de-camp, donc familiers au possible de l’exceptionnalité de Moktar Ould Daddah. Et c’est le gamin dégourdi des années 1960 à qui Mariem prenait affectueusement la main qui traite le fondateur de diminué sinon de gâteux… Inconséquence qui aura eu tant de conséquences ! et en a encore, d’où ce besoin de mémoire et de repères ; d’où la nécessité d’un principe de légitimité en Mauritanie.
Ce livre devait y contribuer.
L’auteur ne nous donne donc qu’un essai, parfois avec des intuitions et des résumés justes, parfois aussi – et malheureusement pour sa crédibilité – des éléments de pamphlet. C’est dommage… d’autant que les Mauritaniens attendent cet outil de mémoire et cette base de discussion, et que l’étranger ne peut, en le lisant, avoir une idée juste du pays. Quant à l’éditeur, il n’honore pas son métier en publiant un texte dans un tel état : il dessert l’un et l’autre./.
Bertrand Fessard de Foucault, alias Ould Kaïge . 14 . 18 Mars 2010
[1] - premières lignes de l’introduction, soit p. 7
Ce travail qui enregistre un survol succinct… cette modestie duquel je m’excuse résulte objectivement de la limitation de l’effort investi dans l’écriture de ce livre qui fauche les limites de la romance autobiographique, fruit essentiellement du du recours intensif à ma mémoire, dont es racines de ses sources s’abreuvent et s’enchevêtrent dabnsmon ilaginbaire ou s’accumule informations et évènements dont j’étais un témoin oculaire sur plus de quarante ans. J’ai voulu sans recourir aux archives ni aux aides mémoires, ce qui est peu excusable, restituer dans cette chronologie le film des événèements majeurs qui avaient ponctué les activité des présidents successifs de la Maurityanie de 1958 à 2008 soit la moitié d’un siècle, qui avait vu naître le pays dont le destin avait été inégalement assumé par des hommes dont les historiens se chargeront d’établir sans complaisance leurs bilans et leurs paces respectifs dans l’histoire du pays en fonction de leurs contributions et de leurs mérites. Ce témoignage d’une époque agitée parfois conflictuelle mais toujours pasionnante, je l’avais pensé serein, conçu objectif et réalisé avec espoir de lâcher un faisceau de lumière sur un volet non écrit de notre histoire contemporaine, victime de négligence de notre classe politique, de l’indifférence de nos intellectuels et qui risque de sombrer dans les abysses de l’oubli
et dernières lignes, soit p. 8
je pense que ce livre apportera une contribution substantielle sous forme d’un condebnsé d’information, suscitant de réflexions dans le débat politique contemporain et ses contradictions multiples… mais aussi répertorie pour emain un pan essentiel de notre mémoire collective dont la déperdition constitue un handicap majeur et une perte irremplaçable pour les générations futures.
[2] - la chronologie est la suivante : le 28 Février 1961, le groupe parlementaire du Parti du regroupement mauritanien qui a remporté la totalité des sièges aux élections du Mai 1959, opte pour un régime présidentiel par 17 voix contre 4 et 9 abstentions, et il est prévu que l'Assemblée actuelle restera en fonction jusqu'à la fin de son mandat tel qu'initialement prévu. Le 15 Mars, la démission de Sidi el Moktar N'Diaye de ses fonctions de Président de l'Assemblée nationale est confirmée, mais les députés refusent de l'accepter. Ce n’est que le 2 Mai, qu’à l'unanimité des 29 présents, est élu Hamoud Ould Ahmedou comme Président de l'Assemblée nationale en remplacement de Sidiel, dont la démission a été de fait acceptée finalement.
[3] - La Mauritanie contre vents et marées éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français
[4] - Moktar Ould Daddah, mémoires op. cit. p. 188
[5] - « sans frasque ni tintamarre, avec toute la simplicité, la dignité et l’amabilité qui sont propre au guerrier bien né, sans privilège, ni faveur, ni richesse, ni tuer, bref, une conscience tranquille et sans résignation » (p. 92) « le plus civil et le plus démocrate des militaires » (p. 80)
[6] - ce manuscrit avait été rédigé avant les négociations au Sénégal entre d’une part le F.N.D.D., l’U.F.D. et le pouvoir du général Mohamed Abel Aziz (p. 224)
[7] - 4 Août 1981
[8] - 19 au 21 Juin 1990 : François Mitterrand, président de la République française y presse ses pairs africains de démocratiser leurs régimes respectifs
[9] - la chronologie est la suivante :
* 15 Avril 1991, discours de fin de Ramadan (Aïd el Fitr) à deux heures du matin, Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya s’engage vers le multipartisme et une Constitution (selon les promesses faites à Roland Dumas) : « Conformément au désir d’un grand nombre de nos compatriotes, un referendum sera organisé pour l’adoption d’une Constitution et ce avant la fin de l’année en cours. Après l’adoption de cette Constitution, des élections libres seront organisées pour choisir une Assemblée nationale et un Sénat. L’autorisation de la création de partis politiques sans limitation de nombre constituera la toile de fond de toute cette action »
* 10 Juin 1991, le CMSN (qui s’est réuni le 9 pour approuver le texte) annonce la tenue du referendum pour le 13 Juillet et publie le texte de la Constitution
* 12 Juillet 1991, approbation massive de la Constitution par referendum ; officiellement une participation de 85,34% - 97,94% oui
[10] - adoptée par referendum le 22 Juin 2006
[11] - le 29 Juillet 2008, 51 députés à l’Assemblée nationale déposent une demande formelle de session extraordinaire à compter du 10 Août avec pour ordre du jour, notamment l’examen et la discussion des règlements de l’Assemblée Nationale, l’élection des membres de la Haute Cour de Justice et la création d’une commission d’enquête parlementaire (par le Sénat) tendant à faire la lumière sur la gestion et les modes de financement de la fondation KB (initiales du nom de l’épouse du président de la République). Cette session extraordinaire s’ouvre le 20 Août hors la convocation du président de la République, renversé, et l’aval du président de l’Assemblée elle-même contestant l’ensemble des procédures depuis le 6 Août. La Haute Cour de Justice est alors constituée
[12] - la chronologie peut s’en donner ainsi :
Aleg – 2 au 5 Mai 1958 : regroupement des partis politiques mauritaniens – congrès fondateur du parti du Regroupement Mauritanien P.R.M.
Nouakchott – 25 au 30 Décembre 1961 : « congrès de l’Unité », à la suite de six réunions de la « table ronde » de tous les partis mauritaniens, fondatioon du Parti du Peuple Mauritanien P.P.M. (Hizb Chaeb)
Nouakchott – 25 Mars au 2 Avril 1963 : Ier congrès ordinaire du P.P.M.
Kaédi – 23 au 31 Janvier 1964 : conférence des cadres se transformant en congrès extraordinaire du P.P.M.
Aïoun-el-Atrouss – 24 au 26 Juin 1966 : IIème congrès ordinaire du P.P.M.
Nouakchott – 23 au 27 Janvier 1968 : IIIème congrès ordinaire du P.P.M.
Tidjikja – 25 Mars au 1er Avril 1970 : conseil national du Parti
Nouakchott – 1er au 7 Juillet 1971 : IIème congrès extraordinaire du P.P.M.
Nouakchott – 15 au 20 Août 1975 : IVème congrès ordinaire du P.P.M.
Nouakchott – 29 au 31 Janvier 1976 – session extraordinaire du conseil national du Parti
Noaukchott – 27 au 30 Avril 1977 – 3ème session du conseil national du Parti
Nouakchott – 25 Janvier 1978 – IIIème congrès extraordinaire du P.P..M.
Nouakchott – 26 Janvier 1978 : conseil national du Parti
– ces Congrès et réunions du Conseil national du Parti avaient ceci de caractéristique que bien que statutaires, ils étaient toujours ouverts aux tiers et aux opposants, et que ceux-ci y venaient non écartés, ce fut décisif au congrès de Kaédi (la quasi-totalité des cadres du pays) et au conseil national de Tidjikja (la jeune génération formée en université à l’étranger)
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