mardi 11 septembre 2012

journal de maintenant - mardi 11 septembre 2012

Mardi 11 Septembre 2012


J’adresse à l’Elysée l’article d’isselmou Ould Abdel Kader. Celui-ci a été ministre du gouvernement mauritanien - dans la première longue période d'autorité militaire plus ou moins défroquée - et a fait de la prison dès le début de la seconde : l'actuelle avec le général Mohamed Ould Abdel Aziz, pour avoir en direct à la télévision nationale qualifié de milice le BASEP, le bataillon prétorien que continue de commander personnellement le président régnant. Voici son commentaire quand je lui ai demandé si je pouvais disposer de cette réflexion :

Je vous autorise à envoyer mon article à qui vous voudrez, pourvu que cela contribue à éloignetr le spectre de la guerre. une guerre qui ne fera le bonheur de personne et qui rendre les choses plus difficiles. Je serais moins social démocrate si je continue à constater que la diplomatie du Président Hollande envoie des messages d'appel à la guerre. On peut agir autrement et aboutir à plus de résultats si nous faisons preuve d'imagination. Je crois que nous devons amener nos amis français et surtout l'élite socialiste qui est généralement plus audacieuse, à comprendre et à prendre acte du fait que l'Etat issu de la décolonisation est historiquement à la limite du temps qu'il pouvait normalement durer. Le Sahel a besoin d'être repensé du point de vue du traitement de la diversité.L'exercice est certes difficile, mais il faut résoudre une équation par essence difficile: celle de conjuguer la diversité culturelle au mode la pluralité politique, l'expression des identités ethniques dans le respect de la logique unitaire des États. Je sais que c'est facile et même enfantin de penser comme je le fais, mais il n'y a que cette voie ou la déconfiture.
Bref, je ne voudrais pas vous prendre davantage de temps. Je crois que des hommes comme vous, Ahmedou Ould Abdella, Alpha Oumar Konaré, pouvez initier et bien conduire ce débat qui, à mon humble avis, est un préalable à toute recherche  de solution du problème du Nord du Mali. Mais le Mali n'est pas le seul, son cas étant appelé à faire tache d'huile au bonheur des extrémistes et des narcotrafiquants.
Jusqu'ici je n'ai pas eu de contact avec M. l'ambassadeur de France, mais je suppose qu'il n'a pas mon temps comme dit. En Afrique les ambassadeurs de France se croient toujours bien informés
Salutations très cordiales
Isselmou Abdel Kader

Cette réflexion – lue ensuite par un de mes plus éminents correspondants, décisif ministre pour la concertation nationale d’Octobre 2005 – est confirmée.

J'ai lu l'article de Mr isselmou et vos échanges à ce sujet.Je pense que l'article est fondé sur un souci légitime,celui d'éviter une guerre et ses conséquences imprévisibles.
J'ai noté avec intérêt qu'il souscrit à la thèse de l’oppression du peuple touarègue qui légitime ses revendications à l'indépendance.Nombre d'observateurs partagent cette vision mais il me semble que,dans le cas de l'élite maure mauritanienne,il s'agit plutôt d'une forme de solidarité éthnique, en résonance d'ailleurs avec la position du pouvoir mauritanien dont chacun sait le soutien apporté au MNLA et aux arabes du Mali.Il est d'ailleurs intéressant de relever que cette même élite ne fait pas preuve du même volontarisme pour soutenir ses frères négro-mauritaniens, dont la situation est,par bien des points,similaire à celle des touaregs.Je note au passage que ces touaregs ne représentent qu'une minorité des populations de l'Azawad mais qu'ils se sont arrogé le droit de parler seuls au nom du peuple du Nord-Mali.
En conclusion,je suis personnellement peu convaincu par les discours de ces intellectuels aux motivations purement communautaires ou ethnicistes,ces intellectuels faussaires dont parlait un universitaire français,silencieux quand il s'agit de défendre leur groupe ethnique et donneurs de leçons quand cela les arrange...
Bien sûr,Mr Isselmou a raison de mettre en garde contre l'aventure de la guerre et je crois vous avoir dit dans un précédent message la sagesse de la nouvelle position réaffirmée par MOAA à Atar refusant de s'impliquer dans une intervention militaire au Mali...Quant aux contours d'une sortie de crise sur un plan politique et militaire,nous savons tous que c'est par la négociation pour imaginer une nouvelle architecture institutionnelle et une reconnaissance poussée des droits culturels,politiques et économiques des populations du Nord....En ayant à l'esprit que cet exercice sera plus difficile que ne le pensent certains car le Nord-mali est pluriethnique et ce qu'on appelle le peuple de l'Azawad est une pure construction intellectuelle et politiques comme l'est d'ailleurs l'Azawad lui même...
Pour finir,je crois que cet article a le grand mérite de nourrir la réflexion et le débat et surtout d'éclairer les décideurs,notamment Français qui pensent trop facilement que la solution militaire est la seule praticable sans mesurer parfois toutes les conséquences qui en découleraient....Et pourtant l'exemple Libyen est encore là....
Salam

La situation se tend de plus en plus localement depuis que dans la nuit du samedi 8 au dimanche 9  - à Diabali - a eu lieu un dramatique et très grave incident à la frrontière mauritano-malienne. Ce que me confirme un de mes correspondants les plus intègres intellectuellement et informés :

Vous êtes certainement au courant de la mort avant hier de plus de 12 prédicateurs mauritaniens (pacifiques) sous les feux des gardes frontaliers maliens. MOAA a tellement pourri nos relations avec les maliens et tellement installée la peur de l'autre de part et d'autre de la frontière commune que de telles méprises seront désormais monnaie courante et toucheront des commerçants, des éleveurs, etc.
Les prédicateurs du groupe Dawa et Tebligh ont le tort d'être des maures, de traverser la frontière des environs des camps de réfugiés de Vassala devenus, selon les maliens un repère pour le MNLA et autres et de porter le même accoutrement que les Djihadistes.
Personne ne peut présager des conséquence de ce carnage

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Je reçois de nouvelles réflexions de l’ancien ministre :

J’ai peur d’avoir perçu une compréhension simpliste de la situation au Nord du Mali, mais je fais confiance au gouvernement français qui, j’en suis convaincu, saura faire preuve de perspicacité pour mettre fin à cette crise et au moindre prix.

Pour y arriver, il saura, je l’espère, comment éviter de se fonder sur certains préjugés qui me semblent devoir être à éliminés de tout raisonnement.

1° La recherche d’une solution durable pour le conflit azawadien ne doit pas se fonder sur le seul souci légitime d'éviter une guerre et ses conséquences imprévisibles. Il y a des guerres justes (par exemple contre le régime de Kadhafi) et des guerres injustes (par exemple la guerre contre le MNLA). Il est nécessaire d’adopter une stratégie prenant en compte la solution des trois problèmes posés concomitamment, à savoir le terrorisme, le fléau de la drogue et le statut à accorder au territoire du Nord. Peu importent sa dénomination et celle de ses !

2° L’oppression du peuple touarègue est un fait indéniable qui se manifeste à travers de nombreux aspects aussi apparents qu’inacceptables. Tout le monde sait que les Touaregs, plus que les peuls, les Songhay et les Maures, sont exclus et traités comme les intouchables indiens.

3° L'élite maure mauritanienne n’a pas et n’a jamais eu les mêmes réflexes à propos des questions identitaires. Il y a des courants nationalistes arabes (baasistes ou nasséristes) qui constituent la base politique du régime du général Mohamed Ould Abdel Aziz et qui soutiennent les Arabes du Nord du Mali. Ils ont massacré les négro-mauritaniens en 1989, 1990 et 1991 et pleurent aujourd’hui leur idole (Saddam ou Kadhafi) Il y a aussi des maures militants de gauche, plus que ne le sont MM. François Hollande et L. Fabius. Ceux-là ne sont nullement mus par des considérations d’ordre ethnocentriste.
En balayant un raisonnement du travers de la main sous prétexte qu’il constitue une résonnance ethnocentriste ou raciste, on simplifie les choses et on tombe dans les mêmes tranchées.

Il faut souligner en plus que les Maures (Arabes) du Nord du Mali et les Touaregs se vouent une haine inextinguible ayant pour origine des conflits sanglants, entre les Kalansar et les Brabich, entre les Kalansar et les Tounmouz et entre les tribus touaregs coalisées et celles des Oulad Daoud du Tilemsi). D’ailleurs, avant le général Mohamed Ould Abdel Aziz, l’Etat mauritanien n’a jamais accueilli ou hébergé que des représentants des Maures maliens.

4° Je crois que personne ne peut ignorer la nature des rapports entre le général Mohamed Ould Abdel Aziz et le MNLA et aux arabes du Mali. Tout le monde sait que le général agissait sous la dictée du Président Sarkozy et c’est la raison pour laquelle lorsque les élections présidentielles française sont terminées, MOAA a déclaré qu’il n’irait plus en guerre au Nord du Mali. Pourtant, c’est lui qui a formé le MNLA qui se compose de trois factions : celle de Ag Bohadda qui guerroyait aux cotés de Guillaume Soro sur ordre du gouvernement de M. Sarkozy, celle de Ag Bahanga, décédé après avoir été adulé et soutenu par le Général MOAA et son idole Kadhafi et celle de Bilal Cherif.

MOAA a été mis en garde par les officiers mauritaniens contre toute intervention en territoire malien. ll sait que les militaires mauritaniens sont seulement capables de renverser le régime en place quand il les envoie en guerre.  Il est donc inquiétant de constater que dans le monde, surtout en France post-sarkozienne, il existe encore quelqu’un qui puisse prendre le général putschiste Mohamed Ould Abdel Aziz comme un homme sage. A moins qu’on ne veuille le réutiliser au risque de faire perdre à la France socialiste tous ses acquis en Mauritanie.

6° Il est vrai que de nombreux intellectuels mauritaniens ont un double langage. Ce n’est pas nouveau, mais je crois, au risque d’être outrecuidant, (il faut l’être parfois) que j’ai fourni la preuve, à travers toute ma carrière administrative et politique, du fait que je me suis débarrassé des préjugés raciaux ou ethnocentristes. Né dans l’encens de la Tijaniya au chef emblématique Ouolof (Cheikh Ibrahima Niass), pétri dans la tradition d’une tribu commerçante et gavé, comme une grande partie de ma génération, des idées laïques marxisantes, je crois avoir toutes les chances de me mettre au dessus des particularismes identitaires étroits. Tout le monde connaît mes positions, même au temps où, gouverneur sous le régime de Maaouya Ould Taya, j’avais sauvé des milliers de mes concitoyens « négro-mauritaniens » en les arrachant aux chefs militaires qui voulaient les rôtir à petit feu. Mes ennemis me rétorquent toujours que je ne devais même servir sous un tel régime. Mais je leur réponds souvent que Ould Taya, quel que soit ce qu’en pensent les autres, ne m’a jamais ordonné de faire du mal, ni remis en question les bonnes choses que je faisais.

 7° La situation des négro-mauritaniens n’est en rien similaire à celle des Touaregs au Mali. Je crois que ces assertions sont source de conflit, surtout quand elles ne reposent sur aucune réalité. S’il y a des inégalités entre ethnies mauritaniennes en termes de redistribution des ressources publiques depuis l’instauration du régime militaire en juillet 1978. Ce déséquilibre dont j’ai parlé dans mon livre « où va la Mauritanie » résulte essentiellement de la répartition inégalitaire de la rente du pouvoir. Mais cette répartition est devenue encore plus injuste lorsque la prise du pouvoir a commencé à revêtir le caractère d’un pur hold-up, c'est-à-dire depuis le putsch du général Mohamed Ould Abdel Aziz en aout 2008. Jusqu’à l’arrivée de cet homme avide et sans vergogne, la classe moyenne qui tenait le corps social et permettait au tissu économique d’évoluer vers l’émergence de classes homogènes s’est totalement nécrosée. Les terres des communautés noires de la vallée du fleuve Sénégal sont bradées à des investisseurs fantômes, le passif humanitaire est balayé du revers de la main après une prière de Tartuffe sur les disparus.

8° En Mauritanie, on disait qu’au recensement de 1988, les « négrophones » (permettez-moi ce néologisme non moins bizarre que celui de négro-mauritanien) feraient 19% de la population mauritanienne. Aujourd’hui, on dit qu’ils en représenteraient 13%. Je pense que tous les recensements dans le pays pluriethniques sont sujet à caution et qu’on ne devrait pas les prendre pour argent comptant. Ajouter à cela que le recensement effectué au Mali en 1950 par l’administration coloniale, indiquait que les Touaregs et les Maures faisaient 500.000, soit 16,7% de la population totale du Mali d’alors (3000.0000 hts). Même si l’on écarte le fait que ce recensement ne pouvait englober tous les Touaregs nomades, on ne pourrait pas croire que l’évolution démographique ait été positive uniquement pour les autres ethnies. S’ajoute à ceci que les Touaregs maliens sont allés s’installer dans les pays limitrophes après les campagnes de répression de 1963, 1966 et 1991. Il y aurait plus d’un million de touaregs en Algérie seulement.

9° Je crois que ces considérations ne font que retarder le processus de retour à la paix dans cette grande région d’Afrique. Je suis aussi convaincu que le débat sur la refonte des systèmes politiques et administratifs devrait être la clé de tous les problèmes posés aussi bien au Mali, qu’en Mauritanie, au Niger, au Tchad et au Soudan. Ces pays constituent une aire de contact de deux ensembles qui peuvent se comprendre, sans jamais accepter de se confondre.

 En tout état de cause, il n’y aura pas de solution tant que les régimes politiques n’ont pas été stabilisés, non pas sur des bottes et des baïonnettes, mais sur un large consensus prenant en compte le traitement de la fièvre identitaire. Cette perspective exclut d’office le capitaine Sanogo et le général Mohamed Ould Abdel Aziz.

Le fait que la diplomatie française n’ait pas abouti à cette conclusion nous inquiète à plus d’un titre

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